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par Georges Deneuville 

< Nous ne pensons pas, nous ne sommes pas des roseaux … > Latis     

Santiago, au jardin d’Alameda

Sous le signe de Maurice Leblanc : Arsène Lupin Gentleman cambrioleur (Bien des ‘pataphysiciens sont des lupinologues avertis…)
Pataphysique et philosophie (mélange)
1. Henri Bergson et la critique du langage 2. Révolte contre la condition humaine et le langage qui l’exprime, attitude existentielle et topique des années trente /situation de la ‘pataphysique 3. Deux exemples : Brice Parain ( Remarques diverses sur le langage ) Sur Dada (Laure Ognois, Université de Tübingen.de) 4. L’humour, l’absurde et le postulat analytique. Hegel, critique de l’agitation humoristique. Humour et Umour ( Jacques Vaché ) 5. Bibliothèque philosophique du ‘pataphysicien : quelques livres pairs 6. Fondements philosophiques de la ‘pataphysique. Variations sur la chose en soi( médaillons ) 7. Boris Vian et la mémoire, L’ herbe rouge 8. Sémantique de Kant : phénomène, noumène, objet transcendantal, et neutralité ontologique de la chose en soi 9. Maupassant, Lettre d’un fou : La chose en soi comme inquiétante étrangeté du réel et support de l’horreur 10. Pataphysique de J. L. Borges 11. Georges Berkeley : la chose en nous et la malédiction des idées générales 12. L’âme est-elle verte ? ( un divertissement du cardinal de Retz ) 13. Du < ce que > au < qui > ( du déplacement nietzschéen ) note sur le critère de l’équivalence ‘pataphysique; complément : Charles Bonenfant (Sur l’activité du ‘pataphysicien et le critère qui la fonde) 14. Phénoménologie de la chose ( Husserl/ Merleau-Ponty ) 15. La choséité de la chose ou l’imaginaire des philosophes 17. Jean Baudrillard et l’assignation de la chose 18. Chose, apparences et secret( Le chiendent, Raymond Queneau ) 19. ‘pataphilosophie, apparence, vérité et chose en soi ( attribué à Lothaire Liogieri, Mouchons la chandelle ) 20. Au-delà de la science et de la philosophie : L’être et la chose, Martin Heidegger 21. Pour… ne pas conclure… Les mots et les choses selon le nominalisme pataphysique : Charles Bonenfant, L’hagiographie pataphysique, Université de Montréal 2010 2. Au-delà de l’interprétation : la réalité de la chose Umberto Eco entre Kant et Lénine, Collège de ‘pataphysique, Correspondancier 14 3. Sur le < Réel > envisagé comme catégorie spéculative, solution imaginaire e jeu d’esprit : Lothaire Liogieri, Bagatelles pour un désastre ( janvier 2000 )
Economie politique du point de vue ‘pataphysique ( médaillons… )
1. Du paternalisme d’Etat et de sa critique libérale 2. Que l’argent est la source de l’être (Lothaire Liogieri) 3. L’utile, l’inutile, la valeur, subjectivisme et kunisme en économie politique ( Condillac, Say, Walras père et fils, Pareto et quelques autres… ) Alfred Jarry ou le libéralisme expérimental : Sur Léon Walras, Eléments d’économie politique pure, Revue blanche, 1.01.1901 Remy de Gourmont, Eloge de l’argent Promenades philosophiques 3. François Simiand, Economie et foi sociale (L’essence fiduciaire de toute monnaie ou la croyance comme fondement et ressort de l’échange) 4. Queneau à la Bourse :  » fous » économistes, anthropologues et médecins de la civilisation, note : deux métaphysiciens rationalistes : Paul Jorion, Jacques Attali 5. Une utopie contemporaine : la croissance durable 6. De la « crise », des « cycles » et que la ‘pataphysique n’est pas soluble dans le « capitalisme »-le « système » capitaliste comme idée de la raison pure 7. Economie politique : de la Chrématistique ( Aristote ) à l’ Extinction du Paupérisme 8. Epiphanies : l’économique du Père Ubu 9. Economie politique et renversement des valeurs quelques exemples ( avril 2010 ) 

 

Asocial, anomique, anarque le ‘pataphysicien ?… Adepte de l’autisme méthodologique, certainement… 

< Ce mot Je résume pour moi la structure du monde. Ce n’est qu’en fonction de moi-même et parce que je daigne accorder quelque attention à leur existence que les choses sont… Ce n’est qu’en fonction de moi-même que je suis et si je dis qu’il pleut ou que la mer est mauvaise, ce ne sont que périphrases pour exprimer qu’une partie de moi s’est résolue en fines gouttelettes ou qu’une autre partie se gonfle de pernicieux remous > Michel Leiris, Aurora

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Sous le signe de Maurice Leblanc :

Arsène Lupin, Gentleman cambrioleur ( clin d’oeil… )

< Ce rire, ce rire infernal qu’il connaissait si bien… >

 < Il fallait bien se distraire, occuper ses loisirs >

< Je suis là de passage >

< Il n’y a pas de hasard avec Arsène Lupin >

< Pourquoi, dit-il encore, aurais-je une apparence définie ? Pourquoi ne pas éviter ce danger d’une existence toujours identique ? >

< J’ai pensé que celui qui aurait un jour l’honneur de s’appeler Arsène Lupin devait se soustraire aux lois ordinaires de l’apparence et de l’identité >

< … malgré toutes les recherches, il a été impossible de reconstituer votre identité. Vous présentez ce cas assez original dans notre société moderne de n’avoir point de passé. Nous ne savons qui vous êtes, d’où vous venez, où s’est écoulée votre enfance, bref, rien. Vous jaillissez tout d’un coup, il y a trois ans, on ne sait au juste de quel milieu, pour vous révéler tout d’un coup Arsène Lupin, c’est-à-dire un composé bizarre d’intelligence et de perversion, d’immoralité et de générosité… telle est cette époque, qui semble n’avoir été qu’une préparation minutieuse à la lutte que vous avez entreprise contre la société, un apprentissage méthodique où vous portiez au plus haut point votre force, votre énergie et votre adresse … >

< … la manière humoristique d’Arsène Lupin, cambrioleur, soit, mais dilettante aussi. Il travaillait par goût et par vocation, certes, mais par amusement aussi. Il donnait l’impression du monsieur qui se divertit à la pièce qu’il fait jouer, et qui, da ns la coulisse, rit à gorge déployée de ses traits d’esprit, et des situations qu’il imagina > 

Bien des ‘pataphysiciens sont des lupinologues avertis…

‘Pataphysique et philosophie (mélange)

Henri Bergson, la critique du langage et l’expérience intégrale

  1. Il fallait briser les cadres conventionnels, les carcans du symbolisme, afin de <revenir à l’absolu, à l’immédiat>

Ce pur < immédiat > qui est devenir, le < mouvant >, cette réalité irréductible aux articulations artificielles du discours, comme de la philosophie issue des paradoxes de Zénon d’Elée ou encore de la science, cette mathématique du réel.

2. Car les mots, les concepts, les fonctions, les structures effacent les nuances, tronquent les individus, impersonnalisent les particuliers sensibles, homogénéisent l’hétérogène et stabilisent le continu.

L’intériorité psychologique de la pensée, la spécificité du vécu, l’originalité des faits de conscience leur échappent, comme les phénomènes du monde extérieur leur demeurent étrangers.

Les signes n’ont qu’un rapport d’extériorité, spatialisé, numérisé, géométrisé avec le monde de la vie en permanente métamorphose, contingente et créatrice, imprévisible.

Les essences ne sont que les symboles figés des existants, des fossiles.

3. La rencontre authentique avec le réel doit donc se fonder sur une < conversion > du regard et sur une critique de la portée et de la valeur des signes.

Du point de vue de la méthode, à l’imprécision des symboles il faut substituer la < précision d’ajustement > ; il faut < remodeler constamment la forme sur la matière >.

Puisque les phénomènes psychologiques comme les phénomènes vitaux échappent à la mathématisation.

En effet, les états de conscience, qualitatifs, ne se prêtent pas à la quantification, au nombre, à la mesure. Pas plus qu’ on ne spatialise la < durée >, la différentielle ne saurait restituer la différence.

La démarche du philosophe et celle de l’artiste, parallèles et complémentaires, doivent alors converger…

Tous deux se transportent sur le terrain de l’expérience.

Le poète par l’image et la métaphore.

Le philosophe par l’ intuition, cette < fonction métaphysique de la pensée >.

L’intuition efface l’approche mécaniciste et réfute l’approche des philosophies sceptiques, idéalistes, criticistes ( kantiens ) qui contestent à l’esprit le pouvoir d’atteindre l’absolu.

Le ressort de la métaphysique, < l’expérience intégrale >, est une rupture avec les symboles, les artifices de l’entendement qui cherche la stabilité dans des relations et dans des choses.

Ainsi seulement sera reconquis l'< immédiat >.

On mettra donc le réel à nu, on écartera le < voile > qui s’interpose entre la nature et nous.

Pour obtenir une vision plus directe de la réalité habituellement et socialement voilée par les besoins vitaux et les modes de représentation, les classifications utiles, les concepts sédimentés qui dérivent de ces besoins.

Concepts qu’il faudra réformer et < fluidifier > de telle sorte que l’esprit s’installe dans la < mobile > réalité.

Cf H. Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience / La pensée et le mouvant ; notamment Introduction à la métaphysique.

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 2. Révolte contre la condition humaine, l’aliénation sociale et le langage qui l’exprime, attitude existentielle et topique des années trente. Dans le sillage de Bergson, Introduction à la métaphysique, le < retour à l’immédiat > 

Dada : détruire les mots avec les mots, la peinture avec la peinture, l’art avec l’art.

L-P. Fargue : < la poésie, ce sont des mots qui se brûlent >

A. Breton. : le surréalisme et l’obsession de la connaissance intuitive sans intermédiaire ( le terrorisme selon Jean Paulhan, Les fleurs de Tarbes ); l’écriture automatique et ses succédanés.

Brice Parain : l’analyse réflexive du langage comme lieu de la misère humaine.

E. Jabès : l’écriture comme absence et la page blanche comme présence.

F. Ponge : le retour à la chose contre l’objet.

Saint-John Perse : La poésie comme vie intégrale.

G. Bataille : les mots < prennent la place du monde sensible >… la poésie est < un holocauste des mots >.

M. Blanchot : l’écrivain doit parler pour ne rien dire afin que la réalité silencieuse surgisse de l’effritement du verbe et des discours.

L’écart pataphysique en son histoire et ses thèmes :

Ses différents moments :

-Les  » Dissociations  » de Remy de Gourmont et la poétique d’Alfred Jarry : symbolisme et métaphysique de l’identité des contraires .

-le Collège de ‘Pataphysique 1 ( 1948 / 1973 ) : Emmanuel Peillet, Philippe Merlen, l’exécration < torméenne > , la critique du langage et le nominalisme < sandomirien >

-Le Collège de ‘Pataphysique 2 : 1973, décès d’Emmanuel Peillet ; continuation discutée et occultée ( 1973 / 2000 ) ou la pataphysique comme < science du particulier >, dans la veine de Raymond Queneau ( Ruy Launoir / Paul Gayot et les jeux oulipiens )

-Le Collège de ‘Pataphysique 3 désocculté ou le retour à l’existence séculière et au monde ( 2000… ) : reprises et variations .

-Un avatar colatéral : l’hypercritique de Lothaire Liogieri ( 1998 / 2012

3.1. Brice Parain, Remarques diverses sur le langage

< … notre langage n’est possible que par l’effacement de ce qu’il désigne… Parler consiste à transformer le monde de l’existence en un monde de mots, par conséquent à le supprimer dans sa manière propre d’être… La parole règne, elle domine, l’existence se soumet > Petite métaphysique de la parole

Parler signifie, en effet, qu’on sacrifie l’existence à ce qu’on dit d’elle > De fil en aiguille

< Les signes établissant entre les hommes une communication imparfaite, réglant les relations sociales à la façon d’une manette qui branle > Essai sur la misère humaine

< Il n’y a qu’un problème… c’est celui que pose le caractère de non-nécessité du langage. Par lui l’énergie humaine semble ne pas se transmettre intégralement au cours de ses transformations… Il y a du jeu dans les engrenages.. > Manuscrit inédit de novembre 1922

< Le sentiment vertigineux d’une inexactitude du langage > Essai sur la misère humaine

< Ce n’est pas moi qui ai inventé la méfiance à l’égard du langage. .. (elle) nous a été insinuée par toute notre civilisation. > Essai sur la misère humaine

< L’image d’un objet… évoquée par un mot est bien à peu près identique chez deux personnes mais à la condition qu’elles parlent la même langue, qu’elles appartiennent à la même classe de la société, à la même génération, c’est-à-dire, à la limite dans la norme où les différences entre les deux personnes peuvent être considérées comme pratiquement négligeables. > Essai inédit de 1923

< Si vous n’agissez pas envers les propos d’autrui selon les normes fixées socialement par votre milieu et votre époque, vous ne savez déjà plus comment les comprendre et les interpréter > Id.

< Le signe inédit pris isolément n’a d’autre rapport avec l’objet signifié que de désignation… il est pour ainsi dire flottant.. il n’acquiert de réalité que dans un système ordonné. > Id.

< Réduisez-vous au silence, même intérieur, vous verrez à quel point certains désirs du corps grandissent, jusqu’à en être obsédants, et à quel point vous perdez la notion du social. A quel point vous ne savez plus vous conduire, à quel point vous cessez de comprendre pour sentir, à quel point vous devenez idiots, au sens où Dostoïevsky l’entend. Vous êtes séparés de l’expérience collective. > Id.

< La communication est imparfaite, non seulement parce que la pensée ne contient pas intégralement l’individu qu’elle exprime, mais encore parce que nul mot, nulle phrase, nulle oeuvre n’a un sens nécessaire qui s’impose sans qu’on ait besoin de l’interpréter > Essai sur la misère humaine

< Lorsque ma fille me dit qu’elle a fait son devoir, alors qu’elle ne l’a pas fait, ce n’est pas… avec le dessein de m’induire en erreur, c’est pour me signifier qu’elle aurait pu le faire, qu’elle avait envie de le faire, qu’elle aurait dû le faire, et que tout cela n’a pas d’importance ; c’est donc plus pour se débarrasser d’un fâcheux que pour parler faux > Recherches sur le langage

< Dans une époque qui, comme la nôtre, est une époque de transformations sociales profondes, où les valeurs sociales disparaissent sans avoir été encore remplacées par d’autres, et par analogie, dans toute époque, car il n’est pas un instant qui ne soit en cours de transformation selon un rythme plus ou mois accéléré, personne ne peut savoir ce que signifient au juste les paroles d’autrui ni même les siennes propres > Essai sur la misère humaine

< Ne pouvant communiquer l’exact, parce que je n’ai pas le temps -et l’aurais-je, où trouverais-je le talent d’épuiser une description chronologique de moi ?- ne pouvant mettre en face de quelqu’un ma personne tout entière, avec tout ce qui la détermine, à l’instant, de passé actuel et d’intentions… ; étant un être particulier, c’est-à-dire différent de quiconque et incapable, par nature de définir en moi ce qui serait communicable avec précision, à savoir ce qui est identique en moi à quelque chose en chacun, je choisis de m’exprimer en un rôle. Renonçant à me faire connaître, je cherche à me faire aimer > Essai de 1922

< Lénine ne croyait pas à une valeur universelle de la raison et du langage, il ne croyait pas à une communication exacte par le langage. La vie selon lui se passait au-dessous et au-delà du langage : les mots d’ordre n’étaient pour lui que des formes, que remplissait l’activité, qu’animait la personnalité, sinon individuelle, sinon collective >

< Ce qui guide l’homme, à chaque moment, ce qui le rassemble et l’ordonne, c’est ce qu’il se dit de lui-même, de ses besoins, de ses désirs, de ses moyens. Ce sont ses mots d’ordre > Essai sur la misère humaine

< La raison n’est autre chose que l’intelligence, qui n’est elle-même autre chose que le pouvoir de construire un système de signes à éprouver, c’est-à-dire que le pouvoir de formuler une hypothèse… la raison… est la tentative que l’homme poursuit… de présenter à ses désirs un moyen exact, efficace, de satisfaction… Son rôle de servante est bien précis… Les désirs ont besoin de la contrôler souvent, comme on rappelle à l’ordre un ouvrier qui flâne > Id.

< Les symboles nous entraînent à croire qu’en supprimant toutes les transmissions on supprimerait tous les accrochages et à croire aussi, en sens contraire, qu’en perfectionnant toute cette machinerie les engrenages fonctionneraient sans à-coups et les accidents deviendraient impossibles > Retour à la France

< Si le langage ne tire son sens que des opérations qu’il désigne et que ce soit celles-ci qui constituent l’objet de notre pensée, non les essences et leurs dénominations, il doit, en fin de compte, apparaître come inutile et même dangereux : inutile parce qu’on admet que nos pensées obéissent toutes au même schéma d’action qui nous ordonne de lui-même, sans que le langage joue un rôle décisif, et qu’elles se développent spontanément suivant des directions parallèles, donc harmonieuses ; dangereux, parce qu’il ne sert plus alors qu’à fournir des prétextes à la négligence et à la mauvaise volonté des inférieurs qui discutent au lieu d’obéir > Recherches sur le langage

< Le bolchevisme était alors une tentative absolument antirationaliste qui achevait la destruction idéologique de l’individu par une destruction, poussée jusqu’à l’héroïsme, de la parole qui ne s’achevait pas en un sacrifice total > Inédit.

3. 2. A propos de Dada… D’après Laure Ognois, Université de Tübingen

Plus qu’un courant artistique et littéraire, le mouvement « Dada », né selon la légende le 8 février 1916 à Zurich, exprimait un style d’existence commun à tous ses adhérents.

Le choix du nom « Dada » témoigna de leur position :

-il ne traduisait pas une intention délibérée ; il fut plutôt l’effet d’un événement fortuit – un coupe-papier glissé au hasard entre les pages d’un dictionnaire franco-allemand à l’entrée « Dada » arrêta le nom du mouvement ;

-le terme même « Dada », refusant la désinence en « isme » chère à l’époque, se démarquait des esthétiques établies.

« Dada » annoncait ainsi un programme de rupture à la fois esthétique et existentiel. Il accompagnait le refus de la première guerre mondiale, de ses atrocités et de son absurdité. Il signait une remise en question radicale des valeurs bourgeoises propres à un ordre social autoritaire et patriarcal que les dadaÏstes démantelèrent.

Du point de vue esthétique, le mouvement Dada, profondément influencé par les écrits et la pensée de Frédéric Nietzsche, révoqua les conceptions chrétiennes et l’idée de culture issue de l’époque des Lumières et du 19ème siècle. Elles affirmaient le progrès de l’Histoire ; elles plaçaient la foi et la raison humaine au centre de toutes choses.

Prenant acte de ce qu’ils considèraient comme la désintégration de la civilisation européenne, les dadaÏstes récusèrent la conception de « l’art pour l’art » et la valorisation du « beau », issues de la Renaissance. Ils souhaitaient non seulement transformer les valeurs de l’art mais également régénérer l’existence en général .

Dada eut ainsi une portée sociale dont la problématique peut se résumer par les interrogations suivantes : sur quelles normes reposent une société et comment les remettre en question sous la forme plastique ou littéraire ?

Dans un contexte où la pensée étroitement nationale et patriotique laissait libre court à la folie meutrière des États et des Nations, Dada se constitua autour de l’axe franco-allemand en mouvement international, condamnant le pouvoir et démystifiant la culture dans son ensemble. Ce sont les valeurs de la troisième République en France, celles de la République de Weimar en Allemagne et le puritanisme d’une Amérique en mutation qui furent l’objet des sarcasmes dadaïstes.

Refusant toute institution, le mouvement n’annonça ni programme ni chef.

Dans un premier temps, son oeuvre se basa avant tout sur des manifestation de groupe, que ce soit sous la forme de publication de journaux, de pièces de théâtres, de démonstrations publiques ou de scènes de cabararets. Ce parti pris artistique refusait la séparation de l’art et de la vie, du monde de l’art et de celui de la réalité, de la sphère publique et privée.

Il cautionna une esthétique intègrant la banalité du quotidien et la toute puissante du hasard dans la vie et la création artistique.

De 1916 à 1923, plusieurs « centres dada » étroitement imbriqués les uns aux autres par les influences respectives exercées par les différents protagonistes oeuvrèrent en Europe et aux Etats-Unis.

À Zurich, terre d’exil dans un monde en guerre, plusieurs artistes profondément pacifistes de nationalités différentes rejoignirent le Cabaret Voltaire, premier réceptacle des manifestations dadaïstes, créé par le régisseur allemand Hugo Ball (1886-1927) et son amie artiste Emmy Hennings (1885-1948). Aux artistes et écrivains roumains Marcel Janco (1895-1963) et Tristan Tzara (1896-1963) succédèrent Richard Huelsenbeck (1892-1974) que Ball avait connut à Berlin lors de ses études de dramaturgie, l’alsacien Jean Arp (1886-1966), célèbre pour son attitude anti-bourgeoise et son intention d’introduire une révolution artistique culturelle en Alsace et Hans Richter (1888-1976), qui deviendra par la suite le « chroniqueur dada ». À l’affiche du cabaret qui devint bien vite une institution littéraire au coeur de Zurich, figuraient au départ des numéros de danse et de musique, la récitation des textes d’auteurs français comme Apollinaire, Jarry ou Rimbaud. Celle-ci incita les acteurs à des improvisations de toutes sortes, rayant la tradition bien établie de la récitation classique et révolutionnant de la sorte le rôle du récitant et la manière de déclamer. À la récitation des textes d’auteurs expressionnistes ou futuristes, on préféra bientôt la mise en scène de la production littéraire des acteurs.

Aux « soirées dada » provoquantes et scandaleuses pour l’époque, suivit la production d’écrits des membres du groupe sous la forme de revues. Tzara créa la Collection Dada dans laquelle parut les Prières Fantastiques de Huelsenbeck et le Bréviaire Dada. À côté de leurs activités publistiques, les Dadaïstes de Zurich cherchèrent à intégrer Dada à l’avant-garde plastique. En juin 1916, on exposa des oeuvres de Picasso, Macke, Modigliani et Marcel Slodki à côté de celles des Dadaïstes Arp et Janco. Bientôt, la galerie Corray devint un autre centre du Dada Zurich. Selon le principe du Cabaret Voltaire, on intégra dans ses locaux des expositions, des lectures, de la danse ainsi que de soirées littéraires et musicales.

Dada Zurich fut un havre pour l’expérimentation artistique qui, libérée de toutes les barrières traditionnelles, explora les zones de contact entre la littérature et l’art.

Le ton destructeur de Dada Zurich ne peut toutefois être évacué. Le Manifeste Dada 1918 de Tzara tient bien moins de la proclamation d’un mouvement artistique que des valeurs provocatrices auxquelles il se rattachait. Né d’un besoin d’indépendance et de la méfiance à l’égard de la société, le caractère radical du mouvement fut revendiqué haut et fort par Tzara qui n’hésitait pas à souligner l’hypocrisie du principe chrétien de l’amour du prochain. Par ailleurs, par un retour d’ironie cher aux Dadaïstes, il remettait en question l’existence même des manifestes de l’avant-garde, excluant toute prise de position bien définie. Bien au contraire, le Manifeste Dada proclamait les principes de la dérision de soi, une consécration de l’humour et l’éclat de rire, matérialisée, par exemple, dans les Poèmes simultanés. Ceux-ci considéraient la simultanéité dissonante des perceptions hétérogènes de la vie citadine moderne ( Janco, Tzara et Huelsenbeck récitaient en allemand et français L’amiral cherche une maison à louer), qui, poussées jusqu’à à l’absurde, incarnait un des autres principes fondamentaux des Dadaistes : le chaos en action.

Le retour de Huelsenbeck à Berlin en janvier 1917 marque une date importante dans la chronologie de Dada, celle de la formation de Dada Berlin et du Club Dada. Celui-ci se constitua autour d’Huelsenbeck que vinrent rejoindre Raoul Hausmann (1886-1971), Johannes Baader (1875-1955), Walter Mehring (1896-1981), Georges Grosz (1893-1959), Johannes Herzfelde (1891-1968), Franz Jung (1888-1963), Otto Schmalhausen (1890-1958) et Hannah Höch (1889-1978). À l’inverse de Dada Zurich, il se caractérisait par une forte politisation de ses membres, qui, touchés directement par la guerre et les évènements révolutionnaires, revendiquaient leurs opinions marxistes. Toutefois, le rayonnement de Dada Berlin s’effectua de la même manière qu’à Zurich. Les écrits furent diffusés dans nombre de revues dadaïstes comme Die Pleite ou Der Dada. Les oeuvres plastiques furent exposées dans la Galerie Neumann à plusieurs reprises. Les dadaïstes berlinois propageaient leurs sarcasmes à l’encontre des valeurs bourgeoises de la République de Weimar lors de soirées et de tournées qui les menèrent à Dresde, Leipzig, Prague et Hambourg. La première foire internationale Dada, qui exposa les oeuvres d’artistes dadaïstes comme Arp, Grosz, Baader, Picabia, Hausmann et Dix, à l’été 1920, marqua l’un des sommets de Dada Berlin. Plus qu’à Zurich, les dadaïstes berlinois souhaitaient démasquer l’hypocrisie de la classe politique dirigeante dans leurs oeuvres. Les portraits satiriques des acteurs politiques, d’officiers nasillards ou des chefs des travailleurs constituaient l’objet de prédilection de leurs collages sardoniques.

Cette rebellion politique sous la forme artistique ne fut pas partagée par l’autre grande figure du dadaïsme allemand, l’hanovrien Kurt Schwitters (1887-1948).

Père de l’art Merz – c’est ainsi que l’artiste nomma l’ensemble de son oeuvre –, celui qu’Huelsenbeck considérait comme le petit bourgeois du dadaïsme à cause de son absence de prise de position politique, Schwitters révolutionna l’art moderne par sa technique très particulière du collage. Dans son oeuvre, il intégra des morceaux d’objets du quotidiens, bouts de papier, détritus, résidus divers, qu’il assemblait au hasard. L’intégration de la banalité et du hasard dans l’oeuvre plastique de même que son goût pour l’expérimentation poétique – Schwitters se rendit célèbre par l’élaboration de sa Ursonate et du poème Anna Blume – en fit l’une des figures de proue de l’art moderne. Cet engouement pour l’objet banal et l’intégration de la donnée du hasard dans la composition d’oeuvres picturales et plastiques, remettant en question les théories classiques de la représentation de l’objet, fut également partagé par le groupe de dadaïstes de Paris et de New York.

Avant 1916 déjà, des artistes comme Marcel Duchamp (1887-1963), Man Ray (1890-1976), Francis Picabia (1879-1953) et Marius de Zayas (1880-1961) ainsi que les collectionneurs et galeristes New Yorkais Alfred Stieglitz (1864-1946) et Walter Conrad Arensberg (1878-1954) entrèrent en contact avec les centres européens du mouvement Dada. Après une phase cubiste au sein de la « Section d’or », Duchamp s’interrogea sur l’essence et la valeur de l’oeuvre d’art. Éprouvant le même intérêt que Schwitters pour l’objet banal, Duchamp développa son esthétique du « Ready-made », objet du quotidien qui ne devient oeuvre d’art que dans le contexte de son exposition. En 1917, Duchamp exposa un urinoir accompagné du titre « fontaine » qui fit scandale. Outre le goût de la subversion, celui de l’expérimentation et la remise en question des valeurs d’une société américaine puritaine, les dadaïstes new-yorkais s’interrogeaient ainsi sur le lien entre la pratique artistique et l’existence dans son ensemble. Ce même questionnement travaillaient les dadaïstes parisiens, avec lesquels Duchamp et Picabia entrenaient d’assidus contacts. Par le biais de Tristan Tzara, les parisiens cultivaient des liens étroits avec les centres de Zurich et de Berlin. Philippe Soupault (1897-1951) adhéra ainsi au Manifeste Dada de Tzara en 1918. Les poèmes d’Apollinaire et la farce d’Alfred Jarry Ubu Roi, furent mis en scène au Cabaret Voltaire. Sur l’invitation de André Breton (1896-1966), Tzara passa deux années à Paris et devint l’impressario de Dada Paris. Les soirées et matinées Dada parisiennes qui réunirent entre-autres Louis Aragon (1897-1982), André Breton (1896-1966), Jean Cocteau (1889-1963), Erik Satie (1866-1925), Paul Eluard (1895-1952)et Tzara se déroulaient de la même manière qu’à Zurich et Berlin. Les expositions, fussent-elles d’artistes particuliers comme Picabia, Ribemont-Dessaignes ou Max Ernst ou bien de groupe comme le Salon Dada international en juin 1921, les revues comme « Littérature » dans lesquelles paraissaient des essais programatiques complétaient les actions du groupe Dada de Paris. Dada Paris se dinstinga surtout par sa création dramatique. À côté de Breton et Soupault, Tzara devint le dramaturge de Dada Paris. Il créa ainsi La première aventure céleste de Monsieur Antipyrine. L’oeuvre de Ribemont-Dessaignes L’empereur de Chine parut en 1921 dans la Collection Dada et fut mise en scène en 1925.

Les pièces dadaïstes, succession de sketches, souhaitaient avant tout choquer le public et effrayer le bourgeois. La mise en scène sans règles dans un esprit tout dadaiste expérimentait avant tout de nouvelles constellations formées de morceaux de musiques, de danse et de récitation. L’utilisation de masques, des jeux de lumières, d’artifices de scène n’étaient plus tabou. Dada Paris expérimenta également le nouveau média du film. Le film muet de René Clair Entr’acte relatant l’histoire d’un cortège funèbre, s’il s’assura le commentaire amusé de Hans Richter, expérimentait avant tout la mine de possibilités livrées par ce nouveau média.

 Références :

– Béhar, Henri/Carassoli, Michel : Dada. Histoire d’une subversion, Paris 1990

– Foster, Stephen C. (Hg.) : Crisis and the arts : the History of Dada, 10 Bände, New York 1996-2005

– Korte, Hermann : Die Dadaisten, 5. Auflage, Reinbek bei Hamburg 2007

4. L’humour, l’absurde et le postulat analytique

L’humour est une attitude existentielle. Elle est essentiellement un décalage provoqué et représenté.

Le décalage humoristique consiste à percevoir et à relater les faits avant d’en saisir le sens.

Exemple : Un match de rugby est le concours de quelques jeunes gens en petite tenue jouant à la balle au milieu d’un pré.

Cette attitude est analogue au postulat de l’investigation scientifique et vaut comme technique romanesque ( néo-réalistes américains ).

Toute réalité est réductible à une juxtaposition et à une somme d’éléments; tel est le fondement de l’investigation scientifique de la nature et de l’expérience humaine : le monde est dénué de sens ; il n’y a pas de significations immédiates. Le réel est in/asensé, il est « absurde ». L’empirisme -de Hume à Quine- met entre parenthèses l’univers axiologique des intentions, des significations et des valeurs. Il exclut de ses analyses le principe de finalité, la totalisation unitaire et finalisée du projet qui donnent sens à chaque moment de son effectuation . Dans cette perspective, le réel est discontinu, l’expérience est réduite à une succession de présents, de situations sans liaisons signifiantes.

L’expérience apparaît alors inintelligible ; tout est extérieur à tout ; elle échappe à l’explication.

Enfin et à la limite, toutes les expériences de l’homme absurde sont déclarées et vécues comme équivalentes.

La phénoménologie – s’appuyant sur les conclusions de la Gestaltthéorie- fut une protestation adressée à ce parti pris méthodologique.

Renversant la problématique de l’empirisme, Raymond Ruyer a développé une philosophie des valeurs et de l’expressivité afin de récuser la validité du postulat analytique.

Cf Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception.

Raymond Ruyer, La Gnose de PrincetonNéo-FinalismeL’expressivité.

J.P.Sartre, Explication de L’Etranger d’Albert Camus.**

Hegel, critique de l’ agitation humoristique

1. Rapporté à l’évolution des types d’ art : symbolique, classique et romantique, l’esthétique hégélienne -pensée épochale et typologique- pose l’ < humour > comme phase finale d’un processus onto-théologique et historique : le < devenir de l’Esprit >.

Là où s’abolissent dans le vide et l’absurde les moyens d’expression, les genres et les procédés.

Pour la philosophie de l’Esprit, la pose humoristique apparaît comme le moment paroxystique d’un subjectivisme débridé, obsédé par l’extraordinaire et à la recherche de l’originalité à tout prix.

L’artiste s’estime « libéré » de la représentation désormais dépréciée ; sa vanité se prétend naïvement dégagée de la c/Chose.

Mais souligne Hegel, c’est pour sombrer et s’aliéner dans l’arbitraire et le « dévergondage de l’esprit « qui s’agite en tous sens et < se met à la torture pour trouver des conceptions extraordinaires >.

Comme manifestation de l’Absolu et comme étape de la patience du Concept, la poétique doit céder alors la place à la religion et à la philosophie.

2. L’extrait proposé ci-dessous vaut comme une description anticipée et saisissante de l’esthétique moderne ( De Baudelaire à Valéry ) et postmoderne (depuis Duchamp/Dada jusqu’aux oeuvres les plus contemporaines ).

3. On notera que de ce point de vue idéaliste et totalitaire, la poétique oulipienne, surgeon de la ‘pataphysique opérative faustrollienne, est elle aussi impliquée par la critique.

Hegel, Esthétique, la dissolution de l’art romantique. tr. Bénard 2. p.133

< L’humour ne se propose pas de laisser un contenu se développer de lui-même conformément à sa nature essentielle, s’organiser, prendre ainsi la forme artistique qui lui convient ; comme c’est au contraire l’artiste lui-même qui s’introduit dans l’objet qu’il veut représenter, sa tâche consiste principalement à refouler tout ce qui tend à obtenir ou paraît avoir une valeur objective et une forme fixe dans le monde extérieur, à l’éclipser et l’effacer par la puissance de ses idées propres, par des éclairs d’imagination et des conception frappantes.

Par là, le caractère indépendant d’un contenu objectif, l’unité cohérente de la forme, qui dérive de la chose même, sont anéantis, et la représentation n’est plus qu’un jeu de l’imagination, qui combine à son gré les objets, altère et bouleverse leurs rapports, un dévergondage de l’esprit qui s’agite en tous sens et se met à la torture pour trouver des conceptions extraordinaires pour lesquelles l’auteur se trahit, lui et son objet. >

Sur l’esthétique, cf philosophie pataphysique ( l’art est-il mort ? ) cf : Humour et Umour, Jacques Vaché et le Collège de Pataphysique

5. Bibliothèque philosophique du ‘pataphysicien : quelques livres pairs…

Bien qu’elle se présente parfois comme un jeu, la ‘pataphysique suppose une certaine formation philosophique sans laquelle il n’est guère possible de relever les pièges du langage, les traquenards de l’idéologie ou encore les chausse-trapes de la vision.

Alors qu’il s’agit d’en mesurer toute la portée pour en mieux apprécier la saveur…

Et de la même manière qu’ Alfred Jarry donna en son Faustroll une liste d’auteurs présentés tels des compagnons de fortune littéraire, on propose ici une liste d’ouvrages dont la lecture rendra plus commode le passage à une activité – il faut bien l’avouer- assez déconcertante.

Cédule non limitative et composée de textes inactuels au sens de Nietzsche, à la fois roboratifs, agréables et toujours rafraîchissants…

W. K.C. Guthrie, Les sophistes

Epicure, Lettre à MénécéeLettre à Hérodote, Lettre à Pythoclès ( notes et commentaires de J. Salem )

La lettre d’Epicure ( Jean Bollack, Mayotte Bollack, Heinz Wismann)

Lucrèce, De la nature des choses

Michel Serres, La naissance de la physique dans le texte de Lucrèce

Victor Brochard, Les Sceptiques grecs

Les Sceptiques grecs, textes choisis par Jean-Paul Dumont

Sextus Empiricus, Contre les Professeurs ( bilingue Grec-Français, sous la direction de P. Pellegrin )

Lucien, Dialogue des morts, Philosophes à vendreMénippe ou la Nékyomancie, Hermotimos ou les sectes, Démonax, Le parasite

Guillaume d’ Ockham, Somme de Logique

Pierre Alféri, Guillaume d’Ockham, le singulier

Grégoire de Rimini, Commentaire du Premier livre des Sentences ( le « significabile complexe » -Le quelque chose, le néant et l’état-de chose)

Nicolas Machiavel, Le Prince

Etienne de la Boétie, Discours de la servitude volontaire

Michel de Montaigne, Essais

Francisco Sanchez, Que l’on ne sait rien

Francis Bacon, Novum Organum ( la théorie des idoles )

Baltasar Gracian, L’homme de cour / Le Héros / Le Criticon

Blaise Pascal, Pensées / premier Discours sur la condition des Grands

George Berkeley, Trois dialogues entre Hylas et Philonous

David Hume, Enquête sur l’entendement humain

Etienne Bonnot de Condillac, Traité des systèmes

Emmanuel Kant, Prolégomènes à toute métaphysique future

Charles Renouvier, Les dilemmes de la métaphysique pure

Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et représentation

Taine, De l’intelligence

Frédéric Nietzsche, Le gai savoir

Henri Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience / Le rire / Introduction à la métaphysique

Ernst Cassirer, La philosophie des formes symboliques / Substance et fonction

Martin Heidegger, Qu’est-ce que la métaphysique ? / Introduction à la métaphysique

Rudolf Carnap, Le dépassement de la métaphysique par l’analyse logique du langage

Louis Rougier, Traité de la connaissance / Une faillite : la scolastique / Les paralogismes du rationalisme

Ludwig Wittgenstein, Traité logique-philosophique / Investigations philosophiques / De la certitude

Bertrand Russell, Signification et vérité / Pourquoi je ne suis pas chrétien

Raymond Ruyer, Les paradoxes de la conscience et les limites de l’automatisme / L’utopie et les utopies / L’art d’être toujours content

Louis Vax, La séduction de l’étrange

Emile Benvéniste, Problèmes de linguistique générale

J.-L. Austin, Quand dire, c’est faire

Jean-François Lyotard, Rudiments païens…

et…

Remy de Gourmont, Oeuvres diverses…

Alfred Jarry, Oeuvres diverses…

Paul Valéry, Oeuvres diverses / Cahiers

Jules Lagneau, Célèbres leçons, Cours sur la perception

Alain, Entretiens au bord de la mer

Michel Alexandre, Lecture de Kant

Testament du docteur Sandomir ( Collège de pataphysique )

Subsidia pataphysica 0 / 1 ( Collège de pataphysique )

Lothaire Liogieri, Opuscules divers.

Fondements philosophiques de la ‘pataphysique

1. L’idéalisme gnoséologique.

1.1. Descartes, Méditations métaphysiques et commentaire analytique du “Morceau de cire” par Michel Alexandre.

1.2. Berkeley, l’idéalisme et l’immatérialisme des Principes de la connaissance humaine.

1.3. Le scepticisme critique de Hume.

1.4. Taine, l’empirisme psychologique. De l’intelligence.

1.5. Le perspectivisme de Nietzsche.

1.6. Alfred Jarry, Les jours et les nuits, roman d’un déserteur.

1.7. Paul Valéry, les Cahiers ou l’analyse réflexive perpétuelle.

2. Ontologie

1. Au-delà de Bertrand Russell.

J.L. Borgès : le monde présenté comme série hétérogène d’actes indépendants et non comme collection d’objets ( Tlön Uqbar Orbis Tertius )

2. L’identité des contraires.

De Nicolas de Cues à Alfred Jarry.

3. La métaphysique comme labyrinthe conceptuel.

Renouvier et les Dilemmes de la métaphysique pure.

3. La critique du langage.

Le nominalisme de Spinoza.

Berkeley et la critique de l’idée générale.

Bergson, Introduction à la métaphysique.

4. La critique de l’historisme et du progressisme.

Schopenhauer et la critique de la dialectique hégélienne.

5. Scepticisme et quiétisme.

Aénésidème et Sextus.

Le nihilisme tactique de Pascal.

L’indifférentisme et le quiétisme pratique : petite morale quenellienne.  

Variations sur la chose en soi ( médaillons ) 

< L’ homme vit, pour ainsi dire, dans une nouvelle dimension de la réalité… Il ne vit plus dans un univers purement matériel, mais dans un univers symbolique. Le langage, le mythe, l’art, la religion sont des éléments de cet univers. Ce sont les fils différents qui tissent la toile du symbolisme, la trame enchevêtrée de l’expérience humaine… L’homme ne peut plus se trouver en présence immédiatede la réalité ; il ne peut plus la voir, pour ainsi dire, face à face… Loin d’avoir rapport aux choses mêmes, d’une certaine manière, il s’entretient constamment avec lui-même >

Ernst Cassirer, Essai sur l’homme  

7. Boris Vian et la mémoire  (en marge d’Henri Bergson et de Marcel Proust)

< Où étaient les souvenirs purs ? En presque tous se fondent les impressions d’autres époques qui s’y superposent et leur donnent une réalité différente. Il n’y a pas de souvenirs, c’est une autre vie revécue avec une autre personnalité qui résulte pour partie de ces souvenirs eux-mêmes. On n’inverse pas le sens du temps à moins de vivre les yeux fermés les oreilles sourdes > L’herbe rouge

Wolf, personnage du roman de Boris Vian, prend ici l’exact contrepied de la thèse philosophique développée par Bergson ( Matière et mémoire ) puis par Proust dans la Recherche.

« L’immense édifice du souvenir  » n’est qu’un leurre, une illusion rétrospective. La vie psychique ne connaît pas la continuité.

Et le « fleuve du temps » n’est qu’une métaphore trompeuse.

La conscience est discontinue…

Dans l’expérience du rappel, les « lambeaux du temps jadis » … accourent « en hordes inorganiques »…

Avec « la fixité des fausses images de l’enfance formées après coups par des photographies ou les conversations de ceux qui se souviennent, impossibles à ressentir de nouveau, car leur substance s’est évanouie depuis longtemps » .

Le passé est toujours reconstitution. Il n’est pas réminiscence. Sa fraîcheur première est perdue à jamais.

Et nous ne vivons l’événement -singulier- que dans le contexte de la nouveauté.

On ne saurait donc parler de « répétition ». A peine de « reprise ».

C ‘est l’imagination -et Vian rejoint Hume- qui reconstruit ce qui fut et ce qui n’est plus.

Elle crée la chimère de < l’identité personnelle >, cette série d’approximatives imitations de soi, le mirage de la < substance psychique >, l’illusion de la < continuité mentale >.

Autant d’entités imaginaires…

Puissance aussi trompeuse que nécessaire, elle prétend combler les lacunes, les blancs de la mémoire.

Son horreur du vide la pousse à éloigner le néant… qui ne cesse néanmoins de coller à l’existence.

Il lui faut oublier… l’oubli. Tâche impossible…

Car le présent de l’instant, de tout instant, est vierge.

Ce que montra jadis Gaston Bachelard par les analyses de la Dialectique de la durée et de L’intuition de l’instant.

Ce n’est donc que par abus de langage qu’on parlera de « passé », de « souvenir », et, en conséquence, d’ « histoire ».

Ce discours prétentieux mais impossible, faute d’objet.

La ‘pataphysique est l’Ascience… 

8. Sémantique de Kant :

phénomène, noumène, objet transcendantal et neutralité de la chose en soi

1. Spatialisation et temporalisation constituent pour l’homme la mise en forme a priori de la connaissance sensible, soit les conditions de l’existence des choses comme < phénomènes >.

2. C’est à ces phénomènes seuls, les objets de l’expérience, que l’entendement peut appliquer ses concepts purs, les < catégories >, afin de constituer la connaissance objective, la science des phénomènes.

3. En conséquence l’être humain ne peut connaître aucun objet comme < chose en soi > pas plus qu’il ne peut saisir son propre moi entendu comme moi-substance par le sens intime.

4. L’intuition des choses en soi et du moi ne sont pas originaires : elle sont dérivées de l’expérience, sensibles, non intellectuelles.

5. Toutefois, aux êtres sensibles, les phénomènes, donnés à l’homme dans l’intuition expérimentale, s’opposent d’autres choses possibles qui ne sont pas objets des sens.

La chose en soi est une réalité intelligible inconnaissable mais qui peut être pensée :< Si nous ne pouvons connaître ces objets comme choses en soi, nous pouvons du moins les penser comme tels, autrement on arriverait à cette absurde proposition qu’il y a des phénomènes (ou des apparences ) sans qu’il y ait rien qui apparaisse > ( Critique de la raison pure, préface. 2 édition ).

Ce sont des objets simplement conçus par l’entendement. Ils sont appelés « êtres intelligibles « ou « noumènes ».

Ontologiquement neutre, la < chose en soi > n’est ni bienveillante ni inquiètante, tout juste parfois insolite.

6. < Noumène > est donc dans l’ordre de la connaissance un concept limitatif destiné à restreindre les prétentions de la sensibilité.

En conséquence, il n’a qu’un sens négatif au regard des prétentions de la raison spéculative ou théorique.

Ou encore de l’imagination esthétique.

7. Aussi la Métaphysique est-elle la discipline du < comme si > :

-dans la Psychologie rationnelle, on se représente l’esprit comme s’il était une substance simple subsistant toujours identique à elle-même.

-dans la Cosmologie rationnelle, on considère la nature comme si elle était infinie ;

-dans la Théologie rationnelle, on regarde l’ensemble de l’expérience possible comme si elle formait une unité absolue.

Cette considération du < comme si > empêche de confondre ce que l’on sait et ce que l’on pense.

8. Aussi ne saurait-il exister de philosophie fantastique.

Il y a cependant une critique possible du fantastique entendu comme oeuvre de l’imagination, catégorie esthétique, embrayeur d’oeuvres littéraires et de formes artistiques.

(Cf Louis Vax,  La séduction de l’étrange )

9. Maupassant, Lettre d’un fou ou la chose en soi comme manifestation de l’inquiétante étrangeté du réel et support de l’horreur ( matérialisme fantastique ) 

< Après m’être convaincu que tout ce que me révèlent mes sens n’existe que pour moi tel que je le perçois et serait totalement différent pour un autre être autrement organisé, j’ai fait un effort de pensée surhumain pour soupçonner l’impénétrable qui m’entoure. Suis-je devenu fou?…Et cette terreur confuse du surnaturel qui hante l’homme depuis la naissance du monde est légitime puisque le surnaturel n’est pas autre chose que ce qui nous demeure voilé

La chose en soi est ce par quoi et ce pour quoi on risque sa vie.

Et la vocation humaine est exploration et révélation.

Il y a un envers des phénomènes quels qu’ils soient : extérieurs ou au plus proche de nous-mêmes.

Ils sont au sens propre : hantés ; et l’imagination est la faculté la mieux adaptée à l’approche de cette manifestation.

Bien avant la < terreur sacrée > de Rudolf Otto et < le Grand dieu Pan > d’Arthur Machen, Maupassant a ainsi rencontré l’effroi.

C’est directement et non seulement par le truchement de la littérature qu’il s’est confronté à la chose en soi, à l’étrangeté d’un réel généralement banalisé et aseptisé par la perception utilitaire, l’investigation techno-scientifique ou encore la gestion économique et administrative.

Moins toutefois dans le contexte d’un merveilleux littéraire d’évasion que par le biais d’un fantastique vécu et représenté, intrusif et menaçant.

Disposé à voir les choses différemment, sensible au monstrueux, apte à restituer les expériences singulières, suggestible jusqu’à l’osmose avec l’objet de ses contemplations, il < aiguise ses organes pour leur faire percevoir par moments l’invisible >

Il cultive la peur afin de parvenir à l’insolite jusqu’ à la dépossession de soi.

A l’instar de Tourgueneff dont à l’occasion d’une nouvelle, La peur, il fait l’éloge :

Personne plus que le grand romancier russe ne sut faire passer dans l’âme ce frisson de l’inconnu voilé, et, dans la demi lumière d’un conte étrange, laisser entrevoir tout un monde de choses inquiétantes, incertaines, menaçantes >

 10. Pataphysique de Jorge Luis Borges 

< Hume nota pour toujours que les arguments de Berkeley n’admettaient pas la moindre réplique et n’entraînaient pas la moindre conviction.Cette opinion est tout à fait juste quand on l’applique à la terre ; tout à fait fausse dans Tlön >

Tlön Uqbar Orbis Tertius constitue l’un des récits fantastiques les plus attrayants et stimulants de l’auteur des Fictions.

Un paradoxe narratif enveloppe une série de paradoxes philosophiques :

Une société secrète invente un pays imaginaire appelé Uqbar puis une planète nommée Tlön.

Cette planète est imaginaire au second degré puisqu’elle est censée avoir été créée par les savants et les artistes d’Uqbar.

La société secrète élabore elle-même l’encyclopédie d’Uqbar sur Tlön.

Finalement l’ouvrage est mis discrètement en circulation dans notre monde.

Cependant que la fiction l’emporte réellement sur la réalité et la métamorphose progressivement…

Par un antiparadoxe saisissant l’allégorie nous suggère que les motifs et les thèmes de la philosophie « fantastique » qui y est exposée -très largement inspirés de Georges Berkeley- conviennent parfaitement à notre univers représenté.

Cette philosophie est un idéalisme total aux aspects mystiques, sceptiques, illusionnistes , impressionnistes.

Les thèmes :

1. Idéalisme « congénital » des peuples de Tlön.

2. Langage, religion, lettres, métaphysique présupposent l’idéalisme.

3. Le monde n’est pas une réunion d’objets dans l’espace ; c’est une série hétérogène d’actes indépendants.

4. Le monde est successif, temporel, non spatial.

5. La langue originaire de Tlön ne comprend aucun substantif.

6. Ainsi pour les langues de l’hémisphère boréal, le « substantif » est une coagulation d’adjectifs : < on ne dit pas la lune mais aérien-clair-sur-rond-obscur ou orangé-ténu-du-ciel >

L’ensemble des adjectifs correspondent à un objet réel ;

6. bis. Le fait est fortuit.

7. Les objets idéaux -à l’instar du monde de Meinong- abondent, convoqués et dissous dans l’instant selon les besoins poétiques.

C’est la simultanéité qui parfois les détermine. Ainsi y a-t-il des objets composés de deux termes, l’un de caractère visuel et l’autre auditif.

Exemple : la couleur de l’aurore et le cri d’un oiseau.

8. Il existe des objets au second degré ; ainsi le soleil et l’eau contre la poitrine du nageur… Ils peuvent se combiner à d’autres. Le processus est infini.

Certains poèmes ne comportent qu’un seul mot énorme.

9. La psychologie est l’unique discipline de la culture classique de Tlön.

L’univers est conçu comme une série de processus mentaux. Leur développement ne s’effectue pas dans l’espace mais dans la succession temporelle.

Les citoyens de Tlön ne conçoivent pas que le spatial dure dans le temps :

< la perception d’une fumée à l’horizon, puis du champ incendié, puis de la cigarette à moitié éteinte qui produisit le feu, est considérée comme un exemple d’associations d’idées >

10. Cet idéalisme annule la science.

10. Tout état mental est irréductible. Le fait de le nommer, de le classer, implique une adultération.

11. Contre le postulat qu’il n’y aurait ni sciences ni raisonnements, on constate qu’ils existent pourtant en nombre presqu’innombrable.

12. Toute philosophie – en tant que jeu dialectique- est une philosophie du Als Ob.

Les systèmes abondent.

Leur critère n’est pas la vérité mais l’effet de surprise, l’étonnement. Un système n’est que la subordination de tous les aspects de l’univers à l’un quelconque d’entre eux.

L’expression < tous les aspects > est d’ailleurs incorrecte supposant l’addition impossible de l’instant présent et des passés.

13. La métaphysique est une branche de la littérature fantastique.

14. Le temps est nié par l’une des écoles de Tlön. Sur ce thème les hypothèses sont par ailleurs multiples.

15. Le matérialisme suscite le scandale. Tout substantif n’a qu’une valeur métaphorique.

16. Les idées de < même> , d'< identité> , d'< être >, de < persistance > sont des notions irrecevables voire blasphématoires.

Aussi les verbes < trouver> et < perdre > comprennent une pétition de principe présupposant l’identité de ce qui est en question.

17. Position d’un panthéisme idéaliste : il n’y a qu’un seul sujet. Il est indivisible et s’exprime en chacun des êtres de l’univers.

18. Deux discplines distinctes, l’une, visuelle, l’autre, tactile composent la géométrie de Tlön.

La surface et non le point est la base de la géométrie visuelle. Elle ignore les parallèles et stipule que le déplacement humain modifie les formes qui l’entourent.

L’opération de compter modifie les quantités.

19. Dans Tlön le sujet de la connaissance est un et éternel.

20. Pour ce qui est des moeurs littéraires, la conception du plagiat n’existe pas.

Les livres sont rarement signés : toutes les oeuvres sont pensées comme l’oeuvre d’un seul auteur, intemporel et anonyme.

21. La critique invente des auteurs. Elle choisit par exemple deux oeuvres dissemblables, les attribue à un seul écrivain puis étudie la psychologie de cet « interessant homme de lettres ».

22. Les ouvrages de nature philosophique contiennent thèse et antithèse ; tout livre doit contenir son contrelivre.

23. Le passé est modifié par la recherche < pas moins malléable et docile que l’avenir >.

24. Les choses se dédoublent.

Elles tendent à s’effacer quand les gens les oublient…

< déjà dans les mémoires un passé fictif occupe la place d’un autre, dont nous ne savons rien avec certitude -pas même qu’il est faux >

L’imaginaire a contaminé le réel…

Tlön, < labyrinthe ourdi par les hommes et destiné à être déchiffré par les hommes >, cet < effet de rigueur de joueur d’échecs >, a pénétré l’enseignement des écoles…

Rappelons que la proposition selon laquelle l’imaginaire constitue l’étoffe du < réel > est la thèse fondamentale de la ‘pataphysique.

< Délire laborieux et appauvrissant que de composer de vastes livres, de développer en cinq cents pages une idée que l’on peut très bien exposer oralement en quelques minutes. Mieux vaut feindre que ces livres existent déjà, et en offrir un résumé, commentaire > Le jardin aux sentiers qui bifurquent    

11. Georges Berkeley, la chose en nous et la malédiction des idées générales 

 -< Idéalisme délirant qui transforme en simples représentations les choses réelles > 

< idéalisme mystique et extravagant où les choses deviennent des fictions >,

deux jugements parmi d’autres portés sur Berkeley par ses contemporains philosophes et la postérité.

1. L’auteur des Principes était prêtre. Son dessein était de combattre l’athéisme et le scepticisme.

Il lui fallait donc en révéler les causes.

Ces causes il les discerna dans les doctrines de la représentation et de l’abstraction qui prévalaient chez les penseurs de son temps.

Notamment chez Descartes, Malebranche et Locke.

-Pour cet empiriste idéaliste, l’idée générale abstraite ( extraite de la matière ) est une illusion des philosophes.

Il m’est impossible, en fait, de me représenter un homme sans couleur ni taille particulière, un triangle qui ne serait ni isocèle, ni scalène, ni équilatéral, etc.

l’idée abstraite est irréconciliable avec les entendements humains : < mon pouvoir de représentation et d’imagination ne s’étend pas au-delà des possibilités de l’existence réelle et de la perception > ( Principes § 5 )

-La matière n’est rien hors des sensations ; d’ailleurs rien n’existe hors des sensations ; en conséquence, on ne peut extraire de la sensation quoi que ce soit d’autre qu’elle-même.

On ne peut extraire de la sensation visuelle rien de commun avec la sensation tactile ; et d’aucune sensation, rien qui soit commun à toutes les autres.

Ainsi l’étendue cartésienne n’est qu’un mythe.

D’où le nominalisme.

Niant l’abstrait, Berkeley accorde le général qui consiste dans la signification, la capacité d’un particulier à renvoyer, à titre de signe, à plusieurs autres particuliers.

La critique du langage substitue une théorie de la désignation, une conception référentielle des signes seule apte à rendre compte de notre capacité à saisir les idées-choses, les particuliers, seuls existants.

2. A ce nominalisme critique s’adjoint un postulat, l’idéalismeesse est percipi :< les choses qu’on perçoit immédiatement sont les choses réelles >,< les choses immédiatement perçues sont des idées qui existent seulement dans l’intelligence >,< ces deux opinions, si on les unit l’une à l’autre, forment la substance de ce que je soutiens > Trois dialogues entre Hylas et Philonous

3. Apparaissent alors les deux problèmes auxquels il faut faire face et auxquels la réflexion s’efforce d’apporter une réponse satisfaisante :

1. réduire les choses aux idées 2. démontrer que les idées sont les choses.

4. A l’idéalisme immatérialiste ( la matière n’est qu’un ensemble d’idées ) et au nominalisme, se rattache le théisme :

En effet : les corps ne sont que des idées inertes ; ils ne peuvent agir sur d’autres corps.

Or l’ordre de l’univers perçu témoigne de leurs mouvements. D’où la nécessité de postuler un Dieu actif et intelligible pour fonder le mouvement des corps.

L’existence de Dieu étant fondée sur la considération de la matière-idée, Dieu meut les idées-corps selon ses règles et ses intentions.

Ce sont des idées intelligibles réelles différentes des idées générales que nous croyons posséder.

Elles nous servent à relier les idées-corps les unes aux autres.

5. Dieu imprime en nous des perceptions. Notre esprit les accueille.

Il est pure activité. Au percipi répond le percipere.

Notre esprit est une volonté limitée par la volonté de Dieu. La matière, le percipi est le point de rencontre de ces deux volontés.

Tel est le spiritualisme volontariste qui complète la doctrine.

La séquence : esprit humain, matière, esprit divin est donc indissociable.

 Idéalisme, nominalisme, volontarisme spiritualiste, théisme constituent ainsi les quatre moments de la pensée de l’évêque de Cloyne.

6. Pourtant les métaphysiques nous détournent de la parole divine.

Elles l’opacifient par l’écran de leurs concepts : force, étendue abstraite, substance…

La transparence originelle est alors irrémédiablement perdue…

Cette thématique sera reprise ultérieurement par Bergson et les bergsoniens.

12. L’âme est-elle verte ?( un divertissement du cardinal de Retz )

Telle était la question en débat à Commercy, en cette année 1677, où le prieur de Breuil, dom Robert Desgabets ouvrit un cycle de discussion sur Descartes.

Prohibé en Sorbonne en 1675, les Jésuites attisant la polémique les opposant aux sectateurs de l’auteur des Méditations, le cartésianisme, adopté par quelques religieux bénédictins et oratoriens, répandait alors une odeur de soufre.

Ainsi le Père Lamy avait-il affirmé en chaire < l’égalité des hommes dans l’état d’innocence précédant la chute >

De son côté, le père Pelaud tenait que < les souverains tenaient de la « république », de l’ensemble du corps social, leur pouvoir temporel >

Pourquoi ce cycle de discussion ?

Pour fournir à Paul de Gondi, le cardinal de Retz, le frondeur disgracié, éloigné de la Ville et de la Cour, un divertissement, une activité de substitution.

Bref il fallait qu’on occupât ses loisirs.

Une petite académie se constitua ou Retz remplit son rôle de président de séance et d’arbitre.

Il y fut notamment question du statut ontologique des couleurs, les qualités secondes de Locke.

Descartes niait qu’elles fussent une propriété de la matière. Il les constituait en perceptions de l’âme.

Certains disciples en tirèrent la conclusion que celle-ci était imprégnée de la couleur qu’elle perçoit !

< C ‘est l’âme même qui est blanche ou noire >, affirmait Desgabets, ajoutant qu’elle était aussi < chaude ou froide, d’un son grave ou aigu >

Les salons daubèrent bientôt sur les âmes vertes…

La discussion nourrit également la correspondance de la marquise de Sévigné à sa fille, Madame de Grignan qui se piquait de cartésianisme et à qui Corbinelli, un parent éloigné du cardinal, écrivait sur le ton du badinage :< Si notre père Descartes le savait, il empêcherait votre âme d’être verte, et vous seriez bien honteuse qu’elle fût noire ou de quelque autre couleur >

Quant à Retz, amusé, sceptique et souriant, il se contentait d’une fine réserve :< Au moins n’accorderai-je que l’âme soit l’objet des sens que quand j’aurai vu des âmes vertes >

En ces spéculatives matières, le bon sens commandait au Coadjuteur l’altitudo, la « profondeur » de la sagesse et de la science de Dieu jadis revendiquée selon les théologiens par saint Paul ( Romains, 11, 33 )…

C’est qu’il fallait respecter les mystères de la foi et … de la chose en soi.

13. Du < ce que > au < qui >( ou le déplacement nietzschéen de la question )

A la question platonicienne : < qu’est-ce que… > , à la formule socratique en quête de l’essence, Nietzsche substitue le questionnement généalogique, pluraliste, typologique.

A l’apriorisme dialectique, il oppose l’empirisme tragique.

Ne plus rechercher ce que sont le beau, le bien, le juste… mais dévoiler qui est beau, bon, juste…

L’essence d’une chose se réduit au sens et à la valeur de cette chose. La sémiologie et l’axiologie oblitèrent l’ontologie.

C’est donc une réalité perspective qui constitue l’être de toute chose…

< Qu’est-ce que c’est ?> doit s’adjoindre un complément d’attribution : pour moi, pour nous, pour une culture, pour tel ou tel vivant…

Plus profondément, l’essence d’une chose repose dans la force qui la possède, qui l’interprète, qui lui confère sens et valeur.

L’ontologie se mue en symptomatologie, la philosophie devient virtuosité pluraliste :

Les phénomènes sont des symptômes. En rendre compte c’est en chercher le sens dans les forces qui les produisent.

Et selon le pathos nietzschéen d’après la qualité < active > ou < réactive >, < noble > ou < basse > de la < volonté de puissance > qui les < affirme >.

-Comme médecin le philosophe interprète les symptômes ( ainsi la compulsion utilitariste contemporaine ).

-Comme artiste, le philosophe modèle les types.

-Comme législateur, le philosophe détermine le rang, la généalogie. 

Note 1.

Bien que certains s’y soient laissé prendre -notamment ceux qui ont cru pouvoir rapprocher la ‘pataphysique et l’empirisme métaphysique de Gille Deleuze-, le principe ‘pataphysique d’ < équivalence >( dont Emmanuel Peillet souligna après Jarry l’importance dans sa Chrestomathie ) est à des années lumières d’une telle approche des choses, des phénomènes comme des interprétations multiples et différentielles dont ils ne cessent d’être le support.

On concédera toutefois que le perspectivisme méthodologique autorise un certain rapprochement problématique avec l’entreprise nietzschéenne.

Note 2. Sur le critère de l’équivalence au sens ‘pataphysique

Références :

1. César Ogliastro, 29 sable 93, Subsidia pataphysica 1 ( Cahiers du collège de pataphysique, troisième série )

2. Spinoza, Ethique, Appendice au Livre 1

… Cette équivalence pataphysique, selon laquelle tout est également important ( aussi bien que rien n’a d’importance ), a été après Jarry, drastiquement illustrée par un autre pataphysicien de grande classe, Julien Torma ( 1902-1933), notamment dans ses < Euphorismes >. En une page exemplaire et preste, il a remis Jarry et son oeuvre à leur place, infiniment plus loin que ne le pensaient ses enragés supporters. La méprise n’est plus possible ( et en même temps, elle est parfaitement justifiée ). Seul le profane peut croire que Jarry attaque Ubu, alors qu’il l’aime, l’admire et l’assied au plus haut échelon de l’échelle des valeurs : son essence est d’être la Valeur suprême et l’Avaleur aussi ; c’est le modèle des bons Chefs… >Jean-Hughes Sainmont, ( Cahier 26-27 )

Le critère ‘pataphysique d’équivalence a de quoi déconcerter…

Et plusieurs, perplexes, de s’interroger sur sa signification, sa valeur et sa portée…

Tentons un éclaircissement…

1. IL n’y a pas d’intelligibilité du monde en général, ni de quoi que ce soit en particulier.

2. Quel que soit le domaine d’investigation considéré, nos descriptions, nos explications, ces transcriptions symboliques, sont toujours partielles et partiales.

De surcroît, tout effort de connaissance n’est qu’interprétation, à une échelle d’observation donnée, à un instant donné de l’expérience humaine, trop humaine….

3. La logique n’est pas de ce monde.

Le ‘pataphysicien la considère comme un jeu de symboles qui peut en tant que tel susciter son intérêt.

Alors qu’elle se donne assez souvent comme une construction majestueuse, parfois subtile, souvent prétentieuse voire franchement paranoïaque, satisfaisant le désir de certitude, le fantasme du point fixe, le souci maniaque de rigueur et le goût du système assez souvent poussé à l’absurde.

4. Les outils de l’ontologie notamment les idées de substance, de causalité, de finalité ne sont que des catégories, i.e. les chefs d’accusation d’un procès pérenne instruit à l’objet quelconque ( aux choses ) ainsi qu’ à l’Objet des objets : l’Englobant ( Dieu, la Nature, l’Univers, l’Être ).

4. Le monde des valeurs est celui des fictions… utiles ou inutiles :

le vrai, le bien, le juste, le beau, les figures du saint Graal, n’expriment que les illusions transcendantales de ceux – prêtres, philosophes, pédagogues et scientifiques- qui se divertissent ou s’inquiètent à les polir ou à les cerner.

5. Là est l’équivalence …

Les religions et les théologies, les morales, les options juridiques, les esthétiques et les poétiques, les chimères constitutionnelles s’équivalent parce qu’elles s’originent dans une même source, -fonction fabulatrice jadis relevée par Henri Bergson ( Les deux sources de la morale et de la religion ) ou fonction symbolique analysée par Ernst Cassirer ( Philosophie des formes symboliques ) et plus récemment par Emile Benveniste ( Problèmes de linguistique générale ).

Nourritures psychiques d’une humanité insatiable, elles sont comparables en ce qu’elles nourrissent des intérêts psychologiques semblables, en ce qu’elles incarnent une fonction idéologique identique.

Elles constituent l’authentique et candide « collège de pataphysique »… inconscient de soi, bien entendu.

Mais objet de toutes les attentions de la conscience réflexive et critique du ‘pataphysicien…

-Quant aux hiérarchies axiologiques, aux discriminations, aux jugements de valeur, aux choix proposés par les uns et les autres, ils ne sauraient satisfaire effectivement leur imprudente vocation à l’universalité.

( De ce point de vue, rien n’interdit de mettre en balance un simple graphito et le plafond de la Chapelle Sixtine, une romance populaire et les Métamorphoses symphoniques de Richard Strauss )

On se reportera au texte attribué à Lothaire Liogieri ( Le chevalier, le diable, la mort, 1999 )

Le critère de l’ équivalence y est abordé comme un paradoxe logique :

Aux amis pataphysiciens

E.P. Le principe d’équivalence généralisée peut-il être consacré comme le «  postulat fondamental » de la pataphysique consciente ?

Notons tout d’abord que, sur le plan logique, toute formulation de principe est une pétition de principe obligeant le consentement purement et simplement et sans démonstration…

De plus, ce postulat, en tant que tel, introduit un partage, donc une inéquivalence de fait, entre ce qu’il autorise et ce qu’il exclut.

Enfin, sauf à violer la théorie des types ( Russell ), il ne peut s’appliquer à lui même… Stipuler que  » tout est équivalent « , c’est donc énoncer implicitement une réfutation du principe contraire de discrimination.

C’est ainsi introduire une exception à l’extension du-dit principe, c’est donc se contredire, ce qui est bien ennuyeux, sauf à faire de la ‘Pataphysique un discours vide de sens …

J.T. ou une pataphysique  » amusante « 

E.P. C’est cela. Mais quittons le terrain de la logique et revenons à l’expérience.

Peut-on par exemple mettre sur le même plan le discours de métaphysique comme genre littéraire et la phénoménotechnique scientifique ( Bachelard ) au motif qu’ils procèdent tous deux d’une approche symbolique du « réel. » ?

C’est confondre valeur représentative et valeur spéculative.

Or la distinction s’impose d’elle-même :

Si tout est fait de langage, tout langage n’est pas nécessairement fiction. Le monde d’Uqbar et d’Orbis tertius n’est pas celui de la phénoménologie positiviste.

La valeur représentative d’une image du réel n’est nullement équivalente à l’irréalité d’une représentation fictionnelle ( Borgès) propre à un univers imaginaire -fût-elle à vocation allégorique.

J.T. L’Auteur de l’Aleph ne retient d’ailleurs de Schopenhauer que la thèse, certes cardinale, du Livre premier du Monde (  » Le monde est ma représentation  » ).

Or Schopenhauer moins les Livres 2/3/4/ donne…Calderon…

E.P. Attention donc à l‘ idéalisme nominaliste intempérant et réducteur qui, faute de discrimination fine, nous mènera insensiblement sur le terrain du Palotin.*

Complément : Charles Bonenfant, Sur l’activité du ‘pataphysicien et le critère qui la fonde L’hagiographie pataphysique : Enjeux de l’ethos dans les Vies de Saints du Calendrier

<… Cette disposition dégage d’un engluement dans la boucle autojustificatrice d’un discours, en première instance inconsciemment pataphysique,

tout en se dé-gageant scientifiquement – dans l’activité pataphysique, selon le principe d’équivalence des valeurs –, en considérant toutes doctrines, idéologies et mythologies enrobées dans des préceptes moraux et des prescriptions esthétiques. Ces dernières sont par là même plongées dans le piège du paradigme qui produit forcément le sens, sens dont cherche précisément à se déprendre le pataphysicien par dégagement, en désignant comme sujets mêmes de ses recherches non utilitaires des objets au caractère opinable, ce qui relève de l’ordre de la solution imaginaire… > 

 14. Phénoménologie de la chose ( Husserl / Merleau-Ponty )

1. < Revenir aux choses elles-mêmes >, tel fut le programme de la phénoménologie en son aurore.

Restituer la réalité dégagée des présuppositions, des a priori, des interprétations, des théories qui en masquent l’originalité, apparut comme une exigence méthodologique incontournable.

La chose transcende l’expérience, notamment la perception :

< l’être comme chose > doit être distingué de < l’être vécu >, affirment les Idées directrices pour une Phénoménologie.

Contingentes, centres, points de jonction et supports de prédicats, les choses sont directement appréhendées par le sujet, sans le détour ou le filtre du concept.

L’idée de la chose est idée d’un ensemble de noèmes possibles.

Nous avons originairement le sentiment de l’identité des choses qui cependant se découvrent à nous selon leurs multiples aspects.

Chose étendue, chose matérielle, noeud de relations causales, chose temporelle, elle se donne dans l’expérience d’un « ainsi de suite » indéfini.

Car la chose ne peut être donnée qu’en perspective, en une série d’ < esquisses >.

Esquisses différentes du coeur des noèmes selon la série des vécus intentionnels.

La chose apparaît donc comme une réalité complexe et stratifiée.

La valeur enfin lui est consubstantielle.

Note.

Le phénomène, ce qui apparaît à la conscience, est objet d’intuition, connaissance immédiate originellement donatrice.

Chaque contenu visé par la conscience, chaque noème, correspond à un acte spécifique, la noèse ( perception, mémoire, imagination… ).

Le phénomène est ainsi la manifestation de l’ < essence >.

Se pose alors le problème de la déterminer…

Par la technique de la < variation imaginaire > il est possible au sujet de découvrir les possibilités concrètes de l’invariant dont la présence permanente définit l’essence de l’objet.

La vision des essences ( Wesenschau ) est donc un acte de connaissance qui livre son objet  » en puissance  » et directement ; elle est propre à la subjectivité transcendantale.

2. < Rendre à la chose sa physionomie concrète >… c’était prendre le contrepied du kantisme et de la tradition réflexive française ( Lagneau, Alain, Michel Alexandre )

Pour Merlau-Ponty, l’objet n’est ni synthèse des apparences ( thèse rationaliste ) ni possibilité permanente de sensations ( selon les empiristes ).

Percevoir c’est s’ouvrir à l’objet et non pas le constituer.

La perception est < être à la chose par l’intermédiaire du corps > ( Phénoménologie de la perception ).

Elle est cet acte qui d’emblée nous fait saisir l’objet où elle < s’engloutit >.

L’objet est donné pragmatiquement. Il est ce vers quoi nous nous projetons, instrument ou obstacle.

L’identité de l’objet est immédiatement intuitionnée dans la variété des aspects où il se donne et selon les différents points de vue où il apparaît.

C ‘est pourquoi, contre les deux réductionnismes du rationalisme critique et de l’empirisme, il faut rendre à l’objet sa facticité, sa « présence charnelle ».

Sans inférence mais au contraire « primitivement ».

Quant au sens d’une chose, il lui est inhérent : il < l’habite comme l’âme habite le corps >.

Totalité expressive, la chose est un ensemble de qualités indissociables. La forme, la couleur, les propriétés tactiles, l’odeur, les valeurs … tout est lié.

L’un se donne dans le mutiple :< la fragilité, la rigidité, la transparence et le son cristallin du verre traduisent une seule manière d’être > ( Sens et Non -sens )

Pour l’auteur de la Prose du monde, retrouvant certains thèmes de la pensée magique de la Renaissance, une manière de sympathie relie les parties de la chose les unes aux autres.

Ainsi qu’aux autres choses ( cf à ce propos les développements de Michel Foucault, Les mots et les choses ).

Comme à notre expérience, toujours synesthésique.

Néanmoins la chose déborde toujours l’expérience que nous en avons.

< Expressivité >, c’est-à-dire signification opaque, énigmatique, elle est tantôt pôle d’attraction, tantôt pôle de répulsion…

Ce qui valait comme expérience du sacré dans l’expérience magique et religieuse se prolonge ainsi dans notre banalité quotidienne où l’émergence d’un < prémonde > se dévoile parfois dans l’expérience de la stupeur.

Et jusqu’à la perte de familiarité qui nous en révèle la face inhumaine voire menaçante.

Telle est l’originalité de certains tableaux de Cézanne ; le peintre s’efforçant de restituer au monde un visage antérieur aux « préjugés » de l’intelligence humaine.

Ainsi se dévoile l’être des choses à l’oeil exercé : immanent et transcendant, polyédrique, opaque, finalement inaccessible. 

 15. La choséité de la chose ou l’imaginaire des philosophes ( esquisse ) 

< Il est vrai que rien ne coûte à Dieu, bien moins qu’à un philosophe qui fait des hypothèses pour la fabrique de son monde imaginaire, puisque Dieu n’a que des décrets à faire pour faire naître un monde réel >

G.W. Leibniz, Discours de métaphysique

< Ce sont engins que tous ces concepts, ingénieux et ingénus… >

Docteur Irénée Sandomir, ‘pataphysicien

Le discours de métaphysique relatif à cet objet fabuleux, à cette fiction idéelle qu’est la < chose > fut, à l’évidence, des plus féconds.

Si le positivisme scientifique lui substitua dès le 19° siècle son vocabulaire et sa grammaire propres, instaurant le règne de la < mesure >, éliminant progressivement l’idée de chose, en affirmant l’idée de corps puis de matière en mouvement, la philosophie en son histoire témoigne de l’inépuisable ingéniosité conceptualisante de ses artisans.

Quelques étapes du roman de la chose …

Repères étymologiques.

< Causa >, < res > et < pragma > constituent le réseau sémantique de l’idée de < chose > en sa genèse conceptuelle.

1.1. Chose, latin juridique causa, désigne tout ce qui a une existence individuelle et concrète, constituant un système fixe de qualités et de propriétés.

Chose est synonyme d’objet, d’où l’idée de < réalité objective indépendante de la représentation >

Ainsi Durkheim, Les règles de la méthode sociologique :

La chose s’oppose à l’idée comme ce que l’on connaît du dehors à ce que l’on connaît du dedans. Est chose tout objet de connaissance qui n’est pas compénétrable à l’intelligence (…), tout ce que l’esprit ne peut arriver à comprendre qu’à condition de sortir de lui-même, par voie d’observation et d’expérimentation >

1.2. La chose, entendue comme res, enveloppe l’idée de magie. Les choses sont à distinguer des êtres inertes signifiés par le droit romain.

Ce que soulignait Marcel Mauss :

la familia romaine comprend les res et non pas seulement les personnes… La res n’a pas dû être à l’origine seulement la chose brute et seulement tangible, l’objet simple et passif des transactions qu’elle est devenue >

La chose est aussi don, cadeau.

Esquisse historique :

1.3. Certains philosophes grecs ont toutefois privilégié le terme de pragma désignant la chose fabriquée par l’homme.

Ainsi Platon affirme-il sa théorie des Idées en opposition aux choses qui n’en sont que le simulacre.

Le lit, la table sont les doubles des < Formes> qui reçoivent seules l’être et la valeur.

Les choses, pseudo-réalités au sein du monde sensible, ne sont que des ombres phénoménales.

De son côté Aristote reprend ce thème ontologique tout en sauvant les phénomènes : constituées de forme et de matière les choses singulières, les particuliers empiriques sont des réalités dont la stabilité est assurée par la permanence de la forme.

2. Soucieuse de maintenir la réalité des choses créées tout en affirmant leur dépendance au Créateur, la Scolastique multiplia les controverses.

Comment l’essence et l’existence -distinctes mais néanmoins reliées- subsistaient-elles dans les phénomènes ? telle était notamment la question…

3. Reprenant l’inspiration augustinienne, Descartes dissout les choses -réduites à de simples apparences- dans l’étendue.

La Deuxième Méditation développe dans toute sa vigueur en une page célèbre le motif thématique idéaliste d’après lequel si toutes ses qualités peuvent disparaître, un morceau de cire portée au feu ne s’évanouit pas; il subsiste.

La cire, c’est-à-dire une « inspection de l’esprit », un acte mental par lequel sont éliminées les propriétés sensibles.

Ainsi les choses sensibles ne sont-elles pas < réelles > ; seule peut être dite < réelle > leur substance, l‘Etendue.

Ou, dans le langage de Spinoza : la cire exposée à la flamme a pour ainsi dire fondu dans l’Etendue universelle, l’attribut de la seule et unique Substance, Dieu.

4. Si Leibniz reprend certains aspects de l’aristotélisme métaphysique et pose la < force > comme l’essence intime des choses, le mouvement naturel de la philosophie moderne issue de Descartes conduisit Kant à l’idéalisme critique.

La chose est le résultat d’un acte de l’esprit, le fruit d’une harmonie des facultés, la synthèse de diverses fonctions mentales propre à l’esprit humain constitutif et législateur de la nature : intuition, spatialisation et temporalisation, imagination, entendement.

Toutefois, en regard des synthèses objectives du sujet, < quelque chose > répond : l’objet transcendantal, cet X ineffable, innommable, inqualifiable, manifesté dans le monde des noumènes.

Le Je transcendantal fait face au monde nouménal inexprimable par delà le monde de l’expérience, l’univers du savoir, de la science et des sciences empiriques…

5. La Phénoménologie de l’esprit constitua une manière de somme ou de résumé des tentatives d’élaboration de l’idée de chose où se succèdent réalisme substantialiste, sens commun, empirisme, intellectualisme et entendement scientifique.

Hegel montre que le concept s’enrichit par approfondissements successifs, ce mouvement < dialectique >, cette série de moments analytiques qui constitue l’histoire de la philosophie en ses différents systèmes.

Complexe de qualités diverses, selon la logique de l’ < aussi > et de l’ < ainsi de suite >, avant d’apparaître dans son unité, la chose est ensuite rapportée par la réflexion au sujet, sujet sentant puis conscience pensante, inspection de l’esprit.

Elle se dissout finalement dans l’idée de force.

L’idée de chose n’est -comme toute autre idée- qu’un moment dans le développement de l’Esprit.

6. La philosophie du 20° siècle enfin, dans le sillage de bouleversements scientifiques majeurs, conçut la chose comme la série de ses apparences ou comme < ligne d’univers >.

Ainsi les métaphysiques de Bertrand Russell, d’Alexander ou de Raymond Ruyer, -pour s’en tenir à ces trois auteurs.

Ce qui n’était pas sans susciter un certain nombre d’antinomies…

On mesure cependant le chemin parcouru depuis le concept de ce qui a une existence individuelle et concrète, de ce qui constitue un système fixe de qualités et de propriétés.16. le boson de Higgs ou l’imaginaire des physiciensEpiphanie

Le dogmatisme des scienticoles contemporains ne le cède en rien, on le sait, à la suffisance des théologiens.

Assez rares sont les esprits libres capables de se libérer des ” théories », modèles explicatifs et autres schémas aussi convenus qu’imposés à la “communauté des chercheurs »…

Quant à ceux, susceptibles de braver publiquement le catéchisme positiviste  en usage, ils sont plus rares encore…

C ‘est qu’il en va non seulement du courage intellectuel, mais encore de la notoriété voire de la carrière…

Amateur et collectionneur, le ‘pataphysicien relève ces doctes fictions -parmi bien d’autres… Et s’en divertit…

Tout autant qu’elles participent de l’inévitable dialectique transcendantale où se meut la raison humaine, elles nourrissent son répertoire de solutions imaginaires.

Car c’est la destinée de l’ humanité, remarquait Kant, de se poser des problèmes auxquels elle ne peut répondre puisqu’ils dépassent le champ de son expérience empirique.

Un roi sans divertissement est un homme plein de misère, écrivait Pascal…  

17. Jean Baudrillard et l’assignation de la chose

< Nous en sommes à la psychologie naïve et à la Clef des Songes. Nous croyons en la « consommation » : nous croyons en un Sujet réel, mu par des besoins et confronté à des objet réels, sources de satisfaction. Métaphysique vulgaire dont la psychologie, la sociologie et l’économie politique sont complices >

La genèse idéologique des besoins, Cahiers internationaux de sociologie, 1969

1. Tout au long de son parcours intellectuel -où il lui arriva de croiser la ‘pataphysique-, Jean Baudrillard substitua au positivisme méthodologique la sémiologie généalogique et critique.

Ce que Jean Louis Curtis avait dévoilé par le truchement du roman ( Un jeune couple ), soit la logique du conformisme, Jean Baudrillard l’étudia d’une manière spécifique et passablement éclectique dans les sources de son renversement méthodologique ( Marx, Veblen, Lévi-Strauss, Lacan, Marcuse, Deleuze, Joseph de Maistre… )

2. Il n’y a ni choses, ni faits à étudier ; il n’y a que des signes à interpréter. Car tout est signe, effet de code, renvoi ; tout fait système.

Et notamment les objets privilégiés de l’économie politique et de la sociologie qui l’accompagne : besoins, désirs, valeurs d’usage et valeurs d’échange, attitudes consuméristes, stratégies existentielles de distinction, de contrôle et de pouvoir…

Au mythe anthropologique de la naturalité du besoin il opposait l’idée d’institution sociale contraignante déterminant les comportements à l’insu du sujet.

Sujet dupé, puisque soumis au verdict public jusqu’au sein de l’ordre domestique et dans la sphère de ses choix comme de ses goûts prétendument personnels.

La critique de l’idéalisme subjectiviste ( dans sa variante empiriste ) se redoublait d’une remise en question des idéaux éthiques voire esthétique de liberté, d’authenticité et d’originalité.

Le roi n’est jamais nu pas plus que la chose ne s’offre vierge aux regards indiscrets. La sphère publique imprègne toujours le monde privé.

Et l’existence se ramène à la circulation des simulacres… l’ordre des signes inscrivant l’individu dans l’ordre social.

Ainsi :

Le sens ne prend jamais son origine dans le rapport, qui est proprement le rapport économique, c’est-à-dire rationalisé en termes de choix et de calcul entre un sujet donné a priori comme autonome, conscient, et un objet produit à des fins rationnelles, mais dans une différence, systématisable en termes de code, et non plus en termes de calcul, une structure différentielle où se fonde la relation sociale et non le sujet en tant que tel >

3. La critique des postulats de l’économie politique se fonde sur l’analyse du concept de valeur.

Baudrillard suivait donc Marx ( Capital, 1,1 )

Mais son originalité réside en ce qu’il a renouvelé l’approche du « fétichisme de la marchandise » en affirmant la confusion du signe et de la chose ou plus exactement, du < référent > :< La critique de l’économie politique du signe se propose de faire l’analyse de la forme/signe comme la critique de l’économie politique s’est proposé de de faire celle de la forme/marchandise >Pour une critique de l’économie politique du signe , 1972

Son analyse réflexive s’y articule en cinq moments :

– l’étude de l’idéologie et par extension de l’idéologie de l’économie politique vulgaire/ classique comme pensée magique ;

– la critique de la métaphysique du signe ;

– le dévoilement du référent /de la chose comme mirage ;

– la distinction de la dénotation et de la connotation ;

– des aperçus sur un au-delà du signe, le symbolique.

4. On ne retiendra ici -relativement à la problématique du statut ontologique de la chose– que le troisième moment de l’argumentation.

Thèse : la séparation du signe et du monde n’est qu’une fiction.

Le < monde > évoqué par le signe n’est qu’un effet du signe.

Et c’est < la loi du code > et du signifiant qui informe et détermine jusqu’à la réalité.

Corrigeant Saussure et Benvéniste quant à leur conception de < l’arbitraire du signe > séparé de la chose dénotée, Baudrillard affirme que le référent n’est pas plus hors signe que le signifié.

La distinction entre le signe et le référent phénoménal n’est donc qu’une abstraction : De la même façon dont les besoins ne sont pas l’expression mouvante et originale d’un sujet, mais toujours déjà sa réduction fonctionnelle par le système de la valeur d’usage, solidaire de celui de la valeur d’échange, ainsi le référent ne constitue pas du tout une réalité concrète autonome. Il n’est que l’extrapolation au monde des choses ( à l’univers phénoménologique de la perception ) du découpage instauré par la logique du signe >

Sujet, besoin, motivation… ne sauraient échapper à la loi du code et du signifiant.

Le code est promu au rang de véritable principe de réalité.

Certes dissimulé mais à la manière de la lettre volée d’Edgar Poe… C’est-à-dire évident pour l’oeil exercé…

Ainsi la < chose >, identifiée et réduite au référent, cette « substance de réalité » est-elle- toute entière enveloppée dans la < logique du signe >.

Et la < fonction référentielle > constitue -au sens le plus fort du terme – le monde représentatif, perceptif, affectif ainsi qu’elle suscite l’univers imaginaire des formes culturelles comme les conduites sociales et individuelles, leurs ombres portées.

Par là, Jean Baudrillard avait mis à jour une fonction transcendantale inédite, la < logique du signe > qu’il substituait à la < logique transcendantale > étudiée par Kant dans sa Critique de la raison pure.

La généalogie sémiologique et critique devint ainsi l’un des derniers visages de l’idéalisme philosophique occidental en son histoire…   

18. Choses, apparences et secret ( Le chiendent, Raymond Queneau ) 

< Il jubile. Il sait un secret… >

Le chiendent, chap. 1 

<-Pour revenir à notre conversation de l’autre jour, dit Pierre, il me semble que vous préférez le singulier au général, le particulier à l’universel. Préférence affective et non affirmation raisonnée, je crois.

-Oui, c’est cela, je préfère ce qui existe à ce qui n’existe pas >

Le chiendent, chap.2

1. Le roman habituellement donné pour le plus complexe de Raymond Queneau est peuplé de philosophes de banlieue.

On y bavarde beaucoup. Le discours de métaphysique abonde ainsi que les échappées relatives à la psychologie de la connaissance.

Les vaticinations se succèdent dans un chassé croisé de monologues et de dialogues qui ne mènent par ailleurs… à rien.

Si ce n’est au vertige quasi pyrrhonien de l’ < effacement > souligné par l’auteur et par des personnages se substituant au narrateur, conscients de leur être fictif comme des impasses où les conduisent la mince intrigue qui les réunit, ses péripéties et les thèmes abordés.

2. A première lecture toutes ces considérations paraissent surprenantes, hasardeuses voire incongrues.

C’est qu’ émanant de figures plus ou moins angoissées, elles tranchent par l’austérité de leur contenu avec le ton souvent burlesque et parodique de l’ensemble romanesque où elles sont enchâssées.

Si, sur le plan formel, l’intérêt littéraire de l’ouvrage -une farce de facture joycienne- a été souvent relevé, peut-être n’a -t-on pas suffisamment porté l’attention sur les motifs philosophiques qui y sont développés.

La répétition qui suscite l’ennui et mène aux conclusions nihilistesle fantasme d’ échapper à la vacuité existentielle constituent l’axe thématique principal autant que le ressort dramatique de l’ouvrage.

Excepté le Père Taupe, cocasse vieillard professsant « un idéal de foetus », personnages masculins et féminins (Sidonie Cloche, Ernestine, Catherine) ne cessent de déplorer leur existence médiocre, chétive, la grisaille de l’univers qu’ils fréquentent, le périmètre étroit de leurs préoccupations routinières.

Avatars du gidien Paludes, leur vie n’est qu’une longue plainte noyée dans un abrutissement quotidien morne et désespéré.

En quête d’un bovarysme à leur mesure, < guetteurs d’accidents >, ils sont avides de l’événement insolite ou de quelque bonne fortune susceptible de bouleverser un ordre des choses jugé calamiteux.

3. Certains (Narcense, Etienne Marcel, Saturnin Belhôtel) -ceux qui donnent véritablement sa vigueur idéelle au roman -, s’engagent cependant sur la voie du questionnement réflexif.

Ils empruntent sans le savoir quelques lieux communs à la réflexion philosophique la plus traditionnelle ( y compris selon l’acception guénonienne ) jusqu’à la reprise parodique du Parménide de Platon :

-ainsi < l’identité personnelle > , < l’apparence >, < l’être et le non-être >, < le vide et le plein >, < la nature des choses >, leur < voilement >, le < secret > masqué qu’elles dissimuleraient.

Sous le regard énigmatique, curieux et dégagé d’un « amateur d’âme », voyeur oisif, Pierre le Grand.

Le questionnement de la chose en soi, récurrente et comique contrefaçon, ordonne la trame de leurs soliloques et de leurs entretiens.

Il confère son unité problématique à une oeuvre de fiction ‘pataphilosophique passablement déconcertante et qui suggère « qu’on s’y arrête ».   

19. ‘pataphilosophie, apparence, vérité et < quelque chose > en soi

( attribué à Lothaire Liogieri, Mouchons la chandelle )

La vérité est un terme de logique.

L’apparence est un terme qui ressortit à la métaphysique et à la psychologie, la vie mentale.

L’apparence est ce qui est donné des choses au sujet dans sa représentation.

Il n’y a de vérité ou de fausseté qu’ à propos de la… manifestation.

Un « quelque chose  » est : éphémère et précaire. Indépendamment du sujet susceptible d’en prendre ou non connaissance.

Quand celui-ci s’en donne une représentation, il la métamorphose en phénomène représenté : image perceptive, poétique ou scientifique ; ou encore hallucinée.

Donnée de la représentation, l’apparence n’est donc ni vrai ni fausse. Elle est ce qu’elle est : une irréductible relation du « quelque chose » au sujet de la représentation.

En conséquence, elle ne peut être qualifiée de trompeuse.

C’est toujours le sujet qui en juge correctement ou non.

Faute de se décentrer de son expérience actuelle, il ne saurait s’en faire -à parler comme Spinoza-, une « idée adéquate ».

Les apparences ne nous trompant pas, il n’y a donc pas davantage de vérité des apparences.

Et encore moins des choses.

Mais éventuellement une « vérité » de nos propositions sur les apparences.

Tandis qu’il y a bien une « effectivité » des apparences.

Elles constituent d’ ailleurs la seule « réalité » tangible qui nous soit donnée.  

20. Au-delà de la science et de la philosophie :

L’être et la chose selon Martin Heidegger

 < Dans la pensée de l’être, on ne se contente jamais de re-présenter-une chose réelle et de donner cette chose représentée comme le vrai >

< Où Platon a-t-il appris à penser l’être comme idée, Kant à penser l’être comme le transcendantal de l’objectivité, comme position ? >

post-scriptum à La chose, Essais et conférences, Gallimard, 1958

< … Mais qu’est-ce qu’une chose ?

L’homme, jusqu’à présent, a considéré la chose comme chose aussi peu que la proximité.

La cruche est une chose. Qu’est-ce qu’une cruche ?

Nous disons un vase : ce qui contient en soi une autre chose. Le contenant, dans la cruche, est le fond et la paroi. Ce tenant peut lui-même être tenu par l’anse.

Comme vase, la cruche est quelque chose qui se tient en soi. Se tenir en soi caractérise la cruche comme quelque chose d’autonome.

En tant que la < position autonome > ( Selbstand ) de quelque chose d’autonome, la cruche se distingue d’un objet ( Gegenstand ).

Une chose autonome peut devenir un objet, si nous la plaçons devant nous, soit dans une perception immédiate, soit dans un souvenir qui la rend présente.

Ce qui fait de la chose une chose ( Das Dinghafte des Dinges ) ne réside cependant pas en ceci que la chose est un objet représenté; et cette < choséïté > ne saurait non plus être aucunement déterminée à partir de l’objectivité de l’objet… >

La chose, Conférence prononcée devant l’Académie bavaroise des Beaux-Arts, le 06 juin 1950.  

21. Pour… ne pas conclure…

1. Les mots et les choses selon le nominalisme pataphysique, Charles Bonenfant, L’hagiographie pataphysique, Université de Montréal 2010

Les mots et les choses : le nominalisme à la jointure du ludique et du sérieux

Le dilemme ludique/négateur pourrait bien se résoudre et s’étendre dans la conceptualité nominalistique. Dans l’histoire de la philosophie et de la théologie, le nominalisme acquiert ses titres de noblesse et sa cohérence théorique avec Guillaume d’Occam qu’il précède cependant. Cette « manière de saisir la réalité » se positionne dans un continuum philosophique qui, d’après Nelson Goodman, est « le refus d’admettre aucune autre entité qu’individuelle ». Les concepts sont des accidents psychologiquement privés. Nous baignons ici en pleine épistémologie pataphysique voulant que la généralité soit une construction : les particuliers, les singuliers ont absolue prévalence sur la généralité qui n’est qu’une somme d’exceptions. Par opposition au propositionnalisme, la supposition personnaliste se définit par rapport à l’atomisme sémantique et logique qui enserre la pensée dans la tautologie laquelle, comme nous le rappelle l’entrée éponyme du Calendrier, est la qualité intrinsèque du langage et de sa récursivité dans l’adhérence indissoluble des choses au discours. Ce qui était pour Occam un acte de foi devient principe opérant. La pensée, en un retour sur elle-même serait faite de l’intrication des signes dans une ontologie ouverte sur l’accident, la paronomase, nœud de rapports verbaux. La forme et la matière constituent des individualités accidentelles dérivant d’une structure mentale. L’écrit, l’oral et le mental communiquent. Le nom ne sera jamais que le nom, d’où équivocité, polysémantisme et infinies commutabilités.

On tient souvent pour acquis que le nominalisme aurait pour caractéristique de faire de la science et de la philosophie un terrain de jeu, étant donné l’arbitrarité de langage dans sa portée informationnelle. Bien qu’il s’agisse pour Jean Largeault d’une perspective réductrice, « confusionnante », cette « vulgate » nominaliste a néanmoins le mérite de s’accorder avec la pratique pataphysique. Si l’on peut affirmer, à la suite de Jean-François Jeandillou, qu’ « il n’y a de sérieux qu’à la lettre », on peut renverser la proposition dans la re-création qui est toujours une récréation, humour de l’humour, ou dans la performativité nominaliste (autrement dit, son acte poétique) par la fragmentation du mot-unité. En disséquant l’opacité du mot, l’on dégage les linéaments à partir desquels se reconfigure une structure objectale, répétable ad infinitum. Malgré la dé-motivation, et partant de celle-ci, Jeandillou confronte au passage la (re)lecture que Deleuze fait de la `Pataphysique, laquelle est considérée par ce dernier dans Critique et clinique comme précurseure de la phénoménologie en ce que l’une et l’autre tiennent la métaphysique pour close dans son dépassement par la technique. Cette « machination » deleuzienne de Jarry et de Heidegger mène à certaines assertions sur la prévalence d’un signe (déjà noté par Michel Arrivé dans Les langages de Jarry : essai de sémiotique littéraire) qui se montre comme« Vide ou non-étant» et qui, incidemment, privé de son rapport au référent, risque d’aboutir à une « désintrumentalisation » du langage alors que dans la pataphysique calendaire, où les « mots-mots », dans leurs chassés-croisés, leurs déplacements sémantiques coq-à-l’ânesques (par paronomase), émaillent l’« espace feuilleté ». Le référent n’est pas oblitéré par un vide, mais devient un objet fictif, d’où l’idée de signe de signe : «  La définition nominale est une désignation mais la désignation, bien loin d’être une adéquation du signe à la chose est […] une décision qui fait exister, d’un coup,ensemble, le signe et sa référence. »…

Note

Le mémoire de Charles Bonenfant, Sur l’hagiographie du Calendrier pataphysique perpétuel s’inscrit dans l’élaboration d’ une érudite fiction de fiction, la vita pataphysica.

On donne ici quelques aperçus choisis et autres fulgurations d’un imaginaire de troisième degré…

Allons à la pêche, allons, allons… > Chant du Départ des ‘pataphysiciens

-La ‘pataphysique, laquelle ramène toute instruction théorique en argumentaire spéculatif en son giron, englobant le faire informatif en un faire observateur pour le fondre dans la ( série ) des solutions imaginaires.

-Ce réservoir virtuel de pataphysique que constitue le langage.

-Expérience nécessairement hermétique qui s’adresse à ceux qui savent déjà.

-Vulgarisation déceptive.

-La ‘pataphysique, étrangère aux enjeux de société.

-La ‘pataphysique, privée d’opposants, est dégagée de l’éristique.

-Seul le Collège a le temps, a tous les temps comme il est tous les temps.

-La pensée asystémique est pensée de la déception.

–Dieu, fiction incapable de se reconnaître comme fiction.

-Pourquoi y a-t-il le rire plutôt que rien ?

-Ce n’est pas le monde qui fait tourner la tête mis la tête qui fait tourner le monde.

-Tout est tributaire de l’accident, de la déviation clinamique.

vita pataphysica / vita catholica :

clinamen / providence; Faustroll / Dieu; pataphysicien / saint; éthernité / paradis; science / sagesse; adelphisme / amour; cymbaliste/catéchumène; panthéon pata/ hiérarchie chrétienne.

-La célébration du haha qui représenterait le terminus ad quem de tout langage, le devenir tautologique de toute langue.

-La ‘pataphysique, qui peut être assimilée à une posture semblable à celle du détachement scientifique, accueille le hasard (logolalique) dans lequel se confond volontiers le ‘pataphysicien.

-La désertion intérieure. Pas par antimilitariste ; plutôt pro-civile.

-La sophistique, composante essentielle de la « logique » pataphysique.

La sophistique postule l’adéquation des choses au langage. Bien loin de se laisser guider par les choses, c’est donc le discours qui les ordonne.

On ne communique que la communication, la disparition du sujet pensant ne se confond pas avec la dictée surréaliste.

-Cynisme : palindrome: God. / Dog – Croire c’est toujours faire semblant de croire.

Chien, pataphysicien = heimatlos, érémétique fugueur, en dehors, dédouané de tout, protéiforme.

Latis : tout ce qui est humain nous sera étranger.

-L’homme étant la nourriture psychique de l’homme, le cannibalisme pataphysique est un encyclopédisme qui se reconnaît comme tel.

-Profession de foi nominaliste : bien faire et laisser dire. Céder l’ initiative aux mots.

Nomen est omen. Le nom a valeur de destin.

Surtout l’égalité ; il lui sera égal d’être égal. / la propension à la panéquité.

-La tautologie qui est le mode d’appréhension de la plénitude pataphysique.

-Noël Arnaud : le pataphysicien, loin de nier les mythes, puisqu’ils sont tout et partout, y croit ou feint d’y croire.

-Faire coïncider discours et feinte.

-Falsification, mystification, la contradiction volontaire avec soi.

-Porter un regard disloquant sur le discours historiciste ou sur la narration fictionnelle.

-le Collège, lieu paratopique, n’est pas situé, n’est pas un lieu public.

-L’hagiographie n’éduque pas.

-La logique coq-à-l’ânesque, procédé littéraire et psychique qui suit le flux même de la conscience comme le flux même de la pensée.

-La ‘pataphysique est sa propre apostasie.

-Antanaclase néotestamentaire : tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon église.

Le Calembour fonde la théologie, pataphysique naïve.

-Maurice Leblanc, Arsène Lupin, gentleman cambrioleur Fatalitas… j’ai pris la peau d’un honnête homme et c’était encore un assassin.

-Alfred Jarry, Minutes de sable mémorial : La simplicité n’a pas besoin d’être simple, mais du complexe resserré et synthétisé.

-La ‘Pataphysique n’est pas une parodie de la religion et de la société.

-Le Collège n’opère pas une rédemption par le rire : Salvat ridendo mundum (Il sauve le monde en riant).

Ce qui serait une façon de reconduire et d’éconduire une téléologie surannée, le risus sancti comme mode salvateur.

-Latis : Nous n’avons pas à souhaiter que ceux qui doivent voir, voient. Il vaut mieux qu’ils ne voient pas trop.

L’ethos pataphysique se pose ainsi en rupture avec la doxa des Lumières et l’isotopie du dévoilement, reléguées du côté des « visions » anthroponoïaques et de l’humanisterie ( raison, philosophie, progrès et ses avatars humanistiques )

Humour et Umour :

L’Humour (l’umour ?) se positionne à revers d’une parodie, d’essence métaphysique et déontologique comme l’« essentielle plaisanterie » (voir entrée « Grabbe ») qui ne dévoile autre chose qu’une « non-signification ».

(…)

L’aventure de Don Quichotte se fait, à l’instar des porte-étendards de la vêture bigarrée (Vaché, Saint Inscrit, converti), rétive à toute forme d’engagement dans les postures kaléidoscopiques, en multipliant les appartenances et les(in)soumissions.

Le combat idéologique est suspendu momentanément dans le non-jugement de la drôlerie généralisée, dans l’avilissement jouissif de l’umour.

L’umour, selon l ’orthographe suggérée par Jacques Vaché, disparu dans un pli du champ littéraire, lequel fait sauter le « h », signale le désinvestissement, le retrait de l’intérieur (passer par l’umour pour conjurer humour), le savoir-desservir avec discernement.

Pour employer l’écriture de Vaché, aléatoire et disparate au sens où l’on ne peut en refaire l’unité afin qu’elle puisse servir une réalité, l’umour est le corollaire et l’antithèse de la machine à décerveler et tient à un « presque rien » en quoi consiste la lutte – toujours déjà vaine – umouristique ou plutôt, pour être plus conforme à la terminologie vachéenne, umoreustique.

(…)

L’umour est précisément,ce qui se défile à toute interprétation. Elle déshumorise pour mieux « resensifier », au sens de sensation de ce qui est plus diffus et dégagé de l’humour.

L’umour est une machine organique vrombissante à l’image de la machine célibataire duchampienne. Elle rejoint ainsi l’obsession jarryque pour tout ce qui ressort de la mécanique, comme l’explicite et le met en scène le Surmâle qui sous-tend une fumisterie, un culbutage à l’égal de la vie, par opposition à la neutralité de l’apparente neutralisation labile de l’humour qui catalyse sa propre substance et qui revient en sourdine.

Si l’humour est une mise à distance qui délyricise pulsivement, donc qui consolide et reconduit d’autant [plus] une parole « classique » puisqu’elle est vulgarisation selon le mot d’ordre de Baudelaire, la fantaisie doit se traduire en action.

Ainsi l’umour est agissant. Lacanonisation d’un vocable…

 22. Au-delà de l’interprétation : la réalité de la chose

Umberto Eco entre Kant et… Lénine Collège de ‘pataphysique, 

Correspondancier 14 ( sourire )

Les entretiens, fussent-ils imaginaires, sont parfois révélateurs… et donnent occasion, tels les bijoux, aux aveux indiscrets.

On ne développera pas sur la confusion des deux catégories ( réalité / chose ) ressortissant pourtant aux genres distincts de la logique transcendantale et de l’ontologie fondamentale.

Ou encore de l’analytique réflexive et critique et de la métaphysique spéculative.

L’une étant définie depuis Kant comme modalité de l’expérience, l’autre – d’Aristote au rude réaliste Lénine, le contempteur de Berkeley, de Mach et d’Avenarius ( Matérialisme et empiriocriticisme )-, pensée comme substance et accidents.

Mais se donner pour ‘pataphysicien ou être donné pour tel – à paraphraser l’Evêque de Cloyne-, immunise-t-il nécessairement contre le fétichisme nominal , les chausse-trapes du réalisme conceptuel, les pièges malicieux de la dialectique transcendantale ( cf : < le > Monde, < la > Réalité, et par extension l’ensemble des idées < générales > ) ?

Et qui pourrait s’en targuer ?

< Le 4 haha 138, le T.S. Umberto Eco a accordé un long entretien à un parterre d’auditeurs, parmi lesquels les représentants de plusieurs Sous-Commissions du Collège. Pour les besoins de la mise en scène, la discussion se déroulait dans les locaux du Monde, publication dont nos lecteurs ont sans doute entendu parler et qui partage avec le Correspondancier un seul caractère, le sérieux d’apparat. Après quelques questions biographiques, la discussion conduite par M. Fottorino se concentra sur la question pataphysique de la Réalité.

On sait que le Transcendant Satrape est couramment considéré comme un réaliste, au sens philosophique. Il voulut bien préciser sa pensée.

On ne peut se satisfaire, expliqua-t-il, de l’idée de Nietzsche selon laquelle le Monde ne consisterait qu’en une construction de l’esprit, une interprétation, une interprétation d’interprétations. Pour qu’il y ait interprétation, il faut qu’il y ait quelque chose à interpréter, même si l’on ignore absolument ce que c’est. Ou plutôt ; en cela consiste la Réalité que l’ultime interprétation postule qu’il doit y avoir quelque chose à interpréter.

Sa Transcendance rejoignait ainsi une discussion fort ancienne sur l’irréalisme de Berkeley ( < être c’est être perçu > ) et dépassait la remarque de Borges selon laquelle les arguments de Berkeley, à la fois ne souffrent aucune réfutation et n’entraînent aucune conviction.

Puis, se tournant vers le journaliste-directeur : < Au fait, pourquoi m’interrogez-vous sur le Monde et non sur le Figaro ? > 

23. Sur le < Réel > envisagé comme catégorie spéculative, solution imaginaire et jeu d’esprit, Lothaire Liogieri, Bagatelles pour un désastre

Méditation à deux voix :

A: -Qu’est-ce que le réel pour vous ?

B: -Disons que c’est avant tout un stupéfiant spectacle, une espèce de kaléidoscope d’impressions sensibles et d’images mentales qui, telles un manège, ne cessent de tourner et de défiler devant nos yeux et par nos yeux.

Mais non … pour nos yeux.

A: -Une simple imagerie ? C’est donc Alice au pays des merveilles ; une manière d’hallucination personnelle ou collective ; un songe partagé ? Berkeley …

B: -Non. Le monde n’est pas seulement notre représentation.

Il y a effectivement un ” x “…Ces images ne sont peut-être pas ” bien fondées ” ( Leibniz ) mais elles expriment… des choses , des états de choses, des mélanges de choses et leurs relations ( Wittgenstein, Deleuze )

A: -C’est vague…

B: -Oui et non. Si vous désirez connaître la nature de ces “réalités », alors vous vous égarerez dans les hypothèses et les méandres de la métaphysique classique et contemporaine :

-Idée, Puissance et Acte, Matière et Forme, Atomes, Feu divin, Esprit, Monade, Raison, Volonté de puissance, Vouloir-vivre, Chaos, Inconscient, Energie et Interactions…

Autant de traductions d’une tentative récurrente, certes savante et poétique, mais impuissante à cerner le ” réel “.

A: -L’ »absolu “, l’ »inconditionné ” nous échappent donc à jamais. Christophores et Pélerins d’Emmaüs d’un feu follet narquois, nous sommes voués au relativisme phénoméniste et au positivisme.

B: -D’où la pérennité romantique de la nostalgie.

A: -Il y a donc de l’inconnu…

B: -Plutôt de l’inconnaissable ou de l’inconcevable. Quand bien même l’ “il y a” pourrait être pensé.

A: -L’inconnu désigne le non-encore connu ; ce qui est susceptible d’être reconnu, représenté, symbolisé sinon bien défini.

Il déborde les capacités actuelles de notre ” connaissance ” et de notre ” science ” mais non ses possibilités.

L’inconnaissable désigne quant à lui le ” réel ” dans son essence et le fait irréductible de la dénivellation ontologique qui nous interdira à jamais d’en saisir ” l’ intelligibilité “, d’en saisir ” le sens “, de prétendre le ” comprendre “.

Il échappe à nos catégories.

Notre expérience exclut par principe l’osmose car il n’y a jamais -n’en déplaise à la voie mystique- fusion ; il y a de l’ effusion certes, ” des larmes, des pleurs de joie” ( Pascal ), des ” nuits de l’âme” ( Thérèse d’Avila, Jean de la Croix ), l’ expérience du ” Pal “( Bataille ), ou encore la délirante expérience de l’abandon de soi ( Pauline Réage).

Mais à peine une participation (Platon) .

B: -Pourtant ” nous en sommes ” (Jean Hyppolite)…

Les ” Anges ” eux- mêmes, à reprendre la souriante terminologie de la mise en scène théologique catholique, les esprits purs de Thomas d’Aquin, ne sont que des « envoyés », des « go-between ».

Certes plus près que nous de ” la lumière ” qu’ ils réfractent, sans en saisir néanmoins les arcanes.“ Vous verrez en miroir et en énigmes ” ( saint Paul / J. Boehme)…

A: -Mais ce prétendu réel est néanmoins… pensable.

Le prendre dans le filet de nos catégories, c’est le jeu habituel des hommes.

< Unité, totalité, réciprocité, causalité, finalité, hasard, nécessité, substances et accidents, qualité, quantité, nombre, espace et temps … >, voilà les pauvres outils de l’atelier du bricolage philosophique et scientifique.

B: -” Sans cesse sur le métier reprenez votre ouvrage “… sans lassitude ?

A: -A regarder la scène philosophique, il semble que non.

Apparemment l’apprenti, le compagnon et le maître ne se lassent pas. Même si leur entreprise se double de leurs incessantes rivalités.

A se demander d’ailleurs si cette concurrence et les satisfactions qu’elle procure ne constituent pas l’un des mobiles mais dissimulé de leurs cogitations… 

( janvier 2011 ) 

Economie politique et ‘pataphysique

Sur le paternalisme d’Etat

Qu’il est l’effet du croisement de plusieurs lignes causales :

-plan philosophique : aristotélisme politique ( naturalisme, holisme).

-plan religieux : le thème de la Providence et le paternalisme ecclésiastique catholique, l’ordre juste ( Thomas d’Aquin ).

-plan éthique : utilitarisme anglo-saxon, philosophie du bonheur identifié au bien-être étendu à la totalité d’une population et enjeu de l’organisation sociale.

( Bentham, John Stuart Mill, communautarisme contemporain )

-plan politico-administratif national : Caméralisme des 17° et 18° siècles ( Seckendorff et von Justi ); en pays luthérien, l’idée du Wohlfahrtsstaat.

Et, au 19° siècle sous Bismarck, le socialisme de la chaire de l’école allemande ( von Schmoller ).

-plan économique : conséquence de la révolution industrielle et du développement de la division du travail.

-plan social : solidarisme, mutualisme socialiste puis dogme politique social-démocrate.

Et enfin… le fond de l’affaire, la politique et… l’économie politique –gnose, scolastique et interventionnisme -, ces véhicules de l’idolâtrie sociétaire contemporaine, pensées comme < Sotériologies >, remèdes à la tragédie de l’existence ( finitude, individuation, précarité irréductible -precarius, ce qui est donné sans garantie-, incapacité à affronter le réel, déni de l’irréductible concurrence et de l’impitoyable lutte pour la vie )…

Sur le plan économique, la critique libérale ou néolibérale du paternalisme d’Etat fait généralement apparaître les risques de corruption, de bureaucratisation, de corporatisme, la quête des privilèges et des faveurs (subventions, allocations, obtention de marchés, élimination légale de la concurrence, atteinte à la propriété privée…).

Elle souligne également l’incitation à l’irresponsabilité et le danger du parasitisme.

D’un point de vue strictement philosophique, Kant ( Théorie et pratique ) puis Guillaume de Humboldt ( Essai sur les limites de l’action de l’Etat ) ont sévèrement condamné l’Etat de police ou de bien-être ( Wohlfahrtsstaat ), le considérant comme une forme de gouvernement despotique oeuvrant au bonheur de ses sujets par des voies autoritaires, tout en s’efforçant d’accroître sa propre puissance.

Aussi le principe selon lequel le gouvernement doit prendre soin, sur les plans matériels et moral du bonheur et du bien-être de la nation, constitue le despotisme le plus terrible et le plus oppressif.

… Un gouvernement qui serait fondé sur le principe de la bienveillance envers le peuple, tel celui du père envers ses enfants, c’est-à-dire un gouvernement paternel (imperium paternale), où par conséquent les sujets tels des enfants mineurs, incapables de décider de ce qui leur est vraiment utile ou nuisible, sont obligés de se comporter d’une manière purement passive, afin d’attendre uniquement du jugement du chef de l’Etat la façon dont ils doivent être heureux, et uniquement de sa bonté qu’il le veuille également -un tel gouvernement, dis-je, est le plus grand despotisme que l’on puisse concevoir… ( Kant, 1793 )

On rapprochera ces considérations des analyses de Tocqueville, De la démocratie en Amérique

Dans le même sens, cette réflexion plus contemporaine de Friedrich A. Hayek à propos du mirage de la justice sociale octroyée :

Droit, législation et liberté, 1976

< … Affirmer que dans une société d’hommes libres ( en tant que distincte de toute forme d’organisation contraignante) le concept de justice sociale est strictement vide et dénué de sens, paraîtra tout à fait incroyable à la plupart des gens. Ne sommes-nous pas tous constamment gênés de voir combien la vie traite injustement les diverses personnes, comment les méritants souffrent et les déméritants prospèrent ? N ‘avons-nous pas tous le sentiment de quelque chose de convenable, n’éprouvons-nous pas de la satisfaction, quand nous reconnaissons qu’une récompense est appropriée à l’effort fourni et au sacrifice consenti ? (… )

Nos récriminations à propos de résultats du marché dits injustes n’affirment pas vraiment que quelqu’un a été injuste ; et il n’y a pas de réponse à la question : qui donc a été injuste ? La société est simplement devenue la nouvelle divinité à qui adresser nos plaintes et réclamer réparation si elle ne répond pas aux espoirs qu’elle a suscités. Il n’y a ni individu, ni groupe d’individus coopérant ensemble, à l’encontre de qui le plaignant aurait titre à demander justice, et il n’y a pas de règle de juste conduite imaginable qui, en même temps procurerait un ordre opérationnel et éliminerait de telles déceptions. (… )

La justice sociale ne peut avoir de signification que dans une économie dirigée ou commandée ( par exemple une armée) où les individus se voient commander ce qu’ils ont à faire ; et n’importe quelle variante de justice sociale ne pourrait être réalisée que dans un tel système dirigé du centre >

On mettra cependant en doute l’effectivité du marché libre et de la recherche légale du profit constamment avancée par les hérauts et autres professeurs de (néo)libéralisme.

Ce n’est là qu’une ingénieuse et assez ingénue ( ou hypocrite, c’est selon…) utopie sociale et économique ( occultant notamment les mécanismes -bien réels pourtant- de fraude, d’infraction à la concurrence et d’exploitation de l’homme par l’homme )

Elle repose sur :

-une modélisation abstraite voire purement mathématique des conditions de la production et de l’échange dont sont friands les amateurs de Nobels économiques ;

-une conception psychologisante et unilatérale du profit dégagé du processus d’extorsion de la plus-value ;

-une idéalisation de la nature humaine, dépassionnéeprésentée comme rationnelle dans ses choix, la poursuite de ses intérêts et supposée loyale vis à vis des règles imposées ;

-une valorisation abusive de la loi régulatrice ( Etat de droit ) susceptible de faire respecter… à l’échelle planétaire un ordre de régulation déclaré équitable et universel.   

2. Que l’argent est la source de l’être ( Lothaire Liogieri ) 

< Ce qui distingue un billet faux d’ un billet vrai ne dépend que du faussaire. Un homme passait en justice accusé de faux, et deux billets portant les mêmes numéros étaient sur la table du juge. Il fut absolument impossible de les distinguer. -De quoi m’ accusez-vous ? disait-il… Où est le corps du délit ? >

Paul Valéry, Tel Quel

On reproche fréquemment aux hommes de tourner leurs voeux principalement vers l’argent et de l’aimer plus que tout au monde. Pourtant il est bien naturel, presque inévitable d’aimer ce qui, pareil à un protée infatigable, est prêt à tout instant à prendre la forme de l’objet actuel de nos souhaits si mobiles ou de nos besoins si divers. Tout autre bien, en effet, ne peut satisfaire qu’un seul désir, qu’un seul besoin : les aliments ne valent que pour celui qui a faim, le vin pour le bien portant, les médicaments pour le malade, une fourrure pendant l’hiver, les femmes pour la jeunesse, etc. […]L’argent seul est le bien absolu, car il ne pourvoit pas uniquement à un seul besoin « in concreto » mais au besoin en général, « in abstracto » >

Schopenhauer, Aphorismes sur la sagesse dans la vie

Quelle est l’ attitude du ‘pataphysicien face à l’ordinaire manie d’ enrichissement et à la contemporaine folie de  spéculation  ?

Les ‘pataphysiciens qui sont habituellement regardés comme des blasphémateurs ne méprisent pas plus qu’ ils ne vénèrent la puissance de l’argent.

Aussi éloignés de l’idolâtrie que de l’ anathème ils ont la confiance de citer en leur faveur l’Auteur quelque peu négligé des Théories sur la Plus et… la Moindre Value.

1. L’argent -comme l’ affirma jadis Karl Marx, (Capital 1, 3) est équivalent général, forme de la valeur et moyen de circulation des marchandises.

Il est ainsi et tout à la fois Egalité réalisée, Esprit du monde en acte et Entremetteur universel

-Equivalent général, il est puissance alchimique dont la vertu magique rapproche les choses les plus éloignées et avoisine les objets les plus hétéroclites.

Tout ce qui < est > se mesure en lui et par lui. Rien ne saurait déroger à sa puissance d’ assimilation.

-Forme de la valeur, il recouvre la matérialité de tout bien du nimbe fétichisé de la fonction monnaie.

Il est l’aura qui cerne les choses et le prestige qui précède ceux qui les possèdent.

Sortilège social, il est donc le grand enchanteur du monde.

-Moyen de circulation des marchandises, « courtisane universelle «  il favorise les échanges, développe le commerce et… la spéculation.

2. S’ il ne donne pas l’ < être >, -mais qui peut se targuer d’un tel pouvoir ?… du moins le simule-t-il….

Car il n’a de cesse de stimuler la simulation… Et comme l’ < être > n’ est qu’ un mot créé par la fonction-imagination représentative de l’ < événement >, de tout événement !… il est bien – à jargonner selon le lacanien galimatias, le < substitut du Signifiant qui manque à la place >, le signifiant sans référent, le signifiant … de rien.

Générateur de simulacres, sophiste brillant, maître des apparences et Apparence lui même, scintillant, éclatant, « sonnant et trébuchant « , il assure de surcroît les imputations et consacre les réputations.

De telle sorte qu’ aux yeux d’ autrui et par sa seule vertu je suis ce que je ne suis pas, je peux ce que je ne peux pas.

3. Diabolique, il se joue de tous et de tout, bouleverse les repères et renverse les positions acquises.

Anarque, il se rit des valeurs.

En toute désinvolture…

Agent baroque d’ovidiennes métamorphoses, il transforme ainsi puissances et impuissances en leurs contraires.

4. C’est pourquoi Richesse ou Pauvreté signifient certes voir mais surtout… être vu.

Par lui et au delà : à travers lui.

Il vérifie ainsi la proposition fameuse de Berkeley : < Etre, c’ est percevoir ou être perçu… >.

Dis moi ce que tu représentes, je te dirai qui tu es

5. L'< être >, avant le < dire >, c’ est donc toujours déjà l’ < avoir > …

Sempiternelle mais incontestable et irréductibe banalité…

Et contre toutes les protestations morales -jusques et y comprises celles de Marx-, justifiée.

De fait le mouvement d’ humeur éthique n’ y peut rien : l’ argent est bien le révélateur de l’être.

6. Signe des choses il en est de surcroît la métaphore, la < valeur >.

Ainsi n’est-il aucunement la < puissance aliénée de l’ Humanité >, comme l’ affirmaient l ‘Auteur de La sainte Famille et ses sectateurs … puisqu’ il n’ existe -comme le lui avait déjà objecté Max Stirner, aucune essence de l’ < Humanité > … cette pure hallucination idéologique

Car le terme d’ < Humanité > ne désigne -quoiqu’en pensent les personnalistes et autres dévots-, qu’ un concept de classe, une simple catégorie logique, devenue fétiche moral.

7. De surcroît voleur et malicieux … violeur des valeurs, l’argent leur dérobe leur vertu d’ usage au profit de leur capacité d’ échange.

Echangiste et changeur, il n’ a donc de cesse de les déniaiser

Pèrubuesque Avaleur des Valeurs enfin, il nargue à leur grand dam la confrérie des bigots des Saintes Normes : l’ < authentique>, le < naturel >, la < sincérité >… l’ < être >

Car si tout est artifice et si la < nature > n’ est qu’ un mythe, l’ argent n’ est-il pas lui même et par excellence… l’ Artifice et l’ artificieux Artificier ?…

Il est donc le Démiurge universel, au sens grec le Poète, la < raison insuffisante > de toute chose, la quasi-ontologique vertu qui donne l’ existence et le pouvoir.

En conséquence de quoi le prudent ‘pataphysicien en prend acte et en tire pour lui même les adéquates leçons…

8. Cependant que la < spéculation > désigne aussi et surtout au sens second -mais non pas secondaire-, l’ enchantement des pensées.

Ainsi, Alpha et Omega, source miraculeuse des artifices, est-elle pour les humains < l’ origine> des mondes empiriques et des univers parallèles, l’ aliment de leurs désirs, l’ énergie de toutes leurs Visions et autres utopies.

8. C’est pourquoi, amateur de Spéculations et spéculateur né, le ‘pataphysicien, gardant un oeil sur l’ évolution des cours de la Bourse aux Idées, veillera à développer et à capitaliser sans retenue et sans vergogne son portefeuille de titres spéculatifs.

En toute innocence

Et aux yeux du monde comme par devant lui même il ne se reconnaîtra qu’ un seul -quoique selon certains- scandaleux impératif catégorique :

< Enrichissez-vous ! > 

 9. Soyons donc avisés dans nos visionnaires fréquentations … Abritons-nous des idolâtres de Marotte tout autant que des dévots de la chose chrématistique

Et sachons choisir à bon escient les belles que nous courtiserons… mais sans nous perdre dans le piège de leurs séduisants labyrinthes.

Car si le monde de l’Ascience est indéfini, n’oublions pas que la vie est trop brève pour encourir le risque de nous y égarer. 

 3. L’utile, l’inutile et la valeur, subjectivisme, kunisme et amoralité en économie politique ( Condillac, Say, Walras Père et fils, Pareto et quelques autres… ) 

1.

Parmi les concepts fondamentaux de la science économique, la question de la valeur n’a cessé d’alimenter les différends opposant les écoles et les auteurs.

Selon la tradition subjectiviste -qui intéresse tout particulièrement le ‘pataphysicien- ( Etienne Bonnot de Condillac, Jean-Baptiste Say, Walras père et fils, William Stanley Jevons, Karl Menger, Vilfredo Pareto… ) par opposition aux tenants de la valeur/travail censée fixer la valeur d’échange de la marchandise ( Adam Smith, David Ricardo, Karl Marx… ), c’est tout naturellement le concept d’utilité qui devait être convoqué afin qu’on en déterminât le fondement…

Encore fallait-il en préciser le sens.

La notion est singulièrement riche, de cette richesse proche de l’ambiguïté selon qu’on l’envisage des trois points de vue du sens commun, de la philosophie ou de l’économie politique.

Utilité, valeur, valeur d’échange, prix, richesse — autant de mots dont les significations sont si voisines qu’ils sont souvent pris l’un pour l’autre, mais qu’il faut apprendre à distinguer.

Evoquons en premier lieu l’utilité.

< Nos besoins et nos  désirs(1) ont un objet en dehors de nous, qui généralement est une chose, mais qui peut être aussi un acte, un service, de nos semblables.

Cette propriété remarquable, propre à certains objets, de satisfaire à l’un quelconque de nos besoins, de servir à l’entretien de notre vie ou à l’accroissement de notre bien-être, s’appelle l’utilité (du mot latin uti, se servir de).

Malheureusement ce mot est une cause de confusions parce qu’il a déjà reçu dans le langage ordinaire une signification qui ne concorde pas du tout avec sa signification économique. Le mot utile est généralement opposé, d’une part, à celui de nuisible, d’autre part, à celui de superflu. Il implique un jugement moral, un rapport de convenance de l’objet avec certains besoins jugés bons. Ainsi, on répugnerait à parler de « l’utilité » des dentelles ou de celle de l’absinthe. Au contraire, dans son acception économique, le mot d’utilité ne signifie rien de plus que la propriété de répondre à un besoin ou à un désir quelconque, et cette utilité se mesure uniquement à l’intensité de ce besoin ou de ce désir (2).

Pour éviter ce malentendu perpétuel, il serait bon de remplacer le mot utilité par quelque autre. Les anciens économistes disaient < valeur d’usage > (en l’opposant à < valeur d’échange > ). Ce qualificatif disait assez bien ce qu’il doit dire et il est peut-être à regretter qu’il ait été abandonné. Nous avons proposé, dès la première édition de ce livre (en 1883), celui de désirabilité qui a le double avantage de ne rien préjuger quant aux caractères moraux ou immoraux, raisonnables on déraisonnables du désir, mais il n’a pas acquis droit de cité. M. Vilfredo Pareto a proposé celui d’ophélimité, mot grec qui exprime « le rapport de convenance » entre une chose et un désir quelconque. Mais ce vocable n’a pas eu beaucoup plus de succès.

Note. M. Landry cependant, dans son Manuel d’Économique, reproche au mot désirabilité d’exprimer « ce que nous devons désirer plutôt que ce que nous désirons effectivement ». En effet, « désirable, dit le Dictionnaire de Littré, est ce qui mérite d’être désiré », et c’est ce qu’il ne faut pas, car le mot choisi doit précisément exclure toute idée de mérite, toute signification normative. Peut-être le mot de désidérabilité, que nous avions essayé dans une des anciennes éditions, conviendrait-il mieux parce qu’il se rattache étymologiquement non à l’adjectif « désirable » mais au substantif latin desiderium qui n’exprime rien d’autre que le désir ; mais c’est un mot peu avenant. Il est regrettable que la langue française ait laissé perdre le vieux mot désirance que nous trouvons dans Littré, il aurait bien convenu. On pourrait bien dire désirance comme on dit « attirance » >

Charles Gide, Cours d’Économie politique, tome I, Notions générales (1919) 

1.1. Pour le sens commun est déclaré < utile > ce qui procure un avantage, ce qui est propice, opportun, salutaire, ou encore indispensable.

L’utilité est subordonnée à l’acquisition d’un bien incarnant une < valeur >.

La notion est ainsi téléologiquement ordonnée au bonheur de l’homme.

Cependant que l‘utile est opposé à la fantaisie, à la frivolité et à l’irrationnel.

Ce qui enveloppe une hiérarchie des besoins et des désirs dont les uns sont déclarés vitaux, légitimes et raisonnables parce que prétendument « naturels » , alors que d’autres se voient disqualifiés quand ils ne sont pas culpabilisés ou rejetés.

Eu égard à des normes avancées comme « évidentes » ou au motif qu’ils contreviendraient à des usages, à des goûts ou encore à des normes socio-culturelles.

1.2. La philosophie utilitariste britannique -notamment Jérémie Bentham, John Stuart Stuart-Mill et Bertrand Russell-, a rapporté la fin de la conduite à la recherche du bonheur, plaisir réfléchi, calculé et prolongé dans la durée.

La morale est définie comme la théorie rationnelle de la conduite, une réflexion sur les techniques qui assurent les meilleurs conditions de la bonne vie, de la vie heureuse.

-Utilitarisme égoïste de Jérémie Bentham, arithmétique qui calcule pour l’individu le bonheur comme la plus grande somme de plaisirs diminuée de la plus petite somme de douleurs liée à une action considérée en elle-même comme en ses conséquences.

-Utilitarisme altruiste de John Stuart Mill qui ajoute à la thèse de Bentham le transfert des sentiments du sujet à l’ensemble des agents moraux.

C’est cet eudémonisme moderne que Frédéric Nietzsche prendra pour cible, considérant comme une méprise fatale sur l’existence humaine la revendication de l’utile comme principe téléologique ultime du comportement.

On ajoutera à cette critique la dévalorisation romantique, à la fois éthique et esthétique, de l’utilitaire, de Vigny à Mallarmé par Baudelaire, Flaubert, Huysmans ou encore Jarry ; utilitaire prenant ici le caractère infamant propre aux valeurs bourgeoises.

1.3. Mais c’est l’économie politique en son histoire, qui conféra une signification scientifique au concept d’utilité.

Ce qui n’est pas sans portée philosophique voire… ‘pataphysique…

On prendra quelques exemples afin de préciser l’élaboration conceptuelle essentiellement subjectiviste de la notion.

Condillac, Le commerce et le gouvernement :

la valeur des choses est fondée sur leur utilité, ou, ce qui revient au même, sur le besoin que nous en avons ; ou, ce qui revient encore au même, sur l’usage que nous pouvons en faire.

La perspective de Condillac, bien que clairement subjectiviste exprime encore une exigence normative ( juxtaposition des besoins naturels et des besoins factices, les uns satisfaisant nos exigences biologiques, d’autres traduisant des nécessités sociales ; alors que d’autres encore ne sont que de pures effets de convention.

 N. B. Dans le même ouvrage, Condillac avait déjà anticipé le concept d’utilité marginale.

< L’utilité marginale d’un bien ou d’un service est l’utilité qu’un agent économique tirera de la consommation d’une unité supplémentaire.

Cette utilité marginale décroît avec la quantité de biens déjà consommés.

Ainsi, si l’on possède deux stylos, l’utilité apportée par un stylo supplémentaire est faible, comparée à la situation où l’on ne possède initialement aucun stylo.

La valeur est en fait tirée de « la queue de l’utilité marginale » ( Paul Samuelson ).

Si l’on prend l’exemple de l’eau et du diamant, l’eau a une valeur moindre que le diamant, ce dernier étant plus rare et plus dur à extraire.

Cependant un homme assoiffé versera une somme très importante pour un verre d’eau.

La valeur résulte ainsi de la disponibilité d’un bien en un endroit donné. D’où l’importance décisive du critère de rareté.

Toutefois une fois le premier verre d’eau consommé, puis un second voire un troisième, l’utilité marginale, très importante au premier verre, décroît nettement si bien que le dernier verre (avant l’état de satiété où la consommation n’entraîne plus de satisfaction supplémentaire) n’a presque plus de valeur.

À l’inverse le diamant connaît une utilité marginale de fin bien plus importante. Ce qui n’est pas sans conséquence pour son prix >

Jean Baptiste Say, Catéchisme d’Economie politique 

< Au néophyte qui s’étonne de ce que certaines choses aient beaucoup de valeur sans avoir cependant d’utilité, le catéchiste répond :

Vous n’entrevoyez pas l’utilité de ces chose ( la bague et la fleur ) parce que vous n’appelez utile que ce qui l’est aux yeux de la raison, tandis qu’il faut entendre par ce mot tout ce qui est propre à satisfaire les besoins, les désirs de l’homme tel qu’il est. Or sa vanité et ses passions font quelquefois naître en lui des besoins aussi impérieux que la faim. Lui seul est juge de l’importance que les choses ont pour lui, et du besoin qu’il en a. Nous n’en pouvons juger que par le prix qu’il y met : pour nous la valeur des choses est la seule mesure de l’utilité qu’elles ont pour l’homme.

Il doit donc nous suffire de leur donner de l’utilité à ses yeux pour leur donner de la valeur >

L’utilité est ainsi :

1. dégagée de la conception purement naturaliste du besoin : les passions peuvent être aussi impérieuses que la faim ;

2. extérieure à la pseudo-exigence rationnelle : l’inutilité selon la « raison », peut être utile selon l’économie.

3. Elle inclut la relation à autrui dans la genèse du désir.

4. Elle s’exonère du jugement moral.

L’économie politique s’éloigne alors de toute préoccupation éthique.

A l’instar de Nicolas Machiavel qui avait rompu en son Prince avec la tradition augustinienne et thomiste subordonnant la politique à la théologie et à la morale.

Enfin, au statut scientifique, l’économie adjoint l’indifférentisme axiologique…

Auguste Walras, De la nature de la richesse et de l’origine de la valeur :

< Il y a donc cette différence entre la morale et l’économie politique, que la première n’appelle utiles que des objets qui satisfont à des besoins avoués par la raison, tandis que la seconde accorde ce nom à tous les objets que l’homme peut désirer, soit dans l’intérêt de sa conservation, soit par un effet de ses passions et de ses caprices. Ainsi le pain est utile, parce qu’il sert à notre nourriture, et les viandes les plus recherchées, parce qu’elles flattent notre sensualité. L’eau et le vin sont utiles, parce qu’ils servent à nous désaltérer, et les liqueurs les plus dangereuses sont utiles parce qu’il y a des hommes qui ont du goût pour elles. La laine et le coton sont utiles, parce qu’on peut s’en faire des habits ; les perles et les diamants sont utiles, comme objets de parure. Les maisons sont utiles, parce qu’elles nous mettent à l’abri des intempéries de l’air : les terres sont utiles, parce qu’on peut y semer des grains, planter des arbres, construire des maisons, etc. Ainsi encore et dans un tout autre ordre d’idées, la musique et la poésie sont utiles, parce qu’elles nous réjouissent ; et la médecine est utile parce qu’elle guérit nos maux ou les soulage ; l’éloquence d’un avocat est utile, parce qu’elle sert à défendre nos droits, etc., etc. >

Point de distance axiologique entre besoins dits « naturels » et désirs/caprices passionnels…

La thèse affirme le kunisme en abolissant la frontière entre le moral et l’immoral, le nécessaire et le superflu, le raisonnable et le fantaisiste, le sérieux et le frivole.

Elle abolit la hiérarchie des ordres axiologiques en égalisant besoins matériels et spirituels.

< L’homme ne vit pas seulement de pain; il vit d’une foule de choses qui, à tel titre ou à tel autre, lui rendent sa condition plus douce, plus agréable ; il suffit qu’un objet quelconque puisse contribuer, de manière ou d’autre, à satisfaire un de nos besoins, ou à nous procurer quelque jouissance, pour que cet objet nous soit utile, et que les économistes le déclarent tel >

En conséquence, seront stipulées « métaphysiques » ou « spéculatives » les considérations sur les « raisons » ou les « folies » de l’utile et sur « ce qui détermine la valeur ou non valeur » attribuée aux choses.

L’autonomie de l’économie politique s’accompagne ainsi d’une effective rupture épistémologique

 Léon Walras, Eléments d’économie politique pure, ou théorie de la richesse sociale : 

< Je dis que les chose sont utiles dès qu’elles peuvent servir à un usage quelconque et en permettent la satisfaction. Ainsi, il n’y a pas à s’occuper ici des nuances par lesquelles on classe, dans le langage de la conversation courante, l’utile à côté de l’agréable entre le nécessaire et le superflu ; nécessaire, utile agréable, et superflu, tout cela, pour nous, est seulement plus ou moins utile.

Il n’y a pas davantage à tenir compte de la moralité ou de l’immoralité du besoin auquel répond la chose utile et qu’elle permet de satisfaire. Qu’une substance soit recherchée par un médecin pour guérir un malade ou par un assassin pour empoisonner sa famille, c’est une question très importante à d’autres points de vue, mais tout à fait indifférente au nôtre. La substance est utile, pour nous, dans les deux cas, et peut l’être plus dans le second que dans le premier >

Tel est et tel sera désormais le postulat de base de l’économie politique pure : le kunisme méthodologique.

Ainsi, résume Charles Gide : (la valeur d’utilité apparaît) définitivement divorcée de l’utilité au sens vulgaire et normatif de ce mot, de l’utilité considérée comme opposée à ce qui est nuisible ou superflu : elle n’exprime rien de plus que la propriété de satisfaire à un désir quelconque de l’homme, raisonnable, stupide ou coupable, pain, diamant ou opium, il n’importe.

L’utilité concerne un bien concret, désiré par un sujet, ici et maintenant.

La rupture avec l’anthropologie normative et édifiante est complète.

L’utilité ne concerne pas cette abstraction que serait « le besoin de l’homme »; l' » humanité » n’étant d’ailleurs qu’une fiction conceptuelle.

Elle répond à l’intensité d’un désir toujours subjectif, contingent, variable, éphémère.

Ce que Vilfredo Pareto, Cours d’économie politique, nommait  » l’ophémilité « , soit le rapport de convenance entre une chose et un désir quelconque.

 N.B.

On sait que Pareto a modifié les principes de la valeur utilité chez les néoclassiques.

Ces auteurs postulaient l’existence d’une fonction d’utilité cardinale : l’individu rationnel serait apte à déterminer le niveau absolu d’utilité d’un produit.

Pareto lui substitue le principe plus réaliste d’utilité ordinale : l’individu rationnel est en fait capable de hiérarchiser ses préférences, de dire s’il préfère le produit A au produit B ou inversement.

( Mettant l’accent sur l’irrationalié humaine, Pareto, Traité de Sociologie générale, étudie la logique des conduites non logiques, et souligne notamment le poids des illusions, des utopies et des mythes dans le mécanisme de prises de décisions. )

Ce raisonnement l’amène à l’utilisation des courbes d’indifférence imaginées par Francis Edgeworth.

Le principe de la courbe d’indifférence représente l’ensemble des combinaisons de deux produits, permettant d’obtenir une utilité donnée.

La généralisation de ses raisonnements à l’échelle de la société permet de déterminer la situation où l’utilisation des ressources est optimale.

L’optimum de Pareto est la situation dans laquelle l’utilité (le bien-être) d’un individu quelconque ne peut être augmentée sans que ne soit réduite l’utilité d’un autre individu.

La référence à l’optimum de Pareto a permis aux économistes néoclassiques de démontrer mathématiquement la supériorité théorique de la concurrence pure et parfaite sur d’autres modèles économiques alternatifs ( le monopole, l’oligopole, etc.), à partir de leurs postulats. 

Au concept d’ « homme générique » aux besoins déterminables a priori se substituent l’idée de subjectivités qui confèrent ou non, rationnellement ou non, les valeurs aux choses.

L’idée d’une universalité de la valeur d’usage valable pour l’espèce humaine est un postulat désormais suranné et réfuté.

Et la consommation échappe à toute considération morale sur le bien fondé de la production des valeurs d’usage comme sur la justification des désirs.

Seules demeurent comme objets d’investigation la demande, la loi du marché… 

Kunisme méthodologique, idéalisme représentatif et affectif du sujet désirant, subjectivisme consumériste, égalité des désirs, rejet des fictions rationaliste et humaniste, perplexité quant au bien fondé de l’activisme interventionniste …

… cette « économie politique pure » est-elle si éloignée de l’univers mental de la ‘pataphysique réflexive ?… 

 Alfred Jarry ou le… libéralisme expérimental

Sur Léon Walras, Eléments d’économie politique pure, Revue blanche, 01.01.1901

L’esprit encyclopédique du fondateur de la ‘pataphysique est bien attesté.

Toutefois son attention pour la « science »économique et sa méthodologie n’a jusqu’à présent guère été relevée.

On ne considère, d’ordinaire, que le fameux < A la trappe, les Phynanciers ! > d’UBu Roi, le plus souvent réduit au registre du comique et de la farce.

Le texte ci-dessous, peu connu, illustre cet intérêt.

Il concerne deux lieux pérennes de la problématique financière : le ratio créances/ fonds propres des établissements de crédit, la pertinence de l’encaisse métallique.

Le sourire narquois, dégagé de toute considération juridique comme de tout souci moral, accompagne ensuite la suggestion d’expérimentation imaginaire.

Très sereinement.

La ‘pataphysique est un libéralisme expérimental…

< Appliquer à l’économie politique ou théorie de la richesse sociale l’analyse mathématique, en un mot de faire une science exacte, est une idée récente : elle date de 1854 et du livre Entwicklung des Gesetze des menschlichen Verkehrs, où Gossen énonça les systèmes d’équation dont les fermages, les salaires et les intérêts sont les racines. En 1871 William Jevons, professeur d’économie politique à Manchester, publia chez Macmillan sa Theory of political economy, qui repose toute sur ce qu’il appelle < équation d’échange >. A peu près en même temps, un Suisse, Léon Walras, formulait une loi d’échange rigoureusement identique, la < condition de satisfaction maxima >

Les économistes non mathématiciens, qui ont pour tous théorèmes des clichés : la liberté humaine ne se laisse pas mettre en équation ; –les frottements sont tout dans les sciences morales, ne peuvent faire que la théorie de la détermination ds prix en libre concurrence ne soit une théorie mathématique. Raisonner non mathématiquement, c’est en somme faire de fausse mathématique : tantôt déterminer une même inconnue au moyen de n équations, tantôt faire servir une seule équation à déterminer n inconnues. Il est douteux que de telles méthodes puissent être indéfiniment opposées à celle que veut constituer l’économie politique pure en science exacte, et soient bonnes à autre chose qu’à obtenir des solutions propres à charmer l’esprit par leur variété.

Voici une des formules de M. Walras : les prix ou les rapports des valeurs d’échange sont égaux aux rapports inverses des quantités de marchandises échangées. Cette loi a été prouvée historiquement de façon très apparente : l’émission de 30 à 40 milliards d’assignats a abaissé de 100 à 2, 50 ou 3 la valeur de l’intermédiaire d’échange. < On ne peut répéter cette magnifique expérience aussi souvent qu’il le faudrait, dit M. Walras, pour convaincre les adversaires de la loi de quantité ; et c’est pourquoi il est fort heureux que l’économie soit une science où le raisonnement vient suppléer au défaut ou à l’incertitude de l’expérience. >

Nous verrions volontiers, au contraire, un savant modeste éditer pour quelques millions de papier-monnaie, à seule fin d’en observer ensuite avec sérénité la réaction. Il ne fera que rééditer la méthode des grands établissements financiers, lesquels ont ouvertement en circulation du papier pour une valeur triple ( c’est le chiffre le plus usité ) de leur encaisse métallique. < Le métal est un poids mort, un sabot de frein, disent les économistes amétallistes ; la société n’est pas plus constituée pour liquider qu’un chariot pour s’arrêter ; il doit seulement pouvoir. > A quoi bon, puisque le Monde, le plus vieil établissement d’échange, ne peut pas non plus embrayer ? Mais il ne faudrait pas conclure que nous soyons aucunement hostile à la théorie, jusqu’à présent ésotérique, de la fabrication de la monnaie fiduciaire en libre concurrence >

Remy de Gourmont, Eloge de l’argent, Promenades philosophiques 3

Remy de Gourmont est, avant Paul Valéry, le véritable inspirateur de la ‘pataphysique analytique.

Notamment par la méthode des dissociations qu’il a poussée à un degré de virtuosité inégalée.

Son goût affirmé de la liberté intellectuelle, son aptitude à jouer des points de vue, à renverser et à multiplier les perspectives et les angles d’attaques ont toutefois contribué à affermir une réputation superficielle d’homme à vains paradoxes.

Vision réductrice propre aux esprits dogmatiques, aux gens à systèmes et à un certain sens commun…

Par delà les différences de personnalité, d’humeur et de ton, ses « promenades » sont d’une inspiration souvent très proche de quelques vaticinations d’Alfred Jarry.

Le texte qui suit, par la succession des égalités qu’il propose ( argent=vie=liberté=fécondité=conception païenne de l’existence ) aux antipodes des imprécations d’un Léon Bloy, illustre cette intellectuelle alacrité insoucieuse des préjugés et des pesanteurs idéologiques.

< Il est difficile de lire sans irritation les vieilles plaisanteries des journalistes et les antiques lamentations des socialistes sur le culte du veau d’or. Railler l’argent, s’indigner contre l’argent est pareillement sot. L’argent n’est rien : en soi il ne vaut pas ; sa puissance est purement symbolique. L’argent est le signe de la liberté. Maudire l’argent, c’est maudire la liberté, qui est nulle, si elle n’est libre.

La simplicité populaire adore l’argent. Voyez cette pauvre marchande : elle fait le signe de la croix avec la première monnaie qu’elle reçoit le matin. Un Dieu est venu la visiter et la bénir. C’est une communion à la fois mystique et réelle, sous les espèces du métal.

L’argent, qui est la liberté, est aussi la fécondation. C’est le sperme universel sans quoi les sociétés humaines demeurent des matrices vides.

Le paganisme, qui savait tout, et comprenait tout, ouvre à la pluie d’or d’en haut les cuisses vaincues de Danaé. C’est ce que l’on verrait sur nos monnaies, au lieu d’une insignifiante figurine, si nous étions capables de contempler sans honte ce tableau religieux >

 Fr. Simiand, l’essence fiduciaire de la monnaie ou la croyance comme fondement et ressort de l’échange La Monnaie, réalité sociale, Annales sociologiques 1934

L’une des grandes découvertes de l’anthropologie sociale en matière de sociologie économique concerna les cycles commerciaux primitifs, soit les organisations d’échanges dont la finalité n’était liée ni à l'< intérêt > ni à la < valeur d’échange > ainsi que l’entend l’économie politique moderne.

Concepts réexaminés en relativisant la conception métaphysique et psychologique ethnocentrique de l’ < homo oeconomicus > apparue en Europe aux 18° /19° siècles.

L’analyse dévoila l’économie comme un fait social et non pas comme le résultat de l’intérêt individuel : besoins, consommation, production, travail, échanges et propriété sont des catégories réglées par le consensus social.

Ainsi la signification de notions comme < travail > ou < paresse > était différente dans le Pacifique occidental, à Paris, ou encore à Londres. ( cf B . Malinowski, Les Argonautes du pacifique occidental )

La psychologie collective imprégnait donc la totalité des relations économiques. Tel fut le constat.

Et jusqu’à l’hallucination collective…

Fr. Simiand fut l’un des premiers à souligner que des notions d’échange comme la monnaie étaient dépendantes d’une < foi sociale > comme de certaines valeurs de prestige mises en évidence dans les sociétés non industrialisées :

< Comment cette valeur à eux reconnue n’aurait-elle pas, à qui la possède, donné pouvoir d’obtenir actions, choses, des autres hommes, moyennant cession partielle appropriée à cette richesse par excellence ?

Mais, ici encore, sur quoi se fonde cette estimation d’une chose < qui ne sert à rien que de pouvoir obtenir de quoi servir à tout >, sinon sur l’opinion, sur la croyance qu y donne valeur supérieure à tout, et qui est ancienne, persistante, universelle, dans ces cadres d’évolution ?

Ici ce n’est pas seulement une confiance d’une nation, ou de ressortissants d’autres nations, en l’avenir de cette nation seule ; c’est une confiance qu’a toute une partie du monde, et, en certains cas, le monde entier, en sa propre universalité future, quant à un trait persistant et séculaire de son universalité passée.

Mais dans ce cadre élargi et durable, comme dans ce cadre plus limité, la base est une croyance sociale, une foi sociale.

On oppose souvent monnaie de métal précieux et monnaie dite fiduciaire. Nous apercevons maintenant que Toute monnaie est « fiduciaire »

Opinion, croyance, imagination… reines du monde écrivait Pascal…  

4. Queneau à la Bourse :

« fous » économistes, anthropologues et médecins de la civilisation

< Jamais auprès des fous ne te mets à portée : Je ne puis te donner un plus sage conseil. Il n’est enseignement pareil à celui-là de fuir une tête éventée >

Jean de La Fontaine, Le Fou qui vend la sagesse 

< Le monde n’a jamais manqué de charlatans : Cette science, de tout temps, fut en professeurs, très fertile > Jean de La Fontaine, Le Charlatan

< Voyez, voyez la machine tourner, voyez, voyez la cervelle sauter… >

Alfred Jarry, Chant du décervelage

Les fous économistes…

Quêteurs d’ether, trisecteurs, quadrateurs, chercheurs de mouvement perpétuel, géniteurs de nouveaux paradigmes culturels, économiques, socio-politiques…

Aux « fous littéraires » relevés jadis par R. Queneau, le Collège de ‘Pataphysique non occulté et plus récemment par Marc Décimo, s’adjoignent les fous « scientifiques », auto-proclamés  » anthropologues », brasseurs d’idées à la compétence prétendument universelle.

Mais qui -pour la satisfaction du ‘pataphysicien- ne sont pas les moins intéressants…

Notamment dans le domaine de la docte économie politique.

Ainsi, les divers avatars de cette gérontocratie médiatique omniprésente –nouvelle nef des fous– constituée d’une sequelle laborieuse et bavarde de gourous… sexagénaires.

 Ne pouvant s’accommoder d’un réel chaotique insatisfaisant fait d’inintelligibilité, d’exceptions événementielles, de contingence et de précarité factuelles, après avoir reproduit en toute inconscience l’espèce, c’est-à-dire renouvelé les conditions biologiques du tragique, se souciant mais un peu tard de l’avenir de sa progéniture, la conscience malheureuse, hallucinée et ressentimenteuse, jouant l’air bien connu de la culpabilisation générale, brasse les filets d’air de la dialectique transcendantale, plus précisément de la raison pure en économie politique.

 Substituant une mythologie à une autre… elle se propose de remplacer la Providence par la Raison et la Démocratie totalitaire… le Marché universel par le fantasme « régulateur » des Lumières (sic) et le fanatisme de la « Bonne Gouvernance Mondialisée » …

Elle en appelle à l’émergence d’ une nouvelle classe cosmopolite « citoyenne et responsable »… apte à résoudre les prétendus contemporains » défis » écologique, financier, économique et démographique…

Afin de mieux… < sauver la planète et le genre humain > !

On ne doute de rien…

Pour modestement contribuer à cerner ces audacieuse divagations, on donnera cet extrait d’une intervention de Vaclav Klaus sur l’alarmisme, texte qui décrit assez bien la récurrence d’une attitude faite de certitude dogmatique planificatrice et d’arrogance relationnelle :

< …Voici quelques jours, j’ai prononcé un discours à Prague lors d’une rencontre officielle organisée en souvenir du 60e anniversaire du putsch communiste de 1948 dans l’ex-Tchécoslovaquie. L’un des arguments essentiels de mon discours, repris dans les principaux journaux du pays, était le suivant : les dangers du futur n’auront pas les mêmes formes. L’idéologie d’inspiration sera différente.

La source, néanmoins, sera la même : l’idée délétère selon laquelle l’individu doit être sacrifié au bien commun, et la certitude inébranlable qu’ont ceux qui portent cette idée qu’ils ont le droit de nier la liberté humaine pour remodeler la réalité à leur guise. Ce à quoi je pensais, au moment où je parlais, était, bien sûr, l’écologisme, et l’alarmisme climatique qui en découle.

…Cela me reconduit à la politique. Dès lors que j’ai connu personnellement la planification centrale communiste de toutes sortes d’activités, je me sens obligé de rappeler les arguments presque oubliés du fameux débat plan contre marché qui a marqué la pensée économique des années 1930 (Mises et Hayek étaient d’un côté de l’équation, et Lange et Lerner de l’autre), les arguments mêmes que nous avons utilisé jusqu’à la chute du communisme. La façon dont les alarmistes du climat et leurs compagnons de route dans la politique et dans les médias présentent et justifient leur volonté de remodeler la société appartient à la même présomption fatale que le communisme ou le planisme. A mon grand désespoir, ce n’est pas dit suffisamment.

Les alarmistes du climat croient en leur propre omnipotence. Ils se disent qu’ils savent mieux que des millions d’êtres humains se conduisant rationnellement ce qui est bien ou mal, et ils ne doutent pas de leur propre aptitude à assembler toutes les données requises dans le Bureau central de la réglementation climatique en utilisant de gros ordinateurs, et à donner depuis là des instructions adéquates à des millions d’individus et d’institutions.

Vaclav Klaus, Discours prononcé le 4 mars 2008 à la Conférence internationale sur la changement climatique à New York. 

< Préférer l’illusion qui réconforte à la réalité qui dérange >, est le lot habituel des « intellectuels »… engageant à leurs basques une foule de nigauds, de dévots et d’ignorants béats « commentateurs » moins soucieux d’objectivité ou de simple curiosité qu’en quête de sécurité psychologique et de certitudes intellectuelles.

Quand il ne s’agit pas de légitimer par le Verbe une fort banale mais dissimulée volonté de puissance ou encore l’assez commun besoin de notoriété…

 C’est que les analyses intempestives de la tradition réflexive et les conclusions abruptes de la Critique de la raison pure, cette leçon d’hygiène mentale, n’auront été d’aucune utilité et que l’ubumanité dans le mouvement quasi fatal de sa pandémie idéologique, ne cesse de reproduire sa geste indéfinie de visions, de superstitions et de balivernes idéologiques.

C’est ainsi et -pour notre particulier- nous n’en sommes ni étonnés ni marris.

 Aussi pour notre délectation, nous souhaiterons à tous ces… paonseurs une fécondité prolifique… et, sur le forum de la platonicienne caverne, tout le succès auquel ils aspirent…  

note / billet : Paul Jorion, Jacques Attali, deux « médecins de la civilisation »… parmi tant d’autres   

< -Autrement dit, tu es un intellectuel, et tu veux agir. C ‘est un cas pathologique connu… >

Raymond Queneau, Les derniers jours

1. Selon cette perspective, le ‘pataphysicien pourra consulter sur le Net le blog Paul Jorion…

Il y assistera  » en temps réel  » à l’émergence d’une secte millénariste dont les membres suivent avec fièvre les péripéties de la  » crise » du  » système  » attendant avec gourmandise la catastrophe finale… d’une hypostase, d’un concept réalisé, le  » Capitalisme « .

Sélection ad hoc des informations, interprétations unilatérales des faits, interventions sous forme de confidences du maître, effusions, protestations de reconnaissance et d’allégeance intellectuelle des disciples, sentiment d’appartenance à une société d’initiés, mépris affiché des hypothèses divergentes, suffisance péremptoire des adeptes… on rencontre ici les signes habituels de l’esprit d’église et de parti.

A tel point qu’on se demande, à la lecture de certaines communications, si on ne serait pas en présence d’une parodie de parodie…

-On pourra notamment prendre connaissance d’un symptomatique débat relatif à l’ « essence  » de la monnaie… la montagne accouchant évidemment d’une souris…

Une réflexion élémentaire sur la définition de la définition et le réalisme conceptuel -dans la ligne d’Antisthène, de Sextus Empiricus, d’Occam, de Taine, de Nietzsche, de Wittgenstein, de Louis Rougier ou encore… du docteur Sandomir-, eût en effet permis de faire l’économie d’une semblable quête du Graal…

Les idées ( dont l’idée de monnaie ) étant -comme tout un chacun… ne le sait pas- définies moins par leur essence que par leur rôle

Mais si, du côté du prosélytisme, l’attitude critique -au sens de Kant- n’ a jamais fait vraiment recette, le fantasme du Savoir absolu, dont le Concept hégélien donna en son temps l’expression la plus achevée, semble, chez les métaphysiciens rationalistes comme pour la plupart de nos congénères, irrépressible.

On appréciera également la saveur d’un anachronisme philosophique qui prétend dégager de quelques textes d’ Aristote des réponses à la problématique contemporaine… de la circulation des capitaux et des biens.

2.

Selon une thématique voisine, mais sur un mode beaucoup plus retenu, on pourra goûter pleinement les pronostications de Jacques Attali, autre esprit universel, éblouissant Visionnaire spécialiste de l’objet quelconque, ardent apôtre de la « Gouvernance mondiale », dont le blog et les derniers ouvrages, consultables sur les présentoirs de la Grande Distribution, proposent diverses analyses et maints autres remèdes dans la louable intention d’éradiquer les maux soufferts par le Genre humain…

Gouvernement mondial, c’est-à-dire : pensée mondiale et… oligarchie mondiale…

Telle est l’hallucination idéologique d’un petit peuple de prêtres aspirant à maîtriser une humanité planétaire atomisée…

Nous sommes loin de la « mondialisation heureuse « naguère célébrée sur le même ton et sur des canaux identiques par quelques autres gourous tout aussi médiatisés, tout aussi réjouissants…

Vous avez dit… < identité des contraires > ?…-la ‘pataphysique est la science des solutions imaginaires…-   

5. Une utopie contemporaine : la croissance durable. Note/réflexion

Sur l’utopie : cf Raymond Ruyer

Du même auteur, à consulter pour le plaisir intellectuel procuré : Les cent prochains siècles.

 Parmi les fantasmes engendrés par la prétendue « crise du capitalisme » en ce début de 21°siècle, le < développement durable > est sans doute celui qui suscite le plus de commentaires et suscite le plus d’espoirs.

A sommer toutefois les circonstances de son effectivité, on mesure le caractère hautement improbable de ce « songe de veillants » comme disait Montaigne…

Elle suppose en effet un ensemble de facteurs naturels, biologiques, culturels, économiques et politiques qui, réunis, relèvent davantage d’une … logique de mouvement perpétuel que de physique concrète.

Soit :

-une absence de catastrophe naturelle majeure (cataclysme cosmique ou tellurique)

-une absence de pandémie remettant en cause la survie de l’espèce humaine dans son ensemble.

-un génome humain dégagé des facteurs entropiques susceptibles de l’affecter.

-des ressources naturelles alimentaires et énergétiques aisément disponibles et constamment régénérées.

-une démographie planétaire pleinement maîtrisée.

-une humanité apaisée soucieuse du « bien commun » et de « l’intérêt général » , altruiste, à la psychologie libérée des sources habituelles de la quérulence.

(tant sur le plan international que sur le plan local)

-un mode de gestion et de gouvernance mondial consensuel et librement accepté.

-une productivité continue, bien contrôlé ( créativité techno-scientifique pérenne ).

-une égalité relative des conditions d’existence, des capacités, des compétences, des besoins et des désirs humains.

-une humanité composée d’agents rationnels libérés du… « démon de la perversité ».

La liste pourrait sans doute être complétée…

Quant à l’utopie symétrique, celle de la frugalité retrouvée, proposée par plusieurs… sa mise en oeuvre enveloppe une diversité de conditions qui ne seraient pas moins considérables et contraignantes.

On peut se divertir à les recenser…  

6. De la « crise » , des « cycles »et que la ‘pataphysique n’est pas soluble dans le capitalisme 

« Vive la crise ! » Yves Montand / Laurent Joffrin

( France 2 , février 1984, relayé par un supplément du quotidien Libération )

< … en toutes choses, revenir au criticisme… Au lieu de poser des principes a priori et d’en déduire des conséquences comme le font les idéologues et les métaphysiciens, se proposer comme objet principal de déterminer les limites et les conditions de notre faculté de connaître, selon la mode des ‘pataphysiciens >

Lothaire Liogieri, Opuscules ‘pataphysiques, séminaires de Prin 

 2010… < Crise du capitalisme > ?…

Un frisson parcourt l’échine du pataphysicien… serait-ce le commencement de la fin fantasmée par certains ?

Le Grand soir, l’Apocalyse guettée par l’Idéologie, la Frustation et le Ressentiment, ces grandes figures métahistoriques ?…

Ou… une banale phase de contraction accompagnant l’expansion planétaire de l’économie de marché, voire une simple… péripétie affectant un processus pluriséculaire ?

Et s’il s’agissait d’une impropriété de terme, d’un abus de langage, d’une métaphore trompeuse ?

1. Crise.

-Etymologie et définition :

< Crise >, étymologiquement < krisis », signifie en grec < décision >, de < krinein >, séparer.

-Au sens logique le terme désigne une phase difficile et grave d’une évolution.

-Empiriquement, la notion concerne en premier lieu la chose médicale. Elle a gagné ensuite par emprunt le vocabulaire de l’économie politique.

On voit qu’il s’agit du transfert d’un concept d’un univers de connaissance à un autre.

– Les synonymes -trouble / attaque / perturbation /stagnation / marasme / récession / dépression / paroxysme- , indiquent des temps de grandes difficultés existentielles, individuelles et/ou collectives.

Les effets psychopathologiques induits -jusqu’ à la convulsion sociale- manifestent une situation de détresse.

2. Capitalisme.

2.1. Traits généraux.

Point de vue phénoménologique et/ou descriptif : « Immense accumulation de marchandises… » ( Anonyme )

2.I.I. Régime économique et social fondé sur la primauté du capital dans l’entreprise. Il s’oppose à l’idée de communisme et de collectivisme.

2.1.2. « Idée de la raison » ( au sens de Kant, par l’usage intempérant des catégories d’unité, de totalité, de systématicité ) désignant les forces, les puissances capitalistes formant comme un Tout.

Caractères principaux :

– L’épargne est à sa source / l’intérêt ou le profit constituent sa rémunération. La finalité du régime capitaliste est la recherche exacerbée du plus grand profit.

– Inégalité du capital et de travail / Inséparable du libéralisme, fondé sur la concurrence, c’est un régime de liberté opposé au dirigisme.

-Mécanisme : la concurrence amène l’abaissement du prix de revient des marchandises et l’accroissement des richesses produites ( qu’elles soient adaptées aux besoins ou qu’elles les créent ).

-Nécessité de prendre en compte des contingences sociales afin d’obtenir le meilleur rendement des collaborateurs, l’adhésion des consommateurs et la paix civile.

D’ou les politiques de redistribution, d’allocations, de subventions, etc… émanant des Etats-Providence.

2.2. Le capitalisme en son devenir :

-Long processus historique depuis le 17° siècle européen :

coopération manufacturière, révolution industrielle, puis élargissement du mode de production à l’échelle de la planète… (GB/Europe/ USA/ puis autres continents).

-Pavé dans la mare humaine… extensions successives menant à la globalisation des échanges et généralisation d’un mode de production/ consommation devenu culture et mimétisme planétaire.

-Emergence progressif d’ un Sentiment de la vie généralisé / Manière collective d’être au monde.

-Optimisme rationaliste et fétichisme technoscientiste.

-Amoralisme productiviste et/ou utilitarisme éthique.

2.3. l’évolution du capitalisme.

-Causes.

Pour limiter la concurrence, accélération du mouvement de concentration et multiplication des ententes ( cartels/ trusts ).

Lobbying : action sur la politique des pouvoirs publics ( barrières douanières etc…) protection des industries nationales.

Inversement, ouverture généralisée des marchés nationaux ( O.M.C.)

-Effets.

Constitution de monopoles. Disparition des freins à l’élévation des prix et du profit.

Domination tendancielle du capitalisme financier sur le capital industriel et commercial.

D’où l’ imputation d’ illégitimité du profit jugé démesuré, l’accentuation de l’inégalité capital/travail, l’ intervention régulatrice des Etats.

3. Crises du capitalisme ?

Au sens strict, il n’y a pas de « crises » mais une succession de péripéties faites d’innovation/destruction créatrice ( Schumpeter ) se traduisant par des récessions, des dépressions, des phases d’expansion.

< Crise >, est un terme inadéquat confondant description analytique, jugement de valeur voire intention réformatrice…

En fait, la succession des péripéties du  » capitalisme  » est vécue diversement par les perdants, les déclassés et les gagnants.

On notera l’extraordinaire vitalité d’un mode de production, d’échange, de répartition et de consommation inédit dans l' »histoire humaine ».   Note sur le concept de cycle.

L’économie politique – comme discours à prétention scientifique- est le théâtre d’ un assez fastidieux débat.

Il concerne la pertinence des modèles cycliques dans le but d’assurer la prévision des « contractions » et autres « dépressions » qui affectent le cours agité de la production et des échanges…

Les Maîtres et les Escholiers distinguent habituellement :

1. Le cycle court d’une dizaine d’années 2. Les cycles longs (ou de Kondratieff) 3. Les cycles mineurs (ou de Kitchin) 4. Les cycles de Kuznets…

Les Tentatives d’explication de la périodicité de ces crises sont multiples et variées.

On évoque successivement :

-l’ excès ou l’insuffisance d’outillage industriel ( théorie technologique );

-l’alternance des hauts et des bas profits ( théorie économique );

-le changement de la valeur de la monnaie ( théorie monétaire );

-les déséquilibres entre la production et le pouvoir d’achat ou entre l’épargne et l’investissement. ( Théorie du plein emploi );

-ou encore. selon Stanley Jevons… la relation des bonnes ou mauvaiss récoltes avec les taches solaires…

Qu’en penser?…*

 1. < Cycle > désigne une sérié d’événements censés se reproduire à intervalles réguliers ( durée, période ) et dans un ordre constant.

Or, il n’y a jamais -quel que soit le domaine de  » réalité »-, reproduction d’événements ou d’intervalles événementiels identiques ou même absolument réguliers excepté pour une approche grossière, superficielle et approximative.

Tout juste pourrait-on évoquer un certain  » air de famille » -à reprendre une métaphore épistémologique de Wittgenstein.

Tout fait est particulier. Tout événement est singulier. Y compris le fait économique.

Selon l’ontogénie ‘pataphysique, la < singuparticularité > dans l’être, la coalescence éphémère de qualités sensibles, est le fait ontologique premier, incontournable et irréductible.

Et au principe de l’universalité ( kantien ) comme au principe de la ressemblance ( cher aux empiristes ), le ‘pataphysicien substitue l’expérience de l’exception.

2. La notion de < cycle > n’est qu’une notion mathématique importée dans la sphère économique.

Afin de satisfaire le besoin de certitude, la mentalité et le régime d’intelligibilité rationalistes.

Ce transfert se traduit par une falsification du réel expérimenté et réfléchi.

Falsification par ailleurs banale, propre à la connaissance humaine quels que soient ses domaines d’application.

( thèse de Nietzsche, Vérité et mensonge du point de vue extramoral et thèse ‘pataphysique fondamentale ; cf le Testament Sandomir )*

La < loi d’airain > du capitalisme – son amorale nécessité-, est l’incessante contrainte d’adaptation des agents économiques à l’innovation créatrice et destructrice

Ce caractère, analysé jadis par Joseph Schumpeter, Capitalisme, socialisme, démocratie, est parfois jugé tyrannique par les intéressés…

Question d’attitude devant l’existence, simple affaire de goût…

Schumpeter distinguait cinq types d’innovations :

la fabrication de biens nouveaux, les nouvelles méthodes de production, l’ouverture de nouveaux débouchés, l’utilisation de nouvelles matières premières, une nouvelle organisation du travail :

« L’impulsion fondamentale qui met et maintient en mouvement la machine capitaliste est imprimée par les nouveaux objets de consommation, les nouvelles méthodes de production et de transport, les nouveaux marchés,

les nouveaux types d’organisation industrielle – tous éléments créés par l’initiative capitaliste. […] L’histoire de l’équipement productif d’énergie, depuis la roue hydraulique jusqu’à la turbine moderne, ou l’histoire des transports, depuis la diligence jusqu’à l’avion. L’ouverture de nouveaux marchés nationaux ou extérieurs et le développement des organisations productives, depuis l’atelier artisanal et la manufacture jusqu’aux entreprises amalgamées telles que l’U.S. Steel, constituent d’autres exemples du même processus de mutation industrielle – si l’on me passe cette expression biologique -qui révolutionne incessamment de l’intérieur la structure économique, en détruisant continuellement ses éléments vieillis et en créant continuellement des éléments neufs.

Ce processus de Destruction Créatrice constitue la donnée fondamentale du capitalisme : c’est en elle que consiste, en dernière analyse, le capitalisme et toute entreprise capitaliste doit, bon gré mal gré, s’y adapter. »*

La ‘pataphysique prend acte de tous les épisodes de l’épopée tragi-comique de son Eminence le Capital, -certes passablement dramatiques, mais qui n’affectent que la personne du ‘pataphysicien.

Personne… diaphane pour qui n’accrédite pas le fantasme métaphysique de la substance.

Métalangage aussi décalé qu’impersonnel, elle n’est donc pas soluble dans le « capitalisme »…cette révolution technologique et sociale permanente, cette recherche compulsive de l’accumulation et du « profit ». **  Note : sur l’idée de « système » capitaliste < Il est plus beau d’étudier les conjonctions … >Alfred Jarry

On pourrait étendre les attendus et les conclusions de cette brève analyse réflexive à la notion de  » système  » capitaliste.*

Quant à la signification, à la valeur et à la portée de cette notion de < système >, il faut en revenir au criticisme kantien et à son analyse du conflit des facultés ( désir, imagination, entendement, raison ).

L’auteur de la Critique de la raison pure remarquait que la raison a généralement pour but l’unité systématique de son contenu.

Même s’il n’est pas possible d’atteindre à la totalité dans la connaissance empirique, l’entendement aspire à une intégralité systématique.

Au moyen de l’idée de système, il assigne à chaque élément de connaissance sa place dans un ordre unitaire.

La raison humaine est, de par sa pente naturelle,  » architectonique « . Elle envisage toutes les connaissances comme appartenant à un système possible.

L’unité rationnelle présuppose toujours une idée postulant une unité intégrale de la connaissance intellectuelle, qui fasse de celle-ci , non pas simplement un agrégat accidentel, mais un système lié suivant des lois nécessaires.

Et c’est seulement au moyen de l’unité systématique que la connaissance devient une science, un système.

-Ce constat vaut pour l’économie politique et son concept de  » système capitaliste » qui n’est en fait qu’une idée régulatrice de la raison spéculative.*

Le dogmatisme naïf se méprend sur l’origine et la mise en forme de la connaissance humaine.

Il considère ses exigences psychologiques, ses principes subjectifs et ses catégories ( substance, causalité… ) comme… des propriétés de choses en soi.

Ainsi, le  » capitalisme « , notion constituée légitimement comme le concept d’un tout, devient idée transcendantale de la raison pure politico-économique.

Il alimente d’incessantes querelles relatives à sa nature, à son devenir, voire à son terme…

Différends alimentés par la candeur épistémologique, l’intérêt et la passion idéologique ( libéraux, dirigistes, socialistes, néo-libéraux, néo-keynésiens… )

Notamment la controverse qui oppose la thèse néolibérale du Marché ( envisagé comme dimension  » naturelle  » de la relation économique et même de toute l’existence humaine ) à l’hallucination de La Crise apocalytique susceptible de mettre un terme à un mode de production abhorré…

( Sur la genèse psychologique de la dialectique et l’ illusion transcendantales, cf les leçons de Michel Alexandre consacrées à Kant )*  » Ce sont engins que tous ces concepts, ingénieux et ingénus »… ironisait jadis < Louis-Irénée Sandomir >, suivant Nietzsche, à propos du fétichisme conceptuel généré par l’humaine pensée…  

**

 7. L’économie politique : de la Chrématistique à l’Extinction du Paupérisme

Branche de l’anthropologie, l’ économie politique se présente habituellement comme science de la production des richesses, de l’échange, de la consommation.

1. L’histoire de l’économie politique est celle de sa subordination :

-à la morale ( critique des Cyniques puis aristotélicienne de la richesse intempérante );

-à la théologie ( ascétisme chrétien médiéval );

-à la politique dynastique ( mercantilisme du 17° siècle français );

-à la métaphysique : l’idée de loi naturelle est commune aux Physiocrates et à l’optimisme providentialiste d’ Adam Smith et de l’école de Manchester;

-à l’organicisme holistique : d ‘Aristote à la contemporaine mythologie de l’Etat-Providence, on constate la récurrence du thème du « bien commun » et du « bonheur des peuples ».

*

2. On sait qu’Aristote en fut l’initiateur ( PolitiquesEthique à Nicomaque )

Sous le terme de chrématistique il nomme l’étude de l’acquisition et du développement des richesses.

Mais il condamne l’économie déréglée, le désir d’enrichissement illimité -provoqué selon lui par la monnaie- qui donne naissance au commerce, à la finance et au travail salarié, activités caractéristiques de l’économie capitaliste.

Si la chrématistique enveloppe l’ensemble des activités qui tendent à l’acquisition et au développement illimités de la richesse, ces activités s’émancipent du contrôle de l’économie qui doit les contenir dans certaines limites en leur imposant les normes du bien vivre.

Selon le Stagirite, la chrématistique doit « normalement » être subordonnée à l’économie qui est l’art d’en bien user.

Aussi Aristote blâme-t-il ces activités, signes d’une avidité sans mesure qui corrompt des professions utiles telles la médecine en subordonnant leur finalité normale à la recherche du profit.

D’où son opposition au prêt à intérêt. La destination  » naturelle » de l’argent est l’échange des biens d’usage.

Par l’usure, le moyen devient fin.

On remarquera que la vision d’Aristote concernait une économie autocentrée, holistique, l’économique étant subordonnéé à l’Ethique et au Politique.

*

3. La Scolastique ( Thomas d’Aquin ) reprit en gros les thèses du Stagirite, dans un contexte chrétien.

Le but de l’existence n’est pas l’enrichissement mais le salut.

L’économie doit certes satisfaire les besoins naturels et nécessaires des fidèles mais l’excès de production et de richesse, l’inflation de change et d’échange sont perversions coupables.

D’où l’aversion pour les activités d’usure confiées à des populations spécialisées et plus ou moins ostracisées.

*

4. L’émancipation théorique de l’économie politique est indexée à la publication du grand ouvrage d’Antoine de Monchrétien, le Traité de l’Economie politique ( 1615 ).

Il libéra la réflexion portant sur la production et la finalité des richesses des considérations morales puis théologiques où la sagesse aristotélicienne, l’ascétisme du Bas-Empire et l’Eglise l’avaient confinée.

Le problème est alors déplacé.

Il ne s’agit plus de déterminer les conditions sociales du bien-vivre ; il s’agit de rechercher les conditions de l’enrichissement du Prince et… très accessoirement, de la prospérité des peuples.

*

5. Sans se soustraire à l’idéologie naturaliste, les 18° et 19° siècles virent s’affronter les partisans de la Terre entendue comme source de la valeur, les Physiocrates et les zélotes du Travail ( Adam Smith, David Ricardo, Karl Marx… ) ; la réflexion accompagnant la révolution industrielle et le grand mouvement d’échange international qui s’ensuivit.

Et l’économie politique pensée comme fonction du corps social généra une logorrhée intarissable sur la question de la répartition… reprise de l’antique problématique aristotélicienne relative au bon usage des biens.

Ainsi certains lui assignèrent-ils et lui assignent comme fin… l’Extinction du Paupérisme.

A l’instar de cette emblématique figure de l’Humanisme que fut en son Temps… Louis-Napoléon Bonaparte…

Quant aux moyens d’y parvenir… les écoles et les chapelles se partagent toujours… le Marché et la Bourse aux Idées.

La phraséologie y est reine, nourrissant controverses et interminables débats…

Les Editorialistes innombrables, les Experts à martingales mathématiques et les chers Professeurs ne semblant pas, à ce jour, avoir rencontré un Lucien pour… les mettre plaisamment à l’encan.

*

Loin de ce forum tout bruissant de grandiloquentes envolées, le ‘pataphysicien, cultivant la docte ignorance, sourit à cette pointe sèche d’Henri Somm publiée au Chat Noir, le 25 novembre 1882 : < Tous ceux qui ont cherché le problème de l’Extinction du paupérisme, paraissent d’accord sur les moyens à employer.On y va de sa petite Révolution… et on fait tuer beaucoup de pauvres. D’où -Extinction radicale du Paupérisme, pour les susdits. Ce qu’il fallait démontrer

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 8. L’économique du Père Ubu Sur  » la crise  » : collection d’épiphanies( Chronique Agora / Blog Jorion / AgoraVox / ContrInfo / Les Echos / Slate.fr /etc… )  

 < la monnaie est vraie parce que c’est la personne régnante, l’Etat, république ou roi, qui la bat. C’est le plus fort qui bat. Pauvre plâtre des monnayeurs ! La monnaie est  » vraie » quand son auteur, de par sa situation privilégiée, < n’est point passible de peines correctionnelles > La patrie, la nation a le droit de rouer de coups la monnaie officielle, soit celle d’un titre plus faible que celle que fabriquerait un simple particulier honnête homme… Possession vaut titre. La concurrence n’est pas autorisée en matière de monnaie fiduciaire. Fiduciaire : la monnaie officielle repose sur la confiance. Il est bon qu’une confiance soit de tout repos pour qu’en toute sécurité on la trompe… > Alfred Jarry, La Chandelle Verte 18/24 août 1903

< Les Marchés ?… l’Avidité, le Risque, la Peur, le Panurgisme >

Pataphile Episcope, Echappées sur l’économie politique

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1. Finance imaginaire et dettes d’Etat ( ou l’intempérance obligataire du docteur Faustroll )

Même des pays inexistants manquent à leurs engagements…

En 1822, « General Sir » Gregor MacGregor émit les obligations d’un pays fictif qu’il appela Poyais, dont la capitale, Saint Joseph, était décrite dans le prospectus comme ayant « de vastes boulevards, des immeubles à colonnades et une splendide cathédrale avec un dôme ».

Les obligations se vendaient à des rendements plus bas que ceux du Chili. -Mais peu importe que le pays soit réel ou imaginaire : aucun ne paie ses dettes.

2. La finance ou le le travail de Dieu…

Le PDG de Goldman Sachs a prétendu récemment que les banquiers faisaient « le travail de Dieu » car ils financent les entreprises, leur permettent ainsi de prospérer et font croître la richesse globale.

3. Le Marché comme lieu de toutes les informations ( le Savoir Absolu ou Hegel chez les banquiers )

Selon l’hypothèse des marchés efficients, le prix des actions contient toutes les informations, les théories et les illusions de tous les intervenants au monde.

Selon ce raisonnement, l’information fournie par les cours est « parfaite ». Personne ne peut en savoir plus sur la valeur à laquelle une action devrait s’échanger.  

4. Actifs « toxiques » ( Puissance de l’imaginaire. Quand le Virtuel phagocyte le Réel )

Oui. C’est là que je me dis que peu de gens comprennent le malaise…. Vous avez certainement lu quelque part le terme « actifs toxiques ». Ou entendu, c’est pareil. Je vais vous donner un autre terme, plus révélateur : « actifs devenus subitement toxiques ». Cela va allumer un projecteur plein phare sur cet argent complètement virtuel qu’un banquier ou tout agent de finance peut imprimer dans son garage (pardon, bureau). Lorsqu’un financier a un gros paquet de dettes qu’il a fait contracter à ses clients pour des achats de maisons, voiture, prêts à la consommation, cartes de crédits… Il peut dire qu’il va avoir des rentrées d’argent et donc un capital beaucoup plus important à terme. Il cumule aussi ce futur argent avec ce que vont lui rapporter les achats à terme (interdits en début de généralisation de crise en septembre 2008 par 3 pays du G20, puis…rétablis) Et donc, il va imprimer des bouts de papiers. Sur lequels sera noté qu’en échange du papier, il donnera une somme fonction de l’argent qu’il gagnera. Et il vend ces bouts de papier. Il les appelle même « actifs ». Pour mieux les vendre. Le malaise est que ces « actifs », que tous les bons organismes financiers, voire publics, ont acheté, sont actuellement estimés à entre 600 000 milliards et 1 400 000 milliards de dollars.

5. Mathématiques financières ( incidence économique des jeux / fétichisme algorithmique ) et « responsabilité diluée »…

Il y a déjà quelques années, je cotoyais un petit nombre d’étudiants critiques en mathématiques financières et déjà, ils me faisaient part de cet écran de fumée mathématique. En gros, des théories qui s’auto-démontrent, des axiomes qui mènent à tout et son contraire, une superbe arnaque intellectuelle. Je me posais alors une question : avais-je affaire à une bande de gaucho-anarchistes utopistes (aucune notion péjorative ici), à des cancres incapables de comprendre quoi que ce soit (j’en doutais), ou bien tout simplement à des individus honnêtes et compétents, ce qui soulevait une autre question : pourquoi, si eux voyaient cette évidence, ces grands spécialistes (dirigeants banquiers, groupes de contrôles etc.) eux ne réagisssaient pas ? Pour certains universitaires, cela était évident, il s’agissait d’un jeu intellectuel dont on oubliait les répercussions. D’autres avaient conscience de l’arnaque mais ne trouvaient pas la force de lutter contre ce genre de pratiques au risque de se faire éjecter du système. Et enfin, ceux qui attendaient leur tour pour pouvoir prendre leur part du gâteau. Quant aux professionnels, il y avait ceux qui profitaient et ceux qui tenaient à leur place. Comme toujours, personne n’était pleinement responsable. On appelle cela la responsabilité diluée. Pratique ! Et pour éviter de réfléchir, de nous responsabiliser, on nous assomme de morale manichéenne, de peurs de l’autre, de rêve de lendemains à 15%, voire 20%…

6. Arsène Lupin, la banque et le crédit d’Etat

C’est le bon moment pour dévaliser une banque… pour une fois, elles ont de l’argent !

Les banquiers se sont vraiment rachetés rapidement. Il y a quelques mois à peine, nous nous moquions d’eux : « que dit-on à un banquier qui a perdu son emploi à Wall Street ? », « Je prendrai une grande frite, avec mon hamburger ». Et voilà qu’ils sont à nouveau des génies. Ils peuvent le prouver, en plus… il suffit de regarder leurs bulletins de paie ! Et oubliez pas la possibilité de voir ces nigauds retomber dans les mêmes erreurs. Ils ont toute la confiance — et tout le crédit — des Etats-Unis d’Amérique. Voilà ce qu’on apprenait de l’agence Associated Press : »Washington (AP) — L’organisation surveillant le renflouage financier du gouvernement fédéral déclare que l’exposition maximale du gouvernement aux institutions financières depuis 2007 pourrait atteindre un total de près de 24 000 milliards de dollars, soit environ 80 000 $ par Américain ».

7. Intermittences du… choeur : amour et haine des banquiers…

la haine des banquiers est cyclique. Elle suit le cycle du crédit.

Bien entendu, les banquiers sont toujours des voyous et des idiots. Ca ne fait aucun doute. Mais parfois nous les aimons bien, et parfois non. Dans le film La Vie est belle, James Stewart joue le rôle d’un banquier comme on les aime. Sa banque gagnait de l’argent à l’ancienne — en aidant ses clients à financer des maisons et des entreprises. C’est ce que font les banquiers durant la partie ascendante du cycle du crédit… Lorsque le cycle se retourne, les banquiers sont des parias. Personne ne hait autant un banquier qu’une personne lourdement endettée. Et la fin d’une expansion du crédit, les gens sont plus lourdement endettés que jamais. Le pauvre banquier doit rester enfermé chez lui, tous rideaux fermés, prétendant être parti en Floride pour l’hiver… ou être sorti pour affaires. Vous pouvez voir pourquoi les krachs sont si importants. Ils agissent comme un test de QI pour banquiers. Les idiots et les gloutons sont éliminés– sauf si le gouvernement intervient pour les sauver.

8. Diagnostic : dégonflement de la plus grosse bulle de crédit jamais observée ( ou le Père Ubu au régime )

Nous vivons actuellement le dégonflement de la plus grosse bulle de crédit jamais observée. Ainsi, la présente crise est d’un type différent des problèmes conjoncturels rencontrés depuis les années 30. Nous sommes confrontés en réalité à une crise de solvabilité. Les Etats, les ménages, les entreprises sont massivement endettés. Le temps est désormais venu de payer ses dettes. Mais plus généralement et pour être tout à fait réaliste, c’est à la fin d’un système économique auquel nous sommes confrontés. L’application politique des thèses néo-libérales (efficience des marchés, dérégulation, retrait massif des états du champ économique, disparition des politiques sociales) lors de l’accession au pouvoir de Margaret Tatcher au Royaume-Uni et de Ronald Raigan aux USA a favorisé la croissance exponentielle de la dette publique et privée dans ces deux pays. Les autres nations développées ont, elles aussi, suivi la même démarche mais à partir des années 90, bientôt rejointes par la quasi totalité des autres pays. La dynamique de mondialisation, qui n’est rien d’autre que l’aspect le plus visible de la financiarisation de l’économie, s’inscrit elle aussi dans la logique néo-libérale de compression des coûts (Salaires et fabrication) dont le seul but est de rémunérer toujours plus les financiers et actionnaires. Afin de continuer à garantir la croissance dans un contexte de pression baissière sur les salaires, de nombreux outils ont été créés afin de pousser l’endettements des ménages au maximum de sa capacité. C’est cette logique qui vient de prendre fin. La rupture systémique s’est au final déclenchée du fait de l’octroie de crédits à taux variable à des ménages faiblement solvables et surtout par le biais de la titrisation. Une fois encore (les mêmes erreurs ont été commises dans les années 20), le laisser faire et l’absence de régulation a plongé la planète dans une situation plus que délicate. Le retournement de l’immobilier aux USA, dès juin 2006, a littéralement pris au piège les emprunteurs subprime. Ces crédits se caractérisent en effet par un taux d’appel très faible revalorisé au bout de deux ans. Les emprunteurs comptaient sur une revente avec plus-value pour solder leur dette par la revente avant les deux années. De la même manière, les sociétés financières ont sous estimé le risque, comptant sur la possibilité de saisir le logement et de le revendre avec une plus-value dans un marché immobilier en forte hausse et dont personne à l’époque ne voulait envisager le retournement. Qu’ils ont perdu le peu qu’ils avaient parce que sans doute… il n’y a rien à gagner…

9. la « logique financière » : Auto-organisation, néguentropie ( théorie du chaos ) et continuation de l’Histoire…

Voyons du côté de Prygogine:“L’auto-organisation est un phénomène de mise en ordre croissant, et allant en sens inverse de l’augmentation de l’entropie; au prix d’une dissipation d’énergie qui servira à maintenir cette structure. C’est une tendance, tant au niveau des processus physiques ou des organismes vivants, que des systèmes sociaux, à s’organiser d’eux-mêmes. Cette remarque a un côté tautologique, puisque c’est en fait parce qu’ils se sont organisés que nous les nommons sociaux, et non l’inverse. Passé un seuil critique de complexité, les systèmes peuvent changer d’état, ou passer d’une phase instable à une phase stable. Ils peuvent aussi passer : d’une croissance lente à une croissance accélérée, d’une croissance au début d’apparence exponentielle à une croissance logistique avec la déplétion des ressources. Le terme auto-organisation fait référence à un processus dans lequel l’organisation interne d’un système, habituellement un système hors équilibre, augmente automatiquement sans être dirigée par une source extérieure. Typiquement, les systèmes auto-organisées ont des propriétés émergentes (bien que cela ne soit pas toujours le cas).”Jusqu’à en gros 1980, du fait des frontières entre nations l’histoire restait propre à chaque pays. Dans le mondialisme rampant du XXI° , grâce à l’OMC, au FMI au WWF au CFR , au GIEC , OCDE, OMS et au super LOL etc… le chaos a tendance à s’étendre en temps réel dans des sociétés encore différenciées . C’est pourquoi, nonobstant Fukuyama, l’histoire n’est pas morte, au contraire!

10. Se ruiner par le refinancement ( ou l’art de faire son propre malheur )…

Je ne sais pas si j’ai bien compris non plus… quand vous êtes américain, aisé, éduqué (et le plus souvent blanc) vers 25-30 ans vous achetez une maison qui vaut 250 000 $, vous empruntez tout puisque vous n’avez pas d’apport personnel, mais vous escomptez que votre maison dans 5 ans vaudra 400 000 $ et que donc quand vous la revendrez pour aller travailler à l’autre bout des USA, vous rembourserez votre emprunt avec le produit de la vente. Si vous ne vendez pas et que vous restez sur place, bientot vos enfants devront faire des études. Une année à l’université coute entre 30 000 et 75 000 $, une année en lycée privé autour de 17 000 $ (pour ce que j’en ai vu). Vous n’avez pas 30 000 $ par an pour payer les frais de scolarité. Donc vous empruntez à nouveau à la banque, en comptant cette fois que vous êtes propriétaire d’une maison à 400 000 $ : c’est le « refinancement ». La banque vous prête cet argent en comptant qu’elle a en garantie 400 000 $ au cas où vous feriez défaut. ou des courtiers bien intentionnés vous aident à trouver du « cash » par tous les moyens.

11. Chez les gourous -Milton Friedman : sentences du Mentor des Chicago Boys…

«La responsabilité sociale de l’entreprise est d’accroître son bénéfice.» «Rien n’est moins important que la monnaie… quand elle est bien gérée.» «L’Histoire suggère que le capitalisme est une condition nécessaire à l’exercice de la liberté politique. Clairement, elle ne suffit pas.» «Un pouvoir concentré n’est pas rendu plus inoffensif par les bonnes intentions de ceux qui l’ont créé.» «Je suis favorable à des coupes d’impôts en toutes circonstances, pour quelque raison et prétexte que ce soit, partout où cela est possible.» «L’inflation est la forme d’impôt qui peut être imposée sans législation.» «Beaucoup de gens veulent que le gouvernement protège le consommateur. Il est plus urgent de protéger le consommateur du gouvernement.» «Les gouvernements n’apprennent jamais. Seuls les peuples le font.

12. Croissance/ croyance -monothéisme/ monnaithéisme ( jeu de mots/ maux du jeu )…

Verbe Croire au présent … Je crois < Tenir pour véritable , donner une adhésion de principe. > Verbe Croître au présent … Je crois < Grandir progressivement jusqu’au terme du développement normal > Croître en Economie c’est Croire que son développement est normalement Eternel. Dieu ne joue pas aux dés… a dit Albert Einstein. Croire que la croissance économique est Eternelle c’est comme Croire que la bonne santé est signe d’Eternité … A ce jour, je n’ai vu qu’une Industrie croître… c’est celle de la Croyance « depuis + de 2000 ans, et , la naissance du Monothéisme … ( Ces croyances sont 3 à se partager ce marché sur prés des 3/4 des 7 Milliards d’Etres Humains) Nos Spéculateurs financiers sont des Monnaithéistes qui jouent à Cash-Cash avec la croyance des petits porteurs…

13. Tiermondialisation de la planète… Classes moyennes de tous les pays, paupérisez-vous !…

La Tiers-Mondialisation de la planète, c’est le laminage des classes moyennes et la polarisation riches-pauvres de l’ensemble des sociétés, les ramenant toutes à l’état du Tiers-monde d’avant les « miracles ». On peut diversement décrire ce phénomène : « prolétarisation des classes moyennes », « classes moyennes à la dérive », « déclassement »… Bernard Conte analyse le caractère universel de cette transformation sociale comme résultat des politiques économiques néolibérales mises en oeuvre depuis le milieu des années 1970. Le libéralisme régulé des « Trente Glorieuses » fonctionnait sur la base redistributive du compromis fordiste au Nord et du clientélisme nationaliste au Sud. Puis la crise des années 1970 et l’implosion du bloc soviétique changèrent la donne et le capitalisme s’orienta vers la financiarisation et la dérégulation. Dans un premier temps, le monétarisme inspira les ajustements structurels : la désinflation compétitive au Nord et les programmes du consensus de Washington au Sud. Quand leur mise en oeuvre buta sur l’obstacle politique, l’ordolibéralisme prit le relais et entreprit, sur la base du post-consensus de Washington, de diffuser mondialement une « économie sociale de marché » purifiée. L’économique et le social sont alors progressivement déconnectés du politique, la démocratie devient virtuelle, la redistribution s’épuise et la classe moyenne est en voie d’euthanasie… La dynamique du capitalisme financiarisé globalise la structure sociale fortement dualisée des pays les plus pauvres : c’est la Tiers-Mondialisation de la planète.

14. Rente et < pompe à Phynance >… ou le triomphe de la fiction.

Finance : La rente est simple. Elle consiste à toucher une commission (taux d’intérêt) sur de l’argent fictif émis à volonté. Cet émission d’argent fictif est un privilège exclusif et exorbitant des banquiers. Ca s’appelle le crédit. C’est très bien expliqué dans la video « l’argent dette ». Prendre une commission sur de l’argent fictif prêté à des tiers reste tolérable aux yeux du reste de la société. Si les financiers se contentaient d’émettre de l’argent fictif pour leur seul compte, ça ne durerait pas. Mais en définitive, les effets sont les mêmes. Le parasitisme des financiers dévore le corps social tout entier ; d’où l’hyperinflation des prochains mois.

15. Berkeley et la Bourse : < Être, c’est percevoir ou être perçu >.

Autrement dit, si les investisseurs prenaient compte de l’inflation, une bulle sur le métal jaune est encore loin de s’être matérialisée. Basée sur cet indicateur, une progression de 100% est donc encore bel et bien envisageable. Bon, certains diront que 1980, ainsi que la décennie 1970, étaient fortement biaisés en raison des pressions inflationnistes avec ce qu’elles sont aujourd’hui. C’est vrai qu’une progression de 5% à 10% était presque devenue habituelle. D’où l’idée de se réfugier sur du solide, du concret, bref, de l’or. Reflet des peurs de la population. Voilà que 30 ans ont passé. Peut-on donc affirmer aujourd’hui que cette envolée des prix était totalement irrationnelle ? Non, clairement pas. Plusieurs études ont démontré que la hausse, certes vertigineuse, du métal jaune n’était au final qu’un reflet des peurs de la population. Car, ce que les investisseurs oublient parfois, c’est que ce qui compte n’est pas tant le niveau d’inflation aujourd’hui, ni celle estimée pour demain, mais bien celle perçue par les consommateurs.

16. Diabolisation et bouc émissaire…

1. C’est le nouveau bouc émissaire et le sport favori d’une certaine blogosphère économique : dénoncer les agissements de Goldman, ses bénéfices « intolérables », son « trading algorithmique » et ses pratiques en matière de spéculation. Etant un éternel contrarien, et n’aimant pas hurler avec les loups, je voudrais juste soulever trois points essentiels, que les auteurs de blogs spécialisés dans le populisme et les fantasmes de gauche radicale se gardent bien d’aborder : 1) Qu’est-ce qui est plus gênant : Qu’une banque commerciale fasse 3,44 milliards de $ de bénéfice, en partie grâce à l’argent que l’état et la FED jettent en abondance par les fenêtres sans aucun contrôle, ou bien que l’état US vole aux générations futures et aux épargnants raisonnables 2000 milliards de $ en un an (c’est le montant de l’augmentation de la dette publique US), soit 600 fois plus que le bénéfice de Goldman, pour réaliser des « relances » qui ne fonctionnent pas ? 2) Peut-on reprocher à des banques d’essayer de s’adapter et de tirer parti d’un système absurde basé sur la fuite en avant dans la dette et une cavalerie à grande échelle instituée par l’état ? 3) Je suis tout à fait d’accord pour dire que le trading algorithmique, ou quantique, les paris à leviers 50 ou 100 sur le forex et d’une façon générale la spéculation excessive n’ont aucune utilité sociale ou économique. Mais qui fournit le carburant de cette spéculation ? La réponse est très simple : les crédits et liquidités surabondantes déversés par les politiques de relance keynésiennes et le système monétaire à réserve fractionnaire… Une fois de plus la politique de l’état en faveur du crédit est la cause du problème. Dans un système à réserve pleine où le crédit serait limité, chacun spéculerait avec son argent, pas celui des autres, et le problème de la spéculation excessive serait réglé de façon simple, naturelle, et sans contraintes. Je ne défends pas ici spécialement Goldman ou n’importe quelle autre banque, je trouve simplement que dénoncer des boucs émissaires est décidément un moyen très commode de masquer le vrai problème.

2. Nous n’allons pas vous dresser la liste des erreurs de jugement et de stratégie monétaire commises par Ben Bernanke au cours des dernières années ; nous ne voulons pas que, de rage, vous jetiez votre ordinateur par la fenêtre… Cependant, nous ne pouvions passer sous silence cette perle qui résume à elle seule toute une carrière de nuisance larvée au sein des plus hautes sphères du mouvoir financier aux Etats-Unis : « nous ne constatons pas de surévaluation des actifs par les marchés aux niveaux actuels ».

Cet avis puissamment raisonné ne nous surprend pas. Bernanke n’avait pas davantage jugé les dot.com surévaluées lorsqu’il coécrivait les discours d’Alan Greenspan au début des années 2000. Il ne s’était pas plus ému de voir le Dow Jones flirter avec les 15 000 points alors que l’effondrement des échanges interbancaires menaçait déjà le système financier en octobre 2007. Il s’était abstenu de critiquer l’hystérie spéculative sur le pétrole durant le premier semestre 2008, affirmant que c’est « le marché » qui fait les prix — et feignant d’ignorer l’origine des excédents de liquidités qui faisaient flamber les cours.

Même si le diable lui offrait une visite informelle de l’enfer en y pénétrant par un cratère fumant de l’Etna, Ben Bernanke refuserait de croire que ces flots de matière, d’un rouge incandescent et qui rôtissent la peau à 20 pas, c’est de la lave bouillonnante. Revenu à la surface, il ne manquerait pas de s’extasier sur la belle teinte pourpre des cascades infernales, sous lesquelles il regrette de ne pas avoir eu le temps de se rafraîchir….

… Cyrano de Bergerac aurait pu faire semblant de lui donner raison : « quoi, vous l’accablez à propos de ses bulles financières ? C’est un peu court, jeune homme ! Avec deux sous d’esprits vous auriez pu les qualifier de mappemondes… que dis-je, de montgolfières ! »

17. Réforme du « système financier » et constantes de la psychologie humaine…

Les mesures à prendre pour véritablement réformer et assainir le système financier international sont identifiées :

* Les banques de dépôts et les banques d’investissement doivent être strictement différenciées ! * La spéculation sans risque doit être prohibée (produits dérivés, titrisations, etc.) ! * La transparence financière doit être imposée : les agences de notation et celles de contrôles doivent être indépendantes, voire publiques.

De même que les chambres de compensation internationales (Clearstream est une société qui pousse au crime) !* La spéculation sur les produits de première nécessité ou d’intérêt général doit être interdite !

Rien de tout cela n’ a été entrepris au G vain qui ne s’est attaqué qu’à l’écume des vagues (les traders), mais que les chefs d’état tentent de nous vendre comme une grande réussite. La vérité, c’est qu’ils ont monté une campagne de marketing au seul profit de leur image ! Un peu rabat-joie, malgré ses cheveux longs et sa boucle d’oreille, le ministre suédois des Finances, Anders Borg, prévient aussi que rien de ce qui a été adopté à Pittsburgh ne préservera le monde de futures dérives: «On ne peut pas réguler l’appât du gain. On ne peut pas dire qu’il n’y aura plus de crises financières. Nous aurons encore des banquiers qui prennent trop de risques, prédit Anders Borg, qui est lui-même ancien banquier. Nous aurons encore des bulles et des crises financières.

La cupidité, le goût du jeu, la prise de risque font partie de la nature humaine».

18. Misère des économistes… économie de la misère…

Les économistes en retard sur l’économie… Comme il n’existe guère de projets rentables à financer, comme les ménages sont fragilisés par le chômage, pourquoi ne pas investir dans les marchés financiers ? Ils ont démontré cet été qu’ils peuvent grimper bien au-delà de ce que les perspectives de croissance des bénéfices des entreprises cotées autorisent. La hausse appelant la hausse, il n’y a plus qu’à attendre que les économistes, qui ont souvent un train de retard, inventent la justification d’un mouvement qu’ils n’ont pas vu venir.

19. Crise bousière et… réchauffement climatique : le pot au noir…

Personne ne peut prouver grand-chose en ce qui concerne le climat terrestre. On ne peut pas faire d’expérience contrôlée. Tout ce qu’on a, ce sont des réflexions et des conjectures. Les marchés sont similaires. Personne ne sait vraiment pourquoi les choses se produisent. Mais nous savons que les humains jouent un rôle central dans le comportement des marchés, et que ce qu’ils pensent est important. Voilà pourquoi on ne peut pas mesurer le risque en observant le comportement passé. Les investisseurs ne pensaient pas les mêmes choses, à l’époque. Dans les années 90, les investisseurs ont commencé à penser que les actions surperformaient toujours les obligations, et que le marché boursier américain était le pari le plus sûr et le plus solide de la planète. Ils accordaient donc une confiance quasi illimitée à Wall Street, aux actions et à l’avenir. Les titres ont grimpé en flèche. Et que s’est-il passé ensuite ? Au cours de la décennie qui a suivi, les actions américaines ont sous-performé les obligations et se sont révélées être le marché boursier aux pires performances du monde.

20. Du côté des socialistes… selon Dostoievski ( les Possédés )…

« J’ai observé, me glissa un jour Stéphane Trophimovitch, que tous ces socialistes enragés et ces communistes, sont en même temps des êtres avares et ont des âmes d’acquéreurs et de propriétaires, si bien que, plus ils sont socialistes, plus ils se montrent avides ».

21. Les désarrois de l’investisseur ou Töerless à la Bourse…

Dubaï joue avec sa réputation financière », titre un article du Financial Times. Puis, sur la page suivante, les rédacteurs pensent savoir comme ce pari va tourner : »Une gaffe à couper le souffle à Dubaï… Dubaï ressemble plus à l’Argentine qu’à Singapour — en beaucoup moins prévisible », poursuit l’article du Financial Times.

Personne n’est sûr de ce qui se passe. La plupart des gens concluent de cette affaire ce que nous savions depuis le début : prêter à des personnages douteux dans des pays ensoleillés n’est pas une manière saine de gagner de l’argent. Surtout lorsque les personnages douteux possèdent le pays. Le problème, c’est qu’on trouve des personnages douteux à la tête de quasiment tous les pays du monde. Si un investisseur ne peut pas faire confiance à la famille régnante de Dubaï, comment peut-il faire confiance aux communistes qui gèrent la Chine ? Ou aux escrocs qui gèrent les Etats-Unis d’Amérique ?

22. Expectative… Croissance, drogue et endettement ou l’angoisse du décideur…

Comment mettre fin au dopage monétaire et budgétaire sans provoquer un sevrage trop violent qui tuerait dans l’oeuf la reprise ? La question n’est pas triviale. Il faudra en effet beaucoup d’adresse aux gouvernements dans les prochains mois pour éviter de faire replonger l’économie. Mais croire que la sortie de crise se résume à une bonne gestion des stimuli publics serait comme croire qu’il suffit de bien doser la méthadone pour guérir un drogué. Le drogué, c’est une économie dont la croissance jusqu’à la crise dépendait d’un endettement en perpétuelle augmentation et d’une destruction des ressources non renouvelables. En faisant du retour de cette croissance la priorité des politiques publiques, les gouvernements s’exposent à un échec à court terme. Plus grave : ils ne préparent pas les sociétés à vivre avec une croissance qui, demain, pourrait ne pas être – voire ne devra pas être – aussi soutenue qu’hier. Ils prolongent artificiellement un modèle insoutenable sans s’attaquer aux causes profondes de la crise.

23. Prospective…

La révolution industrielle a privilégié l’Occident. Le prochain stade du développement mondial semble privilégier les nouveaux marchés émergents. Ils n’ont pas l’héritage coûteux et la corruption des sociétés industrielles avancées. Pas d’établissements militaires géants. Peu de sécurité sociale et de systèmes de santé publics. Moins de bureaucratie. Moins de lobbyistes et d’intérêts spéciaux. Moins de retraités. Les marchés émergents sont en train de rattraper leur retard. A un moment ou à un autre, certains pourraient même prendre la tête — dépassant les Etats-Unis et l’Europe en termes de puissance militaire, de revenu national, de croissance, et même en termes de qualité de vie et de revenu per capita. Ensuite, eux aussi pourront commencer à se ruiner. Mais c’est encore loin, très loin. Il y aura moyen de bien rire en attendant…

24. Finance, fétichisme sociétaire et imprécation terroriste…

Tout système moral contient des interdits et à ceux qui défendent l’idée que la finance, voire l’économie en général, sont « amorales » et n’ont que faire de la morale, j’ai déjà eu l’occasion de répondre que cette extraterritorialité par rapport à la morale n’a que beaucoup trop duré et que l’homo oeconomicus est un dangereux sociopathe qu’il convient de mettre hors d’état de nuire sans tarder.

25. Identité des contraires ou comment en sortir…

Si certains sont tentés de prédire un retour de l’Etat après la faillite gigantesque qu’a provoqué le libre jeu des marchés, Jean Claude Werrebrouck nous met en garde contre toute interprétation trop rapide voyant dans les remises en causes actuelles l’amorce d’un retour de balancier nous éloignant de l’« ordre spontané » des marchés et nous ramenant à l’« ordre organisé » par les institutions. Au contraire, nous dit-il, « la dimension idéologique des ordres spontanés disparait – ou se cache – désormais derrière les apparences de la rationalité. Il ne s’agit plus de dire que le marché libre est supérieur à la tyrannie administrative, il s’agit de rendre obligatoire le bon fonctionnement du marché : une injonction à rester libre en quelque sorte. »

26. Apocalypse et vaticination moralisante…

1. L’heure de vérité approche en cette fin d’année 2009. Depuis la chute de Lehmann le système est mort, et il n’y aura pas de sauvetage possible malgré toutes les gesticulations des dirigeants financiers ou politiques. Nous pouvons tous nous préparer a des lendemains difficiles et espérons-le à redécouvrir la solidarité.

2. Le club de Rome a prévu le retour a un niveau de vie équivalent aux années 50/60 !!! Même les pires prophètes de la crise n’ont pas encore osé aller jusque la, et pourtant … même si on ne reviendra pas en arrière, en terme de niveau de vie, ca sera bien ça qui nous attend. Routes en terre défoncées, déplacement 4×4, vélo, cheval. La fin des grandes villes. Retour vers une agriculture locale. La fin des supermarchés et de la mondialisation « jetlag » … et de la course à la vitesse. Des ilots de technologie resteront, mais globalement, « la fête est finie ». Sans compter la période de troubles sociaux, insécurité, insalubrité, pénuries, instabilité qui va nous y mener ! Personne n’est encore prêt a le réaliser… ou si peu !

27. Darwinisme financier, illusion politique et justice immanente…

Les Chinois sont humains. Et les humains se trompent. Les récessions, les krachs, les marchés baissiers et les dépressions sont les moyens qu’a la nature de réparer les erreurs… et de punir les errants. Plus les autorités essaient de retarder ces corrections nécessaires, plus elles aggravent le pétrin.

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28. Deux aphorismes et quelques fables…

-Pour rire :

Vincent Auriol, Président de la République française : « la Bourse, je la ferme, les boursiers, je les enferme »

-Pour relever le caractère amoral de l’histoire :

François de la Rochefoucauld, généalogiste : « les vertus se perdent dans l’intérêt, comme les fleuves dans la mer »

-Pour souligner le côté métahistorique, l’humeur inquiète et la trépidation industrieuse de la manie « phynancière » :

Jean de La Fontaine, fabuliste : 

1.L’avare rarement finit ses jours sans pleurs, Il a le moins de part au trésor qu’il enserre, Thésaurisant pour les voleurs, Pour ses parents ou pour la terre… Le Trésor et les deux hommes

2.Un pincemaille avait tant amassé Qu’il ne savait où loger sa finance. L’avarice, compagne et soeur de l’ignorance, Le rendait fort embarrassé Dans le choix d’un dépositaire… L’enfouisseur et son compère

3.Un homme accumulait. On sait que cette erreur Va souvent jusqu’à la fureur… Du Thésauriseur et du Singe

4…. Son voisin au contraire, étant tout cousu d’or, Chantait peu, dormait moins encore C ‘était un homme de finance…Le Savetier et le Financier

5. L’usage seulement fait la possession. Je demande à ces gens de qui la passion Est d’entasser toujours, mettre somme sur somme, Quel avantage ils ont que n’ait pas un autre homme.(…) Ce malheureux attendait, Pour jouir de son bien, une seconde vie; Ne possédait pas l’or mais l’or le possédait…. L’Avare qui a perdu son trésor

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29. fin de partie… ( apologue en deux lignes ) :

< Le chameau a mis son nez dans la tente…

Et il a vu qu’il n’y avait rien à l’intérieur >

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9. Economie politique et renversement des valeurs ( quelques exemples… )

L’économie politique si révérée n’est plus seulement cette science des richesses définie selon la division tripartite restée classique de Jean-Baptiste Say :-production, répartition, consommation…

Ce discours positif qui prétend répondre aux trois questions primordiales :-Comment les hommes produisent-ils la richesse ? -De quelle façon se la partagent-ils ? -Quel emploi en font-ils ?

C’est désormais une conception du monde, une philosophie, voire, en son ésotérisme mathématique même, une gnose.

Cette contemporaine religion traduit une promiscuité idéologique et un sentiment de la vie -à parler comme O. Spengler- largement partagés par nos congénères.

De gré ou de force…

Elle s’appuie sur une métaphysique rationaliste et une éthique utilitariste fort prosaïque.

Matérialiste, résolument profane, elle est imperméable à l’insolite, à l’inquiétante étrangeté du « réel », à l’imagination faustrollienne.

L’existence y est ramenée à la question obsédante du confort et des meilleures conditions de la reproduction de l’espèce.

Jusqu’ à l’agitation écologiste.

Discipline reine accompagnant l’anthropologie post-moderne, incontournable fonction sociale, elle imprègne les esprits, hante les représentations, façonne les émotions et modèle le corps social.

Elle s’impose aux agendas, elle sature l’espace indéfini de l’activité humaine dans son ensemble.

Car labeur oblige …

Axiologie, elle fixe les valeurs selon le double registre du mot.

Conscience collective quoique rarement réfléchie… elle se donne pour le Savoir Absolu de l’époque.

Comme telle, elle appelle donc l’ intérêt du ‘pataphysicien…

Pourtant, cette hégémonie, passablement arrogante, est relativement récente…

Et il n’est pas difficile de confondre une certaine candeur qui tend à présenter comme évidente ou « naturelle » une attitude propositionnelle grégaire et collective devenue discours totalitaire.

Il suffit pour ce faire d’évoquer quelques concepts dont l’évolution sémantique -depuis l’Antiquité gréco-latine jusqu’ à l’actuelle mondialisation-, fait apparaître un étonnant renversement des valeurs.

Evolution qui illustre la contingence historique d’un mode d’existence collectif et d’une discipline guère soucieuse d’évoquer sa genèse. 

1. Labor

1. Le culte du travail moderne accompagne l’industrialisation, la mécanisation, la production anonyme de masse.

L’activité laborieuse est célébrée comme < religion > du travail, < humanisme > du travail, et même < Etat > du travail.

Le travail est devenu un impératif éthique et social insolent, applicable à tous, auquel on peut répondre par ce proverbe espagnol :El hombre que trabaja perde un tiempe precioso.

2. En latin, labor avait un sens négatif exprimant l’idée de fatigue, d’épuisement, d’effort désagréable, et parfois de disgrâce, de tourment, de peine.

Le terme grec de ponos avait un sens analogue :

Quid ego laboravi ? = pourquoi me suis-je tourmenté ?

Laborare ex renis, ex capite = souffrir du mal de rein ou de tête.

Labor itineris =la fatigue, le désagrément du voyage.

Le sens moderne exprime un changement radical de vision du monde. Un Grec, un Romain auraient-ils jamais pensé à faire du labor une vertu ou un idéal social ?

Le terme de travail correspondait aux modalités serviles, matérielles, anodines de l’activité humaine. Il traduisait l’activité provoquée par le besoin, la nécessité, un destin malheureux.

A quoi s’opposait l’activité libre, consciente, voulue et en un certain sens, désintéressée.

Artifex enfin désignait celui qui exerçait une activité matérielle possédant un certain caractère qualitatif, à partir d’une vocation libre.

2. Otium

1. Les modernes confèrent au terme un sens négatif. L’oisif est inutile à lui-même et aux autres.

Être oisif, c’est être indolent, distrait, inattentif, paresseux…

2. Le latin otium désignait le temps libre, l’état de recueillement, de calme, de contemplation.

A Rome, l’oisiveté au sens négatif n’était que ce à quoi elle peut conduire quand elle est mal employée ( hebescere otio ou otio diffluere, s’abrutir ou se laisser aller par oisiveté ).

Pour Cicéron l’otium est la condition nécessaire pour que l’action soit vraiment activité et non pas affairement ( negotium ), agitation, travail :

-ainsi : Graeci non solum ingenio atque doctrina, sed etiam otio studioque abundantes : les Grecs sont riches non seulement en dons innés et en doctrine, mais aussi en oisiveté et en application.

Et Salluste : Maius commodum ex otio meo quam ex aliorum negotiis reipublicae venturum : mon oisiveté sera plus utile à l’Etat que l’affairement des autres.

Sénèque, dans son traité, De otio, décrit l’oisiveté comme menant progressivement à la contemplation pure.

Il distingue deux Etats : l’un, grand et privé de limites extérieures et contingentes, contient à la fois les hommes et les dieux ; l’autre est l’Etat particulier, terrestre auquel on appartient par la naissance.

Certains hommes servent les deux Etats, d’autres, ne servent que le plus grand, d’autres encore, l’Etat terrestre.

L’ Etat le plus grand, on peut le servir par l’oisiveté.

L’otium enveloppe la tranquillité d’âme du sage, le calme intérieur qui permet d’atteindre la contemplation, c’est-à-dire la perception de l’ordre métaphysique.

En sens contraire, distraction et dispersions, jusqu’ à l ‘abrutissement, sont les compensations recherchées par le travaileur moderne, aux antipodes du style classique.

3. Servitium

1. En latin, bien que le verbe servioservire, ait le sens positif d’être fidèle, la signification négative – être serviteur– prévaut.

Servitium désignait précisément l’esclavage, le servage car dérivé de servus, esclave.

2. Chez les modernes, le verbe < servir > s’est répandu en perdant cette connotation négative et avilissante.

Le service, devenu  » service social » est devenu objet d’une éthique… jusqu’à faire du souverain le premier « serviteur » de la nation.

4. Stipendium

1. Que signifie le mot ‘ »salaire » de nos jours si ce n’est le revenu de la bête de labeur exploitable à merci dans un contexte de précarité, de stress et de harcèlement professionnel…

Dans l’usage actuel le terme de solde ne s’emploie plus guère qu’en mauvaise part : être à la solde de.., stipendier des assassins.

2. A Rome stipendium se référait presqu’exclusivement à l’armée :

-Stipendium merere signifiait être militaire, être sous les ordres de tel ou tel chef.

-Emeritis stipendis = après avoir accompli le service militaire.

-Homo nullius stipendi désignait celui qui n’avait pas connu la discipline des armes.

-Stipendis multa habere = pouvoir se targuer de nombreuses campagnes.

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 ( Sur l’évolution du sens de ces quelques termes mais selon une optique interprétative différente de celle de la ‘pataphysique, cf Julius Evola, L’Arc et la Massuel’affaiblissement des mots ) 

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Bornons ici cette carrière :

Les longs ouvrages me font peur.

Loin d’épuiser une matière,

On n’en doit prendre que la fleur.

Il s’en va temps que je reprenne

Un peu de force et d’haleine,

Pour fournir à d’autres projets…

Jean de La Fontaine, Fables, Livre 6, Epilogue