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Table :
Du jugement moral ou Le bestiaire d’amoralité
( devoir, valeur, volonté, personne, bonheur )
‘pata koans dissertatifs
*
Des sciences humaines
brèves dissertations à l’usage des escholiers
‘pata koans dissertatifs
 2001 / 2006
le bestiaire d’amoralité

< Et de faict, cest animal se delecte si fort en ceste nudité, que non seulement ( … ) les femmes de nos Toüoupinambaouts demeurantes en terre ferme en toute liberté, avec leurs maris, peres et parens, estoyent là du tout obstinées de ne vouloir s’habiller en façon que ce fut : mais aussi quoy que nous fissions couvrir par force les prisonnieres de guerre que nous avions achetées, et que nous tenions esclaves pour travailler en notre fort, tant y a toutesfois qu’aussitost qui la nuict estoit close, elle despoillans secretement leurs chemises et autres haillons qu’on leur bailloit, il fallait que pour leur plaisir et avant que se coucher elles se pourmenassent toutes nues parmi nostre isle. Brief, si c’eust esté au chois de ces pauvres miserables, et qu’à grands coups de fouet on ne les eust contraintes de s’habiller, elles eussent mieux aimé endurer la halle et la chaleur du soleil, voire s’escorcher les bras et les epaules à porter continuellement la terre et les pierres, que de rien endurer sur elles >
Jean de Léry, Militant calviniste et ethnographe, Histoire d’un voyage faict en la terre du Bresil, chap. 8.


Pata koans :
devoir / valeur / volonté / personne / bonheur
( Dialogues : Dame Pinte la Poule, Bernard l’Âne, Renart, Grimace le Singe, ‘pataphysicien
)

Ethique : partie de la philosophie qui a pour objet les problèmes fondamentaux de la morale : fin et sens de la vie humaine, fondement de l’obligation et du devoir , nature du bien, valeur de la conscience morale, etc…
Les dictionnaires…


le devoir. L’amour peut-il être un devoir ? Les devoirs sont-ils seulement des contraintes ? Avons-nous le devoir de faire le bonheur d’autrui ? Peut-on faire plus que son devoir ? Suffit-il de faire son devoir ? Qu’est-ce qui, en moi, me dit ce que je dois faire ? Nul n’est méchant volontairement…

L’amour peut-il être un devoir ?

Bernard l’Âne : -Le terme d’amour désigne une classe d’états psychologiques, affectifs et représentatifs. Le terme de devoir désigne une obligation morale dont la forme moderne de la maxime a été donnée par Emmanuel Kant dans ses Fondements de la métaphysique des moeurs :
< agis de telle manière que tu considères autrui toujours comme une fin et jamais comme un moyen >
Renart : -L’amour passion échappe par définition à l’obligation éthique.
Tous s’accordent à lui conférer le caractère d’une fatalité : celui d’une rencontre subie.
Or ce qui relève de la nécessité exclut par définition le choix, le jugement, la délibération, la liberté.
En conséquence de quoi cette affection ne peut relever ni de l’appréciation ni de la volonté éthiques.
Grimace le Singe : -De même pour l’amour goût qui exprime lui aussi une détermination de la faculté de sentir.
Effet d’inclination, penchant irrationnel, il se dérobe également à l’obligation.
Bernard l’Âne : -Tandis que la charité, ou amour du prochain en acte est une attitude religieuse de type chrétien qui traduit le don de la grâce divine ; don gratuit et incompréhensible qui diffuse dans la personne de l’élu la bienveillance supposé d’un dieu incompréhensible.
Dame Pinte la Poule : -L’Offrande…
Bernard l’Âne : -De ce point de vue l’obligation éthique n’est plus alors que l’expression de la simple conformité à la Loi.
Régression du christianisme mystique au pharisaïsme judaïque ?
Renart : -Il se peut… Cependant le devoir d’amour est une injonction impossible ou une prescription sans effet.
La raison pratique kantienne ne saurait fonder et encore moins être la source d’ une telle passion. Elle ne considère que le respect, l’unique sentiment moral échappant à l’hétéronomie.
Grimace le Singe : -Quant à moi, si je puis accepter la bienveillance et les caresses, je refuse le devoir, le tenant pour un terme obscur, pour une mystification à l’usage des simples, au service des imposteurs et des tartufes.
Tout comme je me gausse de l’ < Amour >, cette illusion romantique propre à  » l’âge lyrique  » ( M. Kundera ) déjà dévoilée par Lucrèce…

Renart : -Cet < infini mis à la portée des caniches > ( Céline, Voyage au bout de la nuit )

Les devoirs sont-ils seulement des contraintes ?
Dame Pinte la Poule : -L’élan du coeur, selon Bergson, est la source et le dépassement du devoir…
Grimace le Singe : -Thèse effusionnelle et mystique…
Devoir, c’est être obligé : obligation sociale, juridique, politique, éthique.
Moralité des moeurs, morale religieuse ou philosophique, kantienne ou utilitariste, il s’agit toujours d’obéir.
Soit qu’on se contente de subir l’injonction ( dans le langage de Kant : hétéronomie ) ; soit qu’ on se donne la maxime de la prescription en toute connaissance de cause ( autonomie )
Là où il y a devoir, il y a loi, valeur, c’est à dire norme qui règle la conduite.
Renart : -En morale nous n’ avons en effet le choix qu’entre la soumission et l’ obéissance, à reprendre la distinction de Rousseau.
Grimace le Singe : – Devoirs… fantastiques injonctions…

Avons-nous le devoir de faire le bonheur des autres ?
Grimace le Singe : -La question enveloppe deux problèmes :
-peut-on faire le bonheur d’autrui ?
-est-ce un devoir ?
Renart : -S’agissant de la première question, remarquons que le bonheur est un mot qui définit une classe de manières d’ être heureux ; et qui désigne simplement le parfait contentement de notre état, indépendamment de la façon particulière d’y parvenir : richesse, honneur, notoriété, pouvoir, connaissance, éros…
Or, l’ existence étant inséparable de l’ontologique singularité, le prochain est le… lointain et il nous est impossible de savoir ce qui convient à autrui.
Son expérience est une énigme à jamais celée.
Grimace le Singe : -En conséquence, prétendre pouvoir faire le bonheur d’autrui est innocence ou prétention infondée.
Renart : -On concédera qu’il nous est toutefois possible de favoriser certains de nos communs moments heureux.
Grimace le Singe : -Quant à la deuxième question, elle n’a de sens qu’au sein de la problématique utilitariste.
Jérémie Bentham, John Stuart Mill, Bertrand Russell s’accordent à penser que la morale nous fait obligation d’éviter dans la mesure du possible la souffrance d’ autrui.
Obligation négative qui ne préjuge en rien de notre capacité effective à faire son bonheur.
Renart : -Quant au christianisme, renforçant le judaïsme, il substitue l’amour charité au devoir.
Le kantisme ramène enfin l’amour à la passion -donc à l’impératif hypothétique toujours égoïste jusque dans le souci d’autrui-, et subordonne pour sa part la recherche du bonheur au respect de la personne humaine dans nos relations intersubjectives.
Grimace le Singe : -Pour mon particulier je cultiverai à l’ instar de Samuel Butler < l’ art suprêmement difficile de faire ce qui me donne véritablement du plaisir >
Et certes pas par devoir mais par goût.
Unique impératif « hypothétique » dont je reconnaisse la signification…

Peut-on faire plus que son devoir ?
Bernard l’ Âne : -Faire moins que son devoir, c’est -en toute connaissance de cause- refuser la loi, récuser l’obligation du sacrifice de soi au groupe, à la communauté.
C’est déserter -figure, entre autres, du Réfractaire ( Alfred Jarry, Les Jours et les Nuits )
C’est « partir », « sortir d’ Egypte » ( Emmanuel Peillet, Philosophie du départ, 1939 )
Faire moins que son devoir ( au sens kantien ), c’est aussi agir conformément au devoir et non par adhésion sincère à la Loi.
Attitude du fonctionnaire qui fonctionne, rouage docile et zélé au service de la machine administrative et politique dont il ne réfléchit ni les fins ni les valeurs de référence -comme l’a montré Hanna Arendt ( Le procès Eichmann )
Dame Pinte la Poule : -Faire plus que son devoir, c’est se sacrifier pour la communauté – figure du Héros-, ou c’est dépasser la morale pour la mystique – figure du Saint. ( Voir à ce propos les analyses de Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion )
Charité, compassion universelle, pardon sont les manifestations de cette attitude religieuse chrétienne ou bouddhiste dévotionnelle.
Grimace le Singe : -Ne me reconnaissant aucune obligation morale je ne suis pas concerné par une question que je ne comprends pas.

Suffit-il de faire son devoir ?
Grimace le Singe : -Question analogue. Qui n’a de sens qu’au sein de la problématique kantienne.
Agir par devoir ou agir conformément au devoir, telle est l’alternative posée par les Fondements de la métaphysique des mœurs.
Renart : -Alternative certes imaginaire mais… effectivement contraignante car partagée par les sectateurs de la philosophie morale à connotation piétiste luthérienne…
Dame Pinte la poule : -Imaginaire ? non pas ! Nous devons être réglés par une < éthique de la sollicitude >…
Bernard l ‘Âne : – En effet ; voyez Paul Ricoeur : l’engagement éthique doit être fondé sur la promesse et la parole tenue, échos d’un don engendrant toute obligation… La < vraie vie > ne peut se dérouler qu’avec l’autre et pour l’autre… au sein d’institutions justes… La justice doit tendre à l’universalité dépassant toute limitation par les préjugés locaux, nationaux ou ethniques…
Il n’ y a pas d’opposition entre charité, devoir et justice…
Dame Pinte la Poule : -La parole de l’homme est précédée par la Parole de Dieu…
Contre le scandale du mal la sollicitude ajoute < la dimension de valeur qui fait que chaque personne est irremplaçable dans notre affection et dans notre estime > ( P. Ricoeur, Soi-même comme un autre, 7° étude ).
Renart : -Une « éthique de la sollicitude » ?
Grimace le Singe : – La  » vraie vie « …
Cette phraséologie et cet… enthousiasme ne seraient-ils pas l’ultime version de… la morale du ressentiment ?

Qu’ est-ce qui, en moi, me dit ce que je dois faire ?
Renart : -Question généalogique : celle de la source de l’injonction.
Voici quelques réponses :
-Pour les sociologues, la société, les proches, le groupe, la communauté…
-Pour le prêtre, le divin, Dieu ou les dieux.
-Pour le naturaliste, la volonté de puissance, l’inclination, les penchants, la sensibilité.
-Selon les utilitaristes, le désir de plaisir et de bonheur ; donc le corps.
-Pour Rousseau d’ après la Profession de foi du Vicaire savoyard, un < principe inné de justice et de vertu >.
Grimace le Singe : -Pour le mafieux, la Cause, la Cosa Nostra…
Dame Pinte la Poule : -Incongruité et déplorable humour…
Bernard l’Âne : -Pour le rationalisme kantien, la raison pratique qui m’ impose la forme du postulat de la conduite, l’ impératif catégorique, celle d’une < bonne volonté > obéissant à l’ universalité de la Loi.
Grimace le Singe : -Pour moi enfin, personne ; car selon la ‘pataphysique reprenant ici l’enseignement nietzschéen:
< il n’ y pas de phénomènes moraux il n’ y a que des interprétations morales des phénomènes >
Ainsi celles ci-dessus mentionnées…
Renart : -La problématique morale se résoud donc au différend ou au conflit des interprétations portant sur les fins, les valeurs et les normes de la conduite humaine.
Grimace le Singe : -C’est en effet un pur fait de langage…

< Nul n’est méchant volontairement > Valeur de la sentence socratique ?
Dame Pinte la Poule : -le méchant est une créature infernale ; qui veut le mal ; qui fait le mal … il est le mé-chéant, celui qui veut ma chute… qui cause ma chute… qui jouit et rit de mes échecs, de mes déceptions…
Renart : -et pourquoi ?
Bernard l’ Âne: – parce qu’il est malheureux !
Renart : -vraiment ? tu penses que la malice est nécessairement… fille de malheur ? Et que le méchant ne fait le mal, ne cause douleur et souffrance que sous le poids des circonstances, malgré lui ?
Grimace le Singe : -ce serait donc une manière d’ignorant, ainsi que pensait le bon Socrate…
Bernard l’ Âne : -certainement ! Si l’homme était instruit, s’il n’était point frustré… pauvre, humilié, malade… sa méchanceté disparaîtrait…
Et nul n’est méchant volontairement !
Renart : -optimisme rationaliste…
Crois-tu vraiment que la malice ait besoin de circonstances et de « raisons » pour naître et s’affirmer ?
Que fais-tu du « démon de la perversité » ?
Grimace le Singe : -et si la méchanceté était un divertissement… un des grands divertissements des hommes… Harceler, tourmenter, persécuter …
Renart : -et même un spectacle réjouissant… Réfléchis… pourquoi et de qui rit-on au théâtre? Qu’est-ce que la farce sinon le plaisir de comédie procuré par la dupe bernée par son trompeur…
Spectacle fort peu charitable, avouons-le.
Rappelle-toi les dieux de l’Olympe… et l’Iliade…
< Pour que les dieux s’amusent beaucoup, il faut que leurs victimes tombent de haut >…
Renart : -< Le bonheur dans le crime >… C’est peut-être cela… la « corruption »…

la valeur. Faut-il chercher en toute chose l’efficacité ? Les valeurs morales sont-elles relatives ? Ce qui ne peut s’acheter est-il dépourvu de valeur ?

Faut-il chercher en toutes choses l’ efficacité ?
Bernard l’ Âne : -L’efficace signifie aptitude d’une chose ou d’une personne à agir effectivement.
Remède médical ou… grâce théologique, est efficace ce qui produit toujours son effet.
En conséquence contester ou refuser l’efficacité qui est le signe de l’ actualisation non occasionnelle de la chose ou de la personne, c’est nier à la fois son essence, son existence, son progrès.
Renart : -Du point de vue métaphysique il semble donc bien qu’il faille accepter en toutes choses l’efficacité sauf à récuser leur capacité à être.
Dame Pinte la Poule : -D’un autre côté l’efficacité signifie également pour une valeur de réussite, de productivité voire -à utiliser la langue de l’économie-, de rentabilité.
En ce sens elle constitue le pôle de référence d’une morale anglo-saxonne : le Pragmatisme.
Par exemple, celui de John Dewey.
Bernard l’Âne : -Et le problème se pose alors de savoir si l’efficacité en tous domaines, en toutes circonstances, et à n’importe quel prix doit ou non constituer la norme de la conduite.
Dame Pinte la Poule: -Ainsi l’académique conflit de valeurs entre le développement sans frein de la techno-science, de l’économie, de la politique et le respect de la personne…
Bernard l’Âne : – … la conséquence du principe du Prix Nobel Gabor : < tout ce qu’ on peut faire, on doit le faire >.
Renart : -Opposition de la morale pragmatique réglée par l’exigence du Succès et la morale kantienne subordonnant le succès à la Loi.
Bernard l’Âne : -Être opératif et réussir certes, mais… dans le respect de la Loi.
Grimace le Singe : -Réussir… la Loi… Deux idoles et une antinomie éthique que je récuse.
Car contrairement au kantisme, si c’est toujours du choix et de la maîtrise des moyens que dépend la fin, l’efficace ne saurait toutefois être subordonné à l’ impératif de la réussite ou de la rentabilité.
Renart : -Seul compte le jeu, ce passe-temps de l’amateur et du dilettante, la petite monnaie de la futilité.

Les valeurs morales sont-elles relatives ?
Bernard l’Âne : -Pour certains il n’y a pas de Morale ; il n’y a que… des morales, c’est à dire des systèmes observables de valeurs, de règles, de prescriptions, d’ impératifs, d’injonctions et d’interdictions.
Divers et changeants.
Le relativisme moral rejette toute norme dont la conduite humaine serait l’ application.
Grimace le Singe : -Car tout dogmatisme éthique se présente comme une théorie de la conduite humaine conçue sous une forme normative rapportée à un absolu, une valeur.
Bernard l’Âne : – (1) Morales du Bien se proposant de déterminer quel est le Bien ou la Fin de l’ homme et quels sont les moyens de l’atteindre : -plaisir ( hédonisme ) ; -bonheur ( eudémonisme ) ; -intérêt ( utilitarisme ) ; -liberté ( existentialisme )…
Epicure, Aristote, Stuart Mill, Sartre…
Renart : – (2) Obéissance à la Loi ( Moïse ) ou morale du Devoir ( kantisme ) conçue comme impératif catégorique :
< Agis de telle sorte que tu considères autrui comme une fin et jamais comme un moyen >.
Toutes ces morales déduisent le caractère des conduites de l’idéal du Bien ou du Devoir.
Grimace le Singe : -D’où le moralisme, le prêche, le soupçon, le procès d’ intention, l’inquisition et la persécution, variations sur le thème de l’ indiscrétion éthique qui est de toutes les époques.
Renart : -Car s il n’ y a pas d’absolu moral, il y a néanmoins une constance de l’ attitude morale, et une indiscrétion fanatique de ses dévots.
Les bons apôtres… Messianisme… sotériologie…

Grimace le Singe : -Quant à moi, cultivant les règles de l’habileté et suivant le conseil de l’opportuniste prudence, je ne me reconnais aucune morale quoiqu’ à ma manière je souscrive à toutes… sur le mode de la méfiance et celui de l’ intime dérision.
Renart : -Au cœur du drame, de la tragédie, du comique et du merveilleux humains – ces sempiternelles catégories de l’existence, de sa représentation et plus généralement du spectacle qu’elle ne cesse de t’offrir -, tu substitues l’ esthétique à la morale et à l’obligation un art de vivre discret et décalé.

Ce qui ne peut s’acheter est-il dépourvu de valeur ?
Dame Pinte la Poule : -Ce qui peut s’acheter a un prix ; l’homme a une dignité…
Bernard l’ Âne : -Thèse kantienne… dualité et opposition de l’homme et des choses, du sensible et de l’intelligible, de la nature et de la grâce… de l’économie et de la morale…
Renart : -Moralisme contestable… Tout peut s’acheter, absolument tout ; c’est là une évidence.
Grimace le Singe : -Mais… est-il en notre pouvoir de posséder quoi que ce soit ?
Renart : -Bonne et décisive question… La valeur marchande n’est peut-être que le cache-misère de la pauvreté ontologique du réel, la forme d’une… illusion fondamentale…
Grimace le Singe : -Quant à la < valeur > morale, est-elle autre chose qu’une chimère ?

La volonté. Faire ce qu’ on veut, est-ce faire ce qui plaît ? Qu’est-ce qu’un homme de bonne volonté ? Peut-on vouloir ce qu’on ne désire pas ? Que peut la volonté contre le désir ? Aristote, Socrate et Kant. Comment comprendre l’ expression < ne pas savoir ce que l’on fait > ?

Faire ce qu’on veut est-ce faire ce qui plaît ?
Bernard l’ Âne : -Conflit classique de la faculté de sentir et de la faculté de vouloir, de la sensibilité et de la puissance de désirer réglée par la représentation de la Loi.
Faire ce qui plaît exprime le souci de soi, l’égocentrisme et l’égoïsme bien compris d’un agent conscient de persévérer dans son être et au fait de < ce qu’ il est, de ce qu’il a, de ce qu’ il représente >. Intéressé, pragmatique et opportuniste, intelligent. La prudence est sa vertu première.
Ethique hédoniste ou eudémoniste sous le patronage d’Epicure ou d’Aristote ( Ethique à Nicomaque ) La volonté est ici au service du plaisir, de la la puissance et de l’épanouissement.
Morale dégagée du pathos mosaïque, chrétien et kantien de l’obligation et du respect de la Loi.
Dame Pinte la Poule : -Cependant que pour ces derniers, le plaisir est amoral, la volonté devant être subordonnée à l’amour du Prochain, au respect de la maxime en toutes circonstances. Ainsi le fameux : < tu ne mentiras point ! >.
A la prudence se substitue donc le devoir.
Grimace le Singe : -L’esprit désabusé cultive l'< irresponsabilité > ( Dämon Sir )
Il n’est lié à aucun cycle de devoirs.
Et d’ailleurs, ainsi que le remarquait Sextus : < il n’y a pas de devoir > ( Hypotyposes, Contre les moralistes )
Renart : -D’un autre côté, il n’est pas esclave à la mode stoïcienne d’une éthique de la volonté.
Grimace le Singe : -Qu’est-ce d’ailleurs que la volonté ? Il n’existe que des volitions où entrent, désirs, souvenirs, fantasmes, perceptions, capacité de résolution et décision, engagement…
La volonté est un concept particulièrement complexe, riche sinon… obscur.
Renart : -Tu cultives l’art suprêmement difficile de savoir ce qui te donne véritablement du plaisir ; mais en amateur éclairé, comme en passant, sans forcer le trait.
Et tu laisses aux machines moralisées, moralisantes et moralisatrices, l’ obligation, la Loi et le devoir, le « respect de la dignité de la personne humaine », la « sollicitude » … grandiloquente inflation conceptuelle, abus de langage propre à l’imposture et à la pose des Tartufes de l’éthicité contemporaine. Grimace le singe : C’est toi qui le dis..

Qu’ est ce qu’ un homme de bonne volonté ?
Bernard l’Âne : -Un homme de bonne volonté n’est pas… un homme à la volonté bonne !
C’est là une distinction classique du kantisme moral et de l’éthique moderne puis… postmoderne ( cf E. Mounier et le Personnalisme, J-P. Sartre et la morale de la responsabilité, Luc Ferry et son Humanisme transcendantal, etc… )
Dame pinte la Poule : -La volonté bonne est une détermination de la personnalité, une expression de la sensibilité, une manifestation de la nature psychologique du sujet. Compatissante et bienfaisante.
Bernard l’ Âne : -La spontanéité de la bienveillance quoiqu’estimable puisque portant au souci d’autrui, à la philanthropie, à l’altruisme et à la solidarité, ne relève pourtant ni du jugement ni du mérite mais de la faculté de ressentir.
En regard des exigences du rationalisme éthique de type kantien elle ne possède aucune valeur morale.
Dame Pinte la Poule : -Elle traduit toutefois la pente de l’utilitarisme qui fait devoir de l’universelle compassion…
Grimace le Singe : -… cet autre discours prescriptif et injonctif de notre temps dont l’impératif catégorique prescrit d’éviter d’ infliger la douleur et la souffrance à autrui et même… au vivant dans son ensemble.
Bernard l’Âne : -La bonne volonté kantienne est la capacité d’agir par devoir, c’est-à-dire par respect de la Loi. Impératif catégorique qui nous ordonne en toutes circonstances de subordonner inclinations, penchants, désirs et amour propre au respect de la personne humaine…
Grimace le Singe : -Qu’est-ce donc pourtant sinon la traduction moderne et laïcisée de la loi mosaïque, de la morale chrétienne de l’amour du Prochain…
Renart : -Et de quoi parle-t-on quand on parle de la volonté ?
Cette morale repose, comme on le voit, sur une séquence de catégories purement spéculatives telles que le sujet, la volonté, la liberté, la responsabilité, la personne…
Grimace le Singe : -En effet…
Renart : -Quant au libre esprit, dégagé de toute préoccupation morale, il cultive en ce domaine comme en bien d’autres les doux plaisirs de l’égotisme…

Grimace le Singe : -Se divertissant aux fétiches axiologiques, il atteint parfois les sommets de la joie rimbaldienne et de l’irresponsable dämon-sirienne lévitation.
Rupture, Philosophie du départ… départ de la philosophie…
Renart : -Il sera donc résolument de… malicieuse volonté…

Peut-on vouloir ce qu’ on ne désire pas ?
Renart : -Question qui repose sur la distinction conceptuelle de deux facultés.
Bernard l’Âne : -On peut vouloir ce qu’on désire.
Par la résolution et la décision, par l’actualisation de la puissance, par l’ efficacité. Sans être par ailleurs certain de réussir.
-On peut désirer ce qu’on est incapable de vouloir.
On s’en tient alors au possible et au fantasme. Pour des raisons subjectives ou objectives.
-On peut aussi être contraint par les circonstances et… quelques autrui à vouloir ce qu’on ne désire pas en différant pour un temps ce qu’on désire alors qu’on est dans l’impossibilité temporaire de le vouloir…
Dame Pinte la Poule : -Il faut souvent vouloir ce qu’on ne désire pas ; le respect de la Loi est à ce prix !
Grimace le Singe : -Comme tout un chacun je subis mes désirs, mes volitions, mes réussites et mes échecs… et autant que faire ce peut, j’en jouis.
Quand à substituer… l’autonomie de la volonté au désir, je laisse ce fantasme et cette manie aux kantiens…

Que peut la volonté contre le désir ?
Aristote ( Ethique à Nicomaque ), Socrate et Kant. ( cf Joseph Moreau, Aristote et son école. Exposé )
Retour au conflit des facultés.
Grimace le Singe : -La thèse socratique ramène la vertu à la science.
Renart : -L’intellectualisme ne tient pas compte de la partie irrationnelle de l’âme constituée par l’appétit ( épithumia ) et le désir ( orexis ) Elle peut être docile à la connaissance mais elle demeure irréductible.
Cas de l’incontinence ( acrasia ) L’incontinent ne parvient pas à surmonter ses appétits ; à la différence du dissolu ( acolastos ) qui assume ses appétits sans freins. L’incontinent sait qu’il agit mal mais sa connaissance est dominée par le désir.
Socrate ( cf Platon, Protagoras ) soutenait que la connaissance ne peut subir l’esclavage du désir, et, plus généralement de la passion. L’incontinence n’existe pas ; c’est par ignorance qu’on agit contrairement au bien.
Or il est possible et même fréquent que l’action soit déterminée par l’appétit en dépit de la connaissance.


  • Pour comprendre le syllogisme pratique de l’action volontaire, il faut en rappeler les différents moments : à l’appétit succèdent le souhait réfléchi ( boulèsis ) puis le choix éclairé ( proairésis ), enfin la décision volontaire.
    Pour l’être capable de délibération, il n’y a pas identité du plaisir et du bien, de l’agréable et du bon.
    < L’appétit se rapporte à l’agréable et au douloureux ; le choix éclairé, la préférence voulue ne s’assujettit ni au douloureux ni à l’agréable > ( Ethique à Nicomaque, 3, 111b 16-18 )
    Cette distinction de l’agréable et du bon a pour condition la représentation du temps.
    L’appétit n’est dirigé que par l’immédiat et l’agréable immédiat apparaît comme agréable et bon absolument du fait que l’agent n’aperçoit pas le futur.
    La délibération est conditionnée par la mémoire et l’imagination.

L’être raisonnable possède une imagination rationnelle ou délibérative ( logistikè, bouleutikè phantasia ) qui conditionne l’exercice de l’intellect pratique. L’intellect ne s’exerce jamais sans images et c’est dans les images que se détermine ce qui est à rechercher ou à fuir.
L’intellect pratique a pour rôle de comparer entre elles les images considérées sous l’aspect de l’attirant ou du répulsif, de calculer et de délibérer en rapportant le futur au présent.
Quand il a prononcé où réside l’agréable ou le pénible, alors l’agent l’évite ou le poursuit…
Grimace le Singe : -La fonction de l’intellect pratique se réduit donc à une arithmétique morale, à un simple calcul des plaisirs et des peines. La vertu est ramenée à un art de mesure, une métrétique…
L’intellect pratique ne jouit d’aucune indépendance dans l’estimation des valeurs…
L’intellect se fait pratique en considérant une fin toujours empruntée au désir qu’il prend pour principe de ses calculs.
Selon le Stagirite, il n’y a pas d’ < autonomie de la volonté > ainsi que le prétendra Kant beaucoup plus tard dans les Fondements de la métaphysique des moeurs. Le bon et le mauvais ne se distinguent de l’agréable et du douloureux que par une information plus ample et une mesure plus exacte.
Renart : -Et non par une différence de plan où le désir, l’inclination, seraient soumis à une < législation universelle >, à l’impératif catégorique, à la < Loi >.
Grimace le Singe : -Pour résumer : l’objet du désir n’exerce son pouvoir moteur qu’en se proposant d’abord à la représentation intellect ou imagination. Deux facultés concourent au mouvement, désir et représentation ; mais la faculté désirante est seul principe moteur,.
Le désir est certes élaboré par la réflexion; il s’élève de l’appétit au souhait réfléchi ; mais on ne saurait s’en affranchir. Il est irréductible à la connaissance.

Le syllogisme pratique.
Renart : -Considérons l’action volontaire comme la conclusion d’un syllogisme.
La majeure est une proposition universelle, une maxime pratique : < les vins et spiritueux sont dangereux pour la santé >
La mineure reconnaît que je me trouve actuellement en présence d’objets de cette sorte ( on me propose une coupe de Champagne )
La conclusion est une action : je l’accepte et, contre la représentation de la maxime, cédant à la tentation, je vide ma flûte…
Comment la conclusion peut-elle contredire la majeure, l’action résister à la connaissance ?
Grimace le Singe : -La mineure, fournie par la sensation actuelle renferme un principe de détermination qui aboutit à une conclusion qui m’affranchit de la majeure. En présence du Chardonnay ou du Pinot pétillant, je ne pense plus qu’il peut être nuisible, j’ai la sensation de l’agréable.
Ma perception actuelle ne se range pas sous la maxime condensant les leçons de l’expérience que < les spiritueux sont dangereux > ; elle me suggère un autre principe : < ce Champagne est agréable au palais >… proposition qui détermine une conduite toute contraire.
Renart : -La psychologie concrète dissipe donc le mirage de l’intellectualisme socratique… ainsi que cette autre chimère, le fondement de l’universalisme kantien, la prétendue < autonomie de la volonté >.

Comment comprendre l’ expression < ne pas savoir ce que l’on fait > ?
Renart : -Savoir ce que l’on fait, c’est prétendre agir en toute connaissance de causes.
Or, sauf à être omniscient et à cultiver le fantasme religieux d’ une absolue puissance, est-ce seulement possible ?
Bernard l’Âne : -Ne pas savoir ce que l’on fait, c’est agir en toute inconscience, sans mesurer la portée de ses pensées, de ses paroles et de ses actes.
C’est pure folie.
Grimace le Singe : -Le suppôt malicieux s’efforce d’agir en amorale conscience sans ignorer la fragilité et l’extrême étroitesse de ses connaissances.
Tant sur soi même et l’origine de ses décisions, motifs et mobiles, que sur le monde.
Ce qui ne l’empêche certes pas d’agir mais ce qui l’incite à la prudence ; surtout lorsqu’ il y va de ses plaisirs.
Renart :-Exister, c’est se risquer…
Le monde est dangereux, précaire. L’imprévu, l’accident, la contingence sont au rendez-vous et rythment d’après l’arbitraire du hasard-roi les aléas de la vie.
Grimace le Singe : -Il n’y a pourtant pas d’autre choix que de s’avancer à découvert, prudent mais résolu, en toute relative… ignorance des causes.

La personne. Changer, est-ce devenir quelqu’un d’autre ? Le respect n’est-il dû qu’à la personne ?

Changer, est-ce devenir quelqu’un d’ autre ?
Renart : -Paradoxe du changement : pour changer il faut être soi et devenir un autre.
Mode d’existence qui succède à un autre mode d’ existence du même objet…
< Substance >, < Accident > sont les concepts métaphysiques, l'< Un >, le < Multiple >, < Identité > et < Différence > sont les concepts logiques par lesquels on s’efforce de rendre raison du paradoxe ( cf le Sophiste de Platon ).
Grimace le Singe : -Précisément : déplacement, altération, accroissement ou génération… s’agit-il du même objet ?
Ou bien ce qui change reste-il permanent, son état seul variant et le changeant n’éprouvant pas de changement véritable mais une simple variation?
Thème et variations ou variations… sans thème ?
Or à retenir la première hypothèse : à quoi et surtout… à qui imputer la responsabilité d’ un acte ?
Renart : -La possibilité de l’imputation et de la sanction cache donc un redoutable problème ontologique…
Grimace le Singe : – … entretenant maintes illusions éthiques…

Le respect n’ est-il dû qu’à la personne ?
Renart : -Curieuse question… Doit-on réserver le respect à l’homme ou l’étendre à l’ensemble des êtres vivants ?
Dame Pinte la Poule : -Le respect est le sentiment moral spécifique.
Il est distinct de la crainte, de l’inclination et des autres sentiments.
C’est un produit de la raison pratique.
Bernard l’Âne : -Tu l’ as dit. C’est la conscience de la nécessité, de l’impératif, qu’impose la Loi morale. Et le respect s’applique toujours aux personnes, jamais aux choses ni à l’animal. Sa dimension est anthropologique.
Grimace le Singe : -Mais qu’est-ce que la < personne > ?
Bernard l’Âne : -Ce qui a une dignité, < une substance individuelle de nature raisonnable >.
Nous le savons depuis Boèce. C’est un absolu. Une fin en soi. Les choses n’ont qu’un prix.
Et on ne peut étendre le respect à ces choses ou aux vivants non humains -ainsi que le prétendent Hans Jonas et la secte des Ecologistes fondamentalistes contemporains…
Grimace le Singe : -Je reconnais là le catéchisme kantien, la vaticination personnaliste et la thèse de l’humanisme postmoderne des « Nouveaux Philosophes ». Lointain écho du thomisme : l’homme, nullement propriétaire mais  » fait à l’image de Dieu », serait cet existant privilégié qui jouirait d’un droit d’usage illimité des ressources de la terre.
Mais pour moi le terme de < personne > n’exprime qu’une idée spéculative, une vision. Elle ne possède aucun référent.
Renart : – En effet, de quoi et de qui parlez-vous quand vous parlez de < personne >, ce pronom indéfini…
Vous parlez d’un je-ne-sais-quoi ; vous parlez… de rien. Rappelez-vous Ulysse, le héros d’Homère…

Dame Pinte la Poule : -Alors tu nies toute morale et même le droit car tu sapes leur fondement.
Si la « personne » n’a pas de référent empirique, à qui imputer la responsabilité ?
Bernard l’Âne : -Qui sanctionner ? qui récompenser ? que devient le mérite ?
Grimace le Singe : -Tu dis vrai…
Les Stoïciens, Boèce, les judéo-chrétiens et les autres, tous les autres, les contemporains t’ont leurrée. Pas moi.
Bernard l’Âne : – C’est que tu auras encore plus d’orgueil que de vanité…
Grimace le Singe : -Comme il te plaira…

Le bonheur. Qu’attendons-nous donc pour être heureux ? La recherche du bonheur est-elle un idéal égoïste ? N’y a-t-il de bonheur que dans l’instant ? Un bonheur sans illusion est-il concevable ? Que convient-il d’entendre par < avoir tout pour être heureux >? Faut-il choisir entre être heureux et être libre ? La recherche du bonheur est-elle nécessairement immorale ? Faut-il s’ abstenir de penser pour être heureux ?
Texte : John Stuart Mill, L’Utilitarisme, Faut-il préférer le bonheur à la vérité ? Véracité, confiance et bonheur.

Qu’attendons-nous donc pour être heureux ?
Renart : -Nous attendons de ne plus être dissuadés par la culpabilisation des professeurs de mauvaise conscience : politiques, financiers, économistes, prêtres, éditorialistes, intellectuels, professeurs, pions, magistrats….
Nous attendons d’en avoir la capacité, la méthode et le courage ( cf Aristote, Ethique à Nicomaque )
Nous attendons d’être devenus opportunistes et adroits.
Pour lever les obstacles que sont le corps, la vieillesse et la maladie, les autres, leurs chimères et leur envie, les échecs, les revers de fortune, les accidents, les catastrophes naturelles et existentielles les autres impedimenta…
Grimace le Singe : -Nous attendons le moment favorable… il faut savoir saisir les moments heureux… « vivre à propos » :
< Quand je danse, je danse ; quand je dors, je dors ; voire et quand je me promène solitairement en un beau verger, si mes pensées se sont entretenues des occurrences étrangères quelque partie du temps, quelque autre partie je les ramène à la promenade, au verger, à la douceur de cette solitude et à moi… Nous sommes de grands fols : < Il a passé sa vie en oisiveté, disons-nous ; je n’ai rien fait aujourd’hui. – Quoi, avez-vous pas vécu ? C’est non seulement la fondamentale, mais la plus illustre de vos occupations… Composer nos moeurs est notre office, non pas composer des livres et gagner, non pas des batailles et provinces, mais l’ordre et tranquillité à notre conduite. Notre grand et glorieux chef d’oeuvre est de vivre à propos… J’ai un dictionnaire tout à part moi : je < passe > le temps, quand il est mauvais et incommode ; quand il est bon, je ne le veux pas < passer > ; je le retâte, je m’y tiens. Il faut courir le mauvais et se rasseoir au bon…
A mesure que la possession du vivre est plus courte, il me la faut rendre plus profonde et plus pleine…
> Montaigne, Essais 3.13.
Renart : -Et si nous décidions de… ne plus croire au < Bonheur > ?
Et si la quête du bonheur n’était qu’un fétiche, l’illusion éthique fondamentale, ce par quoi et ce pour quoi les hommes se rendent malheureux et importuns les uns aux autres ?…

La recherche du bonheur est-elle un idéal égoïste ?
Bernard l’Âne : -Pour le chrétien et le kantien, pour le républicain durkheimien sectaire démocrate, très certainement.
Ils ne reconnaissent pour unique idéal que le souci d’autrui, le respect de la dignité de la personne humaine en toutes circonstances.
Dame Pinte la Poule : -La recherche du bonheur, intention amorale, doit être en effet subordonnée au devoir d’obéissance, à la Loi.
Bernard l’Âne : -Et de ce point de vue, si le bonheur est toléré, c’est d’une manière toute négative. Le malheur risquant d’engager le sujet sur le chemin de l’envie et de la méchanceté. Le bonheur ou souci de soi, dans cette perspective, n’ est au mieux qu’ un moyen.
Renart : -Les penseurs de l’Antiquité n’avaient pas ces scrupules ; la recherche du Souverain bien constituait à leur jugement la fin légitime du Sage :
-les Cyniques ( Antisthène, Diogène, Cratès ) le fixait dans l’obéissance à la nature, par le refus des conventions et des artifices, jusqu’à l’impudeur publiquement affichée.
-les Cyrénaïques ( Aristippe, Hégésias ) professaient l’hédonisme sous sa forme la plus absolue en identifiant la vertu au plaisir et à la volupté dont ils se prétendaient néanmoins capables de se détacher.
-Les Epicuriens définissaient la félicité par l’ataraxie, l’absence de trouble de l’âme.
Par le régime physique et la diététique intellectuelle, le détachement, le refus de l’engagement politique, le goût de l’amitié, la maîtrise des désirs et des plaisirs, le refus des superstitions religieuses et des terreurs de la mort.
-Quant au philosophe aristotélicien, la pratique de la prudence et des vertus tempérées, la préoccupation d’être, pleinement, en cultivant ses dispositions naturelles par l’ exercice, devaient nécessairement mener le philosophe au maximum d’épanouissement autorisé par la contingence des événements dans la cité pacifiée. Le souci de soi étant la condition de la philia, de l’amitié et de la philanthropie.

Cependant que les utilitaristes contemporains dans la tradition de John Stuart Mill et de Bertrand Russell prescrivent le projet d’agir en évitant de causer du tort à autrui.
L’exigence de bonheur pour tous s’est substitué au formalisme kantien.

Grimace le Singe : -Attitude peut-être moins déplaisante mais qui n’échappe pas à une même objection.
Bernard l’Âne : -Et laquelle ?
Grimace le Singe : -L idolâtrie de l’ < Autre > et le fétichisme d’universalité.
L’égotisme, voilà l’ennemi…

N’y a-t-il de bonheur que dans l’instant ?
Dame Pinte la Poule : -Y aurait-il un autre bonheur que celui qui se donne dans l’instant ?
Bernard l’Âne : -Oui. La béatitude procurée par la connaissance de Dieu, ainsi que l’avance Descartes au terme de sa Troisième Méditation ; ou la félicité obtenue par l’intuition du vide et la certitude du néant.
Renart : -Vision religieuse et orientale sagesse…
Grimace le Singe : -Ne seraient-ce pas là deux illusions ?
Cependant que l’instant n’est qu’une limite ponctuelle, un point, une idée, un être mathématique.
Dans l’instant il n’y a rien, l’instant n’est rien : comment le bonheur pourrait-il s’ y loger ?
Renart : -Alors dans la capacité d’être soi… par l’aristotélicienne vertu… voir l’ Ethique…
Grimace le Singe : -L’actualisation de la puissance ? Mais y a-t-il une < continuité du soi > ? N’est-ce pas là une autre illusion ?
Renart : -Peut-être n’y a-t-il que des moments heureux… voir Montaigne…

Un bonheur sans illusion est-il concevable ?
Dame Pinte la Poule : -Le bonheur n’est qu’ < un idéal empirique de l’ imagination >.
Bernard l’Âne : -Je reconnais la leçon du penseur de Königsberg.
Thèse dévalorisante. Aussi bien du pouvoir de l’imagination que de l’idée de bonheur assimilée à un vulgaire fantasme, à la vésanie.
Renart : -Le rationalisme critique de Kant n’est pas tendre à l’ égard du bonheur.
Grimace le Singe : -C’est qu il lui substitue, subordonnée à la morale, la sagesse, perspective cosmopolitiste de la raison pratique, variante de l’ obsession chrétienne et visionnaire du salut, cet idéal transcendant de… l’ imagination.
Renart : -Restent cependant les satisfactions inépuisables procurées par l’univers des fictions…
Grimace le Singe : -Idéal esthétique… bonheur d’artiste…
Peut-être nous procurera-t’il, selon la définition nominale du bonheur, le… parfait contentement de notre état…

Que convient-il d’entendre par < avoir tout pour être heureux > ?
Renart : -Sans doute être délivré des obsessions du devoir, de la culpabilité, de la mauvaise conscience, de la faute, du remords, du repentir, du pardon et enfin du salut.
Grimace le Singe : -Quelle série !
Renart : -Méfions-nous des prêcheurs… des prêtres et des professeurs de vertu ! de leurs injonctions, de leurs prescriptions, de leurs sermons, de leurs normes et de leurs interdits, de leurs commandements et autres impératifs plus ou moins catégoriques…
Grimace le Singe : -… De leur manière d’imposer par la contrainte, la police, ou par la persuasion, l’éducation, des systèmes d’émotions personnelles données pour des valeurs universelles…
Pour le reste n’est-ce point une affaire de disposition, de savoir faire et de chance ?

Faut-il choisir entre être heureux et être libre ?
Bernard l’Âne : -Autre alternative kantienne, antienne d’Emmanuel Lévinas, de Paul Ricoeur…
-Ou bien je suis heureux et je prospère dans l’égoïsme ou l’égotisme, c’ est à dire dans l’aliénation au corps, à la sensibilité, au penchant et au désir, au souci de soi.
Et dans l’abominable < hétéronomie > je manque à mes devoirs de rationalité et d’ universalité ;
-Uu bien je vis dans la conscience aiguë du souci et du respect d’autrui, de mes obligations morales, et, me libérant de la nature, dans la pieuse <autonomie >.
Mais ma conscience scrupuleuse ne saurait trouver là son repos ni son équilibre psychologique puisque il ne m’est pas possible d’être jamais certain de l’absolu désintéressement de mes pensées et de mes actes…
Grimace le Singe : -… comme l’ avait montré… La Rochefoucauld.
Renart : -Pauvres kantiens : respectueux et malheureux… à la manière luthérienne de ces Huguenots jamais assurés d’être justifiés.
Grimace le Singe : -D’ où, ainsi que le montra jadis Max Weber, leur activisme, leur esprit d’entreprise, leur affairisme, leur… < affairement > ( Heidegger ) et finalement…
Renart : -… leur névrose et leur fanatisme moral.

La recherche du bonheur est-elle nécessairement immorale ?
Dame Pinte la Poule : -Evidemment puisqu’ elle répond à l’égoïsme naturaliste qui nous incite à persévérer dans notre être par tous les moyens et indépendamment du respect de la Loi et du souci d’autrui.
Bernard l’Âne : – Nous n’avons pas à < être heureux >; le but de notre existence, notre devoir sont d’agir en vue d’être dignes du bonheur… en tant qu’êtres raisonnables, en tant que personnes morales… dans et par le respect d’autrui.
C’est ainsi que se construiront des relations harmonieuses et la société pacifiée, le < règne des fins> .
Renart : -< Etre digne du bonheur >… nuance décisive… Thèse kantienne…
Les philosophes n’ont pourtant pas toujours partagé cette façon de voir.
-Ainsi les modernes Utilitaristes… pour lesquels favoriser le bonheur d’autrui constitue le ressort de l’obligation… plutôt que l'< amour du prochain >, attitude jugée trop mystique et le devoir de < respect de la personne humaine >, trop formaliste.
Selon Jérémie Bentham ou John Stuart Mill il y a nécessité de concourir au bien-être de tous.
-Quant aux philosophes de l’Antiquité, ainsi que le montra naguère Michel Foucault, ils ont privilégié le < souverain bien > conçu comme effet de la prudence, de l’habileté individuelle et l’ <usage des plaisirs>.
La vertu est un art et une technique du bonheur.
Grimace le Singe : -La recherche du bonheur est certes immorale ou amorale au regard des… jeux de langage chrétien et humaniste.
Mais… je ne suis ni chrétien ni humaniste.

Faut-il s’abstenir de penser pour être heureux ?
Dame Pinte la Poule : -Penser, c’est prendre conscience de la détresse du monde.
Et il ne saurait y avoir de bonheur légitime tant que le mal existera ! La brute inconsciente et l’esprit cynique seuls jouissent et cultivent leurs plaisirs au sein du malheur, de l’horreur et de la souffrance universels.
Renart : -Autant condamner le bonheur non seulement dans son effectivité mais aussi bien dans son concept.
Car la douleur, la souffrance, la misère, la maladie, la malveillance et le crime, ces données immédiates et irréductibles de l’existence, sont de toutes les époques.
Bernard l’Âne : -Ecoeurant pessimisme… Il faut croire aux bienfaits de la Science, au progrès de la Culture, aux vertus de l’Education, à l’élévation morale du genre humain et des jeunes gens !
L’homme est perfectible…
Dame Pinte la Poule : -Ainsi prononcent sociologues, moralistes, éditorialistes, prêtres et gens de bien !
Renart : -Faudrait-il s’abstenir des moments heureux de l’existence au motif de la permanence de la détresse et de la misère ?
Dame Pinte la Poule : -Mais toi le Singe, quel est ton avis ?
Grimace le Singe : -J’impense donc j’en ris…
( 06.2001/06.2005…)


Note : John Stuart Mill, L’Utilitarisme.
( Faut-il préférer le bonheur à la vérité ? )
Les limites de la Véracité, fondement de la vertu, de la confiance sociale et du bonheur collectif.
 
Philosophe et économiste anglais. Il subit l’influence de Hume et de Bentham. Empiriste et antikantien, il nie en psychologie comme en logique tout a priori de la raison. Il rend compte des fonctions mentales par l’associationnisme ; la déduction s’effectue du particulier au particulier, l’induction n’étant possible qu’ à partir d’un certain nombre d’expériences analogues en observant les quatre < canons > ( inspirés de Bacon ) : concordance, différence, variations concomitantes et résidus.
Individualiste en morale, il est interventionniste en politique. II se prononce pour l’intervention de l’Etat quand il s’agit d’aider les plus déshérités et pour la création de coopératives de production.
La qualité du bien-être collectif constitue le but de l’existence au-delà du seul bonheur individuel. Si l »intérêt est en général le mobile premier des comportements, il peut se transformer en sentiment altruiste et désintéressé.
Sa Morale est proche de l’éthique chrétienne.
( Pour une analyse réflexive, critique et généalogique des fondements de l’utilitarisme, cf Emmanuel Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs, Arthur Schopenhauer, Le Fondement de la morale et Frédéric Nietzsche, Le Gai savoir )

< En s’écartant, même sans le vouloir, de la vérité on contribue beaucoup à diminuer la confiance que peut inspirer la parole humaine, et cette confiance est le fondement principal de notre bien-être social actuel ; disons même qu’il ne peut rien y avoir qui entrave davantage les progrès de la civilisation, de la vertu, de toutes les choses dont le bonheur humain dépend pour la plus large part, que l’insuffisante solidité d’une telle confiance. C’est pourquoi, nous le sentons bien, la violation, en vue d’un avantage présent, d’une règle dont l’intérêt est tellement supérieur n’est pas une solution ; c’est pourquoi celui qui, pour sa commodité personnelle ou celle d’autres individus, accomplit, sans y être forcé, un acte susceptible d’influer sur la confiance réciproque que les hommes peuvent accorder à leur parole -les privant ainsi du bien que représente l’accroissement de cette confiance, et leur infligeant le mal que représente son affaiblissement-, se comporte comme l’un de leurs pires ennemis. Cependant c’est un fait reconnu par tous les moralistes que cette règle même, aussi sacrée qu’elle soit, peut comporter des exceptions : ainsi -et c’est la principale- dans le cas où pour préserver quelqu’un ( et surtout un autre que soi-même ) d’un grand malheur immérité, il faudrait dissimuler un fait ( par exemple une information à un malfaiteur ou de mauvaises nouvelles à une personne dangereusement malade ) et qu’on ne pût le faire qu’en niant le fait. Mais pour que l’exception ne soit pas élargie plus qu’il n’en est besoin et affaiblisse le moins possible la confiance en matière de véracité, il faut la reconnaître et, si possible, en marquer les limites. >


< En s’écartant, même sans le vouloir, de la vérité on contribue beaucoup à diminuer la confiance que peut inspirer la parole humaine, et cette confiance est le fondement principal de notre bien-être social actuel ; disons même qu’il ne peut rien y avoir qui entrave davantage les progrès de la civilisation, de la vertu, de toutes les choses dont le bonheur humain dépend pour la plus large part, que l’insuffisante solidité d’une telle confiance. C ‘est pourquoi, nous le sentons bien, la violation, en vue d’un avantage présent, d’une règle dont l’intérêt est tellement supérieur n’est pas une solution ; c’est pourquoi celui qui, pour sa commodité personnelle ou celle d’autres individus, accomplit, sans y être forcé, un acte susceptible d’influer sur la confiance réciproque que les hommes peuvent accorder à leur parole -les privant ainsi du bien que représente l’accroissement de cette confiance, et leur infligeant le mal que représente son affaiblissement-, se comporte comme l’un de leurs pires ennemis. Cependant c’est un fait reconnu par tous les moralistes que cette règle même, aussi sacrée qu’elle soit, peut comporter des exceptions : ainsi -et c’est la principale- dans le cas où pour préserver quelqu’un ( et surtout un autre que soi-même ) d’un grand malheur immérité, il faudrait dissimuler un fait ( par exemple une information à un malfaiteur ou de mauvaises nouvelles à une personne dangereusement malade ) et qu’on ne pût le faire qu’en niant le fait. Mais pour que l’exception ne soit pas élargie plus qu’il n’en est besoin et affaiblisse le moins possible la confiance en matière de véracité, il faut la reconnaître et, si possible, en marquer les limites. >

Des sciences humaines

Peut-on, sans se contredire, parler de < science de l’ homme ? >. Les sciences humaines nous disent-elles ce qu’est l’humanité ? La pluralité des sciences de l’homme ne contredit-elle pas le projet de penser l’homme ? Les sciences de l’homme suffisent-elles à connaître l’homme ? Les sciences humaines peuvent-elles adopter les méthodes des sciences de la nature ? Peut-on soumettre la réalité humaine au calcul ? Les sciences humaines aident-elles à devenir plus humain ?

Peut-on, sans se contredire, parler de < science de l’ homme > ?

  1. Le terme de < science > désigne toute < connaissance rationnelle > obtenue soit par démonstration soit par observation et vérification expérimentale.
    Le terme de < connaissance > définit < la fonction > ou l’acte de la vie psychique qui a pour effet de rendre présent un objet aux sens ou à l’ intelligence. Il désigne également < le savoir > qui résulte de cet acte : la connaissance scientifique ou encyclopédie.
    Cette connaissance porte sur des < relations constantes entre les phénomènes ou lois > ainsi que sur les théories synthétiques de ces lois ( systèmes hypothético-déductifs des sciences mathématiques et physiques )
    Le terme d’ < homme > définit une espèce d’êtres vivants reconnue dans son évolution à partir du Paléolithique supérieur, les hominiens, primates immédiatement supérieurs aux anthropoïdes, dont l’unique rameau existant est dit homo sapiens. ( Station debout, libération de la main de la locomotion, augmentation du volume du cerveau, fonction symbolique en sont les traits spécifiques… )
    En ce sens il est légitime de parler de < sciences de l’ homme >. Biologie, médecine, psychologie, psychiatrie, sociologie, anthropologie découpent chacune pour soi un domaine d’investigation respectant les normes de la rationalité.
  2. D’un autre côté le terme d’homme reçoit une signification éthique. Il se rattache à la doctrine qui pose en principe la dignité de toute personne humaine. Doctrine d’origine stoïcienne, chrétienne et kantienne. Dans ce cas on parlera d'< humanisme >.
    Cette < humanité > n’est qu’un fait de stipulation, un effet de langage.
  3. Parler de < science > de l’ homme est donc une entreprise au moins équivoque. Car si l’esprit positif développe ses connaissances sur le plan des généralités statistiques, le particulier, toujours représenté, lui échappe et dans sa singularité et dans son altérité ontologique : le réel représenté demeure irréductiblement distinct de la chose en question comme l’être ne cesse de narguer le dire.
    Quant à l’humanisme philosophique et religieux il ne propose qu’une vision morale, une image idéale de la « réalité humaine  » qui ne possède aucune contrepartie empirique.
    Il y aurait donc des < sciences > de l’homme et des spéculations sur l’ < Homme >.

Les sciences humaines nous disent-elles ce qu’est l’humanité ?
Le mythe, la poésie et la littérature, le conte, l’épopée, le drame lyrique, le roman… mettent en scène et dévoilent le jeu des passions, des intérêts et des idées qui composent la trame et la chaîne de l’existence humaine. Images, métaphores, récits évoquent et suggèrent plus qu’ils ne la définisse une hypothétique < essence> de l’homme.
Les sciences positives ( psychologie, sociologie, etc… ) cernent chacune pour soi les invariants statistiques dont la somme enrichit d’ une manière progressive le concept à prétention rationnel d’ < humanité >.
Les religions et les morales proposent enfin des < révélations > sur la nature humaine, son origine, son destin, ses fins. Pures fictions, -au demeurant parfois séduisantes-, et, souvent même, plausibles…
Entre ce qui est, ce qui n’est plus, ce qui n’est pas encore et ce qui devrait être, la notion d’ < humanité > est avant tout un formidable embrayeur de solutions imaginaires.

La pluralité des sciences de l’homme ne contredit elle pas le projet de penser l’homme ?
Les arts < représentent > l’humanité ; et chacun selon ses moyens. Ils la mettent en scène.
Les religions prétend < révéler > l’ humanité à elle même ( origine, sens, destin, valeur, salut )
La philosophie < pense > l’humanité. Anthroponomie. Ainsi Rousseau, Kant, Durkheim.
Elle substitue une humanité de convention à l’humanité réelle. Elle la rêve. Elle postule une Idée de l’homme. Elle en déduit la nécessité et les règles des sciences de l’éducation d’ après le postulat téléologique indémontré de < perfectibilité >
Les sciences, quant-à-elles, < étudient > l’homme réel, empirique et banal….
Elles s’efforcent de le connaître, d’en < expliquer > le comportement. Selon le respect des normes de la rationalité. Et selon un découpage et des méthodes qui correspondent à leur objet d’ investigation particulier.
Il n’ y a donc pas de science unitaire et globale de l’ homme.
Il y a des sciences et des visions.
Il faudrait donc s’efforcer de < connaître > l’ homme ou < penser > rien.

Les sciences de l’homme suffisent-elles à connaître l’homme ?
Peut-on « connaître » quoi que ce soit ?…
La question est ouverte. Encore faut-il ne pas se méprendre sur la signification et la portée du terme de < connaissance >.
Toute < connaissance > positive est appréhension de réalités singulières au moyen de concepts, de fonctions mathématiques, de lois générales.
Il y a bien une rationalité scientifique de nature symbolique et qui porte sur des généralités.
En tant qu’objet d’ investigation particulier, l’ < homme > n’ échappe pas à cette nécessité épistémologique.
Quant à la < nature > des choses et de < cette > chose particulière qu’ est < cet > homme, le questionnement relève de la métaphysique, c’est-à-dire d’un discours non scientifique et quasi poétique, mais aussi de la littérature ( notamment du genre romanesque ) et des beaux arts.
< Connaissances > non scientifiques… Ce qui toutefois n’ôte rien à l’intérêt qu’on leur peut porter.

Les sciences humaines peuvent-elles adopter les méthodes des sciences de la nature ?
Problème épistémologique : quelles sont les méthodes adéquates à l’étude de l’homme ?
L’homme est un être vivant et signifiant. En tant que tel, expliquer son comportement c’est ramener sa conduite à des fins, à des valeurs, à des buts, à des intentions. Il faut donc adjoindre la < compréhension > à l’explication rationnelle adéquates aux choses de l’univers inorganique ou strictement biologique.
Cependant, ne pas adopter les règles méthodologiques propres à l’exigence de rationalité serait contraire au projet d’une connaissance à prétention scientifique.
D’un autre côté, réduire l’investigation des phénomènes biologiques et humains aux méthodes adéquates aux sciences de la nature serait une attitude méthodologique contestable peu soucieuse de la spécificité de son objet.
Il faut donc expliquer et interpréter. Tâche aussi complexe qu’infinie…
Avec toutes les conséquences inhérentes à l’ usage de l’ interprétation.

Peut-on soumettre la réalité humaine au calcul ?
La question enveloppe deux problèmes : -En est-on capable ? Techniquement oui. Pour preuve les sondages, enquêtes d’opinions et autres études portant sur les moeurs, les modes, les opinions, les goûts…
Les technocrates spécialistes de l’administration des choses et du gouvernement des hommes ne s’en privent pas.
D’autre part, qui dit science dit pragmatisme et prévoyance. Connaître pour prévoir, tel est le but, l’unique but de la connaissance scientifique ( A. Comte ) Prosaïque et utilitaire.
C’est pourquoi la mesure et le calcul sont les corrélats de la planification. Et la sociologie est servante de la politique et de l’économie.
Dans cette perspective où la société est comprise comme une ruche et l’ homme défini comme un insecte, l’Institut national de psychologie n’est pas très éloigné de l’ Hôtel de police ainsi que, narquois, le nota jadis Emile Canguilhem.

-Est-ce fondé ?
Opposition académique de la rationalité scientifique et de la raison pratique, du < rationnel > et du < raisonnable >. Problème < moral > qui suscite l’ ironie du scientifique et l’ire du Philosophe mais qui ne concerne pas le ‘pataphysicien.

Les sciences humaines aident-elles à devenir plus humain ?

Que signifie < être humain > ? L’expression est au moins obscure…
L’appartenance au genre humain, une disposition sentimentale ou encore un idéal moral ? Dans cette perspective peut-on devenir… ce dont on n’est pas même assuré qu’il possède quelque chose comme un être ?

Est-ce souhaitable ?
Pour les moralistes certes ; dans l’optique de la réduction de la perversion et du mal. Pour les scientifiques, les docteurs Moreau ou Folamour, contemporains démiurges, évidemment oui ; mais en un tout autre sens… Puisqu’ il convient de < faire avancer la science > et, pour ce faire, de transformer sans vergogne les hommes réels assimilés à une matière première expérimentale malléable à merci…
On s’assurera donc du concours des psychologues, psychanalystes, sociologues et autres pédagogues afin de favoriser le < progrès de l’humanité > en constituant un objet totalement contrôlable…
Vieux projet des sciences humaines et fantasme ordinaire des esprits totalitaires…

Le logicien remarquera, narquois, que faire exister un genre, en l’occurrence le < genre humain >, c’est dépasser l’exploit de Geppetto donnant la vie à Pinnoccio, un pantin de bois…
Quant à prétendre < améliorer l’homme >, Jésuitisme ou pédagogisme laïque, ce serait être capable d’en transformer réellement l’hypothétique nature et d’ en changer l’insaisissable définition.
Parole à prétention performative…
Mais de quoi parle-t-on donc quand on parle de l’ < homme > ?