babioles

vers accueil

Babioles, par Constant Claude

TABLE
Le billet de sang ( Serge Senninger )


Sur l’identité des contraires
Pataphores
Substitutions
Combles…
homophonies fictiogénératrices
Phrases-valises


Logique parallèle
Alfred Jarry, La Chandelle Verte, extraits
( la ‘pataphysique comme < Lumières sur les choses de ce temps >)


Problématisations
( sur l’Esthétique transcendantale d’Emmanuel Kant )


Sur l’Amour absolu, d’Alfred Jarry
Concours d’ entrée à l’ ENS-LSH ( Lyon )
Étude littéraire stylistique d’un texte français postérieur à 1600
Commentaire composé du chapitre 7
Rapport du Jury ( extraits )


Quand la ‘pataphysique naquit…
solipsisme, scepticisme, dilettantisme, impressionnisme critique


Métaphoriques…
La métaphore envisagée au point de vue philosophique
Critique du nominalisme poétique ( Martin Heidegger )
Remy de Gourmont 1 : La métaphorique
Images de Jules Renard ( Journal )
Remy de Gourmont 2 : La philosophie du cliché
Note :
Aspects principaux de la pensée de Remy de Gourmont
*** 
Insolites
mars 2009 
 


 

Serge Senninger et Constant Claude ( Etats généraux du Poil, C.P. 10 Clinamen 134 . Photo R. Bellenger )

LE BILLET DE SANG par Serge Senninger


< Les peintres, mieux que les écrivains, accordent une importance objective aux choses. Les lettres de l’alphabet, à part les voyelles rimbaldiennes, manquent souvent de couleur, ne serait-ce que pour peindre ou dépeindre, par exemple, une nature morte. Les objets divers qui nous entourent, usés par l’habitude que nous avons d’eux, sont plus vivants qu’on ne le pense. Leur donner davantage de vie, plutôt que le coma que nous leur accordons, peut aider à ne pas être tout à fait éteint > ( Lao tsu… )
 

Quatre chaises s’écartèrent de la table, puis s’en rapprochèrent. L’une d’elle interrogea : Que dit le journal ?
Le journal, sur la table, resta d’abord silencieux. Enfin, la première page s’ouvrit, montra les pages 2 et 3, 4 et 5, et ainsi de suite, jusqu’ à la fin. < Apparemment, là-dedans, rien ne nous concerne > répondit le journal en montrant son derrière aux chaises. Les chaises s’écartèrent alors, puis se rapprochèrent à nouveau. La porte de l’appartement s’ouvrit et se referma sans bruit. L’ascenseur arriva à l’étage et descendit. Au bord du trottoir les quatre portes de la voiture, une après l’autre, s’ouvrirent et se refermèrent doucement. La voiture n’aimait pas le tapage. C’était une voiture toute simplette et relativement confortable. Au bord du trottoir, elle s’extirpa de son créneau avec adresse et s’invita dans la première file en circulation, puis rapidement dans la seconde pour emprunter la route de l’aéroport.
A l’entrée dans l’avion, ils n’étaient plus que trois. La voiture avait repris la route à peine ses portières refermées. Elle allait se mettre sagement à l’abri des indiscrétions. Le revolver attendait d’être jeté dans un puits ou, mieux, dans la mer.
L’avant veille, quelque part, un tapis de Kerman avait saigné et, de même, une robe, légère peau de soie blanche de haute couture. Enveloppée dans cette peau, une autre peau, celle d’une jeune femme y gisait. De témoins, il n’y avait eu que les meubles du salon et sur les murs quelques tableaux. Dans l’un d’eux, Don Quichotte, figure triste, affligée, déplorait de n’avoir pu s’élancer avec Rossinante, lance en avant, sur le tueur et ses complices. Pour le moment il suivait des yeux le dernier des intrus, lequel s’était présenté à lui sous le nom de Sale Temps. Ce traînard était venu avec une seconde équipe de bandits, bien plus nombreuse que la première. Cette bande, après avoir fait un tas de simagrées, avait quitté les lieux, emportant la victime sur un brancard. Cette pauvre jeune femme ressemblait à Dulcinée comme une goutte d’eau à une autre goutte d’eau.
Cela faisait plus d’une heure que Sale Temps, en contrebas, avait laissé ses complices le quitter. Il était resté seul, longtemps, devant la porte-fenêtre, à regarder dehors. Mains croisées derrière le dos, il tournait le dos au Quichotte et constatait : < C’est bien toujours la même chose, un crime sans la pluie, ça fait pas sérieux, ça fait pas crime, il y a trop de fête dans le soleil, il faut de la flotte et de la gadoue pour que ça fasse vraiment moche > Il regarda un bon moment la pluie tomber dans le jardin et s’entendit prononcer pour la deuxième fois : < sale temps ! > Tous les autres étaient partis : les brancardiers, le photographe, l’homme des empreintes et ses subordonnés. Il avait donné carte blanche à son nouvel adjoint, pour le mettre à l’épreuve d’une première enquête. Quittant la fenêtre, il revint à l’autre bout de la grande table entourée de six fauteuils. Là brillaient encore quelques petits débris de verre, petites miettes de cristal. Au même endroit, sur le tapis, quelques autres encore scintillaient autour des traces d’un animal venu du fonds du jardin tremper ses pattes, et quelque peu sa langue, dans la petite mare de sang.
Avec le sentiment d’une présence derrière lui, Sale Temps se retourna et rencontra le regard du chevalier à la lance. Les moulins à vents, songea-t-il, je les connais : journaux, radio, vidéo. Ils diront les quatre vérités, celle des quatre vents cardinaux et, ma foi, on ne sera pas plus avancé.
Le lendemain, la télévision, la radio, les journaux dénoncèrent le crime. Un crime de  » l’Opium Dei  » pour les uns, de carbonari pour les autres.
Un garde se tenait dans l’entrée de l’immeuble. Sous l’averse, une gabardine trempée s’approcha et tira d’une poche une carte suffisamment convaincante pour lui permettre de pénétrer dans le hall. La gabardine négligea l’ascenseur et les escaliers pour, après une nouvelle douche, être accueillie, de l’autre côté d’une cour, sur le perron d’une petite maison. Sous le parapluie protecteur d’une marquise, un passe-partout, fidèle domestique, se fit un jeu de lui ouvrir la porte. Dans l’obscurité, deux yeux rouges s’éteignirent quand s’alluma la torche électrique. En fuite, les yeux rubis quittèrent le couloir pour le salon. Quand le plafonnier assura pleinement la lumière, la gabardine se confia au perroquet silencieux d’une encoignure. Elle se contenta d’assister au secret entretien d’une pipe, d’une blague à tabac et d’une boite d’allumettes. Colloque terminé, la Pipe entra seule dans le salon et vit tout de suite, donnant sur le jardin, la porte-fenêtre entrouverte. Les yeux rouges étaient passés par là. Le tapis, d’ailleurs, avait été caressé par de nouveaux léchages. Il était devenu presque propre. Les meubles et l’horloge avaient, jusqu’ici, soigneusement gardé dans le bois secret de leur mémoire l’intégralité de la scène du meurtre. Le mobilier était toujours aussi muet. Il ne fallait pas compter sur lui pour rompre l’omerta, cette conspiration silencieuse des choses entre elles. L’horloge, apparemment plus loquace, ne s’en tiendrait strictement qu’à son tic-tac. Un balancier ne saurait être une balance.
La Pipe examina les lieux et s’approcha du bar. Celui-ci, dès l’abord professionnellement avenant, lui avait déjà fait un signe discret d’invite. Elle remarqua une bouteille à peine entamée. Près de la bouteille, un verre, un seul, ce qui lui parut anormal, car il y avait bien six autres verres, mais étrangers à la bouteille. La Pipe alla s’installer, au bout de la grande table, verre et bouteille placés devant elle, protégée par le dossier du fauteuil, bouclier contre le courant d’air venu du jardin. Elle demeura longtemps assise, fumant, rêvant devant le contenu du verre qui de temps en temps se remplissait tandis que la bouteille se vidait. La nuit était depuis longtemps tombée quand l’horloge, une fois de plus égrainant son chapelet, sonna l’heure : une, deux, trois, quatre, cinq, jusqu’à … treize !
Les yeux rouges , entre-temps, étaient revenus. La Pipe ne bougea pas quand elle vit le chartreux aux yeux rouges lécher le tapis, comme s’il voulait faire disparaître une blessure. Elle le laissa faire jusqu’au moment où celui-ci s’approcha, frôla à plusieurs reprises les chaussures, puis les chaussettes et, en toute confiance, bondit sur le pantalon afin de s’en servir comme d’un coussin et, confiant, y ronronner. La Pipe le caressa doucement pour l’amadouer, avant de vérifier pourquoi l’une des pattes boitillait. Entre les griffes de la patte blessée, un petit morceau pointu de verre en était la cause.
Afin d’aiguiser davantage ses pensées, la Pipe avait mêlé un peu de cocaïne à son tabac. Et c’est dans les fumées légèrement colorées qu’elle vit, peu à peu, se dessiner les choses telles qu’elles s’étaient passées. Il se s’agissait pas de ces histoires d’Opium Dei et de carbonari qu’avaient rapportées les journaux, toujours aussi tendancieux. Mais bien, comme elle l’avait prévu, d’une affaire de coke qui n’avait rien de commun avec la couleur noire du charbon et les carbonari. C’est du moins ce que le chartreux lui même, sans doute pour le remercier de lui avoir retiré une épine du pied, avait laissé entendre depuis son coussin. Cela concordait parfaitement avec la treizième heure, celle de la mort annoncéé par l’horloge. Heure que le médecin légiste avait traduit légalement, bien que la nuit fût d’un noir d’encre, par une heure du matin. Cette femme, la maîtresse du chartreux aux yeux rouges, était, en toute simplicité, reine de la neige. Ce qui, pour la Pipe et les yeux rouges eux-mêmes, était plus poétique que d’être roi du pétrole, des allumettes suédoises ou bien roi du Monomotapa.
Convaincu par le franc regard du chartreux, la Pipe imaginait et, en même temps, réalisait et constatait. Dans les nuages, à la fois magiques et tabagiques, elle vit entrer dans le salon, venant du côté cour, une femme élégante, suivie de quatre hommes. Il y avait alors, autour de la grande table, cinq fauteuils vides qui s’écartèrent pour les accueillir. Elle vit deux des bonshommes s’asseoir à sa gauche et deux autres à sa droite. Elle leur accorda moins d’attention qu’à la jeune femme qui, bien que plus éloignée, lui était un bien charmant vis-à-vis.
Après un long moment où passèrent des anges silencieux, elle vit cette jeune femme se lever soudainement pour aller chercher cinq petits verres, une bouteille et une minuscule salière qu’elle amena sur un plateau. Devant un fauteuil, les verres s’installèrent sur la table, et s’emplirent. Toujours en silence, la jeune femme regagna son fauteuil, présenta son verre et son regard à chacun de ses hôtes et annonça :
-La tequila se prend avec une pincée de sel.
Lunettes noires, son voisin de droite, se tourna vers elle. Il était sans nul doute le chef. Habillé sombre et sobre, cravaté violet, il avait, avec discrétion, un certain chic. Dans un français impeccable, à peine épicé d’une pointe d’espagnol, il enchaîna d’autorité la discussion sans même toucher son verre.
-Madame, à propos de sel, parlons un peu du sel qui fait fondre la neige.
-Que voulez-vous dire ?
-Madame, nous avons reçu des bidons d’huile à la place de la marchandise et…
La femme coupa net la phrase.
-Les bidons étaient vides ?
-Non, mais ile étaient mal remplis.
-Comment le savez-vous ?
-Parce que la douane et la police, comme s’ils avaient été prévenus, ont intercepté cet envoi à peine étions-nous arrivés au port.
-Mais c’est pour cela que j’ai fait mettre de l’huile dans les bidons. Pour éviter de perdre ma marchandise et, en même temps, vous épargner la prison.
-C’était un leurre n’est-ce pas ? La véritable marchandise, elle, si je comprends bien, est partie dans une autre direction.
-Je vous fais remarquer que la livraison d’huile a été gratuite et le transport en a été payé.
-Et nous avons eu affaire à la douane et à la police ; nous sommes maintenant dans leur collimateur. Il ne saurait être question de nous graisser la patte avec de l’huile mais de raquer davantage, pour nous dédommager. Alors, en compensation, un billet de cent, ma foi, ça ira. On rangera ça aux affaires classées.
-Un billet de cent ? Qu’entendez-vous par là ?
-Cent millions, bien sûr. Ne soyez donc pas sourde… La vie est tellement chère!
-Peau de balle.
-Peau de balle ?
-Oui, peau de balle. Balpo si vous préférez.
Les lunettes noires fixèrent longtemps l’hôtesse, tandis que sous les lunettes et le nez, se prolongeait un très aimable sourire qui ne s’effaça que pour réitérer, avec une pointe de lassitude, les paroles interrogatives.
-Madame, pour éviter tout malentendu, je vous prie de bien vouloir confirmer ce que vous venez de dire. Vous avez bien dit…
-J’ai bien dit peau de balle et balpo. Vous avez parfaitement entendu. Voulez-vous que je vous le répète une seconde fois. Est-ce moi qui suis sourde ou plutôt vous ?
-Non, Madame, cette foi, je vous ai bien comprise. Je crois, hélas ! que c’est vous qui êtes complètement sourde ou, plus exactement malentendante.
Il était tout souriant, encore, quand il fit un léger signe à l’adresse de l’un de ses séides sis à l’autre bout de la table.
La Pipe avait déja remarqué que son voisin était gaucher. Elle le vit, le flingue à la main, et aussitôt lui donna un coup de poing sur le bras. Ce coup de poing ne rencontra, pour l’heure que le bras du fauteuil. vide. Intervention bien trop tardive pour être efficace. Deux jours d’écart, ça compte.
N ’empêche que la femme, deux jours avant, avait bien reçu la décharge en pleine poitrine. La balle, au passage, avait brisé le verre qu’elle tenait à la main.
N ’empêche aussi que le tueur s’était bien fait labouré le nez et les joues par le chartreux aux yeux rouges, lequel fila aussitôt vers la porte-fenêtre ouverte sur le jardin.
Lunettes noires, d’une voix égale, comme s’il ne s’agissait que de mettre un peu d’ordre dans la maison, s’adressa alors à ses compagnons :
-Allons, allongez doucement Peau-de-Balle sur le tapis, videz chacun votre verre et glissez-le dans une de vos poches, il ne faut pas laisser d’empreintes. Laissez la salière sur la table, personne n’y a touché.
Quant à toi, dit-il au Gaucher, va te débarbouiller un peu au robinet et évite d’y laisser des traces de tes griffures ; elles n’ont rien à voir avec du rouge à lèvres.

La Pipe les vit partir à la queue leu leu. Et, comme s’il venait juste de croiser les quatre gaillards dans la cour, Sale Temps apparut à ses yeux étonnés. Elle ne l’avait pas entendu venir, et il était là, debout entre le couloir et le salon, l’oeil noir. Elle le vit faire le tour de la pièce, s’arrêter et lui tourner le dos pour contempler un instant Don Quichotte, se retourner enfin pour venir jusqu’à lui et le toiser. Il n’avait pas encore prononcé un seul mot. La Pipe fut soulagée de l’entendre. La voix était pourtant cassante.
-Le schnaps c’est le schnaps, le service c’est le service ; ça va mal ensemble, à plus forte raison quand, avec tout ce nuage de fumée, on a en plus l’impression de se trouver à Londres, en plein brouillard. Tel que je te vois là avec ta bouffarde au bec et un matou pelotonné sur tes genoux, je doute fort, toutefois, de me trouver en face de Sherlock Holmes et du Docteur Watson. Mais on reparlera tous les deux de tout cela, en temps et à l’heure, dans mon bureau. Crois-moi, ce n’est pas du tout perdu. Pour l’instant, une seule question : y a-t-il au moins, je dis bien au moins, quelque chose de nouveau ?
La Pipe encaissa et s’empressa de répondre.
-Peu de choses, Patron, peu de choses. Mais quand même quelques données : l’Opium Dei n’a rien de commun avec des lunettes noires et une madone des neiges. Si on l’a supprimée, c’est pas pour des raisons religieuses ou politiques, c’est, plus sérieusement, pour s’assurer le contrôle total de la coke. Selon le témoignage de l’horloge, ici présente, le crime a eu lieu à une heure du matin. Le médecin légiste, donc, avait raison. Pour le reste, je peux vous dire que le tueur est gaucher, qu’il a le visage couvert de griffures, et qu’ils sont venus à quatre, d’abord pour faire chanter, puis, finalement, refroidir celle qui leur faisant trop d’ombre.
La pipe eut le sentiment que le patron n’était pas du tout convaincu. Elle cessa alors de caresser celui qui avait été comparé au Docteur Watson. Elle posa ledit Docteur à terre et le lui montra du doigt.
-Ecoutez, Patron, le plus simple, car il faut que j’aille pisser, c’est, en attendant que je revienne, que vous l’apprivoisiez avant de l’interroger. Si vous savez vous y prendre, il vous dira tout. Ce greffier, je vous l’affirme, a tout vu et il a tout noté. Peut-être qu’à vos yeux je ne vaux pas grand chose, mais je vous assure que lui, ce Watson, c’est quand même quelqu’un.
Sale Temps poussa un long soupir résigné, hocha la tête, haussa les épaules et finalement s’installa dans le fauteuil.
Quand la Pipe revint, elle fut rassuré de voir l’avatar du bon docteur, aussi souriant qu’un chat de Cheshire, installé sur les genoux du Patron.
-Je suis presque convaincu, annonça Sale temps. Le témoignage que je viens d’entendre concorde avec ce qui est arrivé, le jour même, quelques heures après le drame. Il s’agit d’un accident qui a eu lieu à un croisement de la route de l’aéroport avec une autre route. A ce croisement, un camion avec remorque, a percuté une voiture noire qui venait de sa droite. Le camion avait freiné mais il avait été repoussé sur la chaussée glissante par la remorque dont le frein avait lâché. Le conducteur de la voiture a été tué sur le coup. Son visage portait des griffures. Ses griffures on été attribuées au pare-brise qui avait volé en éclats. La question est de savoir maintenant s’il s’agit de griffes ou de bris de verre. S’agit-il d’un gaucher ou d’un droitier ? Toujours est-il qu’il avait un pétard dans sa poche. Je te suggère de t’adjoindre Patte-de-velours et d’aller avec lui à la morgue. Cela te permettra d’identifier ou non le tueur de notre dame des neiges. S’il s’agit bien du même bonhomme, c’est gagné, on retrouvera les trois autres.
La Pipe reconnaissait bien là, en la personne de Sale Temps, le Satan qui avait pour lui le savoir diabolique d’une mémoire professionnelle capable de relier et de bien visser les choses les unes aux autres.
 
15 clinamen 134 ( 6 avril 2007 e. v. ), célébration de l’invention de la ‘pataphysique.
 


 SUR L’IDENTITE DES CONTRAIRES
 < Les logiciens de Vienne ont élaboré un système selon lequel tout est, autant que j’ai compris, tautologie, c’est-à-dire une répétition des prémisses. Dans les maths, cela va du théorème très simple au très compliqué, mais tout est dans le premier théorème. Alors la métaphysique : tautologie ; la religion : tautologie ; tout est tautologie sauf le café noir parce qu’il y a un contrôle des sens. Les yeux voient le café noir, il y a un contrôle des sens, c’est une vérité ; mais le reste, c’est toujours tautologie >
Marcel Duchamp à Pierre Cabanne, Entretiens, 1967.


Note historique :
Le principe d’ < identité des contraires > ou de < coïncidence des opposés > est un opérateur de métaphysique spéculative pris par Alfred Jarry -le « premier » des ‘pataphysiciens- à Nicolas de Cues et Giordano Bruno, et exploité dans certains de ses ouvrages.
Reprenant les conclusions de Kant et de Nietzsche relatives à l’usage extravagant et hyperphysique des catégories qui concernent moins l’être que le connaître, assurant la refonte épistémologique de cette pataphysique originaire, le < docteur Sandomir > lui substitua -en son Testament et autres écrits publiés sous divers pseudonymes- le principe méthodologique de critériologie critique.
Poursuivant à son tour dans cette voie d’actualisation, consentant à certains acquis du courant analytique ( B. Russell / L. Wittgenstein ) et du Cercle de Vienne ( cf notamment Rudolph Carnap, Le dépassement de la métaphysique par l’analyse logique du langage ), le regretté Lothaire Liogieri, quant à lui, a plus récemment proposé le concept de Grammaire patasophique.
*
Le postulat de < l’identité des contraires >, nullement méprisable, mais ramené à sa portée de simple procédé littéraire, peut générer des textes intéressants voire heuristiques.
**
Texte
Il est parfois des moments de grande lucidité. Le voile de Maya se déchire et le monde apparaît tel qu’en lui-même.
Il est dans l’existence la plus banale des temps de calme réflexion où les fausses raisons du doute et les mirages de l’acédie paraissent se dissiper.
Par delà les valorisations innocentes et les illusions candides.
Selon les attendus et les conclusions du bon sens commun.
La conclusion s’impose que tout est surfait, que l’existence est faite de beaucoup d’embarras et de quelques menus plaisirs ; que la vie se résout à une kyrielle d’habitudes et de coutumes ; que le quidam, simple et banal faisceau de conventions sociales et professionnelles, ne se distingue guère de ce crustacé décapode marin comestible à grosses pinces, le homard : dur à l’extérieur, mou, voire inconsistant, à l’intérieur…
L’évidence suggère que rien n’est dépourvu de sens et de valeur, que l’existence est constituée de circonstances favorables et de joies ; que la vie se déploie en une succession de surprises et d’événements insolites ; que chacun, complexe original et inventif, possède son propre génie créateur, aussi irréductible que manifesté à ses congénères.
Que le sujet, ainsi qu’avancent sentencieusement les sages du Zen, n’est que nuage et vent.
Que le sujet, ainsi que le prétendent les Tragiques et L’Ancien Testament, est une substance et un roc indestructibles.
Le principe d’identité, la permanence de la substance, la causalité, la réciprocité ne sont que principes explicatifs métaphysiques à fonction psychologique assurant et rassurant l’évanescent support de qualités sensibles par quoi se définit l’hypothétique suppôt.
Le principe d’identité, la permanence de la substance, la causalité, la réciprocité sont des axiomes de la raison naturelle, théorique et pratique, adéquats à une réalité intrinsèquement ordonnée et rationnelle, ainsi que l’affirment les théologiens et la plupart des philosophes.
Effacées les ratiocinations de l’agitation philosophique, les illusions du lyrisme, les postures du coeur et les impostures de l’esprit, seul demeure cet étrange dialogue d’une loquacité sans objet et d’un insaisissable moi.
Dissipées les vaticinations de la déconstruction, les rengaines du pessimisme, l’impuissance sentimentale et l’hypercritique intellectuelle, demeure cette évidence incontestable d’une verve et d’un vouloir vivre irréductibles.
Il faut donc porter le deuil de soi.
Ainsi convient-il de s’affirmer avec ferveur.
Exister se résoud alors à… assumer la gueule de bois.
Exister signifie donc attester l’allégresse.
Gueule de bois c’est bouche sèche ou pâteuse, parfois accompagnée d’une migraine et causée par l’abus de l’alcool.
Allégresse c’est exultation et coruscante liesse.
C’est aussi la stupéfaction liée à la perception du vide et à l’agnosie du réel.
C’est reconnaissance à l’égard de la vie et de sa plénitude ; c’est jubilation au spectacle des harmonies de l’être.
Les stupéfiants, les drogues et autres cordiaux idéologiques se ramènent à ce qu’ils dissimulent, un plat bavardage. Monde de perruches et de perroquets dont le plumage bigarré et multicolore ne saurait masquer à l’esprit désabusé qu’il ne recouvre rien.
Les dogmes des théologiens, les systèmes des philosophes, les métaphores des poètes restituent les arcanes de l’Absolu. Le monde est tout bruissant de signes et sa prose se donne telle un don à quiconque acquiert les moyens d’en recueillir les merveilles.
Car si le réel n’a rien à promettre, il n’a aussi rien à cacher.
Puisque l’Être est Présent et Promesse.
Le constat d’un vide vertigineux, lié à la sensation pérenne de l’ instabilité, engendre inévitablement une certaine perte de l’équilibre mental.
La Vision d’une plénitude prodigieuse associée à l’intuition de l’Ordre du monde, suscite enthousiasme et confiance en soi.
Vertige…
Extase…
Comment accepter ce déséquilibre ?
Comment vivre dans l’allégresse ?
Certains s’effondrent ou se précipitent à d’étranges feux d’artifices, d’autres se mettent à la colle, d’autres encore bricolent au jour le jour des solutions et des dissolutions qui leurs permettent de vaincre le temps…
Il faut < tenter de vivre > ainsi que l’écrit le Poète… Par le projet et l’Espoir ; par l’Amitié et l’Amour ; par la Création et la Procréation, le Vivre-ensemble et le Partage.
Il n’y a pas de temps à perdre car < il est plus tard que tu ne penses >…
Reste pour la conscience dégoûtée à se satisfaire de l’eau claire de l’analyse et du brouet de la critique.
Demeurent pour le sujet réconcilié la joie de l’oeuvre et la fécondité du consentement.
Nourriture psychique qui n’est certes pas une fontaine de jouvence…
Aliments spirituels, eaux vives du bonheur d’exister.
C’est maigre. Jeu dont toute la finalité se réduit à ce pâle projet… continuer.
Abondance, foisonnement, luxuriance… bénédiction pour l’être au monde.
On n’aura pas l’insolence de poser la question de savoir si ce jeu en vaut la chandelle.
Affirmons notre existence comme le déploiement d’une action de grâce.
Fût elle verte…
Dans l’éclat et la splendeur.
Toute réponse serait non seulement aussi vaine que l’objet sur lequel elle prétend s’appuyer ; mais serait aussi fort indiscrète.
Tels sont notre parti pris, notre décision d’honorer la richesse du réel. Exprimons-les…
Ne soyons pas indélicats… respectons la pudeur… Continuons.
Soyons scrupuleux… Vivons au grand jour… Poursuivons.
**
Note : Sur le thème de l’identification paradoxale des contraires envisagée comme procédé stylistique, on consultera avec profit Poétique de la maxime ( tr. Claire Bustarret, Paradigme, Orléans 1998 ), l’ouvrage de Piero Toffano ( Université d’Urbino ) consacré à La Rochefoucauld.
 


 PATAPHORES
< Appelons poésie une création par l’image et le rêve >

Jules Renard, Journal, 4 août 1887
< L’esprit n’accueille une idée qu’en lui donnant un corps ; de là les comparaisons > Jules renard, Journal, 04.12.87
****

La fonction mathématique, le concept philosophique, la métaphore poétique sont les trois outils habituellement reconnus aux fins d’ <intelligibilité de l’être>
Ils naissent respectivement des opérations de mise en relation, d’abstraction et d’analogie.
La comparaison est le moteur de la pensée.

La < pataphore > est un divertissement  qu’on peut définir comme l’amplification ou l’extension de la métaphore, le grand levier de l’expression poétique.
Plutôt qu’une mise en abîme, elle consiste à greffer une jeune pousse sur un végétal littéraire.
Elle reçoit son nom de la ‘pataphysique opérative dont le propos est de générer des cosmos inédits.
( La ‘pataphysique faustrollienne étant elle-même comprise -selon la définition d’usage- comme une extension de la métaphysique en ce qu’ elle s’étend aussi loin de la métaphysique que celle-ci de la physique ).
La pataphore peut être brève, développée, filée…


Quelques exemples sur la base de métaphores prises au Journal de Jules Renard ( 1887 ).

-Comme avec des ciseaux, la femme, avec ses cuisses qui s’ouvrent, coupent les gerbes de nos désirs.
Les épis tombent en éclats sur sa chair ; notre semence se répand sur l’origine des mondes.
-L’homme est comme un temple. Quand la colonne est brisée, il tombe, et les femmes n’y apportent plus leurs dévotions. 28. 09.87
Pataphore réalisée par l’auteur.
-Ses dents claquaient, applaudissant au drame de son cerveau. 13. 10.87
Au troisième acte, la machine à penser cessa de fonctionner. Il en perdit son dentier.
-La mer semblable à un vaste champ labouré remué par d’invisibles laboureurs. 27. 10. 87
Des spectres retournent les sillons, y découvant les restes blanchis de journaliers défunts.
-Les petits flots vomissent leur bave blanche ainsi que des roquets, avec un jappement très doux. 27.10.87
Puis se retirant, cyniques, ils précipitent derrière eux la neige de leurs toisons vers les abysses obscurs.
-Elle m’a fait les honneurs de son corps. 29.10.87
Alors que -fier de mes atouts- je lui signifiais les figures de mon jeu. J’abattis mes cartes. Elle se rendit à mes raisons.
-En amour, on pisse de l’or. 05.11.87
Dont -jet vermeil de la liqueur d’Aphrodite-, on se désaltère.
-Une petite fille avec de jolies chevilles ouvrières. O7.11.87
C’était une Lolita… rouée et aguicheuse elle troublait les mâles de l’Atelier. Ils lui passèrent bientôt les anneaux de fer. Et sans un mot, avec toute la gravité de la conscience professionnelle, disciplinés, l’un après l’autre, ils jouirent d’elle.
-Le style vertical, diamanté, sans bavures. 11.11.87
Altière, la manière intimidait, irritait comme un reproche… Les envieux la raillèrent, non sans l’avoir souillée des crachats de leur ressentiment.
-Le rayon de soleil vint se jouer sur le parquet. l’enfant le vit et se baissa pour le prendre. Ses ongles se cassèrent. Il cria douloureusement :
 » Je veux le rayon de soleil ! » et se mit à pleurer, rageur, en frappant du pied. 05.03.91
Pataphore réalisée par l’auteur.


‘Pataphores sur quelques images extraites d’un poème d’André Breton
L’Union libre ( 1931 )
Ma femme à la chevelure de feu de bois où je glisse mes mains pour la mieux embraser.
Aux pensées d’éclairs de chaleur que calcinent les images et les signes.
A la taille de sablier par lequel je pèse la fugacité du temps des amitiés.
Ma femme à la taille de loutre entre les dents du tigre blanc d’Asie repu de la sagesse fourrée des monastères oubliés.
Ma femme à la bouche de cocarde et de bouquet d’étoiles de dernière grandeur… je passe le seuil de tes lèvres dans l’éclat de tes supernovae.
Aux dents d’empreintes de souris blanche sur la terre blanche que fuit la dent du chat gris aux aguets.
A la langue d’ambre et de verre frottés par le velin papier où mes pensées s’exposent.
Ma femme à la langue d’hostie poignardée par le prêtre sacrilège saccageant l’autel du Saint Sacrement.
A la langue de poupée qui ouvre et ferme les yeux quand j’écartèle ses membres que je disperse au puits de mes fureurs énuclées.
A la langue de pierre incroyable sur laquelle je bâtis mon église et célèbre mon culte.
Ma femme aux cils de bâtons d’écriture d’enfant boudeur que la Gothique console mais que la Rustica désole.
Aux sourcils de bord de nid d’hirondelle dont le vol agité zèbre l’azur du ciel de mes corruptions.
Ma femme aux tempes d’ardoise de toit de serre où j’inscris les signes de ma perplexité.
Et de buée aux vitres mouillées par mes lèvres balbutiantes.
Ma femme aux épaules de champagne où scintillent les bulles diaphanes de Chardonnay glacé.
Et de fontaine à têtes de dauphins sous la glace où se poursuivent d’espiègles et malicieuxs tritons.
Ma femme aux poignets d’allumettes où s’embrasent les fins tisons de mes désirs.
Ma femme aux doigts de hasard et d’as de coeur que je jette tel un dé pour mieux saisir ma chance.
Aux doigts de foin coupé dont la fragrance m’enivre et que je lie en tresses.
(…)


 SUBSITUTIONS

Définition
La substitution est un procédé littéraire.
Il consiste à remplacer dans un proverbe, une citation, une idée reçue, un mot ou une expression par quelque autre -le plus souvent un antonyme- afin de les rafraîchir ou de créer un effet cocasse.
Ainsi ces trois exemples tirés de Pataphile-Episcope, Les visions surréelles de Mélanie Le Plumet :

  • < la ‘pataphysique sera paisible ou ne sera pas >, démarqué d’André Breton : < la beauté sera convulsive ou ne sera pas >.
  • < L’esprit de ‘pataphysique perpétuel agace > pour Pascal : < l’éloquence continue ennuie > .
  • < A poil la philosophie! > pour Sandomir : < la barbe avec la ‘pataphysique ! >.

    La substitution peut s’appliquer au petit monde des philosophes….
     
    Céline, Voyage au bout de la nuit :
    La pataphysique, c’est l’Infini mis à la portée des pastiches. ( l’amour / à la portée des caniches )
    Platon, Phédon :
    Philosopher, c’est s’obstiner à survivre. ( apprendre à mourir )
    Epicure, Lettre à Ménécée :
    La mort est tout pour nous. ( n’est rien )
    Jean de La Fontaine, Le loup et l’ agneau :
    La passion du plus fort est toujours la meilleure. ( raison)
    Emile Durkheim :
    Chaque peuple a sa morale qui est déterminée par ses vices. ( vertus )
    Jean Guitton :
    La corruption de la morale, c’est l’amorale. ( la morale )
    René Descartes, Discours de la méthode :
    La puissance de s’égarer … qui est proprement ce qu’on nomme l’imbécillité, est naturellement égale en tous les hommes. ( bien juger / la raison )
    Stendhal, De l’amour :
    Qu’est-ce que la beauté sinon une certitude de malheur. ( promesse de bonheur )
    Rousseau, Profession de foi du Vicaire savoyard, Emile, 4 :
    Inconscience ! Inconscience ! mortelle et terrestre Voix ! ( Conscience, conscience, immortelle, céleste )
    Marx, Manuscrits de 1844.
    la politique est l’opium du peuple. ( religion )
    Freud, Interprétation des rêves :
    Le suffrage universel est la voie… royale qui mène à la découverte de l’inconscience. ( le rêve, l’inconscient )
    Thomas d’Aquin, Somme de Théologie :
    Jouir, c’est devenir ; c’est devenir le non-moi ! ( connaître )
    Schopenhauer, Le monde…
    L immonde est ma représentation. ( le monde )
    Sartre, L’existentialisme est un humanisme :
    Par son choix l’ homme se dégage de l’humanité toute entière. ( engage )
    Spinoza, Ethique, repris par Brillat-Savarin, Physiologie du goût :
    Critique de la raison gastronomique : tout ce qui est savoureux est difficile autant que rare. ( beau )
    (……)
     

COMBLES
Comble, lat. cumulus, excédent, surcroît. Ce qui peut tenir au-dessus des bords d’une mesure, d’un récipient déjà plein.
Au sens figuré, mettre le comble à quelque chose, passer la mesure. C’est un comble ! c’est excessif, ce qui dépasse toute mesure.
Pour comble de… ou absolument : Pour comble, par surcroît. Il tomba malade et pour comble il perdit sa fortune.
Dictionnaire encyclopédique Quillet.
**
< Le comble du patriotisme : fuir un ciel bleu de Prusse > Jules Renard, Journal, 11. 10. 87
Le comble est espèce de l’hyperbole devenue jeu.
Le comble n’est pas le paradoxe, l’assertion impossible ou la contradiction inaperçue.
Principe : Il exprime la plus grande exclusion possible mais pourtant réalisée dans les faits ou dans les concepts par rapport à une thèse sous-jacente.
Ainsi quand X. dénonce que La pensée déchaînée, journal antimaçonnique est dirigé par un Franc-Maçon, c’est un comble par rapport à la thèse implicite, à savoir que les Francs-Maçons sont partout.
Pour créer un comble et afin de produire un effet plaisant, il suffit de poser une thèse et d’y rapporter un fait qui tout en semblant l’exclure en constitue toutefois une éclatante confirmation.
Il convient donc de rechercher une exclusion réalisée.
**
Ainsi :

  1. Le comble du philosophe, c’est de donner ses systèmes pour preuve de son ouverture d’esprit.
    *
  2. Le comble de l’oulipien, c’est de créer des machines à contraintes, en toute liberté.
    *
  3. Le comble du mathématicien, c’est de rapporter ses démonstrations à une vie parallèle.
    *
  4. Le comble du démocrate, c’est de prétendre réaliser la liberté de l’individu en la soumettant à la Volonté générale.
    *
  5. Le comble des religions, c’est d’égarer leurs fidèles pour mieux assurer leur salut.
    *
  6. Le comble du moraliste, c’est de passer son temps à colliger les vices par amour de la vertu.
    *
  7. Le comble de l’esthète, c’est de prendre la pose du moraliste pour se donner des sensations.
    *
  8. Le comble du magistrat, c’est de s’appuyer sur des témoignages pour dire le droit.
    *
  9. Le comble du ‘pataphysicien, c’est de continuer à écrire afin de mieux signifier qu’on ne peut que se taire.
    *
  10. Le comble de l’ingratitude professionnelle, c’est de remercier son employé en lui donnant son congé.
    *
  11. Le comble de l’Eros, c’est de supprimer l’objet de sa passion afin de se persuader qu’on est capable d’amour fou.
    (…)

Dans un registre assez différent, et selon une veine résolument burlesque, on rappellera quelques exemples pris à Alphonse Allais, le maître reconnu du procédé :
Ainsi:
-Le comble du cynisme : Assassiner nuitamment un boutiquier, et coller sur la devanture : fermé pour cause de décès.
Extrait du journal Le Tintamarre – 28 Octobre 1877
-Le comble de la prudence : Marcher sur les mains, de peur de recevoir une tuile sur la tête.
Extrait du journal Le Tintamarre – 28 Octobre 1877
-Le comble de la distraction : Le matin, en se réveillant, ne pas penser à ouvrir les yeux.
Extrait du journal Le Tintamarre – 24 Août 1879
-Le comble de l’obséquiosité : Enterrer les balles mortes.
Extrait du journal Le Tintamarre – 10 Août 1879

Le comble de la pose : Ne pas sortir de chez soi, sonner sur son piano toutes les heures et toutes les demies pour faire croire aux voisins qu’on a une pendule.
Extrait du journal Le Tintamarre – 25 Mai 1879
-Le comble de la bonté d’âme : Ne pas vouloir qu’on batte les cartes… Ni qu’on pende… la crèmaillière.
Extrait du journal Le Tintamarre – 25 Mai 1879
-Le comble de l’habileté : Arriver à lire l’heure sur un cadran de baromètre.
Extrait du journal Le Tintamarre – 18 Mai 1879
-Le comble de l’erreur géographique : Croire que les suicidés sont les habitants de la Suisse.
Extrait du journal Le Tintamarre – 18 Mai 1879    
 


HOMOPHONIES FICTIOGENERATRICES

< Il y a création imprévue due à des combinaisons phoniques. C’est essentiellement un procédé poétique >
Raymond Roussel, Comment j’ai écrit certains de mes livres

***
Définition
L’homonymie, qui ressortit à l’équivoque, à l’ambiguïté, comprend également le calembour, l’holorime, l’a peu près…
Il est possible de l’employer afin de générer des fictions…
Méthode
Choisir un vocable tiré du vocabulaire philosophique.
En dégager des équivalents homophoniques.
En tirer un script, la matière d’une intrigue avec personnages, circonstances, situation, énigme / secret / interrogation, tension dramatique, suspens, dénouement…
Deux exemples

  1. Evanescent.
    Homophonies
    Eva, née, sang / Eva, naît, sent / Eve, année cent / Eve, âne esse, an. / Et, Vânes naissent sans…
    Scénario
    A Antioche, en l’an cent, Eva, jeune fille patricienne, fait la connaissance d’Eve, vestale de Cybèle, d’une grande beauté dont elle s’éprend. Eperdument amoureuse, elle s’efforce de la séduire. Mais à l’instigation des serviteurs de la déesse indignés par cette tentative de corruption sacrilège, la Vierge l’attire dans un piège.
    Pour la posséder, Eva devra résoudre une énigme. Faute de quoi, pour sa punition, après un an elle sera livrée à la lascivité des prêtres.
    Eva, frissonnante de désir, incapable de dominer ses sens, accepte…
    Voici la question : de quoi sont donc dépossédés les Vânes, dieux germains adversaires des Ases, à leur naissance ?
     *
  2. Transcendance.
    Homophonies
    Transes / en / dance…
    Scénario
    Un jeune astrophysicien tourmenté, en proie aux démangeaisons spéculatives mais insatisfait des conclusions de la Philosophie critique, se rend au Proche-Orient dans l’espoir d’obtenir des révélations transcendantales sur l’Univers, le Moi, Dieu.
    Il fait la connaissance de mystiques soufis et de derviches qui l’initient à la technique du tournis conceptuel.
    Affolant les concepts, il entre dans un état extatique et parvient à résoudre l’irritant problème de la < grande unification >… 
     *
    Dans une veine proche, cet extrait du Journal d’Anatole de Serge Senninger
    –Lors de l’une de nos récentes rencontres, Lao Tsu me fit part que le qualificatif  » épistémologique « , outre son sens premier, lui avait porté conseil !  » épice tes mots logique ». J’avais d’abord compris :  » et pisse tes mots logiques « . Il n’était pas contre cette interprétation. La plupart des mots, selon lui, ont de multiples sens. Ce sont des polyèdres colorés dont on ne voit que trop, hélas, la couleur d’une seule facette. Lao Tsu voyait vraiment les choses à la hauteur des arbres plutôt que des pâquerettes. Une autre fois, parlant chiffres, il m’avait sorti qu’il ne fallait pas oublier que si 2 et 2 faisaient 4, ils faisaient tout aussi bien 22. Ce que je ne pouvais qu’approuver.
     

PHRASES VALISES
Par analogie avec le mot-valise, on nomme < phrase valise > le télescopage qui condense en une seule deux phrases possédant un syntagme identique.
Ainsi de Jacques Prévert, Spectacle, cet effet humoristique : < Soldats de Fontenoy, vous n’êtes pas tombés dans l’oreille d’un sourd >.
*
Appliquons le procédé à quelques sentences du Discours philosophique ; le résultat est parfois surprenant :
-politique :
L’homme est un animal politique, non seulement un animal social mais un animal qui ne peut s’isoler que dans la société. ( Aristote / Marx )
-éthique :
Conscience, concience, Instinct divin, immortelle et céleste voix du silence. ( Rousseau / Malraux )
Nous corrigeons le vice au moyen de la pureté de la forme, le jeu de mouvements auxquels notre corps participe et que nous sentons vivre. ( Pascal / H. Delacroix )
-esthétique :
Le génie est le talent naturel qui donne ses règles à l’art : la contemplation des choses, indépendante du principe de raison. ( Kant / Schopenhauer )
-métaphysique :
Le hasard est le mécanisme se comportant comme s’il avait une intention authentique eu égard à la loi morale. ( Bergson / Kant )
La conscience est l’être à la chose par l’intermédiaire de mon corps, mode qui exprime l’essence de Dieu, en tant qu’on la considère comme chose étendue. ( Merleau-Ponty / Spinoza )
*
Comme on le voit, la phrase-valise donne beaucoup à penser…
 


 ALFRED JARRY, LA CHANDELLE VERTE, Quelques extraits…

Note : Sur les textes, en apparence disparates de La Chandelle verte, envisagés comme applications de la ‘pataphysique à quelques épisodes de l’actualité, et le lien qui les rattache les uns aux autres en une logique parallèle ou imaginaire : cf Michel Décaudin, Alfred Jarry, Introduction à la C.V., Bouquins, Robert Laffont, p. 903.
 

Mona Lisa par Eugène Bataille

Cet homme ( A. Jarry ) …
< ayant toujours vécu comme le pire des blasphémateurs, démoniaque et sacrilège à l’occasion > Rachilde


Pour preuve…
 Sur le messianisme travailliste et démocratique
Ubu colonial
Notre première difficulté la bas fut qu’il ne fallait point songer à nous procurer des esclaves, l’esclavage étant malheureusement aboli ; nous fûmes réduits à entrer en relations diplomatiques avec des nègres armés qui étaient mal avec d’autres nègres dépourvus de moyens de défense ; et quand les premiers eurent capturé les seconds, nous emmenâmes le tout comme travailleurs libres ; par pure philanthropie, afin d’éviter que les vainqueurs ne mangeassent les vaincus, et comme cela se pratique dans les usines de Paris.
Désireux de faire leur bonheur à tous et de les maintenir dans le bien, nous leur avons promis, s’ils étaient bien sages, de leur octroyer, incontinent après dix ans de travail libre à notre service, et sur un rapport favorable de notre garde-chiourme, le droit d’être électeurs et de faire eux-mêmes leurs enfants… Almanachs du Père Ubu. 1901.
Anthropophagie
Cette branche trop négligée de l’anthropologie, l’anthropophagie, ne se meurt point, l’anthropophagie n’est point morte.
Il y a, on le sait, deux façons de faire de l’anthropophagie : manger des êtres humains ou être mangé par eux. Il y a aussi deux manières de prouver qu’on a été mangé ; pour l’instant nous n’en examinerons qu’une : si La Patrie du 17 février n ‘a point fardé la vérité, la mission anthropophagique envoyée par elle envoyée en Nouvelle-Guinée aurait pleinement réussie, si pleinement qu’aucun de ses membres n’en serait revenu.
Hygiénistes et abstèmes
… Les antialcooliques sont des malades en proie à ce poison, l’eau, si dissolvant et corrosif qu’on l’a choisi entre toutes substances pour les ablutions et lessives, et qu’une goutte versée dans un liquide pur, l’absinthe par exemple, le trouble… 01.03.1901
La femme esclave
Tel est le titre d’une brochure qui s’est distribuée, à cent soixante mille exemplaires, pour la sauvegarde de < l’épouse terrorisée par le régime de rapt et de violence mis en honneur par nos aïeux simiesques >. Il est probable au contraire que la femme -encore que sa pudeur l’oblige à mentir- déplore amèrement que l’homme soit si déchu des ancestrales qualités du singe. < Car rien n’est plus fécond en assauts que le singe >… Et si vous prenez la peine de considérer la cage des papions au Jardin des Plantes, vous conviendrez que c’est encore à notre aëul quadrumane qu’il faut remonter pour retrouver, pures, les saines traditions de la vraie galanterie française. 15.03.1901
Castigation
La Revue Internationale News, de Cape-Town, nous soumet, à nous et à un certain nombre de respectables pères de familles, le prospectus d’un appareil pédagogique dit < castigateur orthomatique > ou, si nous interprétons bien, < machine à fouailler donnant une bonne éducation>… L’efficacité pédagogique de cet appareil est attestée par de nombreux témoignages. Un maître d’école bien connu, d’après la revue de Cape-Town, déclare que cet instrument donne la même satisfaction que les fessées, et sans aucune fatigue ( pour le maître )… Si les petits enfants de Cape-Town, dans leur inexpérience de la vie, n’ont pas découvert encore -à la Jean Jacques- les bienfaits du castigateur, et si les maîtres d’école, dans leur affranchissement candide de l’instinct érotique, n’ont pas été jaloux des privautés dont jouit ce même castigateur, nous nous portons garants -dans l’intention d’encourager l’inventeur- qu’en France cette machine ne sera point dédaignée, au moins des vieillards…
… D’autres fervents probables des castigateurs seront ces êtres dénaturés qui battent leur femmes : ainsi s’épargneront-ils un temps précieux. On se souvient de cet honnête homme, glorifié par Béroalde de Verville et qui, incité par des théologiens à faire à sa femme < des remontrances au moyen de la Sainte Ecriture >, ne crut exécuter oeuvre plus pie que de la battre < avec un gros Nouveau Testament >, à plats de chêne, bien clouté et ferré. Il est remarquable à ce propos que la castigation puisse suppléer en quelque sorte aux complaisances conjugales, quand pour quelque raison l’on s’en trouve incapable ou empêché. Qu’est-ce en somme que l’oeuvre de chair -ainsi qu’il doit être dit quelque part dans l’Imitation-, dont ce pourrait bien être un titre de chapitre -sinon une castigation intérieure ? 15.02.1902
Le duel moderne
… le très grand avantage du duel est qu’il soit l’un des derniers moyens réservés que l’on ait encore de juger ses affaires soi-même, et qu’il n’est point à souhaiter d’y substituer des arbitres. Ces arbitres, en vertu même de leur mission, seraient d’une indicrétion plus fâcheuse que les juges d’un tribunal, puisqu’ils auraient à enquêter sur des événements d’ordre essentiellement privés. 01.05.1902
Psychologie expérimentale du gendarme
De récents événements privés nous ont permis d’observer de près quelques beaux spécimens de cet organe préhensile de la société, le gendarme… Nous glisserons rapidement sur la morphologie externe de ces militaires de tout point conforme, en plus grand, aux effigies bien connues présentées par des guignols afin de former l’esprit des enfants… Nous ne prétendons ici qu’ à instaurer une brève psychologie du gendarme, ainsi que nous nous sommes déjà attachés partiellement à celle du militaire et du magistrat… Il était à prévoir que l’habitude, contractée au fur de longues générations, d’être à l’affût de tous les crimes et délits, ou, mieux, d’un nombre restreint et catalogué de crimes et délits, leur ait forgé un état d’esprit spécial, bien défini à cette heure et devenue propre à leur espèce. Le moment est donc bien choisi de sonder ces obscurs cerveaux. Il s’y passe, d’après nos expériences, ceci, qui étonnera peut-être l’honnête homme, que le gendarme interprète autrement que cet honnête homme une action légalement mauvaise. < Mauvaise > lui indique seulement qu’il ait à y exercer, contre rémunération, son office ; en termes plus clairs, que toute mauvaise action est pour lui bonne, parce qu’elle le fait vivre. 01.09.1901
Le suffrage universel
Le suffrage universel a ceci de bon qu’il désigne sûrement, infailliblement, quelqu’un qui est atteint de la folie des grandeurs.
Ces aliénés ne sont d’ailleurs pas à plaindre : ils s’offrent d’eux-mêmes au suffrage.
La plupart de ces membres dangereux retranchés de la société, amputés, < députés > pour tout dire, méditent, ou se vantent de méditer des projets de bouleversement social. On contraint aisément ces individus à signer la confession générale de leurs futurs forfaits. C’est ce qu’ils appellent leur programme… 16 / 22.05.03
Reportage et myopie -A propos du fait divers
Les enchaînés, dans la Caverne de Platon, charmaient leurs loisirs à contempler le défilé des ombres sur leur muraille humide.
Chat-Noir antique !
Les reporters modernes ne voient pas plus loin, du moins, que le bout de leur nez, lequel ils portent court.
Alors ils photographient. 27. 09.03 / 03.10.03
Poétique : création, assimilation, déformation
… avant d’écrire, lire n’importe quoi.
… Un cerveau vraiment original fonctionne exactement comme l’estomac de l’autruche : tout lui est bon, il pulvérise des cailloux et tord des morceaux de fer. Qu’on ne confonde point ce phénomène avec la faculté d’assimilation, qui est d’autre nature. Une personnalité ne s’assimile rien du tout, elle déforme ; mieux, elle transmute, dans le sens ascendant de la hiérarchie des métaux. Mise en présence de l’insurpassable -du chef d’oeuvre-, il ne se produit pas imitation, mais transposition : tout le mécanisme de l’association des idées de l’oeuvre qui, selon une expression sportive fort juste, sert d'< entraîneur >. 01.01.1903
( … )



 
 PROBLEMATISATIONS 

Sur l’esthétique transcendantale d’Emmanuel Kant ( Critique de la Raison pure) dans le sillage de Michel Alexandre.
Avertissement :
La < problématisation > est un procédé classique employé par le ‘pataphysicien.
Cette < mise en problématisation > partielle de l’ Esthétique transcendantale est un exemple de gageure patasophique.
Elle pourrait être poursuivie.
Ainsi l’exposition d’une Critique de la raison pure <en mille et une questions>
 
 < –Mais les choses ne t’arrivent que par l’intermédiaire de ton esprit. Tel qu’ un miroir concave, il déforme les objets ; -et tout moyen te manque pour en vérifier l’exactitude. Jamais tu ne connaîtras l’univers dans sa pleine étendue ; par conséquent tu ne peux te faire une idée de sa cause, avoir une notion juste de Dieu, ni même dire que l’univers est infini, -car il faudrait d’abord connaître l’Infini ! La Forme est peut-être une erreur de tes sens, la Substance une imagination de ta pensée. A moins que le monde étant un flux perpétuel des choses, l’apparence au contraire ne soit tout ce qu’il y a de plus vrai, l’illusion la seule réalité. Mais es-tu sûr de voir ? es-tu même sûr de vivre ? Peut-être qu’il n’y a rien. >
Gustave Flaubert, La Tentation de saint Antoine


Esthétique transcendantale…
 < J’appelle transcendantale toute connaissance qui ne porte point en général sur les objets, mais sur notre manière de des connaître… > Emmanuel Kant
 *

 < Il n’ a d’autre prison que la boîte de son crâne,
et n’est qu’un homme qui rêve assis près de sa lampe.
>
Alfred Jarry, L’Amour absolu

La < chose >, génératrice de simulacres, paraît… épiphanie.
Certes, < elle > se manifeste d’elle-même, et, réfutation de l’idéalisme absolu,
pro-stituée, < elle > se montre…
Mais… d’où s’accomplit la connaissance que j’en prends ?…
 
1.1. Du dehors ? d’en haut ? du dedans ?
1.2. Et par où commencer ? par le monde ? par le corps ? par la pensée ?
1.3. Je sens… je ressens…
La sensation est-elle un moment de la pensée ( Hegel, Encyclopédie, Philosophie de l’ Esprit, l’Esprit subjectif / Taine, De l’intelligence ) ou un élément abstrait de la pensée -séparé de l’intuition empirique définie comme premier moment de la connaissance ( Jules Lagneau, Célèbres leçons / Alain, Entretiens au bord de la mer ) ?
1.4. Si comprendre c’est s’abstraire du donné, l’idée de < connaissance im-médiate > ( Bergson, Introduction à la métaphysique ) est-elle contradictoire ?
-Le donné ( sensation, affection ) est-il intelligible ? ( Phénoménologie, Psychologie de la forme )
-Sa confusion n’est-elle qu’apparente ?
1.5. En quel sens l’intuition est-elle condition nécessaire de la connaissance ?
1.6. L’immédiateté, l’intuition sensible comme présence du monde par les sens, est-elle passivité ?
Recevoir, est-ce seulement accueillir ? ( Empirisme, Psychologie de la forme, Phénoménologie ) ?
 

 < La perception est une hallucination vraie > Hippolyte Taine, De l’intelligence 
2.1. Qu’est-ce qui est donné, qu’est-ce qui est construit dans la perception ?
D’où viennent forme et sens ?
2.1.1. Percevoir, est-ce seulement recevoir ?
Percevoir, est-ce ressentir ? Le senti est-il le perçu ou la perception dépasse-t-elle le sentir ?
2.1.2. Le senti, ce qui apparaît par mes sens, ne doit-il pas toujours comporter quelque détermination abstraite afin d’être constitué pour moi en quelque chose ?
-les rapports spatiaux sont-ils donnés par les sens ? ( réalisme naïf )
-peut-on flairer une distance ?
-sentir, dans le demi-sommeil ou la distraction, est-ce encore savoir ce que l’on sent ?
-un rapport, par exemple une distance (dont l’être est une absence), peut-il être donné ? ou la distance est-elle rapport posé entre ce que je vois et ce que je pourrais voir, anticipation, sous la condition de mon mouvement ( cf Alain, Eléments de philosophie) ?
-la forme et la matière sont-elles données, fait initial ?
-le rapport, la distance, la forme sont-ils données de conscience ou données de science ?
-la forme est-elle sentie ( réalisme ontologique décliné selon ses variantes : sens commun, Empirisme, Perceptionnisme, Phénoménologie, Gestalthéorie ) ou est-elle ce par quoi le divers du phénomène est coordonné dans l’intuition selon certains rapports ( Kant / Lagneau / Alain / Alexandre) ?
-2.1.3. Qu’est-ce que l’intuition ?
-d’un autre côté, la forme préexiste-t-elle ainsi qu’un moule, dans mon esprit ( platonisme de Russell 1 ) ou est-elle réalisation continue de rapports, effet, formalisation de l’objet senti, opération de la sensibilité et de l’imagination ( constructivisme de Kant / génétisme de Piaget ) ?
-l’intuition : jeu des associations ( mécanisme de Hume selon les lois de l’attraction mentale, John Stuart Mill ) ou représentation, activité du jugement et de l’attention ( Malebranche, Recherche de la vérité, Alain ) ?
-peut-on nommer « intuition  » cette incessante conjonction qui, par exemple, compose les bruits d’une salle en un ensemble immédiatement présent ?
-2.1.4. Représente-t-on autre chose que des ensembles ?
-qu’est-ce que se représenter ? comment se rend on présent quelque chose ?
-l’intuition : mode de pensée par lequel le tout est posé avant les parties ?
-l’intuition : n’est-ce pas ce par quoi se constitue sans cesse une représentation par les sens d’un ensemble concret dans lequel nous insérons et nous dépassons le senti ?

  • 2.1.5. Sentir, est-ce seulement subir ? ou dominer ce que je subis ?
    -percevoir ce que l’on sent : est-ce en être affecté, envahi ou se donner une impression ?
    -la condition de toute perception n’est-elle pas le mouvement volontaire, l’effort ( Maine de Biran, Influence de l’habitude sur la faculté de penser ) ?
  • le « sens » comme problème :
    1°) donner sens ? effet d’un mouvement dirigé ( Maine de Biran / Alain ) ? effet d’une force ( Nietzsche, Volonté de puissance ) ?
    2°) et « valeur » d’une chose : hiérarchie des forces qui, s’emparant de la chose, la maîtrisent, la dirigent, l’interprètent, lui donnent sens ? ( Nietzsche, Volonté de puissance, Généalogie de la morale )
    -sentir : pouvoir, projet, mise au point, contemplation, délectation esthétique ?
    -qu’est-ce donc que l’esthétique ? la mise en forme du sentir ?
    L’esthétique, source et fond de toute représentation ?
    Peut-on dépasser le stade esthétique ( Kierkegaard, Etapes sur le chemin de la vie ) ?
    *
    2.2. Peut-on affirmer que l’être-au-monde est fonction de la perception ?
    2.2.1. Si nous ne sentons qu’en percevant, y a-t-il encore des sensations pures ?
    -la sensation n’est-elle qu’une abstraction, qu’un concept ?
    2.2.2. Les choses sont-elles séparables du sujet ?
    -peut-il y avoir un monde sans sujet ? un sujet sans monde ?
    -le sujet est-il constituant, transcendantal ( Descartes, Berkeley / Kant / Fichte / Schopenhauer / Husserl / Alain / Jarry, Les Jours et les Nuits ) ?
    -peut-on dissocier le monde du moi et du Je pense ?
  • y a-t-il une genèse de l’objet perçu à partir de données sensibles ou la perception est-elle immédiate et intuitive ? ( Piaget, Les mécanismes perceptifs vs Sartre, L’imaginaire )
    Cette disjonction est-elle exclusive ?
    -percevoir, n’est-ce pas sentir à distance ? ( Alain, 81 chapitres sur les passions et la sagesse )
    -les relations sont-elles données ( Russell, Signification et vérité ) ou posées par un raisonnement ?
    Sont-elles des inférences, sont-elles discursives ou sont-elles immédiatement rattachées à un univers, à un monde ?
    ( Intellectualisme ou Gestalttheorie / Phénoménologie ; Malebranche ou Köhler / Merleau-Ponty )
    2.2.3. Peut-il y avoir un monde pour un sujet sans qu’il ne sente à distance ?
    -que signifie la distance ? l’invitation -en liant ce que nous sentons à une place à ce qu’un changement de place va nous faire ressentir – à éprouver autre chose par notre déplacement ?
    -qu’est-ce que la chose concrète ? la suite des apparences données par mon mouvement ?
    -que signifie la distance ? une suite d’anticipations, de déceptions, de confirmations, une succession d’apparences ?
    -percevoir, est-ce perdre par le toucher ce que je voyais et ce qui était supposé par la relation ?
    -y a-t-il des images ( Réalisme naïf, réalisme de Bergson, Matière et mémoire, l’hypothèse du métacinéma selon Deleuze ) ou tout ce qui existe n’apparaît-il que par mon approche ( selon les expressions de l’idéalisme philosophique ) ?
    -un monde perçu peut-il exister sans la distance qu’on ne peut voir, entendre, toucher ?
    -l’espace est-il une détermination propre à la chose en tant que lieu ( Heidegger, Essais et Conférences, Bâtir, habiter, penser ) ou est-il ( spatialisation ) la condition de possibilité des phénomènes ( Kant, Prolégomènes à toute métaphysique future, J. Lagneau, (Célèbres Leçons)?
    -les positions m’affectent-elles ou faut-il que je les établissent ?
    -peut-on sentir le sensible avant d’avoir posé les rapports spatiaux ?
    2.2.4. Qu’y aurait-il si je me contentais d’éprouver ? une complète absence ? un ordre ou un chaos d’impressions et d’affections ?
    -qu’est-ce que la familiarité ( Heidegger / Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception ) ?
    -si la pensée est fonction de l’initiative, exister, n’est-ce pas faire être et se faire être ( Jules Lequier ) ?
    *
    2.3. L’intuition comme perception ?
    2.3.1. Si la sensibilité fournit les objets et l’entendement, les conceptions, l’intuition est-elle déjà perception ?
    2.3.2. Intuition : pressentiment, divination ( Swedenborg ) ou visée d’un objet et dévoilement de la présence entière et indivisible de quelque chose ?
    -connaissance obscure, nuit où toutes les vaches sont grises ( Hegel, Phénoménologie de l’esprit, introduction ) ?
    -compréhension immédiate de l’Idée, du rapport ( Platon, Phédon, Sophiste ), évidence pour l’esprit attentif ( Descartes, Règles pour la direction de l’esprit ) ou simple appréhension ( Kant ) ?
    2.3.3. L’intuition se ramène-t-elle au sentir ?
    -le sentir : relevé des expressivités données à la conscience ( Merleau-Ponty, Ruyer, Gnose de Princeton ) ou moment de l’indistinction, simple disposition du corps, confusion cénesthésique propre au fonctionnement du vivant ( Alain ) ?
    -l’intuition, détente et abandon ou visée sommaire d’une présence ?
    2.3.4. L’âme pense-t-elle toujours ( Descartes ) ?
    2.3.5. Intuition : appréhension confuse du monde sensible ou moment essentiel de la perception, acte de l’esprit, mode de connaissance ?
    2.3.6. L’intuition sensible est empirique ; l’intuition spatiale est pure ( Kant ) : y a-t-il deux intuitions ?
    -l’objet est-il saisi dans son entier dans l’intuition ?
    -l’objet nous est-il représenté ( rendu présent ) par la conception ou par l’intuition spatiale?
    -l’objet est-il un être là ou un être au-delà ?
    2.3.7. Qu’est-ce que le phénomène ? l’objet en tant qu’il nous apparaît ?
    -l’objet est-il caché derrière l’apparence ? ou est-il le fondement de l’apparence en tant qu’elle s’y rapporte ?
    -l’apparence immédiate est-elle saisissable ?
    -l’objet est-il l’apparence, la succession des apparences ou ce qui donne réalité aux apparences ?
    *
    Faut-il réduire la chose à l’objet ( Idéalisme absolu, Jarry ) ?
    Qu’est-ce qu’une chose ? un absolu ? le transcendantal de l’objectivité, la position ( cf la critique du kantisme par Heidegger, Essais et Conférences, La chose, Post-scriptum ) ?
     *
    2.4. Sensible et intelligible.
    2.4.1. L’espace de toute chose est-il le sensible, l’abstrait ou la médiation par laquelle l ‘esprit saisit le sensible et le rend intelligible ?
    2.4.2. < L’existence précède l ‘essence > ( Sartre, L’existentialisme est un humanisme) : en quel sens ? ontologiquement ? pour nous, chronologiquement ou parce que déterminer quoi que ce soit suppose de poser l’existence ?
    -l’existence est-elle fournie ou est-ce l’oeuvre humaine par excellence comme forme à donner au sensible ?
    -peut-on séparer la réalité empirique de l’existence de son idéalité transcendantale ( spatialisation et temporalisation, extériorité et succession ) ?
    2.4.3. L’esprit se contente-t-il de ce qu’il sent ou le déborde-t-il en l’insérant dans l’immensité spatiale et temporelle qu’il n’éprouve pas ?
    -en quoi consiste l’acte de l’esprit qui donne forme au sensible ? imaginer au-delà de ce qu’il sent ?
    -2.4.4. Par la fonction transcendantale connaissons-nous quelque chose ( l’Idée de Platon ) ou est-elle le fondement de l’être objectif, du réel, la fonction constitutive de la nature ( Kant, Prolégomènes à toute métaphysique future ) ?
    -peut-on douter de la réalité empirique du monde temporel et spatial ?
    -temps et espace sont-ils -limites données à l’illimité-, les modes de nous retrouver dans le sensible, en lui même source de perdition ?
    2.4.5. L’espace est-il conceptuel ou est-il d’intuition ?
    -les relations spatiales sont-elles abstraites ( Leibniz, Nouveaux essais sur l’entendement humain ), simples, définissables, mathématiques, relevant non du sensible mais de l’entendement, de concepts ( distance double d’une autre… ) – ou l’espace, effort formel, est-il toujours déjà mon espace, forme de ma sensibilité ( Kant ) relative à une expérience singulière et concrète ( Merleau-Ponty )?
    -peut-il y avoir un espace vide ?
    -peut-on penser les rapports d’espace sans un monde sensible ?
    -l’espace est-il autre chose que mon espace ?
    -les directions sont-elles données ou fais je exister le sensible par elles ?
    -y a-t-il intuition de l’espace ou intuition de quelque chose dans / par l’espace ?
    -les relations spatiales, abstraites, mathématiques, rapports de concepts, et qui relèvent de l’entendement, pouvons-nous les penser sans les construire, sans la condition de nos mouvements, en nous les rendant présentes ?
    -le rapport spatial peut-il être abstrait de mon intuition, de mon mouvement ?
    -peut-on séparer la connaissance et l’acte ?
    -y a-t-il une connaissance spatiale avant que j’aie construit, que j’aie enserré le donné, le sensible, dans ces tracés qui sont mon oeuvre?
    -le réseau de directions, de formes, existe-t-il avant que je le fasse exister ?
    -y a-t-il des idées pures ( formes pures du platonisme, Parménide, Phédon ) ou le sensible est-il construit par les rapports spatiaux et les rapports temporels, les rapports mathématiques, quantitatifs et seuls intelligibles ( Kant, Piaget )?
    -les choses ont-elles une quantité ( Thomisme ) ou reçoivent-elles la quantité ( Kant ) parce qu’elles sont représentées insérées dans des rapports d’espace et de temps qui leur sont absolument extérieurs ?
    -qu’est-ce que la quantité ? ce qui ne comporte que des rapports externes ? ce qui ne consiste qu’en des relations et en des relations définies ?
    -en quel sens l’espace est-il unique ?
    -l’unique a-t-il un sens dans l’abstrait ?
    -que signifie : < dans l’intuition, tout est unique > ? autant de positions dans l’espace que je voudrais mais chacune uniques ?
    -l’espace résulte-t-il de parties qui s’ajoutent -comme pour le concept ( former le concept de 8, c’est avoir formé ceux de 2 et de 4 ) ou est-il discursif-intuitif ?
    2.4.6. Concept/possible/existence/ espace.
    -que signifie le concept ? des possibles ? auront-ils jamais lieu ?
    -exister, est-ce -par nos projets, nos possibles- ne cesser de nous ouvrir l’Univers ?
    -dans la réalité particulière, possible et réel, essence et existence sont-ils séparés ? ou ne font-ils qu’un ? ( essence parce que je conçois, existence parce que je perçois ).
    -y a-t-il intuition de l’espace ou intuition de quelque chose dans / par l’espace ?
    Constitution de l’univers.
    -l’Univers se manifeste-t-il ou est-il manifesté ? et comment ?
    -comment suis-je univers ? suis-je mon univers ou constituai je l’Univers ? ( Berkeley / Jarry / Kant )
    -l’Univers préexiste-t-il à l’intuition ou l’intuition est-elle affirmation par laquelle je pose à l’avance le Tout, l’Univers ?
  • en quel sens l’individu constitue-t-il l’Univers ? dans une expérience singulière ? à partir de son corps dès lors qu’il rapporte à l’espace tout ce qu’il éprouve ( Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception ) ?
     *
    2.6. Espace, temps et concept.
    -espace : donnée ( réalisme naïf ), concept ( Leibniz, Newton, Einstein ) ou effet de spatialisation ( Kant, Lagneau, Alain, Merleau Ponty) ?
    -l’espace et le temps ne sont-ils que des relations conceptuelles indépendantes de notre position ( espace mathématique / temps mécanique, abstraits ) ?
    -l’espace et le temps peuvent-ils être indifférents au lieu de ma perception, au présent de ma vie ? ne sont-ils que les conditions d’un savoir abstrait ( Newton, Principes mathématiques de la philosophie naturelle ) ?
    -qu’est-ce que l’espace du mathématicien ?
    -l’espace est-il pensé ou senti ? est-il perçu ou est-ce que c’est moi qui, percevant par l’espace, met en forme le sensible ?
    -la position, la distance, la grandeur, la forme tombent-elles sous les sens ou l’espace est-il une supposition préalable ?
    -peut-on parcourir une profondeur ? Peut-on éprouver l’espace quels que soient nos parcours ?
    -l’espace est-il donné ou est-ce moi qui ordonne le donné, qui donne l’étendue aux choses au sein de / par l’espace?
    -spatialiser, est-ce comprendre le sensible ?
    -les espaces non euclidiens sont-ils autre chose que des espaces ou des équations à N variables, des conceptions ?
    -peut-on séparer l’espace conceptuel du géomètre et l’espace intuitif ?
    -qu’est-ce que le lieu ?
    -comment l’intelligibilité du monde est-elle fonction de la spatialisation ?
    -l’espace est-il concept ou forme de ma perception, ensemble de relations premièrement construites ou conçues en second, mise en ordre du sensible, de ce que je sens et de ce que je fais ?
    *
    Qu’est-ce que contempler ? saisir quelque chose dans le tout posé comme un infini actuel ?
    -perçoit-on l’espace ou perçoit-on dans / par l’ espace quelque chose de fini enveloppé d’un milieu indéfini ?
    (…)
    ****** 
     O ma tête, ma tête, ma tête – Toute blanche sous le ciel de soie!
    -Ils ont pris ma tête, ma tête-
    Et l’ont mise dans une boîte à thé.

    Alfred Jarry, Les Minutes de Sable mémorial
     
    ( juin 2007… )

SUR L’AMOUR ABSOLU d’Alfred Jarry ( A l’usage des escholiers )
Concours d’entrée à l’ENS-LSH ( Lyon )
Étude littéraire stylistique d’un texte français postérieur à 1600
Commentaire composé du chapitre 7
Rapport du Jury ( extraits )

(…) Venons-en au texte lui-même.
L’Amour absolu a été publié par Alfred Jarry en 1899, sous la forme d’un fac-similé du manuscrit autographe, imprimé en cinquante exemplaires placés en dépôt au Mercure de France, et il figure désormais en bonne place dans les rééditions de l’oeuvre jarryenne. Présenté par son auteur comme un « roman », l’ouvrage est ainsi résumé par Patrick Besnier : « Dans une cellule de prison (peut-être simplement son cerveau) un homme attend son exécution à l’aube (ou bien rêve qu’il le fait) comme s’il avait tué. Cet homme, Emmanuel Dieu, revit des scènes de son enfance : à la fois celle d’un petit Breton de la fin du XIXe siècle et celle du Christ selon les Evangiles ; il est à la fois le fils du charpentier Joseph et celui du notaire, Me Joseb […]. » Ce n’était pas dans les éléments fragmentaires et souvent approximatifs de leur culture jarryenne – le titre d’Ubu roi, le portrait fourni par Gide dans les Faux-monnayeurs ou, exceptionnellement, La Passion considérée comme course de côte – que les candidats devaient chercher les moyens de se saisir de cet extrait de L’Amour absolu, mais dans leurs connaissances et leur capacité d’analyse des textes littéraires en général. Nous avons certes admiré le fait que des copies, au moyen de la seule analyse rigoureuse de la page proposée et sans rien connaître de l’ouvrage, soient parvenues à reconstituer tel ou tel élément du contexte ou de la genèse du texte – l’enfermement du personnage, l’imminence de sa mort, par exemple, et même la dimension manuscrite ! –, mais le commentaire composé n’est en rien un exercice de divination et d’autres copies ont brillé sans avoir à forger de telles hypothèses. Encore fallait-il que l’analyse fût rigoureuse et cohérente. Elle devait ici, d’abord, ne pas éviter les principales questions soulevées par la lecture du passage : quelles relations le narrateur entretient-il avec le personnage principal ? Comment qualifier la tonalité du texte ? La réponse à ces questions ne pouvait être simple ou rapide mais elle devait se fonder sur des données claires et stables. C’est la première de ces questions qui a été le plus nettement posée dans les copies, mais souvent pour être trop vite tranchée, de manière d’ailleurs divergente « narrateur omniscient » ou « focalisation interne à la troisième personne » ? D’autres caractérisations étaient plus faciles à rejeter : rien ne permettait par exemple d’indiquer qu’il pouvait s’agir là d’un « narrateur homodiégétique » (c’est-à-dire présent comme personnage dans l’histoire qu’il raconte). Mais l’essentiel était de décrire et de commenter la mobilité – renforcée par la singulière fragmentation de la page, qui accorde à chaque phrase, même nominale, le statut typographique d’un paragraphe – d’un dispositif narratif qui a conduit Michel Arrivé à parler, à propos de L’Amour absolu et de quelques autres récits de Jarry pourtant rédigés à la troisième personne, de « romans “autobiographiques” au sens large », dans lesquels la vie serait « rêvée ou construite (rêver, d’ailleurs, n’est-ce pas construire, et construire, rêver ?) bien plutôt que vécue, travaillée par le désir ». Ce trouble de la focalisation devait donc être étudié en tant que tel et il l’a été, parfois remarquablement, dans les meilleures copies. De la même manière, l’incertitude tonale du passage devait être analysée pour elle-même, plutôt que d’être occultée au profit d’affirmations excessives et donc impropres (un texte « envahi par l’angoisse », un « comique dévastateur »…). De la même manière, s’il était utile de disposer d’un savoir précis sur différents codes génériques (souvenirs d’enfance, roman naturaliste, poésie symboliste…), il n’était pas fructueux de chercher à classer le texte dans une case prédéterminée : lire cette page comme l’extrait d’un roman réaliste ne pouvait que conduire à des gauchissements dans la description et situer l’interprétation dans une impasse. Placer ainsi au premier plan du travail questions, troubles et incertitudes ne revient pas à plonger le texte dans l’indécidable. Tout au contraire, il s’agit de faire que la démarche du commentaire demeure fidèle à l’expérience de la lecture afin que l’on puisse organiser, avec logique et clarté, un parcours qui déploie une interprétation riche et fidèle – juste – du texte qu’on a lu. Parmi les parcours de ce genre que nous avons découverts en lisant les copies, les orientations n’étaient pas semblables. Rappelons que le jury n’évalue pas les copies en fonction d’un plan prédéterminé : deux parcours divergents peuvent le convaincre semblablement de leur justesse. Les bonnes copies avaient néanmoins trois traits en commun : se fonder sur une description précise des faits textuels qui constituaient la singularité du passage, proposer des interprétations de ces faits et lier ces interprétations de manière à offrir une vision cohérente et la plus complète possible du passage.
Un parcours commode pouvait consister à étudier d’abord le trouble de la focalisation (I), afin de montrer que ce trouble est un moyen de questionner la naissance d’une sensibilité et d’une conscience (II), ce qui revient à lier la formation d’une identité à la découverte des potentialités de la langue et du signe (III).
I. Le texte se présente comme un récit d’enfance centré sur une expérience du seuil (A) : un enfant de 4 ans, Emmanuel, sort d’un univers strictement familial pour découvrir le monde scolaire. Cette expérience du changement est en même temps l’expérience d’une continuité : « Mme Venelle » peut apparaître comme un substitut de « Mme Joseb », en même temps que cette dernière se trouve déjà mise à distance par les appellations Mme ou couple notarial et par l’italique du mot mère. Cette ambivalence de l’expérience est rendue sensible par l’instabilité de l’instance narrative (B), comme le montre l’étude des trois premiers paragraphes : le découpage en paragraphes distincts de ce qui, syntaxiquement, pourrait constituer une seule longue phrase met en évidence, parallèlement à la progression dans l’espace, du domicile à l’école, un processus de focalisation progressive, souligné par l’introduction du verbe sembler. Dans la suite du texte, cette instabilité est maintenue à la fois par la présence du lexique de l’hypothèse et de l’approximation (sembler, paraître, interpréter, ne pas savoir si, peut-être, quelque chose comme, sans doute…), par l’alternance entre deux niveaux temporels de focalisation interne – l’enfant et ce qu’il devint « plus tard » – ainsi que par la citation constante, parfois soulignée par l’italique, de paroles rapportées, empruntées à la langue des adultes en général, à celle de l’école en particulier ou à l’enfant lui-même faisant approximativement écho à ces dernières. Cette instabilité, associée à l’usage de l’apposition et à une fragmentation en paragraphes qui met en relief les procédés d’anaphores et d’échos, vise à conférer une épaisseur mystérieuse aux mots, selon le principe défini par Jarry lui-même en 1894 dans la préface des Minutes de sable mémorial : « Suggérer au lieu de dire, faire dans la route des phrases un carrefour de tous les mots. » Ces mots-carrefours correspondent à l’émergence d’une possibilité de bifurcation sémantique, grâce aux jeux sur les sens propres et figurés, à la paronomase (parfois attribuée à une confusion de l’enfant lui-même, parfois moins facilement assignable), aux ressources offertes par l’onomastique.
II. Cette mise en évidence d’un trouble dans l’instance qui narre et qui nomme ne vise pas ici à susciter la rêverie du lecteur sur quelques mots survivants d’une enfance lointaine, mais à exhiber, objectiver la naissance d’une sensibilité et d’une conscience, d’abord à travers la présence centrale du corps de l’enfant. La convergence de l’univers autour de ce corps correspond à la fois à une inquiétude (disproportion et solitude) et à une jouissance : le vertige initial (côtoyer un gouffre), les coups reçus en classe et la position couchée adoptée ensuite (se vautrait, à plat ventre, de dessous le canapé) apparaissent ainsi moins subis que désirés et pleinement vécus. A travers cette perception première, se révèle une coïncidence du plaisir et de la douleur, qui finit par être explicitement nommée le narrateur (une douleur joyeuse) et qui va de pair avec un trouble de l’identité sexuelle, dont témoignent les robes plissées de filles que portent les garçons de l’école, les coupe-papier de bois voulant imiter la scie créatrice, vorace et vivante, du père, ou la relation mystérieuse et violente d’Emmanuel avec la Xavier. La netteté du symbolisme sexuel (il se vautrait sur le giron de la maîtresse, devant les verges…) n’est qu’un aspect de la structuration imaginaire du texte, qui se caractérise par l’entrelacement de réseaux hétérogènes : l’univers du conte voisine avec celui de la modernité technique (la branche de noisetier par laquelle la maîtresse agit sur les enfants et communique avec eux est à la fois baguette des fées et téléphone) ou avec le récit évangélique, dont les traces sont lisibles dans les noms Joseb, Marie et Emmanuel (qui signifie « Dieu est avec nous » et qui pour les chrétiens désigne le Christ dans une prophétie de l’Ancien Testament – Isaïe, 7, 14) ou dans la croix (le bois de supplice) renversée qui forme l’X. Les portails des enterrements – sur lesquels figure la croix – se superposent ainsi au souvenir de la porte ferrée de l’école, comme si la page structurait l’ensemble de l’expérience humaine, de la naissance à la mort, du matin à la soirée, des temps préhistoriques (le diornis et l’épiornis) à l’aujourd’hui.
III. L’apprentissage en jeu dépasse donc de loin le seul cadre scolaire pour concerner la totalité d’une identité. Cela se traduit d’abord par une dimension satirique du texte, opposant l’individu à l’institution qui entend le dominer et s’emparer de lui – sans y parvenir, comme en témoigne la mise en scène de l’incompréhension de l’enfant devant un univers scolaire dont la nécessité semble discutable, la violence gratuite et le profit inexistant (Il ne garda d’autre habitude…) et qui se trouve finalement exclu au profit d’un autre apprentissage, accompli seul ou avec l’aide paternelle. Mais cette mise à distance de l’apprentissage scolaire n’épuise pas la portée de ce dernier, puisque l’image de l’enfant découvrant l’école offre, par bien des aspects, une figuration de l’écrivain au travail (lire et écrire, coupe-papier de bois). C’est par le geste d’écriture qui donne naissance au texte que se déploient pleinement les potentialités de la langue auxquelles, dans le récit, l’enfant se trouve pour la première fois confronté. Du rebut même (barbouillages, cahiers déchirés), émergent figures et signes, comme, du capharnaüm, naissait, plus précis et plus somptueux, le diorne surgi de son coffre. Le malentendu devient fécond et les approximations enfantines nourrissent une esthétique littéraire de la surprise. Il en résulte une tension entre le caractère narratif du texte et la primauté qu’il accorde à la puissance du signe. La lisibilité du souvenir d’enfance se heurte à cette autonomie de signes valant pour eux-mêmes : les signes linguistiques ne sont que des signes parmi d’autres, les barbouillages d’enfants sont des hiéroglyphes, le mot “coutelas” possède une pointe comme l’objet qu’il désigne et que l’enfant veut voir dans le bout de bois qu’il orne et perfectionne. L’espace entier devient un réservoir de formes géométriques (spirales, bordure) ou géographiques (l’estuaire auquel semble aboutir le chemin de l’école) qui crée un univers abstrait. Cette abstraction se thématise dans l’X final, à la fois marque de l’anonymat et d’une mortalité entrevue dans l’expérience sensible la plus élémentaire. Mais cette abstraction entend permettre aussi une rénovation de la langue commune, par la revivification des clichés et des expressions toutes faites.
(… )
Sur l’Amour absolu :
-Maurice Saillet : Relativement à l’Amour absolu, Préface à l’édition de 1952, augmentée de remarques diverses, Mercure de France.
-Jean-Hughes Sainmont : Notes bibliographiques extraites du catalogue de l’Expojarrysation, Cahiers 10 du Collège de ‘Pataphysique 15 Clinamen 80 E.P. ( 6 avril 1953 )
< On voit que Jarry avait parfaitement conscience d’avoir cristallisé une des concrétions les plus extraordinaires de la chose écrite… >
-Brunella Eruli : Introduction à l’Amour absolu, Bouquin, Robert Laffont.
-Lothaire Liogieri : Vérité et mensonge du point de vue ‘pataphysique.


QUAND LA PATAPHYSIQUE NAQUIT
( solipsisme, scepticisme, dilettantisme, impressionnisme critique)
Remy de Gourmont :
< La pataphysique est une belle chose pour les gens qui s’ennuient >
Nouveaux dialogues des Amateurs
 
Pataphysique, pataphysicien, ces termes apparaissent en France à la fin du 19° siècle dans le milieu littéraire parisien et le sillage d’Alfred Jarry sous la plume et sur les lèvres d’écrivains gravitant autour du Mercure de France.
Ils expriment également un certain < climat intellectuel > issu du Symbolisme, une manière d’appréhender l’existence comme les choses de l’art et de l’esprit.
Si l’on accorde que le projet de définir constitue une impossible gageure, les quelques catégories -certes trop générales- qui suivent, permettent toutefois d’en donner une approximation…
 
 solipsisme
La formule du solipsisme…
Elle est donnée par Taine :  » on ne sort pas de soi-même ». Cf A. Jarry, L’Amour absolu, Les Jours et les nuits.
Elle reprend Condillac, Essai sur l’origine des connaissances humaines, 1.1.1. :
< Soit que nous nous élevions, pour parler métaphoriquement, jusque dans les cieux ; soit que nous descendions dans les abîmes, nous ne sortons point de nous-mêmes ; et ce n’est que notre propre pensée que nous apercevons >.
Elle est reprise par Jules Soury.
Nommé maître de conférences à l’EPHS, il y enseigna depuis 1881 l’histoire des doctrines de psychologie physiologique contemporaines.
Il eut pour auditeurs Lucien Herr, Maurice Barrès, Marcel Sembat, Anatole France…
Ainsi :
-< quoiqu’il fasse… l’homme ne connaîtra jamais que lui-même > Introduction aux Essais de psychologie cellulaire par Haeckel.
-< Le moyen, en effet pour l’homme, de connaître jamais autre chose que ses états de conscience ? > Introduction à l’Histoire de l’évolution du sens des couleurs, par Hugo Magnus.

  • < Nous ne saurions sortir de nous-mêmes et devenir les choses que nous représentons d’après la structure de notre esprit > Les fonctions du cerveau.
  • < Pour l’homme, l’univers ne sera jamais qu’un phénomène subjectif > Essais de critique religieuse.
  • < La conscience… se heurte sans répit à une réalité inconnue, ainsi qu’un poisson aux murs d’un vivier > Etudes historiques sur les religions. Cf J.Torma.
    -< Que l’homme scrute son intelligence ou qu’il étudie la nature, il n’atteint jamais en effet, que ses propres états de conscience, les diverses manières dont il est affecté intérieurement … le néant de la beauté, le mensonge de la bonté, l’ironie de la science … > Portraits du 18° siècle .
    *
    scepticisme.
    L’influence -généralement méconnue-de la personnalité de Jules Soury sur ses contemporains fut considérable ; notamment sur Anatole France – scepticisme, arguments contre l’absolu, l’émotion de sérénité contemplative devant le néant du monde -, et Maurice Barrès – réaction égotiste puis abaissement de l’intellect au bénéfice de la sensibilité profonde et de l’instinct ( Le système nerveux central gouverne tout. Enracinement de la conscience dans l’inconscient ).
    Jules Soury rapportait ses analyses à l’ouvrage de référence de Victor Brochard, Les Sceptiques grecs.
    A noter le crédit accordé à Carnéade, « ce calomnié de l’histoire » plutôt qu’au scepticisme radical de Pyrrhon. Cf R. Queneau https:// ognois.fr/Mouchons la chandelle)
    Il affirmait également la dissociation de la connaissance impossible et de l’action obligée. Cf Remy de Gourmont / Marcel Schwob puis Paul Valéry… Il faut accepter de se contredire si l’on accepte de vivre.
    Lointain écho de la thèse développée par David Hume, Traité de la nature humaine .
    La sensibilité et le désir sont posés comme les seuls fondements de l’existence.
    *
    le dilettantisme
    Littré : dilettantisme : goût très vif pour la musique, surtout pour la musique italienne… Par extension. Celui qui s’occupe d’une chose en amateur.

Ital. dilettante, mot à mot : qui se sdélecte; de dilettare ( voy. délecter).

Le dilettantisme est « une volupté de l’intelligence » ( Pierre Moreau, La critique littéraire en France ).
Paul Bourget : < C’est beaucoup moins une doctrine qu’une disposition de l’esprit, très intelligente à la fois et très voluptueuse, qui nous incline tour à tour vers les formes diverses de la vie et nous conduit à nous prêter à toutes les formes sans nous donner à aucune . > Essais de psychologie contemporaine.
< Il faut au dilettante un scepticisme raffiné avec un art de transformer ce scepticisme en sentiment de jouissance >
Ernest Renan : < Le dilettantisme est un art de transposer la vie, de lui faire gagner en extension ce qu’on lui fait perdre en intensité et en profondeur, de lui enlever ce qu’elle a de direct, d’immédiat, pour n’en laisser qu’une image dont on dispose à son gré, décor mobile que la fantaisie transforme. > Essai de biographie psychologique.
Tolérance infinie, absence de réelle passion, mimétisme de la conscience, large faculté de comprendre, intelligence des sentiments les plus divers sont les vertus du dilettante…
Ainsi Renan, Dialogues philosophiques : < Pour moi, je goûte tout l’univers par cette sorte de sentiment général qui fait que nous sommes tristes dans une ville triste, gais dans une ville gaie. Je jouis ainsi des voluptés du voluptueux, des débauches du débauché, de la mondanité du mondain, de la sainteté de l’homme vertueux, des méditations du savant, de l’austérité de l’ascète. Par une sorte de sympathie douce, je me figure que je suis leur conscience >.
*
L’impressionnisme critique / l’esthète.
D’où la portée de l’attitude critique : elle ne propose aucune explication, aucune évaluation des oeuvres.
Ainsi que l’art dont elle est le pendant, composant elle-même un genre littéraire spécifique, elle est dénuée d’une quelconque utilité idéologique, politique, pédagogique ; elle limite son ambition à faire découvrir des textes inédits et rares à un petit nombre de contemporains.
Refusant les prétentions positivistes à l’intelligibilité des textes et des oeuvres affirmées dogmatiquement par les différentes écoles universitaires, le critique est présenté comme < un spectateur bien doué >.
Esthète, il récuse les certitudes satisfaites du pédant, les constructions aussi ingénues que savantes du professeur.
Tout juste désire-t-il lever certains préjugés, dégager de l’oubli quelques auteurs choisis d’après des critères personnels en s’appuyant sur des données linguistique, historique, psychologique.
Un exemple -. Remy de Gourmont :
< C’est peut-être qu’en littérature aussi, j’ai perdu la foi et que les dogmes de la critique ne m’offrent plus beaucoup d’intérêt. Qu’est-ce que le goût ? Cette question, bien faite pour leur esprit, est l’objet d’un débat entre Bouvard et Pécuchet. Qu’est-ce que le mauvais goût qui nous séduit ? Qu’est-ce qu’une laideur qui nous plaît plus que la beauté ? N’y aurait-il point autant de goûts que de physiologies, autant de beautés que de désirs ? Et cela n’aurait-il pas aussi quelque relation avec la mode, avec la loi d’imitation qui régit le monde . > Promenades littéraires 4.
< Je ne suis pas de ceux d’ailleurs qui se font de grandes illusions ni sur la valeur des mots, ni sur la valeur des êtres. Plus rapidement encore qu’autrefois, le temps ensevelira sous sa poudre les travaux d’une génération qui, comme toutes les autres, crut un moment qu’elle représentait l’avenir du monde. > Promenades littéraires, 4.
L’écriture critique est < le plus subjectif de tous les genres littéraires ; c’est une confession perpétuelle ; en croyant analyser les oeuvres d’autrui, c’est soi-même que l’on dévoile et que l’on expose au public (… ) Le sujet importe peu en art, du moins il n’est jamais qu’une des parties de l’art ; le sujet n’importe pas davantage en critique : il n’est jamais qu’un prétexte . > Promenades littéraires 1, 13/14.
Et encore :
< … les pages qui suivent ne sont pas de critique, mais d’analyse psychologique ou littéraire. Nous n’avons plus de principes et il n’y a plus de modèles ; un écrivain crée son esthétique en créant son oeuvre : nous en sommes réduits à faire appel à la sensation bien plus qu’au jugement. > Préface au deuxième volume du Livre des Masques.
*
L’activité critique est conçue comme une expansion de l’imaginaire à travers le sensible, une oeuvre d’art, une manière de roman ; la conscience des consciences.
Le critique-esthète n’est qu’un des avatars de l’écrivain et la jouissance imaginaire importe plus que la valeur de l’oeuvre ( thème à rapprocher de la Critique imaginative ébauchée par Marcel Proust dans son Contre Sainte Beuve ).
Ainsi Jules Lemaitre, Les contemporains, caractérisa-t-il l’impressionnisme critique :
< Le but de la critique est de définir l’impression que fait sur nous à un moment donné telle oeuvre d’art où l’écrivain a lui-même noté l’impression qu’il avait du monde à une certaine heure. >
**
Note. Sur ces différents concepts, cf Jean Levaillant, Les aventures du scepticisme, Essai sur l’évolution intellectuelle d’Anatole France. 1965 ; et Anne Boyer, Remy de Gourmont, L’écriture et ses masques. 2002.
 
 


 
  METAPHORIQUES
 
( pour les notions d’imaginaire, d’image, d’imagination, de métaphore, d’équivoque, d’ambiguïté,
cf Geste des opinions du docteur Liogieri, Sur le Gai savoir, ubu 4 / ubu 42 / ubu 43 ubu 79 / ubu 81 )

La métaphore au point de vue philosophique

  1. Nature. L’image, concrète ou poétique, est effet de l’activité psychique, -qu’il s’agisse de la conscience imageante ordinaire, de l’involontaire association onirique ou d’un rapprochement méthodique délibéré. 2. Identité. Elle est manifestation de la fonction symbolique ( Emile Benvéniste ). 3. Source . Elle est esthétique ; elle est signe, transposition de la sensation. Emanation de la sensibilité, à sa manière elle exprime, désigne et connote. 4. Origine. Son versant physiologique traduit un tempérament, une manière de ressentir et d’éprouver, une personnalité. Le régime des images propres à un auteur relève donc essentiellement -mais pas exclusivement, on ne saurait occulter le fonds culturel- d’une psychophysiologie. 5. Emergence. Moment du rêve, de la rêverie ( Hegel, Philosophie de l’esprit ), elle naît spontanément du jeu des associations ou elle résulte d’une fixation concertée, d’une élaboration consciente et méthodique. Soit elle obéit aux lois de l’association ( Taine, Hume, Stuart Mill ) ; elle traduit alors l’inertie mentale d’un psychisme routinier, imitatif et grégaire. Soit elle exprime une méthode de recherche poétique plus ou moins raffinée : l’activité métaphorique. 6. Propriété. Comparaison fusionnelle à laquelle il manque un terme, raccourci, abrégé, la métaphore est opération de rapprochement, de transfert, de déplacement du thème vers le phore.7. Différence spécifique. Distincte du concept à fonction définitionnelle, alogique, elle est essentiellement évocatrice ; ambiguë, elle révèle et suggère. 8. Dualité. Elle est cliché -image usagée, familière, effet d’imitation- ou représentation originale et insolite. 9. Fonctions : – Elle satisfait un apparent besoin d’appropriation descriptive propre au poète par sa capacité à rapprocher les objets, les êtres, les lieux, les époques… à mêler les différents ordres de l’expérience, matériel, spirituel, psychologique, éthique, esthétique… : la promesse de l’aube, la fuite du temps, le visage de la lune, les pleurs du saule, le sourire de l’ âme… ; -Elle subvertit le langage ordinaire dont les généralités terminologiques et la fonction utilitaire lestent la pensée et -par l’éloignement des mots et des choses -, dissimulent le réel. ( Cf Bergson et Nietzsche ). 10. Rôle. Transfert de sens, la métaphore voile ou met en relief la réalité en l’exagérant ou en l’animant ; fondée, à l’instar d’autres tropes, sur les synesthésies, elle évoque un univers distinct du monde des perceptions ordinaires. Modalité représentative, pendant et au-delà du concept, descriptive, à sa manière elle est un moyen de connaissance. La littérature se fait gnose ( Cf Claude Gaudin, Ernst Jünger, pour un abécédaire du monde ). Mais elle procure également une jouissance esthétique aussi bien à son créateur qu’à l’amateur qui en goûte l’heureux résultat et l’originalité. 11. Valeur Poétique et impératif axiologique. Puisqu’elle doit être fondée ontologiquement, son critère de pertinence doit être la justesse, l’exactitude. La métaphore réussie repose sur l’intuition d’une analogie non conventionnelle mais justifiée, autorisant le rapprochement, excluant les facilités et l’esbroufe de l’arbitraire. Elle évolue entre les deux écueuils de la banalité et de l’extravagance.

    La métaphorique comme critique du nominalisme ( Martin Heidegger, Acheminement vers la parole, Les mots )
    Relais de la philosophie, l’image a vocation au dévoilement métaphysique par delà la logique et la raison analytique.
    En conséquence, la métaphorique relève d’un effort de dépassement du nominalisme, philosophie du langage jugée insuffisante et superficielle parce qu’unilatérale et réductrice.
    Dans cette perspective, l’idéalisme nominaliste pour lequel la seule réalité est langagière :
    -réduit l’être, l’expérience et la sensation au signe ;
    -ramène la chose à l’objet de la représentation ;
    -récuse le critère d’exactitude de l’image et l’enracinement de l’analogie dans l’être ;
    -rabat enfin la poétique sur une mécanique de procédés ( les Grands Rhétoriqueurs, la Préciosité, plus récemment le formalisme logico-combinatoire de l’Oulipo ).
    Il assigne à la poésie le statut superficiel et discutable d’un simple jeu avec et sur les mots.
    Or ( Les métaphores ) -aux antipodes du signe linguistique selon le positivisme post-saussurien qui constitue la langue en structure autonome-, sont des noms qui < exhibent >.
    Car elles < présentent à la représentation ce qui est déjà > attestant ainsi < leur souveraineté magistrale >.
    La chose, la présence manifestée -habituellement prise dans les filets du langage-, < précède > ontologiquement le signe ( signifiant/ signifié ) qui la < représente >, qui l’institue en < référent >.
    Pour l’auteur de Sein und Zeit, le poète est celui qui en appelle à l’image < qui donne à voir un autre, un plus haut règne > ; cette image qui < n’est plus seulement une simple prise, un instrument pour donner un nom à quelque chose qui est là, déjà représenté … c’est ( elle seule ) qui accorde la venue en présence, c’est-à-dire l’être -en quoi quelque chose peut faire apparition comme étant >.
     
     La métaphorique de Remy de Gourmont ( une approche… )
    1.
    Remy de Gourmont, Livre des Masques, identifia la poétique de Jules Renard d’après la valeur et la fonction assignées à l’image dans la littérature.
    L’auteur de Sixtine distinguait la bonne et la mauvaise métaphore.
    -La mauvaise métaphore n’est qu’une devinette, une espèce de charade jugée enfantine.
    Ainsi de Saint-Paul-Roux Gourmont dresse un catalogue de métaphores involontairement cocasses accompagnées de leurs traductions :
    Sage-femme de la lumière veut dire : le coq / Lendemain de chenille en tenue de bal : papillon / Péché-qui-tette : enfant naturel / Quenouille vivante : mouton / La nageoire des charrues : le soc / Guêpe au dard de fouet : la diligence / Mamelle de cristal : une carafe / Le crabe des mains : main ouverte / Lettre de faire part : une pie / Cimetière qui a des ailes : un vol de corbeaux / Romance pour narine : le parfum des fleurs / Apprivoiser la mâchoire cariée de bémols d’une tarasque moderne : jouer du piano / Hargneuse breloque du portail : chien de garde / Limousine blasphémante : roulier / Psalmodier l’alexandrin de bronze : sonner minuit / Cognac du père Adam : le grand air pur / L’imagerie qui ne se voit que les yeux clos : les rêves / Feuilles de salade vivante : les grenouilles / Les bavardes vertes : les grenouilles / Coquelicot sonore : chant du coq.
    Il poursuit :
    < Le plus distrait, ayant lu cette liste, jugera que M. Saint-Pol-Roux est doué d’une imagination et d’un mauvais goût également exubérants. Si toutes ces images, dont quelques-unes sont ingénieuses, se suivaient à la file vers les Reposoirs de la Procession où les mène le poète, la lecture d’une telle oeuvre serait difficile et le sourire viendrait trop souvent tempérer l’émotion esthétique ; mais semées çà et là, elles ne font que des taches et ne brisent pas toujours l’harmonie de poèmes richement colorés, ingénieux et graves. Le Pèlerinage de Sainte-Anne, écrit tout entier en images, est pur de toute souillure et les métaphores, comme le voulait Théophile Gautier, s’y déroulent multiples, mais logiques et liées entre elles : c’est le type et la merveille du poème en prose rythmée et assonancée. Dans le même tome, le Nocturne dédié à M. Huysmans n’est qu’un vain chapelet d’incohérentes catachrèses : les idées y sont dévorées par une troupe affreuse de bêtes. Mais l’Autopsie de la Vieille Fille, malgré une faute de ton, mais Calvaire immémorial, mais l’Ame saisissable sont des chefs-d’œuvre. M. Saint-Pol-Roux joue d’une cithare dont les cordes sont parfois trop tendues : il suffirait d’un tour de clef pour que nos oreilles soient toujours profondément réjouies ( Le Livre des Masques, Mercure de France, 1896 ). >
    -La bonne métaphore répond à plusieurs exigences : originale, féconde et diversifiée, elle doit faire rêver, surprendre.
    Surtout, et c’est le critère décisif, elle est la manifestation d’une vision personnelle ; elle n’est pas l’application laborieuse d’une méthode, d’un < déréglement qui est le mieux réglé du monde >.
    C’est pourquoi < une critique du style devrait commencer par une critique de la vision intérieure, par un essai sur la formation des images > ( Culture des Idées, 29,30 ).
    Bien que le processus créatif de l’image dans sa composante psychologique demeure celé : < En somme on ne peut choisir une image dans son cerveau que si l’image émerge, comme un astre à l’horizon de la conscience ; comment elle a monté, comment elle est devenue visible, nous n’en savons rien: cela se passe dans l’impénétrable nuit du subconscient > ( Promenades Littéraires 1)
    Le génie se distingue du simple talent, du savoir-faire, de la technique. Une des thèses cardinales de la Critique du Jugement ( E. Kant ).
    C’est le cas de Lautréamont -dont sont louées la < nouveauté et l’originalité des images et des métaphores, (… ) leur abondance, leur suite logiquement arrangée en poème…> -, de Mallarmé et de Jules Renard.
    Si Huysmans matérialise < le spirituel et l’intellectuel, ce qui donne à son style une précision un peu lourde et une clarté assez factice >, Gourmont valorise le < procédé inverse (… ) plus conforme au vieux goût des hommes de prêter aux choses de vagues sentiments et une obscure conscience ( et qui ) reste fidèle à la tradition panthéiste et animiste, sans laquelle il n’y aurait de possible, ni art ni fantaisie. > ( Livre des Masques 1).
    Il admire la < vision réformatrice de Jules Renard > son sens des déplacements et des rapprochements insolites -mais fondés- dans les deux domaines de la perception donnée du réel et de la langue elle-même par la < transposition > et l'< exagération des métaphores en usage > ( Livre des Masques 1 ).
    La métaphore et la comparaison reposent en effet sur l’analogie, sur la ressemblance.
    C’est pourquoi l’écrivain doit être un grammairien, il faut < être prêt à justifier la valeur des métaphores qu’on a employées. La métaphore est une méthode abréviative ; sa qualité principale, et sans laquelle elle n’est plus rien qu’un jeu de mots, est l’exactitude > ( Promenades Littéraires 1 ).
    Quand les métaphores sont employées abusivement ou hors de propos, elles relèvent d’une critique de choc particulière : la dissociation.
    2.
    Si, à la même époque, les philosophes, notamment Nietzsche et Bergson, ont abordé à maintes reprises l’analyse du langage pour en montrer les limites comme ils ont dénoncé la dissimulation ontologique dont il serait la cause, les Symbolistes, et parmi eux, Alfred Jarry, ont unanimement déploré son impuissance à dire le monde.
    Dans La Culture des Idées, 29.30, Gourmont évoque une < théorie du style ( qui) serait celle où l’on essaierait de montrer comment se pénètrent deux mondes séparés, le monde des sensations et le monde des mots. Il y a là un grand mystère, puisque ces deux mondes sont infiniment loin de l’autre, c’est-à-dire parallèles : il faut y voir peut-être une sorte de télégraphie sans fils : on constate que les aiguilles des deux cadrans se commandent mutuellement et c’est tout. Mais cette dépendance mutuelle est loin d’être parfaite et aussi claire dans la réalité que dans une comparaison mécanique : en somme les mots et les sensations ne s’accordent que très peu et très mal ; nous n’avons aucun moyen sûr, que peut-être le silence, pour exprimer nos pensées… >
    Conjurant le péril de l’ineffable et la tentation du silence, la métaphore apparut comme une possibilité de réunir les mots et les choses, les signes, les êtres et les événement en réduisant la distance du symbolisme et du réel.
    Ainsi, en un résumé historique cursif, à propos de Mallarmé, Gourmont notait que < la logique même de son esthétique symboliste l’avait amené à ne plus exprimer que le second terme de la comparaison. La poésie classique, si claire à cause de cela, mais si monotone, les exprime tous les deux. Victor Hugo et Flaubert les unissent en une seule métaphore complexe. Mallarmé les désunit à nouveau et ne laisse rien voir que la seconde image, celle qui a servi à éclairer et poétiser la première. > ( Promenades Littéraires 6 ).
    3.
    Sur l’origine, l’importance et la valeur de la métaphore, comprise comme tissu conjonctif des langues naturelles.
    Les Symbolistes, auteurs, écrivains, poètes se méfiaient généralement de l’approche positiviste d’un langage objet de toute leur attention, voire de leur dévotion.
    Aussi s’arrogeaient-ils volontiers l’exclusivité de son étude.
    < On ne devrait pas laisser les cuistres toucher à des organismes aussi délicats que le langage > affirmait Gourmont dans son Esthétique de la langue française.
    Il y constatait notamment que < dans l’état actuel des langues européennes presque tous les mots sont des métaphores >.
    Remarquant que si certains demeurent invisibles, d’autres laissent découvrir leur image… à ceux qui prennent le temps de les contempler.
    Il relevait ensuite cette sorte de « nécessité psychologique » d’après laquelle des actes, des bêtes, des plantes portent des noms dont la signification radicale ne leur fut pas destinée primitivement.
    Et, abordant la question de l’origine des images, il concédait enfin que si la métaphore a toujours été une création personnelle, si les images comme les contes ont un auteur, les noms métaphoriques sont ou furent choisis d’un commun accord procédant d’une espèce d' »association passive d’idées », < tous les cerveaux humains (étant) des horloges très compliquées et très fragiles, mais toutes construites sur le même plan et douées des mêmes rouages >.
     
    Quelques images de Jules Renard
     M. Jules Renard s’est donné lui-même ce nom : le chasseur d’images.
    C’est un chasseur singulièrement heureux et privilégié, car, seul, entre tous ses confrères,
    il ne rapporte, bêtes et bestioles, que d’inédites proies.
    Il dédaigne tout le connu, ou l’ignore ; sa collection n’est que de pièces rares et même uniques,
    mais qu’il n’a pas le souci de mettre sous clef, car elles lui appartiennent tellement qu’un larron les déroberait vainement.
    Une personnalité aussi aiguë, aussi accusée, a quelque chose de déconcertant, d’irritant et, selon quelques jaloux, d’excessif.
    « Faites donc comme nous, puisez dans le trésor commun des vieilles métaphores accumulées; on va vite, c’est très commode. »
    Mais M. Jules Renard ne tient pas à aller vite.
    Quoique fort laborieux, il produit peu, et surtout peu à la fois, semblable à ces patients burineurs
    qui taillent l’acier avec une lenteur géologique…
    Remy de Gourmont, Le livre des Masques
     

Choix de comparaisons et de métaphores prises au Journal de Jules Renard
< la poésie m’a sauvé de l’infecte maladie de la rosserie. > Journal, 9.1.1908.
 *
Le Journal de Jules Renard propose une manière d’art poétique.
Si la faculté d’inventer des images paraît consubstantielle à l’auteur de Poil de Carotte, cette élaboration n’en obéit pas moins à une sévère discipline fondée sur le goût de la mesure et l’exigence de la vérité.
Bien qu’il ne dédaigne ni l’ironie ni l’humour, bien qu’il s’accorde parfois les plaisirs du détournement et du calembour, Renard refuse les provocations adolescentes, les facilités de l’arbitraire et le trop commode catalogue des procédés masquant -parfois- l’indigence des ressources propre au génie poétique.
L’existence littéraire est vécue comme une nécessité mais aussi comme un sacerdoce moral.
Elle ne tolère pas la négligence : < Je déclare que j’ai un point de vue moral : la propreté d’âme, et un point de vue littéraire, la propreté du style. >
Le modèle, explicitement affirmé, est La Bruyère : < Un La Bruyère en style moderne, voilà ce qu’il faudrait être. > 21. 10. 1889.
D’un côté < la vérité n’est que dans l’imagination > ; d’un autre côté, le poète des Histoires naturelles reprend à son compte les scrupules du Grand Siècle ( Pascal, Malebranche, Arnauld… ) :
l’imagination est une faculté qu’il convient de maîtriser : < La vérité n’est pas toujours l’art. L’art n’est pas toujours la vérité, mais la vérité et l’art ont des points de contact, je les cherche. >
Et si < écrire, c’est presque toujours mentir >, il sait < le point exact où la littérature perd pied et ne touche plus à la vie. > 25. 9.1902.
C’est cette rencontre, ce point de tangence de l’art et de la vie, qui institue la métaphorique en concurrente et en critique des savoirs positifs comme en substitut des révélations religieuses.
Sans affectation ni grandiloquence.
L’image est clef d’intelligibilité. Au-delà du concept, au-delà de la philosophie.


Quelques images prises au Journal de Jules Renard

< Il faut opérer par la dissociation et non par l’association des idées. Une association est presque toujours banale. La dissociation décompose et découvre des affinités latentes. > Journal, 24 janvier 1890

 Un oiseau enveloppé de brumes, comme s’il rapportait des morceaux d’un nuage déchiré à coups de bec / Les buissons semblaient saouls de soleil, s’agitaient d’un air indisposé et vomissaient de l’aubépine, écume blanche / Une femme a l’importance d’un nid entre deux branches. / Gais comme un couple qui s’épouse / Appelons femme un bel animal sans fourrure dont la peau est très recherchée / L’esprit est à peu près, à l’intelligence vraie, ce qu’est le vinaigre au vin solide et de bon cru : breuvage des cerveaux stériles et des estomacs maladifs / La mer, en grande artiste, tue pour tuer, et rejette aux rochers ses débris, avec dédain / Les crabes, galets marchant / Sur le sable blanc surgit un phare comme un parfait au café sur une nappe / La mer semblable à un vaste champ remué par d’invisibles laboureurs / Les petits flots vomissent leur bave blanche ainsi que des roquets, avec un jappement très doux / Les descriptions de femme ressemblent à des vitrines de bijoutier. On y voit des cheveux, des yeux émeraudes, des dents perles, des lèvres corail… / La causerie des fauteuils rangés, avant l’arrivée des visiteurs, un jour de réception.
 
Avec une femme l’amitié ne peut être que le clair de lune de l’amour / La vie intellectuelle est à la réalité ce que la géométrie est à l’architecture. Il est d’une stupide folie (…) de vouloir appliquer à sa vie sa méthode de penser, comme il serait antiscientifique de croire qu’il existe des lignes droites.
Les mots sont la menue monnaie de la pensée. Il y a des bavards qui nous paient en pièces de dix sous. D’autres, au contraire, ne donnent que des louis d’or.
 
L’idéal du calme est dans un chat assis / Un aulne se penche dans l’attitude d’un tireur de bateau / La plus sotte exagération est celle des larmes. Elle agace comme un robinet qui ne ferme pas / Une araignée glisse sur un fil invisible comme si elle nageait dans l’air / Le soleil, pareil à un balancier immobilisé /
La philosophie ; fais de la philosophie. Quelle expression ! Ce n’est pas moi qui l’ait inventée. Sois mesuré toutefois. Un amateur a risqué plusieurs ascensions en ballon. Il a vu un monde inconnu sous une perspective nouvelle. Il a ressenti une grande joie, éprouvé une grande émotion. Le ballon redescend. Il saute de sa nacelle et s’en va, laissant derrière lui le ballon un peu dégonflé. Il ne se fait pas aéronaute.
Les champs de blé rasés de frais, avec ces taches verdâtres qui rappellent le bleu de la joue des acteurs. / Chaque matin, boire une tasse de soleil et manger un épi de blé / Un chien : on dirait une descente de lit empaillée / Le sommeil est la halle au souvenirs… / Quand un train passe sur une plaque tournante, les wagons ont l’air d’avoir le hoquet /
L’individu est une plante, l’individu est une graine, l’individu est un fruit. L’art est une plante, la religion est une plante, la société est une plante. Tout est une plante. Malgré toute mon admiration pour le grand écrivain qu’est Taine, je ne peux m’empêcher de remarquer combien toutes ses comparaisons sont pauvres, banales et semblables.
Femme pareille à une cheminée, il est temps de lever ta robe : le feu doit être pris / Une grande bouche, une petite voix / Figurez-vous un vent coulis qui sortirait par une porte cochère / Valette dit : < Voir la vie en encre de Chine. >
… Barrès est à la mode. Si on le considère comme littérateur, ce qu’on pourrait dire de plus exact, c’est ce que Rivarol disait de Lauraguais : < Ses idées ressemblent à des carreaux de vitre entassées dans le panier d’un vitrier, claires une à une, et obscures toutes ensemble. >
Cette sensation poignante qui fait qu’on touche à une phrase comme à une arme à feu.
 
Cet homme de génie est un aigle bête comme une oie. / L’enfant, Victor Hugo et bien d’autres l’ont vu ange. C’est féroce et infernal qu’il faut le voir… Il faut casser l’enfant en sucre que tous les Droz ont donné jusqu’ici à sucer au public. L’enfant est un petit animal nécessaire. Un chat est plus humain…
Faire un livre intitué Le Nihilisme, et raconter les chapitres de la philosophie moderne d’une manière expérimentale, c’est-à-dire avec les comparaisons tirées de la vie banale. Montrer un esprit qui rentre peu à peu en lui-même, qui pose les problèmes de la connaissance, avec l’intérêt d’un bourgeois qui fait des affaires, et en arriver peu à peu à la critique de la raison pure de Kant, en mettant de côté sa morale, comme une chose trop voulue et artificielle. En somme, faire un livre qui serait à l’histoire de la pensée moderne ce qu’un roman de Zola est à ses théories naturalistes. Faire l’application de la philosophie.
Raynaud, parlant d’une femme qui rit bêtement, dit : < La file d’oies de ses sourires. > Délicieux ! / Un arbre au tronc mollement ployé semblait vouloir s’agenouiller / En somme, je ne serai jamais qu’un croque-notes littéraire / Les phrases de Villiers de L’Isle-Adam : des hochets d’os où sonneraient des grelots d’or / Une figure franche ouverte à deux battants / Une tempête de calme / Le bateau s’avance derrière ses voiles comme un guerrier antique derrière son bouclier / Une plante exotique s’ouvrait comme un éventail de rasoirs / Sur les jets d’eau la nuit, grandissent les ours blancs / Arc en ciel, l’écharpe du tonnerre / Les remords qui passent dans leur petit costume de gendarmes / Arbres grêles de la route courbés sous le vent comme des vieillards sur leurs cannes / La pie qui a toujours l’air de descendre un escalier / Le rapide petit galop du feu dans le poële / Les dindes noires comme les petites filles qui vont en classe, encapuchonnées.
 
Inondation. Toute la rivière est renversée / Un faisan, c’est un coq de château / Victor Hugo. Ses éboulements de vers/ Les mots rappellent comme des perdrix / L’amour tue l’intelligence. Le cerveau fait sablier avec le coeur. L’un ne se remplit que pour vider l’autre / La maison tombe en reliques / La théière fume sa cigarette / Les chevaux courent dans le pré, hippocampes sur une mer verte / Les jolis yeux rouges du pêcher en fleurs / Hirondelles. Sourcils épars dans l’air/ L’accent circonflexe est l’hirondelle de l’écriture / L’Histoire n’est qu’une histoire à dormir debout / Cheveux gris, poussière du temps / Aubépine. Ce matin, toute la haie se marie / Je plante des souvenirs / La dinde au col sanglant / Les papillons, pêtits châles pour les fleurs / les nuages s’arrangent en tableau / Pleine lune… Elle a un nuage de couleur grise, doux comme un cache-nez autour du cou. … le nuage reste immobile. Elle monte. Elle le laisse comme un lange inutile / Un beau serpent, vert, jaune et blanc, file entre les joncs sur l’eau / C’est une fine caresse sur le ruisseau… Ne réveillez pas le chagrin qui dort / J’entends bâiller les huîtres / Les hirondelles en smoking / Elle doit avoir un bas de laine tout plein, raide comme une jambe de bois / Mon village est ma mine d’or / Son évidence grise / J ‘aime moins l’image que par le passé. Elle ajoute ou retranche à la vérité, que je préfère toute nue : le sujet, le verbe et l’attribut / La vieillesse arrive brusquement comme la neige / Au matin, au réveil, on s’aperçoit que tout est blanc / Un Chinois sans son abat-jour / L’exactitude d’une phrase ou sa beauté poétique ?
 
Les prés plein d’eau comme si toutes les veines de la terre s’étaient rompues / Femme plate, mais avec des hanches : une taille de violon / Les moineaux les plus fiers restent sur les branches de l’arbre voisin. On dirait de gros bourgeons sur des branches dénudées / La lune s’est levée : comme le sein d’une nourrice qui sort à peine du corsage, à cause du froid / Maladies : les essayages de la mort / Le projet est le brouillon de l’avenir / La source inconsolable / Un beau vers a douze pieds et deux ailes / Je jardine dans mon âme / La fleur des champs a un coeur d’or / Une horloge droite et plate comme une vieille anglaise / Au théâtre. Fauteuils vides : toutes ces dents arrachées / L’arbre est un animal paralysé / Le vote, une arme sournoise et dégradante / Jour tacheté de lumière et d’ombre, le soleil ne faisant que rouvrir et refermer la paupière / Le bouleau, avec sa blouse de plâtrier / Le soleil qui descend éclairer les morts / En mars, la couleuvre sort de son trou, et, épuisée par l’effort, s’endort au soleil, luisante, toute neuve. C’est le bracelet d’une morte.
Le kangourou, puce géante / Première communion : les petits sont tous blessés au bras gauche / Femme avec un double menton de lapin russe / Je suis un arbre qui ne produit pas tous les ans. En Mai, j’avais quelques fleurs : elles ont gelé à la lune rousse / L’oie qui fait sa proue, son devant de carène / Cerveau. L’homme porte ses racines dans sa tête / La mort, cette marchande de sable pour tous les yeux… / Arbres si bas que les feuilles peuvent caresser leur ombre, par terre / L’éléphant avec ses grands sabres d’ivoire aux dents… / L’escargot promène son petit chignon / Dans ma bibliothèque tournante, les livres ont le mal de mer / La perdrix fait le bruit d’un dard qu’on aiguise / Il faut qu’une page soit faite comme un filet, et que chaque mot, comme une maille, retienne un peu / A l’affût, le loir paraît au grillage du colombier, comme une petite religieuse / Le soupirail de sa culotte reste toujours ouvert / Les étoiles filantes du cerveau / Un arbre c’est un homme qui lève les bras au ciel / La fumée c’est l’haleine bleue de la maison / Je sais le point exact où la littérature perd pied et ne touche plus à la vie / Une couverture piquée de tuiles neuves. Le soleil y joue aux dames /
(…)
 


REMY DE GOURMONT ET LA PHILOSOPHIE DU CLICHE

 

< Je vous félicite, monsieur ! Vous épousez une jeune fille ornée de toutes les grâces, parée de toutes les vertus… >
Jules Renard, La bigote
Résumé
Le cliché est l’envers de la vivante métaphore.
Parole automatique, anonyme, il figure la pathologie de l’esprit par opposition à l’originalité de la création.
Manifestation de l’esclavage intellectuel imitatif, de la banalité de la pensée, de la convenance et du conformisme, il est souvent une image qui a vieilli, devenue abstraction, et dont le ridicule de l’emploi est la sanction.
Sa banalité et son caractère utilitaire sont malgré tout irréductibles parce qu’inhérents aux professions et nécessaires aux relations sociales.
Gourmont lui a consacré tout un chapitre parmi les articles réunis dans son Esthétique de la langue française.

Analyse

  1. Phrase et cliché.
    Gourmont part d’un constat : il n’y a pas de différence entre la prose et le vers. Ce sont des blocs dont on ne peut rien retrancher : la phrase est une suite de mots liés entre eux par des rapports logiques : elle met en relation des idées, des êtres et des actes.
    Ces relations sont fugitives, uniques et rares ; elles peuvent être aussi permanentes ou considérées selon leur état le plus fréquent, visible, connu.
    Bien établie, la phrase < exprime ces rapports vulgaires au retour rythmique ou périodique >.
    Le rapprochement analogique avec une opération de fonderie élémentaire usitée dans les imprimeries a donné à ces phrases < à ces blocs infrangibles et utilisables à l’infini, le nom de clichés. >
  2. Cliché et lieu commun.
    S’ensuit une première dissociation : il convient de distinguer le cliché du lieu commun ; celui-ci représente la banalité de l’idée, celui-là la matérialité de la phrase.
    Le proverbe est le type du cliché ; le lieu commun -qu’il énonce des sottises ou des vérités- prend autant de formes qu’il y a de combinaisons possibles dans la langue.
  3. L’homme du cliché.
    L’homme du cliché -parole qui n’est à personne en particulier, mais que tous récitent plus ou moins-, intéresse l’esprit curieux d’explorer les mécanismes de la pensée humaine :
    < Des hommes peuvent parler une journée entière, et toute leur vie, sans proférer une phrase qui n’ait pas été dite. On a écrit des tomes compacts où pas une seule ligne ne se lit pour la première fois >.
  4. Le cerveau anonyme.
    La pensée se mécanise. C’est à la technique de l’imprimerie que Gourmont a recours pour expliquer le fonctionnement de cette parole automatique :
    < Que l’on se figure donc un atelier typographique où les cases, organismes géants, contiennent non pas des lettres, non pas des mots entiers, comme on l’a expérimenté, mais des phrases ; cela sera l’image de certains cerveaux >.
    L’esprit se réduit ainsi à un contenant, sa pensée est figée dans la phrase. Phrase exprimée et imprimée des centaines de fois et qui exprime la déchéance d’un « cerveau anonyme » voué au « parfait servilisme intellectuel ». Ce cerveau anonyme est doué de deux qualités particulières : une mémoire spéciale très étendue ; une faculté abstractive qui semble en corrélation avec une cécité cérébrale presqu’absolue.
  5. Psychopathologie et genèse du cliché compris comme réalité linguistique et expérience mentale.
    Cette faculté  » singulière » semble relever de la pathologie.
    Et Gourmont de convoquer Théodule Ribot, Les maladies de la mémoire, pour donner une explication du phénomène :
    Une multitude de petits « négatifs » s’emmagasinent dans notre cerveau, qui, à l’occasion, se reproduisent instantanément en exemplaires plus ou moins nets. Tel cerveau conservera plus volontiers tels de ces négatifs.
    Mémoire visuelle et mémoire verbale peuvent coïncider ou s’exclure.
    La première < est représentative de ces hommes qui ont vu, senti, pensé… ; la seconde répond à ce qu’on appelle vulgairement la < mémoire >, en style pédagogique. > Elle traduira un talent purement oratoire, abstrait, limité, superficiel et sans vie.
    Cette mémoire verbale se subdivise, quand il s’agit du style et de l’écriture, en mémoire des mots et mémoire des groupes de mots, locutions, proverbes, clichés.
    Les amnésiques du verbe, avançait Ribot, oublient d’abord ce qu’il y a de plus particulier dans le langage, les noms propres, les substantifs, les adjectifs. Ce sont les phrases toutes faites, les locutions usuelles qui demeurent. Tel malade, incapable d’articuler un mot, expectore des clichés.
    L’homme qui ne pense que par clichés est un exemple de la mémoire partielle. Les conversions tardives, le goût des vieillards pour les formules morales, la psychologie des fanatiques < qui n’ont jamais pu atteindre le mot net correspondant à un fait nu >, relèveraient ainsi d’un même mécanisme psychologique.
    Rapprochant l’ordre d’apparition des mots dans la formation des langues avec l’ordre de leur disparition dans certaines maladies, Gourmont constate que les mots précis ont été trouvés et fixés les derniers, quand les esprit ont été capables d’idées nettes bien délimitées, tandis que les mots abstraits, appris d’abord, mots de la religion, de la philosophie, de la politique < restent dans les lobes et témoignent jusqu’à la dernière heure, de la puérilité d’une intelligence. >
    Le style « cliché » ne serait donc, selon Gourmont, que l’expression littéraire de l’amnésie verbale ainsi caractérisée.
  6. L’écrivain authentique et l’homme de lettres : création et ratiocination.
    D’où une seconde dissociation.
    Le véritable écrivain, l’écrivain doué, possède mémoire visuelle et mémoire verbale. Il « voit » le paysage qu’il décrit, fût-il imaginaire, fantastique, irréel. La phrase qu’il compose est déterminée par sa vision ; maître de son vocabulaire et de l’usage familier de la langue, il n’a recours aux clichés que dans la mesure où ceux-ci < concordent avec sa vision intérieure >.
    L’écrivain dénué de mémoire visuelle construit logiquement le paysage plus qu’il ne le décrit cependant que les mots qu’il emploie sont impuissants à < prendre des postures nouvelles qu’aucune réalité intérieure ne détermine >. Le labeur du simple talent ne saurait masquer les insuffisances du génie propre.
    Et comme la plupart de ces écrivains dénués de mémoire visuelle souffrent également d’une carence de mémoire des signes et des groupes de signes, on a rédigé à leur intention des dictionnaires spécialisés.
    Gourmont évoque alors le Génie de la langue française par Goyer-Linguet, recueil de mots et, à leur suite, de phrases toutes faites < comme cristallisées autour de l’idée qu’ils représentent > ; recueils d’images à l’usage des « amputés » dont < certaines furent belles mais ne le sont plus, puisqu’elles ne sont pas nouvelles. >
    Mais aussi Les Epithètes françaises rangées sous leurs substantifs, ouvrage utile aux poètes, aux orateurs, etc., par le R. P. Daire, sous-prieur des Célestins de Lyon.
  7. Les sources du cliché : la pédagogie, les oeuvres à succès, la mode.
    Il s’agit maintenant de dégager l’origine du mal.
    -Gourmont évoque en premier lieu la discipline du collège qui < a incliné les esprits à ne considérer que les idées les plus générales > et où < l’abstrait domine la vie >.
    Ainsi la poésie du 18° siècle paraît une littérature d’aveugle où la mémoire visuelle semble abolie.
    C’est que la vision, même oculaire, est « un sens rare » et qu'< il est difficile de voir > :
    C’est une faculté animale et c’est un don humain. Certains hommes voient avec génie : rien de ce qui s’est passé sous leurs yeux ne leur est impossible à évoquer. Victor Hugo était un de ces voyants. >
    D’où cette thèse qui fonde toute l’esthétique gourmontienne, thèse étendue à l’ensemble des moyens d’expression :
    < La poésie, en somme, et l’art, quel qu’il soit, a pour outil premier l’oeil. Sans l’oeil, il n’y a que des raisonneurs. >
    L’intuition est donc moteur de la transposition, la faculté poétique sans laquelle l’art, abstrait, technique, conceptuel, se réduit au procédé :
    < ce qui entre par l’oeil, (…), ne peut sortir par les lèvres qu’après un travail original de transposition ; raconter ce qu’on a vu, c’est analyser une image, opération complexe et laborieuse ; dire ce que l’on a entendu, c’est répéter des sons, peut-être comme un mur… pour certains cerveaux, toute lecture, tout discours se transforme en images ; le souvenir sonore de la phrase n’est pas conservé. C’est l’opération inverse de la réduction de l’image en paroles. Michelet ou Flaubert ont puisé en des écritures antérieures des visions aussi intenses que celles qu’auraient pu leur donner le spectacle même des moeurs et des tragédies de jadis ; de tels esprits… perçoivent une image et la transposent par des phrases au lieu de calquer directement la phrase sur la phrase… >
    Or l’éducation tend à ne cultiver que la mémoire verbale aux dépens de la mémoire visuelle :
    < On n’enseigne pas aux enfants à regarder mais à écouter >. < Le Saint-Esprit entre toujours par l’oreille mais sous la forme de mots et de phrases qui s’inscrivent au cerveau tels qu’ils sont prononcés, tels qu’ils ont été entendus ; et ils en ressortiront un jour, identiques en sonorité et peut-être nuls en signification >.
    L’éducation développe l’habitude et le goût de la phrase toute faite. La mémoire littérale dispose à la passivité alors que la mémoire visuelle rend indocile.
    -Gourmont mentionne ensuite l’influence sur plusieurs générations des oeuvres dont le succès est durable.
    -Il note enfin l’effet de la mode.
    Qui prétendrait à développer une histoire du cliché devrait exposer l’histoire des littératures dans leurs rapports avec la mode.
    La littérature est ainsi encombrée d’écrivains privés de mémoire visuelle qui lui substitue l’usage des phrases toutes faites imitées qui répètent, recouvrent en les avilissant le charme des chefs-d’oeuvre :
    < L’imitation est la souillure inévitable et terrible qui guette les livres trop heureux : ce qui était original et frais semble une collection ridicule d’oiseaux empaillés : les images nouvelles sont devenues des clichés. >
    Subsistent pourtant quelques « privilégiés de la gloire », dont les oeuvres se transmettent  » de ferveur en ferveur comme le secret d »Isis ».
    Préservés des imitateurs parasites, leur style original – » signe infaillible du talent  » car « en art tout ce qui n’est pas nouveau est négligeable »- échappe aux générations de copistes, aux mauvais écrivains.
  8. L’Image originale et les deux espèces du cliché.
    Si l’image nouvelle est « la représentation presque directe d’un fragment de vie », le cliché est en lui-même une image abstraite.
    Des visionnaires tels que Schopenhauer, Taine, Nietzsche ont développé en psychologie et en métaphysique un style imagé apte à cerner leurs visions ; devant eux, à l’instar de Platon, « l’ Abstraction elle-même se mettait à vivre ».
    Toutefois Kant < a proféré des choses éternelles, et peut-être la seule vérité, avec des phrases toutes faites pâles, froides, de la vieille scolastique. >
    C’est qu’ il n’y a pas de style absolument purgé d’images. Presque tous les mots sont des métaphores ; quant aux groupes de mots, ils déterminent nécessairement une image.
    L’image est neuve et concrète si les mots n’ont pas encore été groupés selon ces rapports ; elle est abstraite et parvenue à l’état de cliché, si ce même groupement a lieu selon des rapports usuels ou connus.
    Le style de Stendhal, celui de Mérimée, celui du Code, réputés pour leur sécheresse, ne sont pas exempts d’images.
    Il y a donc deux sortes de clichés :
    < ceux qui représentent des images dont l’évolution, entièrement achevée, les a menés à l’abstraction pure ; et ceux dont la marche vers l’état abstrait s’est arrêtée à mi chemin… parce qu’ils manquaient d’énergie et de beauté. C’est pour ceux-là qu’il faudrait réserver le mot  » cliché « , les autres seraient mieux nommée  » images abstraites  » >.
  9. Fonction et valeur de l’image abstraite dans la littérature.
    Gourmont ne dénie pourtant pas toute valeur à l’image abstraite.
  10. En premier lieu les abstractions -< points lumineux d’un poème, d’un paysage, d’une figure… >- sont les  » lumières du style  » sans lesquelles la littérature serait incompréhensible- ; elles permettent d’éviter l’hermétisme, l’obscurité. Elles guident l’esprit :
    < Le style de Mallarmé doit précisément son obscurité, parfois réelle, à l’absence quasi totale de clichés, de ces petites phrases ou locutions ou mots accouplés que tout le monde comprend dans un sens abstrait, c’est-à-dire unique >.
  11. Ensuite il y aurait des images « inusables » des « clichés en diamant », des < phrases toutes faites depuis le commencement du monde et encore belles et jeunes > .
    Définitives, certaines locutions, < pareilles à ces roses fées qu’on n’effeuille pas sans punition >, irréductibles, certains mots simples, traduisent quelques émotions « particulièrement chères à l’homme ».
    Et Gourmont d’admettre qu’en littérature il y a des images qui sont belles, « immortellement jolies », d’autres qui sont laides ; certaines sont délicates, d’autres, vulgaires.
    Néanmoins la nouveauté elle-même ne les sauve pas toujours du ridicule.
    En conséquence, si on ne peut que les aimer, il faut aussi les craindre.
    D’où ce conseil adressé en passant aux écrivains : < Peut-être vaut-il mieux les sous-entendre >.
    Mais sait-on écrire ?
  12. Critique de  » l’art d’écrire  » et du formalisme poétique.
    Gourmont refuse les prétentions d’un quelconque  » art d’écrire » supposé.
    C’est que l’art enseigné est l’art d’écrire… mal. Il se résout à une espèce d’arithmétique des signes et des clichés : < C’est l’art de combiner selon un dessin préconçu, les clichés, cubes d’un jeu de patience >.
    Ainsi : < Le cube a six faces, jetez les dés. Le nombre des combinaisons possibles ( il y a peut-être cent mille cliché dans Royer-Linguet ) touche à l’infini dans l’absolu ; elles sont toutes mauvaises et le jeu est dangereux qui habitue l’esprit à recevoir, sans travail et sans lutte, la becquée >.
    Se fondant sur les conclusions de Taine, De l’Intelligence, Gourmont souligne que dans cette entreprise la paresse se mêle à l’intelligence :
    < Une idée, une sensation, une émotion vitale ou intellectuelle se trouve associée à une expression toute faite dont la lecture évoqua jadis dans le cerveau cette même idée, cette même sensation, cette même émotion. >
    La poétique est donc l’épreuve du caractère et de l’énergie personnelle, la capacité de résistance au tropisme, à la séduction et à la facilité de l’automatisme associatif.
    D’où le conseil adressé à ce type d’écrivains que de n’employer parmi le peuple des clichés que ceux déjà parvenus à l’état abstrait, ceux dont les images usées n’ont plus de signification visuelle ; précaution qui donnant à leurs oeuvres un air de sécheresse extrême, les sauvera toutefois du ridicule.
  13. La mort du cliché et le ridicule.
    Le cliché est un organisme vivant. Avant de mourir dans l’abstraction, il passe par la phase du ridicule.
    Et < .. les exemples seraient innombrables de ces images jadis charmantes et qui ont aujourd’hui le ridicule des vieux visages fardés >.
    Ainsi dans le Télémaque de Fénelon :
    < les pavots du sommeil-une joie innocente-à la sueur de leur front-secouer le joug de la tyrannie-fouler aux pieds les idoles- l’espérance renaît dans son coeur >… expressions qui exigent le sourire et qui ne peuvent plus se proférer qu’avec ironie, mais elles furent jeunes, éloquentes et sérieuses >.
  14. Le conservatoire des clichés : les professions, la politique et la morale.
    Gourmont achève son étude par le relevé de quelques abstractions et autres clichés peuplant le répertoire du verbalisme moral et des intempérantes paroles politiques, fruits de l’imitation et de la répétition :
    -la sphère : la sphère d’influence-la sphère politique-la sphère d’activité-une sphère plus élevée-la sphère intellectuelle-le sphère morale-la sphère des progrès démocratiques..
    -l’hydre et le spectre : le spectre clérical-le spectre de 93-le spectre du moyen âge-le spectre du passé-le spectre du despotisme-l’hydre des révolutions-l’hydre de l’anarchie-l’hydre des rues…
    -les principes : les principes sacrés-l’hommage rendu aux principes-le principe inflexible-le principe solidement assis…
    -le progrès : le progrès des lumières-le progrès incessant vers l’avenir-le progrès de notre décomposition sociale…
    -le chancre : le chancre qui nous dévore- la gangrène du parlementarisme-mettre el fer rouge sur nos plaies-le flot montant de la démocratie-se retremper dans le sein du suffrage universel-les patrons inhumains qui s’engraissent de la sueur du peuple… < autant de clichés ridicules pour quiconque voit les images écrites dans les paroles >…
    *
    Néanmoins, s’agissant de la valeur des clichés, Gourmont est nuancé : à côté des images de la littérature qui obéissent à un souci esthétique, beaucoup d’entre-eux sont pertinents et leur fonction est justifiée ; les mots étant ce qu’ils sont – c’est-à-dire des approximations évocatrices d’idées générales-, leur rôle est nécessaire à la compréhension et utile à la communication :
    < … L’absurde est partout. Nous vivons dans l’absurde. Soyons donc indulgents pour nos plaisirs et goûtons dans les images nouvelles en ce qu’elles ont de beau, leur nouveauté. L’homme est ainsi organisé qu’il ne peut exprimer directement ses idées et que ces idées, d’autre part, sont si obscures que c’est une question de savoir si la parole trahit l’idée ou au contraire la clarifie. Aucun mot ne possède un sens unique ni ne correspond exactement à un objet déterminé, exception faite pour les noms propres. Tout mot a pour envers une idée générale, ou du moins généralisée. Quand nous parlons nous ne pouvons être compris que si nos paroles sont admises comme les représentantes non de ce que nous disons mais de ce que les autres croient que nous disons ; nous n’échangeons que des reflets. Dès que le mot ou l’image gardent dans le discours leur valeur concrète, il s’agit de littérature : la beauté n’est plus tout entière dans la raison, elle est aussi dans la musique. Proscrit de la littérature, le cliché a son emploi légitime dans tout le reste ; c’est-à-dire que son domaine est à peu près universel… >.
    Remy de Gourmont, Esthétique de la langue française, Le cliché
     

    Notes : Aspects principaux de la pensée de Remy de Gourmont
     -Attitude de méfiance vis à vis de toute métaphysique, des abstractions et de l’absolu ( à la différence d’Alfred Jarry qui cherchait l’absolu et la continuité de la vie dans la « pataphysique » comprise comme  » science du particulier » permettant de dégager des solutions imaginaires aux problèmes généraux ) ;
    -désublimation et relativisation de la place de l’homme dans la lignée des choses et des êtres vivants ;
    -amoralisme strict ;
    -refus de tout lyrisme et de tout sentimentalisme ;
    -mise au premier plan de la physiologie dans l’approche des différents plans de l’existence et l’étude des oeuvres ;
    -usage de la dissociation analytique comme méthode réflexive ;
    -affirmation de la subjectivité critique ;
    -contre le lieu commun, l’idéologie et la promiscuité intellectuelle, position d’une esthétique de la surprise.
    Un jugement d’ André Gide sur Remy de Gourmont ( Journal, mercredi 17 mars 1904 )
     < … Longtemps avant de connaître Gourmont, je savais, je pressentais que j’éprouverais devant lui cette gêne, disons, cette hostilité. (…) J’ai lu des choses de lui d’un esprit aigu, d’une intelligence ferme… Je me reprends, je me raisonne, me raidis. Cette fois encore j’ai voulu le revoir et j’arrivais à lui sourire. Je ne puis pas : il est trop laid. Je ne parle pas de sa disgrâce superficielle ; non, mais d’une laideur profonde. J’affirme que je le sentais laid déjà rien qu’à le lire. Et je cherche à comprendre mieux la raison de ma souffrance auprès de lui. Elle vient, je crois, aussi bien en lisant ses écrits, de ce que la pensée, chez lui, n’est jamais chose vive et souffrante ; il reste toujours outre et la tient comme un instrument. Ses raisonnements, car il raisonne et fort bien, ne sont jamais involontaires. Sa pensée ne saigne jamais quand il y touche ; c’est ça qui lui permet d’y opérer facilement. Il brutalise. Quel chirurgien sans coeur ! Et que je souffre près de lui ! … >
     ***
    En somme R.G. représentait tout ce que Gide -protestant, moraliste, âme tourmentée par le péché, scrupuleux jusqu’au remords, dévot de la sincérité, compassionnel, allant à se laisser séduire par l’idéologie, cocardière puis socialiste selon sa variante stalinienne-, abhorrait…
    Détestation partagée à la NRF en rivalité avec le Mercure par Paul Claudel et Jacques Rivière.
    L’exercice de la pensée indépendante, volontiers iconoclaste, au ton voltairien, agnostique, réduite à l’impersonnalité réflexive et au métalangage critique, leur était insupportable.
    L’auteur des Epilogues figurait à leurs yeux une manière de diable !
    Sans doute avaient-ils vu juste…
    De fait, réservé, ironique et cultivant son quant-à-soi, Gourmont ne participait pas…
    ******
    On sait la réaction d’hostilité suscitée par la ‘pataphysique, cette kabbale négative, ce précis d’inintelligibilité qui doit tant au maître des Dissociations, chez le chrétien et l’humaniste -quelles que soient leurs chapelles.
    Dès lors qu’ils commencent à comprendre qu’il s’agit là de toute autre chose qu’un petit jeu orné de quelques calembours destinés à écarter les naïfs…
    avril 2008
     

 INSOLITES

< L’insolite abonde et surabonde…>
Lothaire Liogieri, Matériaux cryptés pour un éloge de l’insignifiant.


Le terme désigne tout événement dérogeant au désordre habituel des choses selon les représentations, les définitions et les classifications ordinairement admises.
L’insolite désigne une manière d’incongruité réalisée.
L’analyse de la notion relève tout à la fois de l’ontologie, de la psychologie et de la critique du jugement.
Evénement singulier, non seulement en raison de son caractère particulier et exceptionnel, -car tout événement, hapax, exprime ces qualités-, l’insolite surprend par son aspect non conventionnel, inusité, inattendu.
Extravagant, Il rompt la chaîne habituelle des séquences factuelles.
Il surprend, il arrête… tout en suscitant intérêt et perplexité.
Transversale axiologique, il concerne tous les plans de l’existence : économique, politique, juridique, scientifique, idéologique, artistique, religieux, ludique… et jusqu’au fait divers.


D’où le plaisir qu’on peut goûter à cette irruption de l’inopiné relevant la banale fadeur de l’existence.
C’est pourquoi on ne s’étonnera pas que l’insolite réjouisse le ‘pataphysicien dont le détachement comtemplatif enveloppe une vision délibérément esthétique des choses de ce monde.

On propose ici -hétéroclite pêle-mêle- quelques exemples de ces rencontres ( conjonctions ) imprévues sur une durée d’une seule semaine.
Croisements innocemment rapportés par quelques médias.
Exemples donnés tels quels, dégagés de tout bavardage, de tout commentaire comme de tout jugement de valeur, ces intellectuelles manies qui traduisent l’obsession de l’explication, de la causalité, de l’interprétation, d’une espèce inquiète, aussi brouillonne que systématique, toujours en quête de sens, de source, de raison, de fondement, de logique, d’intelligibilité.
Rencontres d’autant plus remarquables, en ce qu’elles ne peuvent génèrer que le silence, puisqu’il n’y a rien à en penser!
Le degré zéro de l’intelligence accompagne ainsi le plaisir procuré par l’insignifiance d’un “texte” événementiel, selon le principe ‘pataphysique de l’équivalence axiologique des successions empiriques.
Libéré du prurit de la recherche du Sens, on jouira donc de l’étonnante richesse et de l’insolente insignifiance d’un réel qui dépasse, et de loin, par sa vertu aussi hasardeuse que féconde d’aveugle invention, les créations, fictions, frictions et autres élaborations de l’humaine imagination.
Autant de matériaux pour une éventuelle et muette apoétique de la surprise.
————————————–
08.03.O9
Un magicien prétendait voyager en caisse expédiée par avion.
Un enfant présente des dons de guérisseur après avoir été frappé par la foudre.
Vidéo : Une bataille de polochons à 20 000 dollars.
Un homme consacre sa ferme aux animaux malformés.
Il faisait fumer du cannabis à son chaton.
Les profanateurs du cimetière d’Herrlisheim jugés pour tentative de meurtre.
09.03.09
La police chinoise confond un briquet avec un fusil.
Un nouveau mode de commande à distance utilisant les expressions faciales.
Les Simpsons, victimes de la crise!
Un goûteur de café assure sa langue pour des millions d’euros.
Une artiste crée d’étonnantes figurines de stars.
Un requin pèlerin de 8m de long pêché près d’Athènes.
Le président bolivien mâche une feuille de coca devant des ministres.
Un message “secret” découvert dans une montre à gousset de Lincoln.
A 70 ans, voleur de vélos en série.
Espagne: de la cocaïne liquide dans des bombes aérosol pour le ménage.
Suisse: le canton de Lucerne lève l’interdiction de danser les jours fériés.
Un homme survie à un plongeon dans les chutes du Niagara.
Un arbitre implore un gardien de stopper un pénalty.
1O.03.09
Fatwa contre un produit anti-calvitie pouvant empêcher les érections.
Vente annuelle de jeunes filles à marier en Bulgarie.
Un éléphant avec une prothèse de jambe.
Une plage transformée en galerie d’art.
Un portrait de Barack Obama réalisé en céréales de petit-déjeuner.
La soirée Facebook se termine en champ de bataille à Tours.
L’Unicef lance un défi : créer la plus longue file d’attente aux toilettes du monde.
Un village anglais mis en vente.
A 6 ans, il a grimpé 5 fois l’Everest.
Un goûteur de café assure sa langue pour des millions d’euros.
Et si on conduisait une voiture avec la langue?
Une meilleure vie sexuelle pour les femmes poilues ?
Une femme ne sort pas de chez elle depuis deux ans car elle rote sans arrêt.
L’odeur des œufs pourris aurait le même effet que le Viagra.
Une femme arrache la langue de son petit ami pendant un baiser.
11.03.09
Des états de l’Union Européenne envisage de taxer les pets du bétail.
Un magazin reçoit un cadavre à la place de poissons tropicaux.
Un huissier agressé par des baisers.
Une femme raconte qu’elle hurle comme un loup depuis 26 ans et qu’elle ne peut s’en empêcher.
L’eau de la Manche vendue comme remède contre le rhume.
Un basketteur accusé d’avoir uriné dans des boissons dstinées à ses coéquipiers.
Une entreprise contraint ses futurs collaborateurs à montrer leurs oreilles.
Un homme se coud les lèvres pour se faire entendre.
Une association religieuse propose de laisser un messsage sur le répondeur de Dieu.
Une équipe de football dont tous les joueurs portent le même nom.
Un artiste utilise sa propre tête comme support de son art.
Un futur marié braque des banques pour payer la cérémonie.
UN ” hôtel de passe ” pour grenouilles.
Une femme échange deux enfants contre un oiseau rare.
Une femme de 74 ans expulsable pour avoir donné trop à manger aux pigeons.
Une famille fait 48000 km pour rejoindre l’Australie en voiture.
Un homme sauve la vie de trois personnes et reçoit une amende.
Une chaussure téléphone portable.
Un pêcheur trouve un téléphone portable à l’intérieur d’une morue.
Deux bébés naissent ds deux utérus d’une seule femme.
12.03.09
Un concert avec des instruments de musique en glace.
Des voleurs essaient d’échanger des billets disparus depuis 1945.
Une tortue à deux têtes découverte en Chine.
Agressé par une sucette, le chauffeur d’un car traîne des enfants devant la police.
Crottes de chiens : un député allemand veut suivre la piste génétique.
La justice refuse de rendre son rein à un plaignant.
Un Algérien mange n’importe quoi même des clous, des ampoules et de la sciure.
Un homme se réveille avec une aiguille à crocheter dans le pénis.
Un restaurateur paie ses clients pour manger à volonté.
13.03.09
Un toboggan à l’intérieur d’une société pour faciliter les déplacements des employés.
Les consoles de jeux produiraient des réactions cutanées.
Un ver bien vivant cause une panne d’ordinateur.
L’usage des WC payant un jour sur Ryanair ?
Découvrez en images l’intérieur des vagues.
Un homme abandonne sa voiture pour le kayak.
Une femme amputée des deux jambes devient une sirène grâce à une prothèse spéciale.
Un jeu pour téléphone portable se moque du ministre japonais soûl au G8.
14.03.09
Un homme recrée le Temple d’Hérode en miniature.
A 71 ans, elle est la femme âgée la plus tatouée du monde.
Un homme attrape une raie de 350 kg avec une canne à pêche.
Un artiste crée des illusions d’optique au milieu des chaussées.
Une ville française veut changer de nom à cause de Google.
La maman des octuplés jouera-t-elle dans un film pornographique ?
Contre la crise, un restaurant où on négocie les prix.
Un crocodile s’échappe d’un restaurant et monte dans un immeuble d’habitation.
Un rat pose pour des photos.
Découvrez l’évolution d’Elaine Davidson, la femme la plus piercée du monde.
Une femme de 102 ans engagée dans une bataille juridique de plusieurs décennies.
Un fonctionnaire européen parle 42 langues.
Un toboggan à l’intérieur d’une société pour faciliter les déplacements des employés.
Les consoles de jeux produiraient des réactions cutanées.