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 Geste des opinions du docteur lothaire liogieri

JOURNAL D’UN PATAPHYSICIEN ( EXTRAITS)


 < Il faut suivre son temps > Eugène Ionesco, Rhinocéros
 
 

Table :
semaine du 25.03.2001. au 01.04.2001. ( Diariste / Zoocide / Châtiment / Corruption / Idolâtrie du Sens / Crime contre l’ Humanité : de quoi parle-t-on ? / Visage du Christ / Nouvelle Gauche. )
semaine du 02.04.2001 au 09.04.2001. ( 1. Lacan / 2. Lincuistrerie / 3. Numérologie / 4. Christianisme / 5. Mafias et Démocratie / 6. Les quatre Âges / 7. Le Web )
semaine du 09.04.2001 au 15.04.2001. ( Le Testament d’ Orphée. Holocauste animal et Heidegger. Un nouvel Ulysse. Bric-à-Brac pataphysique. Grève. L’ Empereur et l’Assassin. Qui dirige le monde ? Des chats et du Beau. )
semaine du 16 .04.2001 au 23.04.2001. ( Pâque pataphysique. Femmes savantes. De l’ usage de la pétition de principe. Merveilleux et fantastique. Faire l’amour pour avoir des enfants. Lolitas… Béatitude et Trinité )
semaine du 23.04.2001 au 30.04.2001. ( Ordre du Temple solaire. Un nouveau « rebelle ». Insolite et réel. Echelon. Ordre du temple scolaire. Pop art. La place royale)
semaine du 30.04.2001 au 06.05.2001. ( Le général, les tartufes et le déserteur. Le mythe de la souveraineté du peuple. saint Paul, un nouveau contemporain. Sémantique du virtuel. Géopolitique… citoyenne. Rimbaud et Dhôtel )
semaine du 06.05.2001 au 13.05.2001. ( Réality-show et société du spectacle. Un rebelle authentique. Commémoration… bric-à-brac ‘pataphysique et lexicalement correct. Ondinisme chorégraphique et transe en danse. La maladie de Ravel. Anniversaire d’ un coup d’ état )
semaine du 14.05.2001 au 20.05.2001. ( Monogamie : la plus grande défaite historique de l’ homme. Du Pardon. Ceux qui nous quittent. Le syllogisme d’ Ivan Karamazov. Ce qu’ on reproche à Céline. De la grandiloquence à la ‘pataphysique ou la sagesse de Valéry. De la justice ou le mot de la fin. )
semaine du 21.05.2001. au 27. 05.2001. ( Bric-à-brac ‘pataphysique. Néo-Gnostiques. L’Europe et ses visionnaires. Misère des Misérables. Au sottisier scientiste. Des intellectuels et du débat. L’ émotion, remède à l’ennui. )
semaine du 28. 05. 2001 au 03.06. 2001. ( Giraudoux. Bric-à-brac ‘pataphysique. De la marche. Cinq oppositions. Que faire des Retraités ? Fractales. Castor et Pollux )
semaine du 04.06.2001 au 10.06.2001. ( Amélie ou le besoin de merveilleux. Sectes. Antiphon le sophiste. L’O.N.U : nouvelle mafia cosmopolitiste ? La Bruyère : sur la critique. Parallèle de Gracian et La Bruyère. Bric-à brac ‘pataphysique )
juillet 2001. ( Saint-Cyr ou Madame de Maintenon pédagogue. Du théâtre, de la ‘pataphysique et d’ Ubu-Roi en Avignon. Actualité du Prince. Actualité de Pascal. Le mythe de l’ automate traducteur. Voir mourir Timothy Mac Veigh. Les < bonnes oeuvres > de monsieur K. )
août 2001. Tourisme culturel … ( Félix Vallotton à Marseille ; du performatif dans l’art ; Arman à Nice ). Béatitudes. Des trois patagonies. Bric-à-Brac ‘pataphysique. Génova : mondialisation et contestation. Art naïf. Le monstre. Le virtuel est-il la chair même de l’homme ? Pierre Klossowski nous a quittés.
septembre 2001. semaine du 9. 9.2001 au 16.09.2001. Pataphysical Wordl Center. Bardamu à Manhattan.
semaine du 17.09.2001. au 23.09.2001. La niaiserie selon Littré. L’Anglaise et le Duc ou un bijou d’E. Rohmer.
semaine du 24.09.2001 au 30.09.2001. Law, Saint-Simon et sainte Spéculation. De quelques procédés pataphysiques et des censeurs. Platonisme mathématique selon Alain Connes.

< En avant, calme et droit… > Au Manège des Ecuyers
 

semaine du 25.03.2001. au 01.04.2001.
Situation du diariste
< Un ‘pataphysicien ne se trouve nullement embarrassé dans le simulacre : aucun sujet ne lui est défendu ; il s’ y engage quelquefois et ne s’en détourne jamais qu’ il ne le relève par la frivolité de sa manière et la désinvolture de son style. >
Pseudo-Sandomir, Livre des sentences
 
Ecrire, c’est réagir. A l’impression, à l’événement, à l’actualité. Signe de vitalité, besoin de clarification, sentiment de relative maîtrise intellectuelle des flux idéologiques… Demeure néanmoins une question : d’ où s’ exprime-t-on ?
Léautaud : la nécessité morale ; et en conséquence la lucidité, le mépris de la dissimulation et la sincérité jusqu’à l’impudeur. Bloy : l’affection mystique et l’attente des signes, du Signe ; d’où l’ impatience, l’outrance du propos, le jeu de massacre et la démesure de l’imprécateur ; Morand : les exigences d’un tempérament ; et la désinvolture élégante de considérations cavalières sur les travers de ses contemporains. Jünger enfin : son idéalisme magique, son regard détaché, en surplomb, du Pays des Castels…
Et le ‘pataphysicien ? Il ne saurait accepter la veine psychologique, l’ herméneutique religieuse, les séductions de la virtuosité, ou encore la pente de l’ inspiration romantique.
Il y a une singularité ‘pataphysique.
Lui reste en partage l’inépuisable ressource des langages de son temps.
Evoluer dans les méandres du dictionnaire des idées reçues et l’ indéfini kaléidoscope des visions.
Cela peut suffire à la « matière de son livre « .
lundi 26 mars

  1. Emouvant article d’ Yves Simon à propos du zoocide perpétré sous nos yeux depuis plusieurs semaines. Il dit fort justement le silence, la solitude, la souffrance et l’horreur, le lot de toutes ces bêtes promises à un abattage systématique et qui ne s’accompagne d’aucun scrupule, d’aucun état d’âme. Après l’oubli des soins, après le refus de la vaccination, la liquidation nue…
    Jusqu’à l’utilisation du curare qui paralyse sans ôter immédiatement la conscience…
    L’animal devenu viande… viande vivante.
    La violence et la guerre au vivant d’un côté … les intèrêts économiques, la démagogie politique de l’autre.
    Bûchers, charniers, images apocalyptiques d’un passé retrouvé, foyers de futures dispersions d’ agents infectieux… un nouveau quatorzième siècle…
    Seuls -paraît-il- les Massaï du Kenya se seraient offusqués de cette entreprise de destruction massive de centaines de milliers d’animaux au motif de l’assainissement des marchés.
    J’ai songé à ces pages de Léautaud où il avoue son attachement pour ses chats et ses chiens, sa guenon et sa chèvre ; ces < êtres charmants >…
    Rien n’ est décidément plus cruel que l’ < humanité >, cette espèce infatuée d’elle-même, impitoyable, ingrate, moralisatrice, à l’ego hypertrophié, alors qu’ elle n’ est pas même une poussière dans la pureté du néant.
  2. L’épidémie se calmant dans nos régions, j’ ai pu galoper mon vieil Orion ce matin. Nous n’étions pas sortis depuis deux semaines. A la lisière du petit bois nous avons débusqué une demi- douzaine de chevreuils. Ceux-là échappent pour le moment à la folie des hommes…
  3. Lu le papier d’ un social-démocrate ingénu qui s’ efforce à un exercice définitionnel digne d’un funambule de la dialectique : distinguer < l’ économie de marché > de < la société de marché > ! Il paraît que l’ une n’ accompagnerait pas nécessairement l’autre …
    Autant prétendre que l’ orage peut éclater sans la foudre.
    Il est vrai que pour nous autres, pauvres d’esprit, les arcanes de l’économie politique sont impénétrables…
    mardi 27 mars
  4. Au courrier, de Jeanne de La Tysse :
    < Enorme turbulence médiatique autour du procès d’ un serial-killer particulièrement sauvage. A l’audience les différentes parties guettent l’aveu. Mais dans le silence d’une attente pesante l’ intéressé se dérobe et insulte copieusement « la Justice  » et « la Société « … Consternation générale des parties civiles, des juges, du public et des médias. Qui tous espéraient la repentance… Avoue, et tu es de nouveau l’un des nôtres ; rougis, pleure, exprime ta honte et demande le pardon ; montre-nous par un signe ton appartenance à l’ humanité policée. Ne nous renvoie pas l’image de la sauvagerie naturelle qui nous hante… Nous te condamnerons mais tu rentreras dans le cercle de l’ Humanité. Et tous ensemble nous serons soulagés… < Le châtiment est une manière de rappeler le coupable à ses devoirs, à sa dignité d’Homme et de sujet de Loi >, rappelait jadis Hegel dans le jargon idéaliste et post-kantien de sa Philosophie du droit.
    Il faut donc jouer leur jeu, en toute  » sincérité « . Le scandale est de ne s’ y pas plier.
    Dans les sociétés archaïques également -comme le montra naguère Claude Lévi-Strauss-, la magie n’ opérait que par l’adhésion de chacun aux représentations de tous. Pour la conservation de l’ensemble et par l’appartenance à un commun système de préjugés.
    De ce point de vue, des Nambikvaras à l’ « Etat de droit » , nulle évolution, nul progrès.
    Depuis lors, le prévenu a, semble-t-il, craqué. Il est rentré selon ses avocats  » dans la société des hommes ». >
    *
    Les considérations quelque peu… déplacées de la Régente ne sont pas sans me rappeler le réalisme cynique de ce jugement de Nietzsche : < Peu de criminels sont à la hauteur de leur crime >.
  5. De la corruption en Afrique.
    Développements très suggestifs d’un procureur natif d’une célinienne Bragamance d’Afrique centrale à propos des relations du pouvoir judiciaire au pouvoir politique et des détournements privés de fonds publics.
    Il en ressort que le concept moral de < corruption > n’a aucune valeur d’universalité. Ce qui est corruption pour un Occidental peut revêtir la valeur de cadeau pour un Africain ou la signification d’un don cérémoniel pour un Asiatique.
    Enfin ceci : < l’ oligarchie n’a pas intérêt au renforcement de l’appareil judiciaire.>
    En effet… les syndicats de magistrats n’ont pas fini de pleurer sur la « clochardisation » de la justice, son manque chronique de moyens, la gestion calamiteuse et l’absence de considération dont -paraît-il-, elle souffrirait…
    Quant aux justiciables, il leur faut évoluer -selon le modèle de Montesquieu-, entre les deux limites extrêmes du caprice de politiciens sans contrôle et l’autorité de la Robe…
    mercredi 28 mars
    Parcouru un récent article de J.L. Nancy tout à fait caractéristique de la manière propre à l’idéalisme philosophique. En substance : < C’est par le sens que s’effectuerait la prise d’ identité de l’ Humanité.> Les fameux Talibans -nouveaux diables qui s’en prennent aux Bouddhas de Bamiyan-, détruisant des symboles, commettraient ainsi un attentat contre l’essence de l’homme !
    Car la destruction de tels symboles serait selon le pieux galimatias du philosophe une agression contre < ce qui forme dans l’homme, la possibilité de l’humain > (sic).
    En conséquence l’outrage au Sens vaudrait pour offense à l’Humanité !…
    Et l’oracle de repasser le plat refroidi de la distinction biblique de l’ idole (abominable) et du symbole évidemment digne de toutes les dévotes attentions…
    Le fétichisme du < sens > comme mythe fondateur de la métaphysique anthropologique !… Après < l’âme >, < l’ esprit > et, il y a quelques lustres selon une étude du même auteur sur le nazisme, < le sang >…
    A contrario, Emile Benvéniste était naguère bien plus circonspect. Il faisait certes de la < fonction symbolique > le critère de distinction de l’ homme et de l’animal -en tant que source du concept et de l’imagination créatrice-, mais il se gardait bien d’ hypostasier une catégorie logique et psychologique. Mystique idole…
    De la linguistique à la vision ou comment fonder la religion du < Sens >, ce succédané de Dieu.
    jeudi 29 mars
    Sortie dans le fracas de la machine à gloire d’ < Intimité >, film de Patrice Chereau dont l’argument fut récemment l’objet d’une mise en scène cinématographique assez proche ( L’ennui ). Faire l’amour ne saurait suffire à dissiper cette énigme qu’est la personnalité de celui ou de celle dont on a obtenu les faveurs.
    La mythologie de l’intimité -et plus précisément de l’intériorité-, est, comme l’a vu Bachelard, particulièrement riche. La métaphysique substantialiste comble de ses rêveries et de ses développements littéraires le besoin irrépressible de matière, de plénitude. Elle dissout l’horreur du vide. L’autre m’échappe. D’où la tentation de l’indiscrétion et de la sequestration.
    Impossible projet cependant… Parce que < l’autre > n’est que traces d’une essence fantasmée et à jamais inaccessible.
    Intimité certes… mais intimité du vide.
    Thème aussi prometteur que malencontreusement dilué dans les gloses et les commentaires moralisants et convenus d’ une certaine critique sur < la nécessité de donner et de recevoir, de partager >.
    Les bien-pensants… Bref les visions d’ un Proust saint-sulpicien dans la manière du catéchisme social-démocrate…
    vendredi 29 mars
    Au courrier, ce développement de Ragnar O ‘Pata :
    < … » Crime contre l’ Humanité « : un des thèmes idéologiques contemporains. Mais quel sens attribuer à cette expression ? On sait ce que signifient les mots d’ homicide, d’ assassinat, de crime. Il s’ agit là de termes juridiques qui renvoient au droit positif, c’est à dire à un ensemble de règles posées par les hommes ; droit dont la valeur est toujours relative à telle l’époque et à tel groupe, et qui n’ exprime que les goûts et les aversions, le sentiment de la vie d’ une collectivité comme l’avaient vu Nietzsche et Spengler. Ces concepts possèdent donc une signification et un référent. La notion de < crime contre l’Humanité > quant à elle ne saurait avoir de signification vérifiable qu’ au sein de la problématique du Droit naturel dans le sens de Droit rationnel. Dans la ligne des Stoïciens, de Boèce, du Thomisme, de la philosophie rationaliste de Locke à Léo Strauss.
    Or quelle est la valeur de la vulgate du Droit naturel ?
    Il s’ agit ici d’une idée morale, toute spéculative, d’une catégorie dépourvue de référent empirique, une < idée régulatrice > selon l’ acception Kantienne.
    Si la notion d’ < humanité > possède une signification psychologique, la compassion, ou encore biologique, la classe des individus qui composent le < genre > humain, la catégorie d’ < Humanité >, n’ est qu’ une hypostase dont l’une des fonctions paraît être, parmi d’autres fins, de légitimer le harcèlement moral et la persécution…
    < Crime contre l’ Humanité >, crime sans référent ? crime contre… rien ?
    En vérité un simple abus de langage ?…
    Et dans cette hypothèse, quelle valeur effective attribuer aux juridictions pénales concernées s’ il s’ avère que leur présupposé n’ a qu’ une réalité nominale ?… >
    En somme, un déni de compétence et le dévoilement d’une imposture judiciaire au motif d’une mystification idéologique ?… Impétueux, extrême et paradoxal Ragnar…
    La méthode d ‘analyse du langage héritée de Hobbes au service des thèses toujours aussi inactuelles et scandaleuses de Nietzsche…
    dimanche 1 avril
  6. Au courrier, ce mot de Jeanne de La Tysse :
    < … La Science ( sic ) vient de donner au monde la reconstitution de l’ improbable visage de Jésus de Nazareth, l’ Oint du Seigneur, le fameux < Christos >. Il est à faire peur. Une tête de primate aux traits d’ une vulgarité rare, aux yeux de fou, authentique figure de prophète exalté…
    Rien de comparable au kitsch des clichés selon l’ iconographie convenue.
    Je pense, un peu navrée, à toutes ces nonnes qui se sont données à l’ < Agneau de Dieu > venu à elles pour < les libérer des péchés du monde > !
    Quelle horreur !… alors qu’ il y a tant de beaux jeunes gens…
    Cette plausible solution imaginaire ne va certes pas remédier à la crise des vocations. >
    Qui sait ?…
  7. Entendu sur les Ondes…
    Emergence d’une prétendue  » nouvelle Gauche protestataire », à la gauche de la Gauche. Et qui serait effet de la misère et de la précarité. Puis l’ énoncé de la théorie < des deux mains >. La main gauche de l’Etat liberal/social-démocrate mettrait en place des procédures de contrôle pour tenter de limiter les effets du libéralisme économique, sa main droite.
    Le discours des sectateurs de Bourdieu qui prolonge l’antienne foucaldienne…
    Après vingt ans …
    C’est beaucoup accorder à la conscience, et en l’occurrence à la conscience politique de l’oligarchie en place… comme à l’ordinaire à la traîne de mouvements sociologiques qu’ elle ne peut ni ne sait anticiper et qui la débordent largement.
    L’insécurité et la précarité, ces données immédiates de l’existence, ne seraient donc que le mécanique résultat d’un capitalisme débridé ; il urgerait de donner des porte-parole, des tribuns à ces < nouvelles classes > en deshérence pour leur bien et surtout… dans l’intérêt général !
    Bref la sempiternelle chanson de la sotériologie politique.
    Religion des sociologues, rengaine des éditorialistes … l’exigence de toujours plus d’encadrement ou d’un encadrement plus « rationnel « … Et la politique, ce fétiche, comme supposé remède au chaos déterministe des intérêts, des idées et des passions… Comme si la < virilité masculine des classes dangereuses > pouvait être récupérée et contrôlée par l’ institution ! Comme si la < jeunesse > désirait par nature s’assimiler et s’intégrer…
    Mais à quoi ?
    Sans doute au gâtisme des installés…
    On imagine un Rimbaud, un Ducasse, un Dix ou encore un Dämon Sir dans les pattes de l’assistance sociale, des psychothérapeutes et des chers professeurs !
    Eternelle illusion d’ idéologues consensuels à la recherche de < solutions >. Pour mieux calmer l’ angoisse suscitée par un chaos social ordinaire menaçant leurs confortables rentes de situation.

 
semaine du 02.04.2001. au 09.04.2001.
lundi 02 avril
Au courrier, de Patadelphe :
< … Sur les ondes de Poldavie : commémoration inattendue du centenaire de la naissance du pittoresque Jacques Lacan ! Perplexité… On ne sait quelle attitude adopter devant le spectacle offert par les dévots maintenant sexagénaires d’ une chapelle bien délabrée… Pénible rabâchage des clichés du chevalier de < la barre > : < mathème >, < stade du miroir >, couple < désir / demande >, < achose > ou encore < système SRI > …
Il paraît que : < Lacan fut un homme des Lumières, habité par la conviction freudienne que l’interdit du désir est au coeur de la liberté humaine > ( Elisabeth Roudinesco ).
N’en doutons pas…
Mais quelle fut la réelle portée de ces pseudo-concepts d’ apparat, métaphoriques et grandiloquents?
Sans doute d’ avoir subjugué les oreilles complaisantes d’une génération d’ intellectuels aussi mimétiques qu’ infatués d’eux-mêmes et pour lesquels, à l’ heure impitoyable du bilan, le fiasco « théorique » ( sic ) est à peu près complet…
C’est que les temps comme les modes ont bien changé. Debray-Ritzen, Jouvet, Deleuze, Sokal et Bricmont, d’ autres encore ont passé par là… Le formalisme mathématique, ce cache misère de la rhétorique creuse et de l’ imposture analytique, s’est retiré ; tout comme l’ idéalisme linguistique s’ est effacé…
Le référent n’a pas fini de nous narguer.
Un humoriste fin de siècle écrivait : Mallarmé est drôle et il le sait. Dans le ton du Chat Noir le paradoxe est bien fort. Mais il est certain qu’ à l’ acmé de la transe jaculatoire lacanienne on aurait pu ajouter : Lacan est drôle mais il ne le sait pas.
Cela dit, il y a bien longtemps que la magie des Ecrits n’ agit plus… Tout juste peuvent-ils nous tirer aujourd’ hui un bâillement, à peine un sourire. Les pédants des < Sixties > devenus gérontes ne font plus recette si ce n’est auprès des débutants nourris au lait rance de quelques khâgnes pour attardés.
Le despotisme intellectuel des petits marquis du concept a décidément bien pâli… Il est vrai que les « pédagogues » ont pris la relève…>
mardi 03 avril
Lincuistrerie. En classant mes papiers, je mets par hasard la main sur un billet d’ humeur fort bien senti de Bernard Leconte. Il remarque que l’ < auteur > et l’ étude des auteurs sont désormais bannis des nouveaux programmes de < français > des Lycées ; mais qu’ en revanche entrent en force < la rhétorique échevelée et la linguistique hurlante >. Il cite quelques notions que devront ingurgiter les éléves : < Syntagme figé, chaîne référentielle, grammaticalité, allocutaire, énonciation narrativisée… >.
La litanie des gros mots, comme disait Artaud…
Ecole de la soumission au pédantisme et à la préciosité pédagogiques… Dans un registre un peu différent il paraît qu’un ballon se nomme chez les nouveaux Trissotins de l’éducation physique : un « référentiel rebondissant » !
Nous sommes bien dans Molière… dans la farce et la plus grasse et au premier degré !
Un ami, bon connaisseur du milieu, me faisait récemment remarquer que suivant les oukases ministérielles l’ explication de texte avait quasiment disparu de l’enseignement des Lettres. Il la fallait remplacer par le relevé des figures et les considérations moralisantes, sociologiques ou encore psychanalytiques mécaniquement plaquées sur les  » extraits  » ( sic ) étudiés, quel que soit leur objet.
Cela n’a rien pour étonner. A suivre les nouveaux prêtres de la < communication >, la littérature, c’ est le mal. Il faut donc la réduire ; et au plus vite. Empêcher son puissant pouvoir de séduction sur les jeunes gens…
Les passions, la contingence, le tragique, bref l’irrationnel, la matière ordinaire du roman, du théâtre et de la poésie, sont devenus insupportables à une époque grégaire et imitative, dominée par l’ exigence éthique, où les individus sont ramenés au type et à la fonction.
On lui substitue donc un positivisme méthodologique élémentaire mâtiné d’un bavardage pesant sur les < faits de société > et < l’ humanitaire >, à évoquer le jargon en cours.
Et me viennent à l’esprit les noms de Michel Leiris, de Marcel Brion, de Pierre Klossowski, d’ A. Pieyre de Mandiargues et de tant d’autres… Auront-ils des lecteurs dans vingt ans ?
L’ obscurantisme scientiste et la catéchèse, la pensée édifiante et l’utilitarisme technologique ont tout envahi. La littérature s’est abêtie.
Elle s’est faite citoyenne.
mercredi 04 avril
Au courrier, d’ Ubudore :
< … la numérologie tant vantée dans certains milieux n’est qu’ une magie opérative à l’ instar de l’astrologie, de l’alchimie ou de la kabbale. Son fondement, si l’on peut lui affecter un fondement, est l’ hypothèse toute spéculative de la puissance réelle des nombres. Il s’agit ici de la banale confusion du symbole et de l’ idole : faire d’un symbole le lieu de la présence réelle d’une puissance, d’une force. C’est cela l’idolâtrie. Or le nombre, en lui même, n’ existe pas. Il n’est aucunement une entité. Il ne possède aucune substance. C’ est un effet. Le produit d’un calcul ; pas même d’une pensée. Le chiffre < 33 > par exemple est le signe de la classe des opérations indéfinies qui produisent le nombre correspondant : addition, soustraction, multiplication, division… >
Je réfléchissais tantôt à la permanence de la mentalité magique à l’époque contemporaine. Et qui -pour nous Occidentaux, le temps d’Apulée excepté-, n’a peut-être jamais été aussi prégnante.
Quel paradoxe pour le rationalisme !
A reprendre le vocabulaire d ‘Auguste Comte, il faut convenir que les trois grands régimes mentaux d’ intelligibilité des phénomènes -le théologique, le métaphysique, le positif-, loin de se succéder selon la perspective d’un progrès linéaire et continu de l’ esprit humain, se perpétuent à toute époque et pour la représentation d’un même individu, dans la simultanéité.
Ce qui suffirait à faire justice de l’ utopie comtienne de la régénération sociale par la Science et la Sociologie politique positive. Comme l’avait vu Pareto.
L’ affectif est irréductible. Et avec lui l’ irrationnel.
Pour ma part j’ ajouterais volontiers un quatrième régime à la fameuse < Loi des trois états > – découverte dont le pape du Positivisme était si fière -, régime mental bien particulier celui-ci puisque d’ inintelligibilité : l’ âge ‘pataphysique…
Ma modeste contribution à l’ histoire des idées en quelque sorte… >
jeudi 5 avril
Lecture qui m’a laissé perplexe d’ un Journal des paroisses , feuille diocésaine indiscrètement glissée dans ma boite à lettres. Un théologien patenté répond doctement à la question d’un fidèle un peu perdu dans le dédale des doctrines de l’ au-delà.
< Entre réincarnation et résurrection quelle différence ?…>
Il y a en effet de quoi perdre la tête…
Après le rappel de quelques dogmes bien connus du bouddhisme dévotionnel portant sur la vision ( sic ) cyclique de l’ existence, l’idée de l’ immortalité de l’âme et la succession des réincarnations selon les mérites acquis au cours de l’existence, le Clerc brosse un rapide parallèle des deux traditions. Alors que le Bouddhisme affirme le salut par l’extinction des désirs et de l’ignorance, le christianisme < convient plutôt de parler de résurrection>.
Jusqu’ici rien que de très banal. Ce qui l’est moins, c’est la façon dont ce religieux post-moderne évoque les conditions de cette résurrection. : < le chrétien ne se ressuscite pas lui même. Il n’a pas besoin de mériter pour être sauvé, d’entrer en communion totale avec Dieu et tous les sauvés. Tout lui est donné : il est sauvé par le Christ-Ressuscité. Par sa vie, ses actes, ses pensées, ses paroles, il ne fait que confesser qu’il accueille librement le don de la vie. Il n’a rien à faire pour mériter sa résurrection: tout est grâce, donnée par Dieu >.
Il suffit donc de croire en son coeur que Dieu a ressuscité le Christ, et le tour est joué…
Un Christ soft pour paroissien New-Age, gentil, compréhensif et caressant.
Exit l’angoisse de la souffrance, du deuil et de la mort personnelle, exit le péché, la question du mérite et le problème douloureux de la grâce ; bref, évacuons le tragique !
Le terme est d’ailleurs devenu obscène…
Dans l’ âpre concurrence entre sotériologies, à la démagogie des politiques la démagogie des clercs très naturellement fait écho.
Le catholicisme est donc devenu un protestantisme bonasse. Et au paternalisme éthique et social de l’Etat-Providence répond désormais l’ assistance des âmes où chacun à droit au bonheur et à la résurrection, comme une pension spirituelle après le bref passage terrestre, ainsi qu’ un bonbon.
Il suffisait d’ y penser…
Réflexion d’un ‘pataphysicien : Pascal, c’ était tout de même autre chose…
vendredi 6 avril
Au courrier, de Bérenger Premier :
< …Sur le danger des Mafias organisées… Il y aurait péril en la demeure. Les institutions démocratiques, les parlements, les gouvernements, les juridictions seraient infiltrées. Par des groupes organisés en réseaux transnationaux et dont les bases seraient largement ethniques. Ils utiliseraient la faiblesse des Etats, les possibilités du marché, les merveilles de l’ électronique financière, l’ouverture et de la démocratisation récente des systèmes totalitaires. Mafias ukrainiennes, chinoises, albanaises… Elles auraient recours au crime et à la violence; leurs facultés d’ adaptation seraient quasi darwiniennes. Abominables sectes, fondées sur des rites intiatiques occultes, contrôlant le trafic des armes, la prostitution, les circuits de la drogue, les marchés du bâtiment. L’Europe, l’ innocente Europe serait une proie pour les initiatives de ces sectes criminelles. Plaque tournante des armes et de la drogue, elle serait devenue comme leur débouché naturel… Peut-être… De mauvais esprits s’étonnent cependant de cette inquiétude soudaine. Ces esprits frivoles contestent la différence réelle des méthodes du capitalisme légal et du capitalisme criminel. Ils vont même jusqu’à soutenir, paradoxe odieux, que la démocratie libérale engendre par son propre mouvement le crime organisé et la pénétration de l’économie légale par l’ économie mafieuse ; que ses méthodes ne sont guère différentes de celles qu’ elle dénonce ; que ses protestations de vierge vertueuse n’ expriment que sa crainte de se voir évincée de marchés aux profits juteux; et que les Etats quand leurs intérêts vitaux sont en jeu, n’hésitent guère à utiliser les moyens crapuleux du chantage, de la diffamation, de l’espionnage, de la répression, voir du pur et simple terrorisme… Ne savent-ils donc pas ces ignorants que la démocratie libérale réalise la fin de l’Histoire parce qu’ en elle le Rationnel s’ est incarné ? Et que le Marché réglé par le Droit constitue l’ état naturel de l’ Humanité civilisée ? Une identité d’essence de la démocratie légale et de la démocratie criminelle ?… C’est insupportable… Qu’ on les fasse donc taire !… ou qu’ on les rééduque ! >
A ce propos une réminiscence me vient : < Le 21 ième siècle sera mafieux ou ne sera pas ! >, -à pasticher Malraux…
samedi 7 avril
Au courrier, de Patadelphe :
< … Je ne connais pas de lieu plus intéressant qu’ une salle d’audience pour observer la confrontation des régimes mentaux de l’ humanité en quête d’ intelligibilité.
J’ assistais naguère au procès d’ un curieux personnage accusé d’avoir assassiné une jeune femme. Pour sa défense et à l’étonnement général il prétexta de la possession du démon. Il aurait été « envouté  » !

  • < Âge théologique > donc, explication fétichiste. La Puissance est dans la chose.
    Tandis que le Ministère public conformément à son rôle lui objectait sa  » responsabilité « .
  • < Âge métaphysique > où se sont arrêtés, remarquons-le, la problématique et tout l’ édifice du « Droit » : le prévenu est jugé en tant que < volonté consciente > et < responsable >, < causalité libre >, < agent > provocateur d’ effets dont il doit rendre compte devant le < tribunal > des hommes.
    Autant d’ entités abstraites, de < postulats de la raison pratique >, à parler comme Kant.
    Cependant que la Défense arguait au contraire de la notion de < circonstances > évidemment atténuantes.
  • < Âge positif > puisque, substituée à celle de < cause >, l’ idée de < circonstance > se situe au niveau épistémologique des experts livrant leurs conclusions d’ après le régime de l’ explication scientifique…
    Auguste Comte s’ était donc invité à l’ audience en compagnie de sa très fameuse et scolaire < loi des trois états > !…
    Trois jeux de langage, trois  » régimes d’ intelligibilité  » se confrontaient là ; et en toute … innocence.
    Trois opérateurs d’ intelligibilité aussi : le signe, la cause, la circonstance.
    Immergé dans ce réseau sémantique, je songeais, moi Pataphysicien silencieux retiré dans la salle, au sentiment d’ … inintelligibilité des choses à quoi se résout la ‘Pataphysique… >
    Cher et méditatif Patadelphe… A la scène ou dans la salle, comme nous tous… mais esprit curieux et toujours au spectacle.
    dimanche 8 avril
    Entendu sur une chaîne financière :
    < le web est une mosaïque et non pas un universaliste. >
    A verser au chapitre des illusions de l’ humanisme abstrait et cosmopolitiste : les actions s’effondrent, le local résiste..

semaine du 9.04.2001. au 15.04.2001.
Lundi 9 avril
Le Testament d’ Orphée… oeuvre poétique exposant un art poétique.
Cocteau s’ adresse au < public de l’ombre > et à la jeunesse, pour leur permettre dit-il, de < rêver ensemble le même rêve >.
Le propre du merveilleux cinématographique…
Sur le film, cette rosserie de Morand : < Hier télévision, Testament d’Orphée. Effrayant avec le recul. Cocteau y apparaît comme une sorte de Sacha Guitry du surréalisme, prétentieux, à court d’inspiration, vedette à tout prix, mobilisant Auric, Casarès, etc., pour de la fumée. On sent que tout est faux ; il n’ y assassine méme plus ceux qu’il détrousse (comme disait Rivarol)… C’est pauvre sous le clinquant de quatre ou cinq modes. Jean m’ a exaspéré ce soir, lui que j’aime tant. >
Et pourtant… J’ y rencontre des bonheurs d’ écriture, avec cette touche d’ espièglerie si caractéristique qui accompagne les vues les plus suggestives quand bien même elles seraient devenues lieux communs :
-que les poètes devinent des choses redoutables et qu’ ils sont bien plus à craindre que les intellectuels ;
-qu’ ils sont accusés du crime d’ être capables de tous les crimes, notamment celui de vouloir pénétrer dans un monde qui n’est pas le leur au motif qu’ils seraient las de celui qu’ ils habitent ;
-qu’ils parlent une langue que personne ne parle, ni les vivants ni les morts ;
-et surtout qu’ ils cultivent jusqu’au sacerdoce la désobéissance à la manière de l’enfant et du héros…
Et l’ auteur de soumettre le Poète au jugement de ses personnages…
Qui lui adressent cette sentence extraordinaire : ( Pour les raisons précédentes…) : < vous êtes condamné à la peine de vivre…>. Jugement qui fait écho à l’ une des dernières répliques du précédent Orphée : < laissons-les croupir dans leurs eaux sales…>.
Le monde d’Anouilh…
Et enfin, à la question d’ Orphée curieux du destin de ses accusateurs, cet aveu du Tribunal de la Raison et du confort intellectuel : < -Nous ne pouvons être condamnés à pire. -A quoi êtes-vous donc condamnés ? -A juger les autres… à être des juges. >
Jean Cocteau, le réfractaire…
mardi 10 avril
Au courrier, de Jeanne de La Tysse qui partage mes sentiments sur l’ épizootie qui a submergé l’Europe : < … vision déprimante de toute cette misère… Déréliction du monde animal… solitude inouïe de la souffrance et de la pitié, -à reprendre ce titre de Giono. Le spectacle de cet  » holocauste animal  » -mais holocauste à qui ? -, m’ a ramenée, perplexe, aux thèmes si discutés de l’ herméneutique heideggerienne saisis à cette occasion dans leur évidence nue : la paranoïa anthropocentrique ; la domination de la terre ; le mépris et l’ exploitation du vivant ; le style productiviste et économiste du Travailleur, -figure jüngerienne à laquelle il faut désormais adjoindre celles du Consommateur roi et de l’Actionnaire tyrannique. L’ horreur d’ une époque < de l’ histoire de l’ être >, où l’ être est devenu souffre-douleur de la concupiscence, de la métaphysique de la Volonté, de la Puissance et de la Technique…
Et du côté de l’ existence, la timidité des politiques ; la multiplication invraisemblable des lois, des arrêtés et des règlements censés protéger l’animal mais jamais respectés, toujours trangrèssés…
Et en face de cela l’ indignation impuissante et silencieuse d’ une pitié sans recours… >
Le diagnostic est-il contestable ?… Il semble que la réalité nous restitue comme dans un miroir l’ image fidèle de ce que nous sommes…
mercredi 11 avril

Bric à brac pataphysique…
Au courrier, de Patadelphe : < – entendu : un monde ébranlé… Quel monde ne l’ est pas ?…

la soutenance controversée de la thèse d’ Elisabeth Tessier, aimable Pythie contemporaine, sur < les aspects épistémologiques de l’ Astrologie dans les sociétés post-modernes ( sic ) > en… Sorbonne !
Une sorcière en Sorbonne …
Haut le coeur scandalisé des  » vigilants « , les Frères Prêcheurs scientistes…
Joli différend pataphysique pourtant : l’ âge positif contre l’ âge théologique !
Allons, ne désespérons pas ! l’ esprit de querelle à propos des « conditions de sens  » est bien vivant.>

Grève… et ordinaires disputes relatives à la qualité du service public.
Elles traduisent le prosaïque conflit des différents types d’ intérêts : particulier, collectif, général et enfin public…
Occasion d’ un intéressant exercice sémantique.
Notons en premier lieu l’aspect psychologique de la notion. Par intérêt il faut entendre l’ attention spontanée provoquée par des objets qui répondent à nos tendances. La source en est biologique et aussi mimétique comme l’avait vu Tarde bien avant nos sociologues contemporains : intérêt de l’ intérêt… de l’autre.
Remarquons ensuite que nous évoluons ici au sein d’ une problématique morale, morale sociale, libérée -notons-le-, du pathos kantien de l’ universel. Car l’ intérêt public demeure intérêt… privé, celui d’ un Etat, d’ une Nation, d’ une « communauté », d’ une  » identité « .
Concluons qu’ < Intérêt public > et < Esprit public > ne sont que deux abstractions, deux façons de rêver la chose sociale. Montesquieu avait déjà relevé les limites de la < vertu > entendue comme < principe > ou âme vivante de la République, type idéal et régime politique particulièrement fragile.
jeudi 12 avril
Dernières révélations relatives à Homère et à son Héros Ulysse… ( Pierre Lamy : L’ homme d’ Ithaque ). L’ odieux personnage ne serait qu’ un voyou, un menteur, un traître sans foi ni loi, époux infâme et amant infidèle à ses maîtresses, déesses ou mortelles confondues…
Pire encore et abomination des abominations : il ne s’agirait que d’ un mystificateur !
D’ un autre côté, renouvelant une vieille hypothèse, le texte de l’ Odyssée serait un manuel crypté de navigation à l’ usage des marins grecs cherchant la route de l’ étain…
Merveilleux et inépuisable texte où chacun peut projeter ses marottes…
Quoiqu’ il en soit nous n’ avons ici qu’ une variation de plus sur le thème de la littérature utile, nécessairement utile. Il faut dénier à la fiction toute portée ludique et poétique…
Qui l’ eût cru? Les aèdes n’étaient pas des aèdes mais des … instituteurs !
Attendons la prochaine « thèse » portant sur l’ Iliade et gageons que nous y aurons la révélation d’ un texte précurseur du … national-socialisme !
vendredi 13 avril
Visionné, hélas ! puisque pour mon ennui, le film : L’ Empereur et l’ Assassin …  » Imposante épopée et méditation sur l’ambition et le pouvoir, merveille formelle et romanesque  » d’ après la machine à gloire ….
Pour ma part je n’ y ai perçu qu’ un péplum chinois, interminable, pesant, dépourvu de rythme, redondant, à la psychologie élémentaire et lesté d’ une intrigue sentimentale dans la veine de Delly… Seule la reconstitution historique, donc le pittoresque, confère un certain intérêt à cet ouvrage démesuré, boursouflé et manquant singulièrement d’ originalité.
Du sous Kurosawa.
Ce qui confirme mon sentiment : quand on se mêle de devenir metteur en scène on devrait apprendre à maîtriser les techniques du court métrage, cette transposition du genre littéraire par excellence, la Nouvelle.
J’ai le souvenir d’ intéressants développements de Roman Polanski sur ce sujet.
Notamment celui-ci : pour susciter et surtout maintenir l’ intérêt, il faut être dense, synthétique et percutant ; bref il faut faire court…
samedi 14 avril
Au courrier, de Ragnar O ‘Pata :
< … lu avec beaucoup d’ intérêt le numéro spécial de la < Revue internationale et stratégique >, printemps 2001.
Redoutable gageure pour  » l’historien du présent », -à oser cet oxymore-, qui se propose d’ apprécier la portée des événements les plus récents.
A la question du directeur de l’ IRIS Pascal Boniface : < Qui dirige le monde ? >, nous prenons connaissance de la réponse du ministre Védrine.
Dans l’ordre : 1) Personne. 2) les Américains. 3) Cinq ou six autres puissances dont la France. 4) Les dirigeants de tous les autres états et les secrétaires généraux d’organisations internationales. 5) Le crime organisé. 6) à la marge: tout ce qui peut introduire des grains de sable dans les mécanismes : peuples, passions, individus, bugs.>
En substance, le chaos déterministe des intérêts de toutes sortes, l’impérialisme, la cacophonie des nations, des initiatives contingentes, le grand banditisme, le hasard et l’arbitraire…
En somme rien de bien nouveau sous le soleil…
Du côté de l’objet : fluidité, complexité et imprévisibilité du réel ; du côté de la diplomatie: myopie, vision et prétention.
Voilà de quoi interroger le bien fondé des thèmes inducteurs de la mystique iréniste : les droits de l’homme, la paix, le développement >.
dimanche 15 avril
Agréable divertissement à une exposition de chats.
Magnifiques et présentés selon les codes en usage, un peu précieux dans leurs salons privés, allongés, qui sur un récamier, qui sur un minuscule crapaud, abandonnés et lascifs, pour le plaisir des yeux…
La beauté des félidés qui se savent au spectacle, comme le champion sur le Carré de Dressage…
Réminiscences des Frères Perrault, de La Fontaine, de Baudelaire, de Balthus… de Nietzsche également s’ interrogeant sur la destination des espèces et notamment de l’ humanité.
Question à laquelle il répondait sans hésiter : le génie.
Dans le même sens, au problème académique des fins de l’existence ou pourrait proposer à la manière de Thomas Mann et de nos amis les chats : la beauté…
Ce qu’ il y a de merveilleux dans l’ inquiétante étrangeté du beau, c’ est que sa séduction est incontestable ; il subjugue, il s’ impose.
Jusqu’ à la rage ressentimenteuse des Thersytes.
L’admiration comme le montrait Descartes est bien la première de nos passions, l’aiguillon du désir et des sentiments affirmatifs, de l’enthousiasme et finalement de toute création.
La beauté, la lucidité, le tragique… ou les sources du plaisir éphémère d’ exister.


 semaine du 16.04.2001 au 23.04.2001
Lundi 16 avril
Au courrier, de Ragnar O ‘Pata :
< Contribution à la Pâque pataphysique. Intéressante polémique autour d’ un ouvrage de Messod et Roger Sabbah, < Les secrets de l’exode > . Le pataphysicien y trouvera une stimulante pitance puisque le fameux Abraham y est identifié à Akhénaton, ce pharaon « monothéiste », en raison du culte qu’ il aurait institué à Aton…
Ce n’ est pas tout. Les auteurs tentent d’ intégrer le légendaire « Exode » ainsi que ses protagonistes dans l’ histoire égyptienne, en décryptant les noms et les événements dissimulés derrière le récit.
Les représentants de l’ égyptologie académique auraient toutefois éreinté l’ ouvrage…
On devine en effet l’ importance de l’enjeu… La dispute est prometteuse…>
Sans doute. Cependant la thèse selon laquelle la Genèse serait le récit de l’expulsion de la population monothéiste d’Akhénaton est-elle si originale ? Ne prolonge-t-elle pas les lointaines et dérangeantes allégations de Freud suivant Champollion à propos de l’origine égyptienne des Hébreux?
Que la < Bible > -par ailleurs remaniée lors de l’ exil à Babylone pour satisfaire les exigences des nouveaux maîtres des Hébreux-, soit sinon un faux du moins un montage de montages, ce secret de Polichinelle ne saurait alarmer que le dévot.
Tandis que le ‘pataphysicien ne s’ en inquiétera guère.
D’autant plus qu’ il est fort réjouissant de penser que les études bibliques ressortissent désormais à un irrémédiable … exode des secrets.
Evoquons à ce propos les principes de la critique biblique tels qu’ils furent développés par Diderot, dans les articles Bible et Canon de l’ Encyclopédie, ainsi que dans la soixantième des Pensées philosophiques, soit la mise en question : de l’établissement des textes canoniques ; de la prolifération des versions; de la corruption de la lettre par l’herméneutique symbolique intempérante ; du caractère apocryphe de certains livres ; et enfin des difficultés de restitution des textes en l’ absence de toute autorité sûre…
mardi 17 avril
Au courrier, acides considérations sororales de Jeanne de La Tysse :
< … parcouru dans un quotidien du matin un article dû à la plume de Sissi Bad, philosophe. Avec une certaine véhémence elle y prend la défense d’ un idéologue, agité bateleur de plateau de télévision. Le malheureux Tabarin aurait été victime de la médisance publique fort soucieuse de la moralité des saints  » innocents »… Mais laissons cet oracle de l’ écologisme social-démocrate à la plaisante et déchaînée meute qu’ il traîne à ses basques… Bien plus intéressante est l’ attitude de cette Intellectuelle patentée de la nomenclature républicaine. En ce qu’ elle tente le grand écart de la défense de  » la pensée 68  » ( selon Renaut / Ferry ) et de l’ idéologie des  » Lumières « . Epidictique disjonction apparemment exclusive… D’ un côté, la célébration du Tiers Testament ; de l’ autre le plaidoyer pour un hérault aux tempes grises de feue la Permissivité… Qu’ en penser ? Sans doute que la < parité > commence à produire ses effets…
Les < auteures >, < écrivaines > et autres autoproclamées < chiennes de garde > (sic), -mes contemporaines Erynies-, semblent parvenir à leurs fins : rattraper et dépasser le sexe rival et honni dans la vanité intellectuelle et l’ opportunisme idéologique… quand ce n’ est pas, parfois, dans les facilités de la pornographie élémentaire et alimentaire à l’ usage des illettrés.
Quant aux contraintes de la logique et au respect du principe de contradiction…>
Les jugements des femmes sur les femmes sont décidément impitoyables…
mercredi 18 avril
Au courrier, de Bérenger Second : De l’ usage de la pétition de principe…
< Il ne doit y avoir aucune guerre -écrit Kant-, ni celle entre toi et moi dans l’état de nature, ni celle entre nous en tant qu’ Etats… Aussi la question n’est pas de savoir si la paix perpétuelle est quelque chose de réel ou si ce n’est qu’ une chimère… mais nous devons agir comme si la chose qui peut-être ne sera pas devait être… Et si notre fin demeure toujours un voeu pieux, nous ne nous trompons certainement pas en admettant la maxime d’y travailler sans relâche, puisqu’ elle est un devoir. >
Ces quelques lignes laissent songeur… < nous devons agir comme si… >, voilà le fond de l’ idéalisme critique : la mauvaise foi : le réel a tort ; il faut lui substituer l’ Idée et… à l’ impossible nous sommes tenus !
Et quand bien même nous serions continuellement démentis par l’ expérience, persévérons néanmoins ! Car c’ est là notre… < devoir > !
Maxime digne d’ une Critique de… la Démence pratique ! >
Il se peut… Combien plus satisfaisantes et réalistes les lignes où Hobbes dégage les trois invariants métahistoriques des querelles : la rivalité, la méfiance et la fierté ; ou encore la recherche du profit, de la sécurité et de la réputation.
L’ empirisme généalogique d’ un côté, la spéculation moralisante de l’ autre…
jeudi19 avril
Cocteau de nouveau. La belle et la bête… et les charmes du vieux magicien…
Tout au long du spectacle j’ ai songé à l’ irritant problème de la définition des critères du merveilleux et du fantastique envisagés comme catégories esthétiques.
On peut sans doute en distinguer deux : -Le degré d’ adhésion des personnages et de l’ amateur à la réalité fictive, à la surnaturalité, d’ une part ; – la nature des forces ou des êtres peuplant l’ univers supplémentaire de la fiction d’ autre part.
Le merveilleux est le monde du plein, de la pléthore : ogres, fées, dieux et déesses, petit peuple de l’eau, de l’air, de la terre et de la forêt… ou encore, selon la thématique chrétienne, du miracle.
Le fantastique est un univers plus raréfié : le fantôme, le double, le monstre, le vampire, le mort-vivant saturent chacun pour soi le climat de l’ hallucination poétique. Lieu de la pauvreté voir de l’ absence ; et d’ autant plus inquiétant et redoutable que ce vide suggère une présence à jamais différée et qui suscite par là même l’angoisse des personnages comme l’ inquiétude du lecteur, de l’auditeur, du spectateur.
A noter l’ importance des  » pouvoirs  » . Ainsi chez Cocteau : la rose, le sésame, le cheval, le miroir, la clef, le gant…
Toutefois les deux univers poétiques relèvent d’ une mentalité magique unique : fétichisme et sortilèges. Monde ravélien. Ressorts habituels du psychisme enfantin, de l’ âge du conte. Les premiers dieux de l’ humanité selon Alain.
Et dans les deux cas il y a plaisir esthétique au sens étymologique, jouissance plus ou moins naïve de l’ inquiétante étrangeté.
Mais certainement pas occasion d’ une herméneutique sur le mode « psychanalytique » réduisant l’ art poétique au fantasme et le fantasme au… supposé  » signifiant  » qui en constituerait  » l’ intelligibilité « .
Alors qu’ à la manière d’un rêve il ne s’ agit ici que d’ expressivités qui se développent.
D’ une narration.
Certes le rêve comme le conte sont  » explicables « . On peut les décrire, les analyser, en relever la  » structure « , la  » courbure dramatique « , les tensions… Mais ils s’ offrent à nous dans leur complète inintelligibilité.
Car s’ il y a foisonnement de sens, ils n’ expriment aucun Sens.
D’ où le recours aux notions d’ < absurde > et d’ < irrationnel >, -termes logiques,- pour penser le trouble, la peur, l’ hallucination, états psychologiques provoqués par l’ insolite.
En vain cependant.
L’ illusion d’ intelligibilité provient de ce que l’ explication positiviste se superpose à la mentalité magique. Elle se pense métalangage alors qu’ elle n’ est qu’ un autre jeu de langage – à reprendre le vocabulaire de Wittgenstein.
Le langage d’ une… autre scène.
vendredi 20 avril
De Léautaux, Journal. samedi 25 octobre 1941 :
< … Je parle ensuite de sa collection d’ enfants, tous venus à des périodes régulières, avec lesquels on le voyait se promener, tenant par la main l’aîné, qui tenait par la main le suivant, etc., jusqu’au dernier né, tous lui ressemblant d’une façon étonnante, si bien qu’on l’avait à tous les âges : à deux ans, à trois, à quatre, à cinq, etc., etc. Je dis que j’ai raconté cela dans une chronique du Mercure(…) montrant le comique de cette exhibition, et l’ horreur de la progéniture poussée ainsi jusqu’à la lapinerie. Certainement, faire l’amour est l’occupation la plus agréable de la vie, mais faire l’amour pour avoir des enfants, c’est répugnant. >
Considérations devenues de nos jours, sous le matriarcat de ces Dames, politiquement incorrectes…
samedi 21 avril
Au courrier, de Jeanne de La Tysse :
< … faits divers significatifs à rapprocher : deux instituteurs poldaves accusés par deux lolitas de gestes offensant leur pudeur… Affolés, sachant la diligence de l’ instruction, persuadés qu’ ils ne seraient pas défendus par leurs supérieurs et redoutant les effets dévastateurs de la rumeur publique sur leur famille et leur honneur, les maîtres se suicident… Dans le premier cas, l’ accusatrice -une adolescente écervelée-, retire ses allégations fabulatrices quelques jours après le drame. Dans le second cas le conseil municipal de la commune où exerçait l’ intéressé porte plainte convaincu de l’ innocence de son fonctionnaire…>
dimanche 22 avril
Au courrier, de Patadelphe :
< Béatitudes… Un théologien éminent, le Père René Laurentin -dont l’ oeuvre comprendrait plus de cent volumes !- , publie un énième ouvrage sur la Trinité. < Il faut du recul pour un tel sujet >, écrit apparemment sans ironie Pierre Chaunu qui présente l’ouvrage dans un quotidien du matin. N’ en doutons pas… Il poursuit : < Cette oeuvre complète les cinq volumes qu’ il a consacré précédemment au Fils, au Père, au Saint-Esprit… Et d’ ajouter cette naïveté désarmante : <… la Trinité se situant au sommet, on comprend qu’ on ne l’ atteigne pas sans reprendre son souffle…> !
De la théologie à la cardiologie…
Vite, de la trinitrine pour saisir les arcanes raréfiées de la Trinité !…
Ah, le Mont Analogue !… Ah, Daumal !…
Puis le chantre de < la grande famille du monothéisme transcendantal > (sic) d’ affirmer que : < la solution la plus élégante aux problèmes posées par notre culture, la physique quantique, le déploiement de l’ axe du temps… peut être comparée à une tension relationnelle, disons d’Amour au sein de la Perfection créatrice. >
Et de conclure par un < cela ne se démontre pas..> avec cet extraordinaire aveu : < il est plus aisé de parler d’ amour que de le vivre…>.
En effet…
Gros mots, majuscules, métaphores inconsistantes, verbalisme. La méthode de l’ abus de langage continué à l’usage des gogos. Et des émotions qui se donnent pour des concepts.
Bref, un auteur, inconscient pataphysicien, dont toute l’ originalité se ramène à pasticher les pastiches d’ un Borges… sans même s’ en douter.>
Mais pour notre divertissement, cher Patadelphe…


Semaine du 23.04.2001 au 30.04.2001
lundi 23 avril
Au courrier, de Bérenger Second :
< Fin des audiences au procès de l’ Ordre du Temple solaire. Réquisitions et plaidoiries. Jugement mis en délibéré… L’unique intérêt de cette comédie dramatique réside en ce qu’ à la manière d’ un précipité chimique elle révèle les ingrédients de la mentalité sectaire et religieuse. Cortège d’ imposteurs, clowneries ritualisées, occultisme de bazar, pseudo-enseignements syncrétiques, eschatologie rudimentaire, élitisme à destination du nigaud. La vanité, le besoin de théâtralisation de l’ existence et les exigences du « principe espérance ».>
J’ y ajouterai pour ma part l’ intéressant conflit de la religion et du droit. Et les limites du rationalisme philosophique ( l’ épisode du juriste venu à la barre en qualité de témoin, exprimant, incrédule et scandalisé, l’ incompréhension de qui semble tout ignorer de la mentalité magique ).
L’ homme jouit tout autant de la mystification subie qu’ il aime lui même à mystifier… Et rien n’est plus séduisant qu’un beau délire suggestif ou qu’ un maître visionnaire… Le « démon de la perversité » selon Edgar Poe est une dimension à ne jamais oublier si l’on veut appréhender correctement ce type d’ événement.
mardi 24 avril

  1. Entendu : < La vie, du provisoire qui dure…>. Trait de ‘pataphysicien.
  2. Au courrier, de Ragnar O ‘Pata : < … feuilleté la dernière livraison aussi encyclopédique que verbeuse, et bien dans la manière des brasseurs d’ idées, de J.F. Kahn. Il y est question du < Rebelle >.
    La thèse : qu’ il n’est point de rebellion sans transcendance (sic)…
    Analogies et typologies audacieuses, rapprochements historiques approximatifs caractérisent une vision aussi superficielle que prétendument synoptique… les défauts habituels d’un genre qui hésite entre la compilation doxographique et l’ essai…
    Sans oublier la récupération de Jünger… Venant d’ un éditorialiste de la nomenclature républicaine social-démocrate, cela ne manque pas de sel…
    Robin séduit par Marianne au service des idoles contemporaines de < l’ information > et du < volontarisme politique > !
    Nouvel impératif catégorique de la raison pure politique : il faut se rebeller certes mais… en vue de l’ ordre ! Les < hommes qui disent non> sont de grands consentants…
    L’alliance inattendue de Sartre et de Claudel en quelque sorte…
    Notre faiseur d’ opinions a toutefois manqué l’ essentiel : la figure du Réfractaire. >
    La pose d’ un gentil petit rebelle instituteur et moralisant…
    mercredi 25 avril
    Entendu : < Il semble que l’ insolite aide à fracturer le réel… >. Autre trait de ‘pataphysicien.
    jeudi 26 avril
    Le rêve de Jérémie Bentham se réalise. Nous vivons l’ ére du Panoptikon. Nouveau Dionysos quadrillant la planète, collectant les conversations, le réseau Echelon réalise la vieille utopie de l’écoute à distance. Le triomphe de Démocratie s’accompagne ainsi de la généralisation de l’ espionnage. Qui n’ est jamais que la manifestation du fantasme puritain de la transparence.
    Echelon ou les grandes oreilles de saint Jean Busch d’ or…
    vendredi 27 avril
    Au courrier, de Jeanne de la Tysse :
    < Gros émoi chez les 4500 philosophes de Poldavie… Querelle des Anciens et des Modernes au sujet de la réforme des Programmes de Philosophie à l’usage des adolescents. < Faut-il former ou informer ? >, telle est l’ alternative…
    On s’ oppose, on se hèle, on interpelle, on s’ invective – bref on « dialogue » -, pour déterminer … le meilleur moyen de contrôler les consciences juvéniles.
    Il semble cependant qu’on ait oublier de demander leur avis aux intéressés…>
    Et pour cause… il n’ est pas nécessaire d’ être grand clerc pour supposer leur énorme indifférence à la chose…
    Car font-ils autre chose ces  » élèves » que de subir un magistère dont ils ne saisissent pas la portée, un enseignement qui n’ est pas de leur âge, qu’ ils écoutent poliment, dont ils se font les singes savants ou qui les ennuie… quand ils ne considèrent pas leurs « maîtres » auto-proclamés comme des pitres gesticulants, espèces de saltimbanques du concept, ou des fous…
    samedi 28 avril
    Pop Art… Exposition remarquable… les prodromes du goût post-moderne et du sentiment de la vie qui lui est corrélatif. Négation du platonisme, évacuation du référent, disparition du signifié, dilution du signifiant… mépris désinvolte de la fonction expressive ou représentative du signe… mépris du symbole…
    dimanche 29 avril
    Au courrier, de Jeanne de La Tysse :
    < Désintoxication. Plaisir de la lecture. La place royale. Philis y fait la leçon à la niaise et vertueuse Angélique : < … Pour moi j’ aime un chacun, et sans rien négliger Le premier qui m’ en conte a de quoi m’ engager. Tout le monde me plaît, et rien ne m’ importune… Mon coeur n’ est à pas un en se donnant à tous. >
    Que j’ aime ce ton de liberté chez Corneille.
    On y respire l’ impertinence et ce parfum de Fronde et de libertinage que Louis 14, le  » soleil offusqué « , s’emploiera bientôt à étouffer en rémunérant l’ expression poétique. >
    Il est vrai. La domestication subventionnée est de toutes les époques.
    Il est également vrai que Philis et Alidor ne manquent pas d’ arguments pour séduire les comédiens de ‘Pataphysique. Toutefois avec une transposition bien notable : car ceux-ci n’ ont pour belles à lutiner que… l’ univers en expansion des Visions.

semaine du 30.04.2001 au 06.05.2001
 
lundi 30.04.2001
Au courrier, de Bérenger Premier :
< Emotion considérable de la nomenclature : un général, ancien agent des Services spéciaux dépose… sur la place publique. Inconvenance majeure. Il révèle ce qu’ il ne faut pas révéler ; il dit ce que tous savent mais qu’ il ne faut pas dire : la dialectique des attentats et de la répression, du terrorisme et de la contre terreur d’Etat. Le consensus du silence est rompu. Crime impardonnable et d’ autant plus qu’ il s’ accompagne de la bonne conscience et de la revendication du « devoir accompli « . Sans repentir et pour l’ honneur ! Or la torture, s’ il faut la faire, il faut surtout la taire. La « patrie des droits de l’homme » s’ indigne, choquée. Les politiques, gênés tartufes, prennent la pose de vierges scandalisées ; les ligues de vertu montent en ligne pour engager des poursuites et mieux persécuter. Tandis qu’ à Alger l’ autre partie, incrédule et ravie de l’aubaine, s’empresse d’ utiliser cette occasion inespérée pour ressouder les liens d’ une nation au bord de l’ explosion et de la guerre civile. Diaboliser l’ ancien colonisateur afin de rejeter sur lui la responsabilité de son incompétence présente et les conséquences catastrophiques de sa corruption… cinquante ans après les accord d’ Evian ! Vieille recette. Une voix, celle d’ un témoin des  » événements » propose une toute autre chanson. A l’ écart elle rappelle les faits, la complexité d’ une époque où l’ épouvante était quotidienne, la solitude des appelés, la souffrance générale. Et en dehors de toute condamnation elle s’ en tient à dire l’ horreur. Gageons qu’ elle ne sera ni écoutée ni entendue. Prête-t-on attention à la parole d’ un ancien déserteur? >
Certes. Toutefois il est possible de déceler dans ce tohu bohu et ces jugements de valeur d’ autres forces à l’oeuvre et bien caractéristiques de l’ époque : le triomphe du kantisme, ce protestantisme laïque, en Europoldavie ; la montée des valeurs féminines, notamment du victimisme, -cette compassion indiscrète jusqu’ à l’ hystérie-, et leur omniprésence dans la sphère publique de l’ éducation et des médias ; le gâtisme larmoyant d’ anciens Contestants médiatiques de 68 devenus séniles ou pieux, obsédés par le consensus, et que tout différend, tout conflit, tout rapport de forces effarouchent ; l’ irénisme abstrait d’ autres belles âmes philosophiques ; et sur le plan épistémologique enfin l’ incapacité à envisager le passé autrement que d’ un point de vue moral par l’oubli et le mépris délibéré ou simplement illettré de l’ approche historique.
Bref le contemporain sentiment de la vie du nouvel < humanisme > à la mode.
Ce décervelage de notre temps.
mardi 01.05.2001

  1. Premier mai. Fête ‘pataphysique, fête des Patagons : contre  » vents et marées  » célébrons le mépris du  » travail « , la paresse, l’ oisiveté, l’ amitié, le jeu, la dilapidation…
  2. Au courrier, de Patadelphe :
    < … lu avec beaucoup d’intérêt l’ouvrage de P. Rosanvallon : La démocratie inachevée. Le penseur de feue la Fondation Saint-Simon y fait clairement apparaître, mais comme malgré lui, le mythe de la < souveraineté populaire > dans toute sa crudité. Notamment par la distinction conceptuelle des notions de < principe > et d’ < exercice > du gouvernement. Distinction déjà relevée par Rousseau dans ses Lettres écrites de la Montagne… La démocratie prétend être le gouvernement du peuple ; elle n’est que le gouvernement des représentants du peuple… Démocratie plus « représentative » que participative.
    Le problème qui en résulte est donc celui de la légitimité et de la valeur de la représentation : qu’ est-ce qu’ un mandat ?…
    La démocratie aurait donc emprunté quatre voies et connu autant d’ échecs avant de parvenir à sa forme actuelle, relativement équilibrée : le libéralisme craintif, la dictature révolutionnaire, le gouvernement direct, le bonapartisme.
    Toutefois elle resterait à jamais < inachevée > en ce que le peuple y demeurerait mécontent et parce que complexe, égalitaire, envieuse et querelleuse, elle rencontrerait l’ obstacle des invariants irrationnels de la nature humaine -lointainement dégagés par Machiavel et Hobbes.
    Sans doute. On notera néanmoins que la pertinence du concept si obscur et si problématique de < peuple >, -compris comme une donné empirique incontournable de la politologie-, n’est pas analysée alors que cette idée n’ est de fait qu’ une abstraction réalisée.>
    Il est vrai qu’ il faudrait alors sauter le pas, quitter le terrain universitaire de l’ idéologie à prétention scientifique et rejoindre les rives de l’ Achéron ‘pataphysique…
    mercredi 02 mai
  3. Lu : < les ‘pataphysiciens sont des narcisses esthétisants et cyniques >. Pas mal pour un éditorialiste…
  4. Au courrier, de Ragnar O ‘Pata :
    < Renouveau de la logorrhée théologique. Essayistes et philosophes convergent pour nous persuader de l’ actualité (sic) de … saint Paul ! Installés dans l’ éternité nos dévots n’ en sont pas à un anachronisme historique près. Ainsi Gérard Leclerc ( saint Paul, Pygmalion ) : < plus les temps s’avancent, plus le monde change, plus les concepts et les systèmes bafouillent pour cerner l’avenir ; plus le génie de Paul éclate, plus sa pensée éclaire ; plus son Evangile s’affirme pour révéler la véritable destinée de l’ homme et renvoyer à l’indicible secret de son visage > .
    Béatitudes…
    Usage métaphorique des concepts, ivresse des mots, enthousiasme délyrant (sic). Et notre illuminé d’ affirmer : < On comprend que les modernes les plus sceptiques aient buté sur la signification historique de son message…>. En effet…
    Et de poursuivre en assurant que dans la fameuse hallucination du chemin de Damas : < Paul n’a vu qu’ un Visage. Visage singulier, puisqu’il s’agit de la face glorieuse du Ressuscité…>. Ce qui conduit l’ auteur à soutenir : < qu’une anthropologie est née de de cette contemplation théologique qui dépasse toute philosophie, ou plutôt qui appelle la philosophie à ses accomplissements imprévus.>
    On voudrait bien… le croire. Encore qu’ il soit permis de douter de la perspicacité intellectuelle de lecteurs à qui il est demandé d’ avaler de telles couleuvres. Tant il est vrai que le verbalisme et les émotions présentées dans un adroit réseau de figures suffisent souvent à séduire notre simplicité.
    Mais l’ essayiste ne s’ adresse pas à des lecteurs ; il inonde de ses certitudes la foule des croyants. >
    Ragnar est injuste… Les Visions de Paul de Tarse sont si subtiles, si précieuses, si… énigmatiques…
    A ranger dans notre Ouvoir de Tératologie spirituelle.
    vendredi 04 mai
    Au courrier, de Patadelphe :
    < Lecture d’un article de Philippe Rigaut, auteur d’ Au-delà du virtuel. Exploration sociologique de la Cyberculture. L’ intérêt du texte réside en ce qu’ il indique les conséquences fâcheuses de l’imprécision contemporaine dans l’emploi des mots. En l’occurrence l’usage naïf du terme de < virtuel > en lieu et place de concepts proches ou très éloignés tels que : probable, conditionnel, potentiel, éventuel, etc.
    On mêle ainsi les domaines de la logique, de la grammaire, de la physique et de la biologie, de l’ontologie…
    La confusion des domaines, des ordres et des niveaux de langage a été définie depuis Aristote comme une des source de l’erreur et des différends. A ce propos la férocité d’ Ockham était extrême. Il n’ avait que sarcasmes pour ceux qui prétendent s’ élever aux spéculations théologiques et qui – < faute de connaître suffisamment la grammaire > -, versent dans les ornières des paralogismes et des extravagances en suivant le fil des impropriétés dont à leur insu ils sont les victimes.>
    Atttitude de logicien hygiéniste. Cependant que le ‘pataphysicien se divertit à ces jeux plus ou moins innocents. Les  » fous littéraires  » selon l’ expression de Queneau et d’ André Blavier ne sont pas les moins intéressants.
    samedi 05 mai
    Au courrier, de Bérenger Second :
    < La revue Hérodote fête ses 20 ans d’existence. Que de chemin parcouru depuis les temps où la géopolitique était bannie de l’ Université et de l’ Enseignement au motif de sa déplorable collusion avec l’ historiographie pangermanique ; sans parler de Karl Haushoffer… Présentable elle a désormais droit de cité parmi les historiens >.
    Il est vrai que, bonne fille elle s’ est assagie, convertie désormais elle aussi aux exigences affadies de l’ < humanitaire >…
    dimanche 06 mai
    Relu les belles pages consacrées à Rimbaud par André Dhôtel ( Rimbaldiana )…

semaine du 06.05.2001 au 13.05.2001.
Lundi 7 mai
Au courrier, de Patadelphe :
< Effervescence comique de la société civile autour du phénomène Loft Story, spectacle de réality-show… Les chevaliers de la culture subventionnée s’ indignent et s’ étranglent de rage : télévision poubelle, abjection, bassesse, débilité… Et les clercs de ressortir les vieilleries archéo-situationnistes, les jérémiades à la Debord dénonçant le « simulacre » catégorie fondatrice paraît-il de la < société du spectacle >…
Comme si le spectacle n’ était pas consubstantiel au fait social quelles que soient les époques ! comme si l’obsession de la reconnaissance n’ était pas elle aussi inscrite au coeur de la relation sociale. Comme si enfin on pouvait substituer au « simulacre » autre chose que du simulacre…
De l’  » être  » ?… de la substance ?… Celle proposée par la cléricature, bien sûr…
Or il faut se rendre à l’ évidence, le « peuple » et plus particulièrement la « jeunesse » se prêtent au jeu… ils aiment l’ exhibitionnisme commme ils se font voyeurs sans scrupule et peut-être même sans malice …>.
Où allons-nous en effet… si le « peuple » préfère la platitude des soucis domestiques au sérieux de nos saintes visions, de nos élucubrations, de nos pseudo débats idéologiques, de notre illuminisme pédagogique …
mardi 8 mai
Au courrier, de Bérenger Premier :
< Sortie de : Je hais les matins, par Jean-Marc Rouillan ex chef d’ Action directe. Voici quelqu’ un qui n’a rien d’ un « rebelle » en peau de lapin… Cet extrait pour preuve : < Monsieur le Procureur, vous vouliez nous donner le temps de comprendre. Mais qu’est-ce qu’ il y a à comprendre ?… il fallait nous faire entrer dans le crâne l’ inutilité de la résistance, de l’ illégalisme, de la violence face au meilleur des mondes que vous représentiez. Mais pour cela cher Procureur il n’ aurait pas fallu nous plonger dans ses entrailles les plus immondes. … votre raisonnement est idiot…. en treize ans de cachot vous m’ avez arraché aux choses les plus simples. A la vie, à l’amour. Je ne me souviens même plus de l’ infinie douceur des cuisses d’une femme… Par contre, je dois vous avouer que je saurais encore démonter et remonter un colt 45, les yeux bandés et avec la même dextérité qu’ il vous faut pour expédier le dossier d’ un pauvre malheureux… > ( passim )
On imagine à la lecture de l’ ouvrage l’ incrédulité d’ un robin débutant tout imprégné de kantisme juridique …>.
Et l’ hypothétique rencontre théâtrale de ces deux personnages dramatiquement traitée avec la verve du Genet du Balcon !…
En somme un arrière petit fils de Darien pour qui la révolte signifie toute autre chose que de la littérature…
mercredi 9 mai
Au courrier, de Bérenger Second : 8 mai 1945. Commémoration, célébration, mémoire, flons flons… Roosevelt, Churchill, Staline, Hitler, De Gaulle, Hiro Hito, Mao, Ben Gourion et divers autres… les < grands hommes > selon Hegel, ceux qui font avancer le < Rationnel > ( sic ) dans l’ < Histoire >…
< Ombres poudreuses > comme écrit Du Bellay…
Démocraties, Fascismes, Nationalismes, Sionisme, Panarabisme, etc., ou les solutions plus qu’ imaginaires de l’ hystérie spéculative politique et identitaire du 20 Siècle…
Et dans ce maelström de sauveurs et de sotériologies, le Pataphysicien, égaré à la manière du Bardamu de Céline, ahuri, déserteur et traqué…>
Certes. Toute cette prétentieuse et sanglante agitation a de quoi laisser perplexe … Elle est d’ ailleurs indéfiniment reconduite, sous d’ autres noms, sous d’ autres cieux.
Et dans ces conditions : comment garder sa tête ? comment continuer à exister en Patagon… Il est évident que < c’ est une sorte de folie d’ être sage au milieu des fous >…
Je ne peux m’ empêcher de songer à cette réminiscence de Jean Jacques Rousseau ( Ecrits sur l’Abbé de Saint-Pierre ).
jeudi 10 mai
Bric-à-brac pataphysique :
-Béatitude : < L’ Art sera collectif ou ne sera pas > P. Boulez.. Conférence au Grand Théâtre de Lille. Mars 1981.
-Entendu : < amour du Divin >. Maigre pitance…
-Lu : < Les femmes ont les règles dans le sang >. Les règles et… La règle…
-A propos de Vauvenargues ( < les grandes pensées viennent du coeur > ) cet ajustement ‘pataphysique : les bonnes pensées viennent du corps.
-Au répertoire du lexicalement correct : entendu : < commerce équitable >, < capitalisme moral >. Scrupule d’ actionnaire à mauvaise conscience…
On notera le procédé : synthétiser du point de vue de la vision, de l’obsession et de la confusion morales deux concepts contradictoires ou appartenant à des ordres de langage différents. Ici l’ économique et l’ éthique.
vendredi 11 mai
Au courrier de Jeanne de La Tysse : < Je ne saurais résister au plaisir de vous offrir cette longue béatitude. On y atteint un sommet de l’ orgasme… critique chorégraphique ! Titre de l’article : Nudité : la danse des orifices (sic). Par Roland Huesca. Propos : Le nu a quitté les terres de la sexualité pour des chorégraphies s’ouvrant à une construction identitaire de plus en plus fragile. ( Roland Huesca est ancien danseur et chorégraphe. Enseigne à l’université de Metz.) Rejetant les vertiges de la libération sexuelle dans les coulisses d’antan, le sexe installe, pour la revendiquer, une confusion des genres. Depuis les années 90, la nudité est devenue le théâtre de la danse, le lieu commun de cet art. Sur scène, certains danseurs offrent leur corps à nos regards comme une matière à explorer et à soumettre aux représentations du moment. Ces œuvres inscrivent le moi de leur auteur dans une esthétique et une morale de la présence. Loin d’un classicisme faisant du nu une incarnation du beau, cette quête ne s’oriente plus vers un quelconque idéal, un au-delà du sensible; elle inscrit, à même la peau, la trace d’une humanité désormais perçue comme fragile. Au moment où la beauté peine à définir ses marges, le chorégraphe expose le cru de la chair. Mise sur la place publique, cette part de l’intime provoque et trouble. Au creux de ces performances, il s’agit de montrer, pour mieux les interroger, les recoins d’une peau que nous croyons familière mais dont les zones d’ombre nous hantent. Ici, une langue explore une oreille, un avant-bras ouvre la fente formée par l’entre-deux-cuisses, là, le corps se lâche, l’urine s’échappe… Dans cette danse des orifices, de nouvelles valeurs s’engouffrent, cristallisant les mutations de nos sociétés. Derrière l’orifice, l’organe. Voici Alain Buffard, le Good Boy. L’artiste prend sa verge, la relève et la scotche sur son pubis rendu glabre à l’occasion. Jadis investie comme lieu de plaisir, comme contestation de la répression et de l’interdit, la nudité n’opère plus aujourd’hui sa critique au nom du désir. Rejetant les vertiges de la libération sexuelle dans les coulisses d’antan, le sexe installe, pour la revendiquer, une confusion des genres. Barré, empêché, sa présence-absence plonge le public dans l’excès théâtral de l’ambiguïté. De la volonté de jouissance au simulacre de la transsexualité, le nu a quitté les terres de la sexualité pour s’ouvrir aux circulations polymorphes d’une construction identitaire de plus en plus fragile, de plus en plus labile. En un tournemain, le geste affirme l’impossibilité de saisir l’unicité du principe sexuel, esthétique ou politique des choses. Dans le même temps, l’identité masculine gommée bascule, perd de sa superbe: «Suis-je un homme ou une femme?» Jean Baudrillard l’a montré: ouvrant toutes les virtualités du désir, la libération sexuelle, et toutes ses variations, a couché sur le papier cette interrogation existentielle. Naviguant en ces eaux troubles, cette danse des orifices invite à repenser les frontières de la différence comme un aspect essentiel de notre construction identitaire. Et, plus encore, à porter ces limites au centre de notre réflexion. Dans la mouvance de ces commutations de signes, les danseurs, à leur manière, entament une herméneutique de la frange. Souvent, le pathos traverse cette danse des orifices. Le trou, celui par lequel la mort arrive, se met en scène et brave la fatalité de son destin. Au cœur de ses créations, le sida joue parfois son rôle stimulant de ce que nous haïssons, mais qui nous habite et nous porte. A son corps défendant, et malgré la maladie, l’artiste affiche sa vie dans l’exploration de ces béances. L’instant est à la transcendance. Les avant-gardes manquent à renouveler leur art, et déjà la création installe le public dans la proximité de l’affect. Dans cette contemplation devenue compassion, cette danse des orifices irradie d’une aura singulière. Montrant les affres d’une mort qui, dès la naissance, nous hante, elle ajoute, dans l’intensité, un supplément de sens à la vie. Au sein de nos peurs et de nos désenchantements, la béance devient une manière singulière de circonscrire physiquement la trace de l’être, de son histoire et de ses choix. Dans les replis de ses contours, elle prétend à la réappropriation physique d’un corps et d’un monde qui à la fois échappe et nous rend vivants. Maintenant, par l’orifice, l’organe se vide. En contrepoint des nudités modifiées, étirées, regonflées, affinées, bref informatisées, qui déferlent sur nos mondes d’image et de publicité, sur scène, lâchant leur urine, les danseurs de Jérôme Bel, ou encore de Marie Chouinard, exacerbent l’animalité de nos vies. Au moment où l’homme pense le deuil de son humanité, de son histoire et de sa mémoire, sur les plateaux, la miction, devenue pour un instant le paradigme du vivant, évince le leurre. Lorsqu’à l’horizon pointe le présage d’une involution de l’espèce humaine, le biologique résiste. Un dessein esthétique sous-tend cet acte politique. Cette mise en scène du corps puise à une autre source. Depuis les années 80, la danse contemporaine aime travailler la logique des flux; souvent, elle tente d’inscrire le mouvement à l’orbe d’une onde qui le dépasse. Dans les studios, cette technique réclame de la fluidité, un «lâcher-prise» du corps. Lâcher bien sûr, mais quoi? Le contrôle de la conscience? Peut-être; les contractions musculaires? Sûrement. Dans tous les cas, il s’agit d’obliger le corps à se surprendre pour mieux s’inventer et se transformer. Aujourd’hui, portée à l’extrême, cette quête des flux et du lâcher-prise voit l’urine drainer sur scène le projet artistique de ces créateurs. Ainsi, l’orifice, et ses substituts, n’est plus assigné à une identité intangible. Dans ces danses, il est devenu un lieu transitoire, une instance de branchement sur le monde. >
Qui dit mieux ?
On connaissait les pages fameuses de L’ Être et le Néant où Sartre développe par la méthode phénoménologique… l’ < ontologie du Trou >.
Avouons qu’ elles sont largement surpassées par ce savoureux morceau d’ anthologie. Quel ‘pataphysicien de ma connaissance les saurait égaler ?
Mais pourquoi ne pas aller plus loin dans l’ expression chorégraphique de l’ évacuation et de la déjection?… On attend la défécation, le crachat, le vomissement, la saignée… Demeurerait-il une manière d’ interdit, de tabou, de pudeur ? On n’ ose supposer une telle retenue dans le jansénisme ondiniste de notre penseur…
On aura néanmoins noté que ces audaces poétiques tout autant que critiques relèvent du projet d’une < construction identitaire >, d’ une … < morale de la présence >, d’ une < herméneutique de la frange >… On apprend que < l’ instant est à la transcendance >… que cette < contemplation est devenue compassion >… On découvre que < la danse ajoute un supplément de sens à la vie >… que < l’ homme pense le deuil de son humanité, de son histoire, de sa mémoire >… et on remarque enfin qu’ < un dessein esthétique sous-tend cet acte politique >…
Construction identitaire, morale, herméneutique, transcendance, contemplation, compassion, sens, deuil, humanité, mémoire, dessein esthétique…
Bref le danseur n’oublie pas, tout audacieux post-moderne expressif soit-il, de gravir l’ échelle des valeurs les plus convenues et des lieux communs les plus rebattus…
Il est décidément bien difficile à notre époque d’ être original, fût-ce en affectant à l’ urine… la tâche de < drainer sur scène le projet artistique des créateurs >…
samedi 12 mai
Vu l’ émouvant et effrayant documentaire relatif à la maladie de Ravel. L’ aphasie… Se représenter sa propre musique par l’ oreille intérieure et être dans l’ incapacité de l’ exprimer… Le génie, l’ élégance, l’ humour rongés puis détruits par la maladie… L’ horreur nue…
dimanche 13 mai
Anniversaire du < coup d’ état démocratique > des Gaulliens selon l’ expression euphémisée des politologues bien pensants et des historiens … un modèle du genre.
De Gaulle savait son Malaparte… Les Paras et les Pieds Noirs utilisés avant d’ être trahis, les Socialistes et les Maçons muselés, l’ accord objectif des Communistes inféodés à la bienveillante politique étrangère de Moscou et le bon peuple comme à l’ habitude berné manifestant ses illusions dans la rue… tels furent les acteurs de cette farce.
Il est piquant d’entendre la version assez ironique de Michel Poniatowski, alors Directeur de cabinet du Président du Conseil, sur les » événements » et leur préparation. Le  » sens de l’Etat  » et la volonté de ne pas faire couler le sang auraient été les motifs du laisser-faire du dernier Gouvernement de la Quatrième République et de René Coty, son ultime Président…
Collaborateurs contraints… Il se peut… Un coup d’ état < responsable > en quelque sorte…


Semaine du 14.05.2001 au 20.05.2001
lundi 14 mai
< Un homme qui ne trompe pas sa femme n’ est pas un homme >.
C’ est Morand qui, dans son journal, consigne cette réflexion de son épouse, Hélène.
Proposition frappée au coin du bon sens… Qu’ y a-t-il en effet de commun au mâle de l’ espèce et à sa femme ? Corps différends, rythmes biologiques distincts, psychologie, attitude devant la vie et attentes singulières… Sans parler de la sexualité qui demeure quoiqu’ on en dise un sujet tabou. Une jeune fille subit une ovulation par mois ; un adolescent vigoureux éprouve une demi-douzaine d’ érections par jour ! Il faut bien qu’ il en fasse quelque chose… Les rustiques s’ en tirent au moyen des bonnes vieilles méthodes parmi lesquelles les fameuses et sordides « tournantes »; d’ autres par un onanisme semi honteux ; tandis que la plupart, futurs géniteurs, attendent, émasculés, la soumission définitive à l’ ordre conjugal…
La monogamie ou la plus grande défaite historique de l’ homme.
mardi 15 mai
Au courrier, de Ragnar O ‘Pata :
< Grand retour du Pardon… obsession et exigence éthique, simagrée ordinaire de notre temps… Le rappel à l’ ordre de la rémission de la faute est devenu une manière de devoir où la civilité fait place à la prescription publique, à l’ injonction. On se demande quelle peut être l’explication de ce soudain raz de marée pénitentiel qui submerge les relations sociales, gagne le commerce politique sans oublier les études historiques. Jadis attitude coutumière relevant de l’ expérience religieuse, la demande toute récente et véritablement inflationniste de pardon manifeste l’ émergence d’ une humanité agenouillée, bêlante et douceâtre, qui a banni la fierté et la vengeance au profit de la lamentation, du droit, et du devoir de mémoire. Où sont donc passées les  » âmes fortes  » ? >
Sans compter la logique de la repentance à laquelle la demande de pardon ouvre la voie…
mercredi 16 mai
Au courrier, de Jeanne de La Tysse :
< … détresse et courage des agonisants… l’ espace-temps de l’ hôpital… l’ attente, l’ inquiétude permanente, la peur de la solitude et de l’ oubli… la hantise du défaut des visites… la dépendance… la quête souvent vaine de la complicité du personnel ou d’ un sourire accordé entre les soins, l ‘angoisse permanente ; puis, pour clore enfin le cycle de l’ illusion vitale, la certitude de la mort, le consentement ou l’ ultime révolte ; et le définitif adieu aux êtres chers… >
Ceux qui nous quittent…
jeudi 17 mai
Au courrier, de Patadelphe :
< Que reproche-t-on à Céline ? Lui même a répondu à la question : le Voyage… C’ est à dire la désublimation… Le livre est un attentat à toutes les mystifications, à toutes les impostures, à toutes les grandiloquences dont les hommes ne cessent de s’ enticher, de faire parade, afin de mieux écarter un réel décidément indigeste : la pose guerrière, ramenée à la rodomontade et à l’ absurdité ; l’ amour, défini en une proposition devenue célèbre comme < l’ infini mis à la portée des caniches > ; le progressisme économique et industriel américain assimilé à un nouvel enfer ; le bon sauvage africain dépeint comme un ahuri stupide, berné et obséquieux ; la foule des travailleurs harassés, exploités, transportés mais consentants ; l’ universelle banlieue enfin, portraiturée dans sa hideur, sa lèpre, son étroitesse et sa mesquinerie… Le tout baignant dans un climat d’ abandon et de définitive solitude. Univers d’ absolue et collective déréliction…
Au final un monde gris, terne, indéfini, sans transcendance, le monde tel qu’ il est et tel qu’ on le hait et que le seul grotesque peut restituer dans sa vérité.
Avoir vu juste : cela se peut-il pardonner ? >
Une manière de nouvelle objectivité qui ne cesse néanmoins de rencontrer ses lecteurs…
vendredi 18 mai
 1. Au courrier, de Ragnar O ‘Pata :
< … lu cette prose d’ un certain Marek Halter, dans un quotidien du matin : < … « Si Dieu n’ existe pas, dit Ivan Karamazov, tout est permis.» A Jérusalem, Dieu est omniprésent. Trop de présence divine nuit-elle autant que son absence ? Est-ce la raison pour laquelle les cabalistes ont inventé le Tsimsoum, la théorie du retrait intermittent de Dieu, de sa rétractation ? Un temps d’apaisement pour les hommes. Un temps pour la Loi. >
L’ excellent essayiste et les braves cabalistes… On ne saurait avouer plus candidement que les hommes s’ inventent un dieu sur mesure, pour les besoins de leurs causes et afin de conforter leurs systèmes d’ illusions…

  1. A ce propos ce raisonnement de Patadelphe… nommons le < syllogisme d’ Ivan Karamazov > : Si dieu n’ existe pas, tout est permis. Or dieu n’ existe pas, Donc…
    Et… au Diable le sens, la cabale, et la Loi !
    samedi 19 mai
    Rencontré dans le Journal de Léautaud ce mot de Valéry à propos de la Deuxième Guerre mondiale. Mot dont la portée peut être généralisée à tous les « grands événements » qui nous sollicitent indiscrètement : < Nous ne savons rien. Nous n’ y pouvons rien. Nous sommes des zéros. La sagesse c’ est de s’ en foutre. Occupons-nous de notre marotte et ne nous mêlons pas de ces histoires là. > ( 20.01.1942 )
    Du Héros au Zéro ou : de la grandiloquence à la ‘pataphysique.
    dimanche 20 mai
    Du Journal de P. Morand. 25.04.71. < La philosophie de l’ absurde et de l’ angoisse est la gueule de bois de l’ ivresse scientiste et démocratique. >

semaine du 21 au 27 mai
lundi 21 mai
Bric-à-brac ‘pataphysique :

  1. Accident, aléa, clinamen… pneu explosé : 4 / 4 cassé, van retourné, Faustroll et Belle de Jour… indemnes. J’ irai brûler une chandelle verte à Ubu …
  2. Béatitude 1 . < Il m’ arrive de sentir et d’ expérimenter que nous sommes éternels. Viva Spinoza ! >… Ainsi se répand, clamant et enthousiaste, un adepte contemporain du philosophe d’Amsterdam…
    Béatitude 2 . Entendu sur les Ondes cette sortie d’ une jeune philosophe prometteuse : < Le roman policier est quête spirituelle. L’ Evangile est le premier thriller, l’ ancêtre du roman éthique…>.
    Béatitude 3 . Lu ce nouvel impératif catégorique du rationalisme économique : < Ne rêvez pas, soyez créatifs ! >.
    mardi 22 mai
    Au courrier, de Ragnar O ‘Pata :
    Rencontré par hasard sur le net ( Site Néo-Gnostiques ) :
    < La plus grande supercherie de l’Histoire se porte bien. Dieu est toujours tabou, du moins dans le monde occidental. Comment admettre aujourd’hui, que dans le plus puissant pays du monde, le Président prête encore serment sur la Bible ? Pourquoi pas sur l’Iliade et l’Odyssée ? Et quelle dérision ce billet vert, symbole de la toute puissance de Mammon sur le monde, avec sa devise insensée:  » In God we trust « , ( En Dieu nous avons foi ) ! Même les philosophes des Lumières n’ont pas vraiment osé faire tomber de son piédestal l’homme fils de Dieu, placé là par les prêtres pour faire de l’ombre à l’homme libre. Yahvé, Allah, ou Notre Père qui est au cieux, c’est la même gangrène qui paralyse l’esprit. Pourquoi une telle indulgence pour le dieu de Moïse, caractériel, cruel, coléreux, susceptible et jaloux ! Le dieu de La Bible ne sait que brandir l’anathème et la malédiction. Un dieu trop semblable à ses créatures, aussi méchamment stupide que ses créatures ! Dieu est mort depuis longtemps, mais l’homme se croit encore au centre du monde. >
    Blasphème, blasphèmes… Les Néo-Gnostiques feraient-ils un petit bout de chemin avec les ‘pataphysiciens ?
    Qui sait ? Il y a maints salons dans la demeure du Père Ubu…
    mercredi 23 mai
    Sur les Ondes. Florilège de visions… Le thème : Europe. La chère enfant… Présentement enlevée par un ancien trotskiste devenu Premier poldave mais demeuré huguenot travailliste. Et qui la métamorphose en sujet pour Grand Oral. Et dans le ton du plus pesant sérieux.
    Fédération, Confédération, modes mixtes… avec ou sans souverainetés nationales.
    Conflit des interprétations. Vieux serpent de mer.
    Fidèle à elle même, aux ordres, terne et bien appliquée, la classe médiatique s’ efforce de donner de la publicité à ce débat tronqué tandis qu’ au Bois, le peuple souverain devenu public, dans la canicule, étale son indifférence entre l’ Etrier et Roland-Garros…
    jeudi 24 mai
    Au courrier, de Jeanne de la Tysse :
    < Emoi culturel chez les Lettreux. On sonne le tocsin car on pille, paraît-il, Les Misérables ! François Ceresa, journaliste et écrivain aurait le projet d’ écrire une suite au Texte sacré du père Hugo. Revendiquant un droit moral post-mortem la Critique littéraire et Poldave-Culture en appellent au Tribunal des Lettres avant, sans doute, de poursuivre l’ infâmie devant des juridictions moins spectrales… Mais à qui appartient donc une oeuvre littéraire ? Il semble qu’on ait oublié la question… Et au nom de quoi interdire les suites, les reprises, les emprunts, les traductions, les plagiats ? A l’ époque de l’ intertextualité devenue cliché ! Un éditeur, Yvan Audouard remarque fort pertinemmement qu’ on ne sache pas que la famille Ovide ait intenté un procès à la famille Esope, qui ne s’est pas émue de l’ initiative de La Fontaine et ainsi de suite ; que s’ inspirer des oeuvres des autres, les refaire, les copier, etc., a été considéré pendant des siècles comme une activité licite voire louable. Et de conclure par cette évidence que le pillage est un des moyens et non le moindre du mouvement des beaux-arts. Un ‘pataphysicien ne peut que souscrire à un tel jugement. Il pourrait même enchérir en proposant un nouvel objet non encore identifié, moule original à re-création littéraire : l’ Ouvroir de plagiats potentiels >.
    Pour honorer le romanesque…
    vendredi 25 mai
    Au courrier, de Bérenger Premier :
    < New York… Impressionnante exposition du Museum d’ histoire naturelle. Bientôt la vie humaine sera prolongée de moitié ; les antibiotiques deviendront obsolètes ; et la faim dans le monde aura disparu… Telle est la perspective ouverte par la « révolution génomique » qui doit permettre de vaincre le mal, de terrasser la maladie et sans nul doute aussi… le crime. Sonnez haubois, résonnez musettes… et paix aux scientifiques de bonne volonté ! Le  » démon de la perversité  » éradiqué au pays d’ Edgar Poe ! Et par la Science… Les sirènes de l’ utopie et de la sotériologie ne se peuvent taire très longtemps. Vieille antienne cependant où l’ enthousiasme de la Technique – cette métaphysique de notre temps selon Heidegger -, rejoint le religieux  » principe espérance ».>
    samedi 26 mai
    Au courrier, de Bérenger Second dans le ton de Montesquieu :
    < La Poldavie est un étrange pays où une saint-simonienne société de cour, nombriliste et bavarde, évoluant en boucle, ne cesse de ruminer les mêmes thèmes, les mêmes récurrentes obsessions. Aussi le répertoire des communications est-il singulièrement pauvre, réduit à un petit nombre de « problèmes » parmi lesquels < les droits de l’ homme >, < le néo-fascisme >, < le racisme >, < l’ insécurité >, < la mondialisation >, < l’ exception poldave >…
    Menu ordinaire des contemporains montreurs de marionnettes, agitateurs de publics lieux communs.
    Ah, Platon !…
    Affadissement perceptible dans les dernières contributions à la préoccupante question de savoir si l’ on peut encore… débattre en Poldavie. Et qui émanent, au grand dam de tous ceux qui s’ estiment privés de l’ accès aux grands moyens d’ expression, des principaux oracles de ces mêmes médias !…
    Journalisme de révérence, réseaux de connivence, affrontements factices mais dissimulant d’ authentiques services réciproques, ainsi que le notait naguère, dans un petit ouvrage qui fit néanmoins grand bruit, Serge Halimi.
    Débattre de la possibilité du débat… Voilà une question d’ actualité dont l’ intérêt n’ est que trop évident…
    A l’ occasion et pour notre ‘pataphysicienne délectation notons l’ affrontement verbal des Visionnaires patentés ( les  » intellectuels généralistes » ) et des « Experts », lutte de prestige pour l’ occupation du forum public et la reconnaissance sociale.
    Tant il est vrai qu’ on pourrait transporter aux lieux du < débat > le mot célèbre de Léon Blum relatif au pouvoir qu’ il faut conquérir, puis exercer, ou encore et tout simplement… occuper. >
    Agora, forum, caquet public, balivernes… Foire d ‘ empoigne, foire aux vanités…
    dimanche 27 mai
    Au courrier, de Jeanne de la Tysse :
    < Très intéressant article de Michel Gutsatz à propos du  » poids des émotions  » dans la vie quotidienne de nos congénères.
    Il distingue quatre sources d’ émotions modernes susceptibles de donner un sens à la vie :
    -la mise en danger volontaire ( sports de glisse, week-ends de survie, raids et traversées de déserts, scarifications et implants de puces ) ;
    -le retour du sacré ( religions, sectes, nationalismes, névroses identitaires et communautaristes ) ;
    -les veaux d’ or profanes de la consommation ( marques de luxes et leur pouvoir de satisfaction symbolique ) ; les émotions par procuration enfin ( violence cinématographique, sexe, jeux en ligne, jeux de rôle, informations catastrophiques, naturelles, guerres, krachs économiques )… Autant de « nourritures psychiques » à reprendre le concept affiné jadis par Raymond Ruyer. Les remarques de ce directeur de ressources humaines sont bien plus pertinentes que les illusions rationalistes des philosophes, sociologues réformistes et autres idéologues, relatives à une humanité de convention ; et d’autant plus qu’ elles ne s’accompagnent d’ aucune lamentation, s’ en tenant au strict constat de faits qu’on ne saurait contester. Il fut un temps où les guerres fournissaient le divertissement par excellence à une humanité qui, à la différence de la nature, a horreur du vide… Rappelons-nous à ce propos combien la période de l’ Occupation constitua avec toute son épouvante une source de sensations et d’ émotions incomparables à l’ instar des grandes épidémies médiévales.> Quant à la femme, la répétition des grossesses put être la réponse à son angoisse d’ exister. L’enfant par sa présence venant combler le vide hystérique causé par l’ ontologique sentiment d’ un irréductible manque à être. Remède à l’ ennui, remède à la mort. Tout le malheur et … tout le bonheur de l’ humanité viendrait de ce qu’ elle ne sait demeurer entre les quatre murs de sa chambre… Profondeur de Pascal.

semaine du 28.05.2001 au 02.06.2001
lundi 28 mai
Lecture. Giraudoux. La guerre de Troie… Littérature rafraîchissante.
-Sur le droit : < … nous savons tous que le droit est la plus puissante des écoles de l’ imagination. Jamais poète n’ a interprêté aussi librement la nature qu’ un juriste la réalité. >
Autant affirmer qu’ il n’ y a pas de phénomènes juridiques mais seulement une interprétation juridique des phénomènes. Relevé d’ un premier fétiche.
Par ces temps de harcèlement juridique…
-Sur la vie : < Priam : – … s’ ils n’ avaient pas su que cette occupation terne et stupide qu’ est la vie se justifie et s’ illumine soudain par le mépris que les hommes ont d’ elle…>
Peut-être… Mais c’ est l’ art qui corrige la nature ; à défaut de la justifier. Thèse soutenue par Anouilh. Second fétiche.
-Sur la bêtise : < Andromaque : -cela ne te fatigue pas de ne voir et de ne prévoir que l’ effroyable ? Cassandre : -Je ne vois rien Andromaque, je ne prévois rien. Je tiens seulement compte de deux bêtises ; celle des hommes et celle des éléments. >
Ce n’ est pas la < Raison > qui gouverne le monde, ainsi que l’ affirmait Hegel en quelques milliers de pages ; mais la sottise. Troisième fétiche.
Et dans l’ Impromptu de Paris, ceci :
< -Il doit bien y avoir pourtant un truc pour dire leur vérité aux gens ! -Il y en a un ou plutôt il y en avait un . Et incomparable. -La lettre anonyme ? -Non, au contraire, le théâtre. >
Giraudoux vend la mèche…
mardi 29 mai
Bric-à-brac pataphysique.
-Lu dans Morand : < Ma vie n’a été qu’ une longue jeunesse ; celle de Léautaud qu’ une longue vieillesse. >
Peut-être est-ce préférable à une existence qui se ramènerait à une succession de gâtismes renouvelés.
Bérenger Premier me contait tantôt l’ itinéraire idéologique d’ un intellectuel typique de son temps qui fut thomiste à quinze ans ; sartrien en khâgne ; lacano-althussérien, étudiant ; enragé activiste à trente ans ; avant de finir pitoyable droit de l’ hommeux Philosophe, la cinquantaine venue…
Et gardant par devers lui -paraît-il-, le même imperturbable sérieux ; sans doute toujours convaincu de détenir l’ unique vérité susceptible de sauver ses semblables…
Sauver ses semblables… Engagement, modes et imitation.
Nous vivons parmi les rhinocéros…
-Entendu : < Je crois en la vie spirituelle. > Très juste… On ne peut croire qu’ en ce qu’ on est incapable de définir. < Ce qu’ on ne peut dire, il faut le taire >, écrivait assez énigmatiquement Wittgenstein.
-Herméneutique et procès d’intention.
Toute herméneutique est de fait procès d’ intention. Voir des  » figures  » là où le sens des propositions n’ est que littéral. Besoin maniaque d’ extorquer l’ aveu au texte ;  » faire parler  » le texte… procédure inquisitoriale et policière.
ExTorquémada…
-Un essai de définition de la ‘pataphysique : Jarrysme transcendantal ou métalangage décalé ?
-Sur la ‘pataphysique encore.
Cette interrogation : Tout ‘pataphysicien est nécessairement oulipien ; la ‘pataphysique opérative se fonde sur une critique du langage, une analyse réflexive et généalogique, à la manière jusqu’ ici inégalée d’ Emmanuel Peillet, son véritable fondateur.
Mais tout oulipien est-il ‘pataphysicien ? Thèse structuraliste.
Des jeux littéraires à la  » Philosophie du départ « , nulle continuité apparente.
La question est ouverte…
mercredi 30 mai
Au courrier , de Bérenger Second :
< … traversée pédestre de l’ Argonne. Plaisir incomparable de la marche, cette liberté absolue. A moi les paysages, les étoiles, les fleurs et le soupçon d’ une vie animale dissimulée mais que je sens toute proche. Et ce ciel, lavé de la présence de l’ homme…>
Il est vrai que la marche comme la randonnée à cheval constitue un art de vivre, pratiqué à même les peaux de la terre. La déambulation qui refuse la ligne droite et qui, dans la solitude désirée, s’ouvre à l’ aléa, à la rencontre, aux bonheurs de l’ imprévu… Rousseau, Rimbaud, ce « piéton considérable »  » l’ homme aux semelles de vent  » et, plus proche de nous, Kérouac, constituent parmi bien d’ autres une cohorte d’ illustres promeneurs à vocation cosmique.
Pour nous libérer de la promiscuité des villes et des paranoïas humaines.
jeudi 31 mai
Au courrier de Ragnar O ‘Pata :
< Les nostalgiques de l’ harmonie politique feraient bien de méditer le jeu des cinq oppositions qui traversent le corps social : l’ homme et la femme ; les jeunes et les vieux ; l’ individu et l’ Etat ; les vivants et les morts ; les hommes et les dieux. Ces clivages sont irréductibles et constituent comme des invariants métahistoriques, des espèces d’ a priori que rien ni personne ne sauraient dissiper.>
Les < intellectuels >, ces théologiens de la chose sociale, veulent de la cohérence et de la raison ; les sociétés et les choses s’ en moquent ou s’ y refusent…
D’où leur haine ou, à tout le moins, leur mépris du < peuple >.
vendredi 1 juin
-Réfléchi à cette expression : < Obtenir gain de cause >. Les justes causes feraient donc … les bons gains ?
Pour remettre les idéalistes à leur place…
-Ecouté un débat fort animé sur les Ondes. Le thème : que faire des futurs retraités dont le nombre devrait être, selon les projections des démographes, pléthorique.
Diverses interventions ; toutes attendues, toutes convenues.
Richard Fleischer avait naguère tiré de cette < angoissante question > l’ argument d’ un film stimulant à la manière d’ une fable philosophique.
Sa réponse ?… du < Soleil vert >. Espèces de petites tablettes alimentaires distribuées gratuitement aux pauvres.
Pour solde de tout conte…
samedi 2 juin
Visité une exposition consacrée aux créations fractales.
Je n’ ai guère été convaincu. Je n’ y ai vu qu’ un exemple typique du pythagorisme envahissant, ce fétichisme du nombre et de l’ algorithme qui a tout envahi. Répétitions d’ un même motif, syntaxe de la réduplication à… l’ indéfini.
Art dépourvu d’ ambiguité, absolument prévisible d’où l’ aventure et le risque sont bannis.
Authentique prison mathématique. Evacuation de la contingence et du rêve… qui me rappellent les satisfactions trop attendues de la série américaine au billard… Une esthétique de robot informatique. Mais destiné à qui ?… à quel type d’homme ?…
Quel ennui…
Cela dit, qui n’ engage que mon goût, certains motifs sont séduisants. Mais cette esthétique du procédé ne dépassera sans doute jamais le statut d’ un art purement décoratif.
dimanche 3 juin
Assisté à la représentation de Castor et Pollux, Tragédie lyrique de Rameau dans sa version de chambre. Sobriété d’un jeu ramené à une épure ; austérité quasi janséniste. Réflexion sur les thèmes du deuil, de la solitude, de la vanité du divertissement.
Il n’ y a pas de salut. Il n’ y a que l’ amitié.
Comme un écho du 17 siècle tardif nuancé des fards d’ un épicurisme tendre.


semaine du 04.06.2001 au 10.06.2001
lundi 04 juin
Au courrier, de Jeanne de La Tysse :
< Evénement cinématographique qui semble drainer les foules… De quoi s’ agit-il ? D’ un film, une aimable bluette où un metteur en scène malin et talentueux joue simultanément sur les deux registres de la ficelle mélodramatique et du second degré ; d’ un film dont le succès paraît incompréhensible, voire même scandaleux à certains. « Le fabuleux destin d’ Amélie Poulain  » libère la parole… en quête de sens et d’ interprétation… Pour l’ un c’ est < la rigueur des temps > qui expliquerait l’ enthousiasme populaire ; selon un autre il s’ agit du < révélateur d’ un besoin de tendresse, de pudeur et de bonne humeur… où l’ héroïne est une femme… une sorte de Zorro du 20 siècle >. Un troisième suggère qu’ il s’ agit là d’ < une invitation à remettre l’ imagination au pouvoir, à trouver un projet de transformation sociale qui réhabilite l’ humanisme et l’utopie >.
Tandis qu’ un dernier, plus haineux et revendiquant son appartenance à l’ espèce hargneuse des « inrockuptibles  » ( sic ), dénonce < une vision du monde particulièrement nauséabonde >…
Béatitudes…
Or ce qui m’ a retenue c’ est moins la vision de la chose que la qualification élogieuse de < film merveilleux > dont elle a été l’ objet et plus particulièrement le piège logique qu’ elle enferme.
Confondant deux niveaux de signification l’ expression < film merveilleux > traduit toute l’ intéressante ambiguité du langage :
< Film merveilleux > ou film appartenant au genre du < merveilleux > ?
L’ oeuvre posséderait-elle les caractères, les valeurs et les vertus qu’ elle est censée mettre en scène ? Pour des raisons de démagogie commerciale, par souci d’ édification ou par naïveté idéologique… Il est en effet possible que la portée du scénario ait été pensée comme une leçon d’ ivresse sociale à la manière, jadis, des grands succès très concertés de Capra.
Or énoncer que telle oeuvre « est  » < optimiste > c’ est confondre le définissant et le défini.
Faute de logique par ailleurs assez habituelle.
En fait il s’ agit là d’ une féérie et d’ une fantaisie réussie. Toutefois ce qui appartient au genre du < merveilleux > -pensons à Intermezzo de Giraudoux-, n’  » est  » en lui même aucunement merveilleux. Pas plus que le drame n’ est dramatique, que la tragédie n’ est tragique ou que la comédie n’ est comique, la féérie n’ est féérique ; pas plus par ailleurs que le concept d’ < être > n’ existe ou que puisse tomber la loi de la chute des corps…
La mise en scène de la naïveté serait-elle en elle même naïve ?…
C’est alors tout l’ art dans sa spécificité qui disparaîtrait…
Avatar entre mille de la confusion des niveaux de langages…>
mardi 05 juin
Au courrier, de Bérenger Premier :
< Divertissant débat public à la Chambre… Il s’ agit d’ adopter une loi susceptible de freiner l’ essor des  » sectes « … Il semble cependant que le législateur éprouve bien des difficultés à définir son objet ainsi qu’ à qualifier le délit de < manipulation de conscience > avec toute la précision désirée… On retiendra donc < l’ abus frauduleux de l’ état d’ ignorance ou de faiblesse > comme caractérisation du présumé délit.
Mais qu’ est-ce que la « manipulation de conscience », à retenir cette bien curieuse expression ?… Où commence-t-elle ?… avec la toute première éducation ?… Par quelles voies se développe-t-elle ?… la rumeur, le bavardage, la conversation, l’ instruction, le dialogue, le débat, la dialectique ?… Quand cesse-t-elle ?… sans doute avec le régne des  » lumières  » et la généralisation de l’  » état de majorité intellectuelle  » chère aux utopistes rationalistes…
Et encore : qu’ est-ce qu’ un sectaire? un esprit malicieux, un pervers? une dupe? Un fou?
Quant à la psychologie du croyant, au désir de se laisser tromper, au bonheur de s’ accomplir par la soumission et dans la baliverne, il ne saurait en être question…
On imagine les querelles d’ experts dans les prétoires quand il faudra juger concrètement de la chose…
Et les Eglises, -ces sectes qui ont réussi -, de protester enfin en un front unique, une fois n’ est pas coutume, de leur… bonne foi dans une même abomination de leurs présentes et futures rivales…
Mais il me vient une angoissante question… Les ‘pataphysiciens composeraient-ils une secte ? seraient-ils eux-aussi, à leur manière, d’ affreux manipulateurs de conscience ? >
Qui sait ?… mais au énième degré très certainement… et à la dimension de l’ Ubunivers…
mercredi 06 juin
Au courrier, de Patadelphe :
< Ce texte d’ Antiphon le Sophiste pour nous rappeler que le fétichisme de la Loi dans ses variantes stoïcienne, biblique ou kantienne n’ a pas toujours intoxiqué les hommes : < La justice consiste à ne transgresser aucune des règles légales admises par la cité dont on fait partie. Ainsi l’ observation de la justice est tout à fait conforme à l’ intérêt de l’individu, si c’est en présencec de témoins qu’ il respecte les lois ; mais s’il est seul et sans témoins, son intérêt est d’ obéir à la nature. Car ce qui est de la loi est accident ; ce qui est de la nature est nécessité ; ce qui est de la loi est établi par convention et ne se produit pas de soi-même. Ainsi celui qui transgresse les règles légales, s’il le fait à l’insu des hommes qui les ont établies par leur convention, est indemne de honte et de châtiment… >
Ce qui est de la loi est … accident. La belle thèse ‘pataphysique… Aléa de la loi qui n’ a donc aucun fondement : théologique, métaphysique ou transcendantal. Contingence de la règle… intelligence de l’ opportunisme.
Il nous faut… jouer avec < les lois >, nous déprendre de la < Loi >… à nos risques et périls, bien entendu.
Vérité bonne à savoir mais aussi et surtout… à taire.
jeudi 07 juin
Au courrier , de Ragnar O ‘Pata :
< Nouveau chapitre à porter au différend qui oppose Cosmopolitistes et Souverainistes. Il s’ agit présentement de l’ O.N.U. et du procès féroce instruit contre elle par Michel Schooyans. ( La face cachée de l’ONU ) L’O.N.U. aurait pris la tête d’ une entreprise de domestication idéologique sans précédent. Son vecteur serait le Fonds des Nations unies pour la population dont l’ action ressortirait à l’ entreprise totalitaire la plus délirante de l’histoire… Il y aurait détournement du texte de la Déclaration universaliste des droits de l’ homme de 1948 garantissant un ensemble de droits naturels ( à la vie, à la liberté, à l’association, etc.) au profit de nouveaux droits positifs issus des usages, des revendications et de la volonté de lobbies puissants parmi lesquels les ONG, porte-paroles autoproclamés et à la représentativité douteuse de minorités agissantes. En conséquence l’ ONU deviendrait la source unique, supranationale des  » nouveaux droits de l’homme  » justifiant, légalisant et imposant par exemple l’ euthanasie, l’ avortement, la stérilisation des pauvres. Un < nouvel ordre juridique international >, totalitaire, anonyme et sans visage se mettrait ainsi en place contre les nations, les peuples et les citoyens…
Analyse de chrétien militant et courroucé… >
Peut-être… Mais ce qui est incontestable c’ est que l’ < Etat universel > ainsi que le montrait l’ auteur du Mur du Temps se met progressivement en place. Nous n’ échapperons pas à l’ émergence de l’ ordre universaliste rêvé par Kojève et les hégéliens… Et nous assistons à la prise de pouvoir d’ une oligarchie internationale de technocrates sans visages, caste cosmopolitique relativement imperméable, aux conduites codées, au langage crypté, mixte assez étrange d’ arrogance d’ expert, de moralisme épais et de pratiques douteuses sinon mafieuses.
Et parasitant sans vergogne les états nationaux et leurs ressortissants.
Les nouveaux < Maurétaniens >… à reprendre le terme de Jünger.
vendredi 8 juin
Sur la critique. La Bruyère. Des ouvrages de l’ esprit :

  1. < Avec cinq ou six termes de l’art, et rien de plus, l’on se donne pour connaiseur en musique, en tableaux, en bâtiments et en bonne chère ; l’ on croit avoir plus de plaisir qu’ un autre à entendre, à voir et à manger ; l’on impose à ses semblables et l’on se trompe soi-même. >
  2. < Il n’ y a point d’ouvrage si accompli qui ne fondît tout entier au milieu de la critique, si son auteur voulait en croire tous les censeurs qui ôtent chacun l’endroit qui leur plaît le moins. >
  3. < Il y a dans l’art un point de perfection, comme de bonté ou de maturité dans la nature. Celui qui le sent et qui l’aime a le goût parfait; celui qui ne le sent pas, et qui aime en deçà ou au-delà, a le goût défectueux. Il y a donc un bon et un mauvais goût, et l’on dispute des goûts avec fondement. >
    samedi 4 juin
    Esquisse d’ un Parallèle de Gracian et de La Bruyère.
    Brosser le portrait du < Héros > ou peindre des < Caractères >… telle est l’ alternative.
    Gracian, inépuisable et stupéfiant feu d’ artifice. Lecture pour jeunes gens pressés et vade-mecum, authentique pense-bête des hommes de pouvoir. Il donne les bonnes recettes.
    Bréviaire et manuel tout à la fois… Il déniaise la vertu, ce < plaisir secret >, ainsi que le définissait < Torma > dans ses Euphorismes. Et d’ autant plus que ses analyses valent à l’appui du cynisme, de l’ opportunisme, de tout ce qui constitue la trame de la conduite politique raisonnée…
    Voyage de découverte. Or tout est paradoxal et donc attrayant pour qui découvre les charmes du pragmatisme et de l’ immoralité.
    De surcroît, ce Jésuite, avec tout son génie, ne laisse pas de demeurer pédagogue. D’ où l’ incomparable séduction procuré à la première lecture.
    La Bruyère, plus tempéré, plus égal dans le ton, plus à distance,  » hors de cause « , se situe sur le terrain austère de la < médiocrité >, sa grande valeur de référence. Ses analyses s’ adressent à des hommes faits et détrompés, qui -s’ ils ont depuis longtemps dépassé la naïveté des ambitions-, méprisent ( au sens du 17 siècle ) également l’ impérieuse contrainte des passions.
    C’ est pourquois sa critique s’ interdit les facilités et le brillant du paradoxe. Elle se satisfait de ramener les faits les anecdotes et les portraits à des types caractéristiques.
    Mais aussi parce que le propos est à l’ édification.
    La tentation de la gloire s’ est éloignée. La magie du pouvoir n’ opère plus, la vanité est dissipée… La certitude s’ est faite morale.
    dimanche 5 juin
  4. Confession d’ un enfant du siècle à propos des < raves-parties > : < ce que j’ aime c’ est m’ éclater… la fusion dans le son…>
    En somme la nouvelle expression de l’ idylle… par l’ abrutissement.
    Du rêve au rave… De Nerval à la Techno…
  5. Eclipse en Afrique australe. Une secte ordonne, paraît-il, à ses fidèles de regarder le soleil sans protection afin… de mieux voir le < dieu>.
    Le soleil et ses éclipses se peuvent donc regarder en face…
    D’ après un scientifique navré l’ événement devrait ainsi générer un nombre assez considérable d’ aveugles…
    Qui a dit : toutes les croyances sont respectacles ?
  6. Epiphanie. Au retour de promenade nous croisons un renard. Robe sombre. Déplacement lent, silencieux et furtif. La petite tête triangulaire se tourne vers nous ; elle nous fixe apparemment sans inquiètude puis se dissimule parmi les coquelicots et les blés.

juillet 2001
Saint-Cyr ou Madame de Maintenon pédagogue.
Au courrier, de Jeanne de La Tysse :
< Projection de Saint-Cyr ( Film écrit et réalisé par Patricia Mazuy ) Intéressant rôle de composition d’ Isabelle Huppert. Françoise d’ Aubigné devenue Madame de Maintenon, partagée entre la dévotion, son passé d’ intrigues et d’  » épouse Scarron « . Mise en scène d’ une névrose fixée sur un projet éducatif… Description très suggestive de la psychologie d’ adolescentes recluses, soumises aux caprices pédagogiques d’ une malade et livrées sans défense à l’ inquisition des confesseurs. Orphelines extrêmes dans l’ expression de leurs sentiments, exaltées par le romanesque religieux, le théâtre baroque et le théâtre du Baroque. Des notes incidentes sur la misère matérielle et morale des rejetons d’ une noblesse décimée par les guerres, ces cavaliers < morts pour le Roy > comme on dira plus tard des soldats républicains qu’ ils sont < morts pour la France >…
Abstractions, superstitions, mystifications, impostures. >
Du théâtre, de la ‘pataphysique et d’ Ubu-Roi en Avignon.

  1. < théâtre subventionné… théâtre missionné >.
    En effet… La figure plaisante du saltimbanque à soutane républicaine…
  2. A propos de théâtre, cette copie d’ un courrier de Jeanne de La Tysse à un correspondant inquiet de < l’ attitude ‘pataphysique > concernant l’ art dramatique :
    < Sur le théâtre ‘pataphysique. ( correspondance )  Cher Monsieur,  Vous me demandez s’ il existe des textes traitant d’ une manière approfondie et précise du problème que vous posez.  La dramaturgie, le jeu des acteurs, le décor, l’ accompagnement musical, l’ espace-temps scènique, la direction d’ acteurs, etc., tout ce qui constitue la < grammaire théâtrale >, pourraient donner lieu à une étude d’ ensemble approfondie.
    Néanmoins pour la ‘pataphysicienne que je suis, la grande référence demeure -me semble-t-il-, l’ Ubu-Roi d’ Alfred Jarry.
     D’ où on peut dégager quelques principes :
     1. Le Genre ad hoc : la farce ( dans la manière de Tabarin, de Bruscambille, de la Comédie italienne…)
     2. Le Procédé par excellence : la marionnette qui se prête admirablement au propos du ‘pataphysicien.
     3. L’ évacuation de la psychologie.
     4. Le refus de la pensée édifiante ( politique, sociale, confessionnelle, pédagogique, esthétique…) propre au spectacle  » missionné  » et  » subventionné « .
    Le ‘pataphysicien ne fondant sa cause sur rien.
    Amoralité foncière donc et désengagement absolu sont les traits spécifiques du théâtre ‘pataphysique.
     5. La réduction délibérée des individus au Type.
     6. Une certaine manière de  » rire »… luciférienne, mêlant bouffonnerie et cruauté.
     L’essence de la  » farce » réside dans la délectation procurée par la mise en scène de la sottise et de la duperie. Voir Aristophane. ( Molière, si je ne m’ abuse, achève sa carrière avec … les Fourberies. Cela laisse songeur.)
    Voilà quelques… suggestions…>
  3. Au courrier, de Patadelphe :
    < Vu en Avignon l’ Ubu-Roi dans la mise en scène de Sobel. Jarry au pinacle certes … mais toujours incompris de la plupart des < critiques > qui ne cessent d’ y projeter leurs clichés interprétatifs, psychologiques, politiques, culturels, et pour l’ heure, éthiques… ( J’ attends avec gourmandise un Jarry… citoyen ! )
    A tel point que le journal de leurs litanies herméneutiques compose une manière de révélateur des marottes idéologiques qui se sont succédées depuis cent vingt ans…
    Or Jarry ne critique pas, ne dénonce pas. Il se contente de mettre < Ubu > en scène ; il s’ en divertit et nous divertit.
    Car < Ubu > est indépassable. Et à ses faits et gestes, à ses turpitudes, il n’ y a pas à s’ indigner, il n’ y a rien à ajouter, rien à retrancher.
    < Ubu > est le monde et Ubu-Roi est à sa manière le miroir du monde.
    Le 17° siècle s’ était tourné vers l’ analyse de l’ erreur. Le 18° prit pour thème l’ étude de l’ illusion. Le 19° s’ est orienté vers la bêtise.
    Et après Flaubert, Maupassant et Villiers, après les figures d’ Homais, de Tribulat Bonhomet et de Patissot, voici ce qu’ à son tour suggère Jarry : il n’ y a pas de transcendance, il n’ y a que la  » merdre « , l’ immanence et l’ insondable épaisseur de la sottise ; cet horizon indépassable de l’ humanité, de notre temps, de tous les temps…
    Sens commun, bon sens, sens unique, giratoires insensés…
    Autant d’ impasses du < sens >…
    < On ne part pas >… Et il n’ y a pas de critique raisonnée de la sottise ; quoi qu’ en pensent les kantiens il n’ est pas de < Critique de la sottise pratique >. La philosophie est impuissante et les < lumières > sont vaines et ridicules dans leur prétention abolitionniste.
    On ne peut que < faire tourner la machine >.
    Reste donc une < esthétique de la bêtise >, décervelage concerté -la ‘pataphysique avec apostrophe-, à la hauteur du décervelage généralisé -la pataphysique sans apostrophe-, dont Ubu-Roi et Faustroll sont, selon l’ étymologie, l’ apocalyse et l’ épiphanie.>
    Le ‘pataphysicien est donc un < facteur d’ épiphanies >.
    Actualité du Prince.
    Au courrier de Bérenger Premier :
    < Représentation du Prince de Nicolas Machiavel. La mise en scène est due à Anne Torrès. Touffue, prolixe, à volonté exhaustive, avec néanmoins des moments de vrai bonheur théâtral. Texte prodigieux qui donne les bonnes recettes, toutes les recettes du pouvoir : Comment le prendre, le conserver, l’ occuper ; quels sont les ennemis du Prétendant : le cortège des passions de concupiscence, la méchanceté humaine, ses rivaux, le temps, sa propre sottise, le hasard ; quels sont ses atouts et ses alliés : son opportunisme, son courage, son coup d’ oeil, son tact psychologique et la bêtise humaine sur laquelle il peut à coup sûr faire fond. Style sec, ton réaliste, prose crue. On sent l’ immense mépris des < théoriciens >, de l ‘ utopie platonicienne et de la politique d’ inspiration thomiste.
    D’ une telle oeuvre on sort réconcilié avec l ‘ intelligence humaine.>
    Actualité de Pascal.
    Au courrier, de Bérenger Second :
    < Traversé une fois de plus les Pensées. Notamment celles qui concernent la politique. Avec toujours le même sentiment d’ admiration pour le courage intellectuel, la lucidité, la pensée désillusionnée. Paradoxe. Homme de foi, Pascal ne croit en rien, ne croit rien. Progrès, coutumes, justice, lois… rien n’ échappe à son scepticisme dévastateur. Aucune légitimité, aucune justification ne sont accessibles à une humanité livée à un monde déchu, au néant d’ un monde sans la grâce. Contre les philosophes et les théologiens ce < maître de déception > affirme que le monde n’ est ni rationnel ni raisonnable. Il échappe à la raison. -qui par ailleurs n’ est elle-même qu’ une < puissance trompeuse >…
    Le monde est. Tout simplement. Et il n’ y a que la violence.
    Descartes, Galilée, Hobbes même, se sont trompés…
    Car les hommes sont dupes de l’ imagination, dupe des simulacres… Puisque tout ne tient que par les < rets de l’ imagination > : les renommées, les institutions, l’ obéissance des peuples, le prestige ( si bien caractérisé ) des pouvoirs…
    Qu’ est-ce alors que la < société > ?… Des songes sur du sable… Parce que tout n’ est que faux-semblant dans ce monde privé d’ épaisseur ontologique.
    Reste donc le désir, la concupiscence, l’ unique vecteur tangible des intérêts, des passions et des idées.
    La politique se ramène ainsi à la force et aux rapports de force ; et l ‘analyse des conjonctures humaines se résout aux parallélogrammes toujours mouvants de ces mêmes forces.
    Combien l’ augustinien Pascal est éloigné du fétichisme humaniste contemporain !…
    Mais le 18° siècle et sa sensiblerie « philosophante « est passé par là, recouvrant de ses bavardages idéologiques et de ses illusions sur la prétendue « perfectibilité humaine  » un réel décidément trop cru.
    Le mythe de l’automate traducteur.
    Au courrier, de Patadelphe :
    < Il paraît que le langage résiste toujours à la < traduction automatique >…
    Déjà contre Leibniz Cournot remarquait combien la création d’ une < caractéristique universelle > était un projet aussi contestable que vain. Tant le foisonnement des langues naturelles était approprié à la variété des sensibilités humaines et aux différentes cultures.
    La solution au < problème de la communication adéquate > serait non pas de réduire les langues à l’ une d’ entre-elles mais à développer au contraire l’ apprentissage et la pratique des différentes langues.
    Ce qui est bien évidemment une aimable utopie.
    Les difficultés rencontrées à la création d’ un < traducteur automatique > -étonnant oxymore-, sont de fait considérables.
    Les plus irréductibles sont les expressions toutes faites -mots composés, locutions, idiotismes-, le français courant comptant environ 300 000 suites figées qu’ il est impossible de traduire littéralement.
    Quant aux associations de substantifs ou d’ adjectifs qui, combinés, s’ éloignent de leur sens premier ( < clef des champs >, < cercle vicieux > ), aux expressions verbales ( < prêter l’ oreille >, < boire sec > ), aux locutions adverbiales ou circonstancielles (< sous peu > donnant une indication temporelle et non spatiale,< histoire de > exprimant une finalité ), que de pièges pour les logiciels de traduction…
    Ce qui ne semble pas décourager nos vaillants chercheurs. Tant la chimère de la < machine universelle et intelligente > hante la cervelle de ces contemporains pygmalions.
    Reste au fanatique de la < traduction automatique > une solution. Radicale, celle là : interdire la polysémie voire supprimer par décret les langues naturelles, bannir la poésie et liquider la métaphore.
    On obtiendrait alors un langage de communication réduit à sa fonction instrumentale, épuré des ambiguités et des amphibologies, apte aux échanges élémentaires pour une humanité élémentaire réduite sans doute aux lieux communs des sociologues et autres bienveillants animateurs de la chose sociale.
    Exit l’ analogie, l’ évocation, la suggestion, l’ ironie et l’ antiphrase ; exit la poésie ; exit le versant connotatif du langage…
    Le < locuteur > serait ainsi ramené tel un robot à l’ expression compréhensible et transparente ; la pensée deviendrait enfin < calcul >.
    Idéal hygiéniste d’ ingénieur, d’ économiste et d’ administrateur social-démocrate ; tous totalitaires. A la manière de ce Premier Poldave, productiviste parpaillot, se mêlant naguère de < réformer l’ orthographe > ( sic ) par la chasse aux accents circonflexes superfétatoires…
    Or < le langage > compris comme jeu d’ essences n’ existe pas. Ce n’ est qu’ une reconstitution de linguiste et de grammairien ou encore d’ informaticien. Ce qui existe, c’ est le geste, la parole. Et le silence… C’ est l’ individu concret, particulier s’ exprimant dans cette conjoncture à ce moment précis. Être de chair et de sang, avec son intelligence, sa sensibilité, son affectivité.
    Ce qui toujours fera défaut à l’ automate, c’ est la compréhension du signe, c’ est-à-dire l’univers des intentions et des valeurs dont celui ci est chargé.
    Affectivité, passions et richesse symbolique lui échappent.
    Et pas plus que Deep Blue ne  » joue » aux échecs -fût-il capable de  » battre  » un Kasparov-, un automate ne pourra au sens propre  » traduire  » un texte littéraire tant soit peu nuancé.
    Le < traducteur automatique > restera au niveau de la restitution… des modes d’emploi.
    A sa place.
    Celle d’ un domestique, non celle d’ un artiste.
    Voir mourir Timothy Mac Veigh.
    Au courrier de Ragnar O ‘Pata :
    < Terre Haute. Exécution légale d’ un libertaire terroriste maladroit et malchanceux. La Place de Grève à l’ heure du < Village mondial >… 1700 journalistes et reporters < couvrent l’ événement >…
    Les familles des victimes assistent à la mise à mort… sur < écran total > et quatre petites télévisions latérales. D’ autres prennent place derrière une glace sans tain. Des psychologues ( sic ) sont requis pour… assister les familles.
    Florilège : < Ce n’est pas de la vengeance, c’ est la justice… Je prie beaucoup, autrement comment vous préparez-vous à voir mourir quelqu’ un ?… >
    Il semble que le condamné, dans sa solitude absolue ait vécu ses derniers instants dans le détachement, avec calme et même avec une certaine curiosité.
    Il n’ a exprimé aucun repentir.
    Les < bonnes oeuvres > de monsieur Kissinger.
    Au courrier, de Ragnar O ‘Pata :
    < A propos de repentir voilà quelqu’ un qui semble n’ en exprimer aucun : Henri Kissinger. Du moins à s’en référer à ses Mémoires. Il est vrai qu’ avoir été Secrétaire d’ Etat des USA, la puissance impérialiste par excellence, a pu légitimer les initiatives les plus (in)contestables sur le plan de la < stricte morale > ; protège aussi à vie celui ou ceux qui furent les protagonistes de sa politique étrangère du risque d’ une instruction ouverte par un quelconque TPI…
    Juridiction que -par ailleurs et comme on les comprend-, ces mêmes USA se gardent bien de reconnaître.
    Du moins tant que les rapports de force internationaux ne changeront pas sensiblement.
    Pour l’ heure il ne semble pas que l’ hégémonie de « l’ empire du dollar fondé sur la bible », de ses satellites et de ses proconsulats soit sérieusement remise en cause…
    Un ouvrage, Les crimes de monsieur Kissinger, qui fait quelque bruit outre-atlantique, s’ en prend pourtant directement à l’ ex < Prix Nobel… de la paix 1973 >.
    ( Les Scandinaves ont un réel sens de l’ humour… )
    L’ auteur, Christopher Hitchens, coqueluche du microcosme médiatique washingtonien, ancien journaliste de la revue britannique New Stateman, devenu chroniqueur au très glamour magazine Vanity Fair, met en cause nommément l’ homme de pouvoir. Et de souligner la responsabilité du < Bismarck américain > dans l’ extension de la guerre en Indochine, dans les bombardements massifs et clandestins sur le Laos et le Cambodge, initiatives qui firent des dizaines de millers de victimes parmi les populations locales ; de rappeler aussi le soutien américain aux régimes dictatoriaux de l’ Indonésie, de Chypre, du Bangladesh, du Chili…
    Et notre journaliste, généralisant, de poser la question du degré de < responsabilité des dirigeants politiques et des hauts fonctionnaires dans les crimes qui accompagnent toute guerre >…
    Vaste sujet…
    Différend de la < Raison d’ Etat > et des < Droits de l’ Individu >, de la politique et de la morale ; Sempiternel conflit de valeurs…
    Et d’ adopter enfin la pose typique de l’ intellectuel de gauche social-démocrate, appelant de ses voeux < une juridiction internationale > susceptible de dissuader le cynisme politique et l’ immoralité, afin de dissiper définitivement le spectre du vieil adage romain : < vae victis >, malheur aux vaincus….
    Frères patagons, rêvons un peu…
    Mais en attendant que l’ esprit saint descende sur terre et que s’ actualise la vision, gageons que  » Dear Henry  » , admirateur de Metternich et de Bismarck, -qui put se permettre les relations diplomatiques les plus étroites avec ces humanistes avérés que furent ou sont Pinochet, Hassan 2, Ariel Sharon et bien d’ autres, qui fut au-dessus des lois, puisque la force fait le droit et que représentant la force il a pu < dire le droit > en… ayant recours à la force-, ne sera d’ ici-là et ici-bas guère inquiété… >
     Enième expression de la sagesse politique de La Fontaine : < Selon que vous serez puissant ou misérable…>

août 2001.
Tourisme culturel …

  1. Vallotton à Marseille. Musée Cantini.
    Rétrospective stimulante. Notamment par les dessins et gravures de la période anarchiste. Le temps de l’Assiette au beurre. Quelques portraits… des vénus d’ alcove à chignon.. les fameux paysages de reconstitution… plusieurs parodies grinçantes du maniérisme Nabi… Le tout fort bien circonscrit par le mot de Thadée Natanson:  » le très singulier Félix Vallotton « …
    Très < singulier > en effet… Si énigmatique… Et surtout si étranger à un monde qu’ il méprisait et que sa peinture tenait à distance… Réfractaire aux modes et aux facilités. Par l’ ironie, le réalisme cruel d’ un regard impitoyable et l’ amertume féconde.
  2. du performatif dans l’art. Arman à Nice. Musée d’ art moderne.
    Immenses salles blanches consacrées au bricoleur des < accumulations >, des < juxtapositions >, < emboîtements >, < Poubelles > et autres séries d’ objets plus ou moins maltraités sinon fracassés… < sans volonté d’agencement esthétique >.
    La < fin de l’ art > donc ou à tout le moins une autre < vision > de l’art à mille lieues des productions devenues clichés du Baroque, du Romantisme ou encore de l’ Expressionnisme… cette < asphyxiante culture > à reprendre le mot de Dubuffet…
    Comment s’ en débarrasser ? Tel était en effet le problème… Deux voies s’offraient : le nihilisme actif ou le silence… Le « Nouveau réalisme  » a manifestement choisi le discours… et surtout une gestuelle faite d’ empreintes, de jets, de fagellations de la toile.
    En < débaptisant le réel par la quantité >, par l’accumulation… par l’outrage à l ‘objet, à son identité, à son sens…
    Le propos n’était pourtant guère original.
    < L’ oeuvre d’ art est ce que je déclare être telle >, affirmait par exemple et depuis quelques lustres Marcel Duchamp… Bel exemple d’ énoncé performatif qui supplante à la fois réalisme et platonisme esthétiques…
    Mais qu’est-ce qui confère son autorité à l’ énoncé performatif ?
    En l’occurrence le culot, le critique, le spéculateur et la rumeur…
    Quant au public…
    Le verbe, le geste, la provocation voire l’esbroufe créent ainsi un < marché > qui « éduque » un public intimidé, malléable et docile.
    Tandis qu’ à deux pas et dans l’indifférence les aquarelles de Gustave Adolphe Mossa, ces chefs d’ oeuvres absolus, sommeillent, abandonnées, au Musée Cheret…
    Saisissant rapprochement qui illustre le récent bouleversement de nos conceptions en matière poétique: l’ < oeuvre >, la < création >, le < beau >, l’ < art >, l’ < esthétique > … Quelle valeur et quelle portée accorder désormais à ces concepts ?
    Crépuscule et naufrage de nos repères et de nos catégories…
  3. Béatitudes… Du performatif dans l’art ( suite ).
    -Le Musée d’Art contemporain de Sydney expose soixante < tableaux > (sic ) réalisés par des… pachydermes d’Asie. < Le tracé est irrégulier et le coup de pinceau plutôt maladroit. Ces soixantes peintures sont toutefois considérées comme des oeuvres d’art à part entière > commente un critique quelque peu déconcerté.
    Bien que ces braves pachydermes aient encore, paraît-il < des progrès à faire >…
    < Considérées >…
    L’ oeuvre n’est plus dans l’oeuvre mais dans le regard posé sur l’oeuvre…
    La postérité de Duchamp est décidément aussi innombrable qu’ insolite. Il s’agit ici d’ une < écollaboration >…
    -Béatitudes : entendu à propos du prétendu < détournement > par les Surréalistes des productions de sociétés dites < premières > : < C’est un manque de respect que de couper les valeurs esthétiques des valeurs culturelles. Le beau c’ est le… social >.
    Des trois patagonies.
    Au courrier, de Patadelphe répondant à un correspondant :
    < Pour satisfaire à la perplexité de plusieurs… Vous me demandez de définir plus précisément ce que les ‘Pataphysiciens entendent précisément par « Patagonie « …
    Distinguons donc : la patagonie fantasmée de Jean Raspail. Amplement développée dans la geste de Pierre Antoine de Tounens. Agréable fantaisie romanesque dont la portée est toute littéraire.
    La terre de refuge plus ou moins imaginaire de quelques proscrits pourtant bien réels. Cf : Saint-Loup.
    La patagonie pataphysique enfin. Septentrionale à l’ origine, des Ardennes à la Vallée de la Marne, puis exilée sur le web, hâvre et lieu de navigation à l’ usage des pélerins de ‘pataphysique…
    Bric-à-brac ‘pataphysique.
  4. La politique dans le langage de la théologie.
    < l’ homme de gauche méconnaît le péché originel. L’ homme de droite méconnaît quant à lui la possibilité de la rédemption >.
  5. Trois manières de satisfaire à l’ambition.
    -par le mérite et la vertu. Voie de l’ honnête homme selon Castiglione, Méré ou La Bruyère. Rare.
    -par l’ hypocrisie, les faux-semblants, la complaisance et la servilité. La plus fréquente.
    -par la transgression et la feinte. Voie du ‘pataphysicien.
    Genova, mondialisation, contestation.
    Au courrier de Ragnar O ‘Pata :
    < Genova, mondialisation, contestation. Pas de deux, émotion sociale médiatisée à l’ échelle du < village mondial >, espèce de rave-chorégraphie à saveur de cauchemar.
    Le comique de l’affaire : le  » Prix Nobel  » dont se réclament les Contestants, James Tobin, dénonçant publiquement l’usage politico-démagogique de sa proposition de taxation des flux de capitaux qu’ il prétend avoir présentée comme simple hypothèse d’école ! >
    En contrepoint je songe au  » dimanche de la pensée « ( Amiel ), à la lévitation du réfractraire, de l’Anarque, aussi éloignée du consensus totalitaire que de la révolte utopique.
     Visions politologiques.
     Au courrier, de Bérenger Premier :
    < Montpellier : Rencontres de Pétrarque sur le thème de la pertinence de l’ opposition des concepts de République et de Démocratie.
    -Les 3 piliers de la République -L’ Etat comme référence et base du consensus des citoyens avec frontières, nationalité et lois ; l’ égalité de tous devant la Loi ; la séparation des ordres notamment du politique et du religieux, de l’économique, de l’art etc., -seraient menacés par le développement de la psychologie démocratique.
    D’où une tendance irrésistible à l’effacement de l’Etat devant la société civile : les règles du jeu politiques deviennent aléatoires et l’ Etat n’ en serait plus le régulateur incontesté ( exemple du fonctionnement de la justice à propos de la légalité du couvre-feu et des décisions contradictoires des juges ) ;-l’ équité serait bafouée. Voir à ce sujet le concept de discrimination positive, les communautés étant acharnés à faire valoir leurs droits. D’où une escalade dans la demande de droits ; d’où aussi une surcharge juridique insupportable et l’ incapacité de l’Etat à faire face à la créance des citoyens.

Alternative contemporaine : Etat autoritaire et/ou arbitre ou omnipotence du Marché…. les nouveaux fétiches.

-Deux concepts de la politologie de notre temps : la < bonne gouvernance > ; la bonne…< contraignance >.
D’un côté le paternalisme moral, l’ arrogance, les certitudes des experts et des hauts fonctionnaires. De l’autre côté les mesures incitatives , la sanction, la pénalité.
-Politique des USA : leaders de l’Alliance, relative capacité d’ écoute mais unilatéralisme de l’ < América first > : ce qui est bon pour les USA est bon pour le reste du monde et notamment pour l’Europe, cette grosse Suisse vieillissante ou cette caricature d’Autriche-Hongrie, vieille fille post-kantienne sous la tutelle nord-américaine. >
-Art naïf…
Quelle est la valeur de ce rapprochement terminologique?
Un Oxymore… Car qu’ est-ce que l’ < art > ? C’est en premier lieu l’ artifice, le savoir, le savoir-faire ; un maximum de conscience et de maîtrise des procédés, l’ effet du travail et de la tradition, le produit d’ une école… une codification.
L’art ou le fabriqué.
Qu’est-ce que la naiveté ? Un maximum de spontanéité, de naturel, d’ immédiateté ; un minimum d’ esprit problématique.
Rien n’est donc plus opposé à l’art que la naïveté. Le moraliste Breton et les Surréalistes éthiques s’entichaient de l’ < art nègre > pour des motifs… moraux. Avec par devers eux la nostalgie de la < nature > et de la < sincérité >. Goût aussi des « productions  » de l’ < inconscient > ce fétiche psycho-esthétique reflétant la nostalgie des intellectuels pour l’ instinct, la force brute…
Tout à l’opposé, Valéry et l’ Oulipo, cette seconde < Introduction à la méthode de Léonard de Vinci >.
Or < la nature > n’est qu’ un mythe. Elle est toujours une fonction de la culture ou rien d’ autre que simple brutalité. < Les bêtes brutes > écrit Descartes… n’ ont pas la pensée. C’est à dire la pensée réfléchie. La conscience réflexive fait défaut.
Et nul n’est plus  » sincère « , « authentique » ou encore « naturel » dans l’ expression de son désir que le … violeur ou l’ halluciné.
La valorisation de l’immédiat et la séduction exercée par la sincérité ont une même origine pragmatique. C’est qu’ on peut compter sur le fou, le naïf, l’ enfant, le fanatique.
L’ être sincère est sans détour. Il est à notre merci. Prévisible.
La galanterie, tout à l’opposé ménage les artifices et les médiations. De même l’art est nuance, artifices, ornements, raffinement. Voir Vuillard, Ravel, Valéry…
< Art naïf > signifie donc :
-soit un art maladroit, gauche, inexpérimenté ; d’ impulsion, de premier mouvement, de premier jet… à la manière des productions de la première enfance.
-Soit une poétique… concertée de la projection de soi.
-Soit une mystification. Il s’agit alors d’ une activité savante, mimant les maladresses des ignorants et des simples. Poétique de … professeur.
-Soit un parti pris de théoriciens et d’ intellectuels qui pour une raison ou une autre, expriment leur nostalgie de prétendues < origines >.
Il traduit parfois aussi cette < deuxième religiosité> dégagée par Spengler et s’ entiche des objets cultuels de peuplades dites  » primitives » dont les oeuvres obéissaient pourtant elles aussi à des contraintes esthétiques et religieuses bien établies.
 Le monstre….
Au courrier, de Jeanne de La Tysse :
< Quelques réflexions à propos de ce jugement populaire : < cet acte est inqualifiable, inhumain… cet homme est un monstre ! >.
Que faut-il entendre par là ?
L’ humain, l’ inhumain… Comment définir l’ < humanité > ?
Trois réponses, trois métaphysiques : la naturaliste, la culturaliste, la rationaliste.
Leurs opérateurs d’ intelligibilité respectifs : la nature, l’instinct, la sensibilité, la tendance ; la culture, l’enracinement identitaire, la communauté, le bon préjugé ; la raison, la liberté, la responsabilité, la perfectibilité.
Et pour mettre des noms sous les concepts : Thrasymaque, Diogène, Sade ; Herder, les culturalistes, les ethno-différencialistes ; Rousseau, Kant et la philosophie contemporaine néokantienne ( Ferry, Finkelkraut… ).
Selon cette dernière il faut qu’ il y ait une < raison suffisante > à qui imputer l’ origine des actes. Il est besoin de l’effectivité d’ un  » x  » qui puisse répondre de leurs conséquences. Or imputabilité et responsabilité sont fantasmes et concepts de la < raison pure pratique >. Fictions prétendant fonder la morale et le droit pénal, autorisant le châtiment.
Et l’ < humain > est un concept ne désignant qu’ une coupe à temps donné dans l’ évolution génétique d’ < une espèce >…
Enfin il n’ y a, il n’ existe que des hommes. L’ < humanité > est une forme verbale.
Le mot exprime la juxtaposition dans l’ espace et le temps d’individus distincts quoique relativement semblables quant à certaines de leurs dispositions.
Car il n’ y a que des singuliers. Les idéologues commettent la faute de logique banale : donner l’existence aux classes, erreur d’ où procèdent toutes les preuves ontologiques.
L’ écart à la moyenne définit alors la chose < monstrueuse >, celle que -pour cette raison et selon l’étymologie-, l’ on montre ; aussi bien  » en raison  » de son aspect que de sa conduite.
Le normatif n’ est ainsi que l’ habituel devenu modèle et référence.
Quant à l’ < Honnête homme >, à l’ < Humanitas >, ces termes expriment des idéaux littéraires, des jeux de l’ esprit. Par exemple chez Cicéron, Castiglione, Méré. Ou encore philosophiques. A la manière de Sartre ou des « Nouveaux philosophes « .
Sur ce point voir les analyses de Heidegger. Lettre sur l’ humanisme.
L’ < humain > est absolument indéfinissable.
Pourtant Primo Lévi et G. Perec, hantés par leur passé, recherchent l’ < inhumain> …
Peine perdue… Ils ne rencontrent que la < disparition > et l’ horreur ! L’horreur ordinaire élevée à l’extraordinaire d’une situation collective épouvantable.
Le < monstre > est une catégorie qui relève soit de la biologie et de la tératologie, soit de l’ esthétique, notamment du fantastique ; dans le contexte et la mise en scène de l’ épouvante. Voir Mary Shelley ( Frankenstein ).
Ou alors il ne s’agit que d’ un jugement appréciatif.>
la réalité virtuelle.
Au courrier, de Patadelphe :
< …Le virtuel est une dimension de l’existence et non une modalité de l’ être à l’instar du possible, du contingent, du nécessaire. ( voir Kant et Michel Serres ).  » Il y a  » une réalité du virtuel comme il y a une réalité du fictif, de l’imaginaire, du perçu.Tout ce qui existe étant, pour nous autres les hommes,  » de représentation ». Opposer le virtuel au réel, ou pire, le maudire et se répandre en imprécations au nom d’ une prétendue … essence ( ? ) de l’ homme désormais < aliéné >, -antique qualificatif rationaliste -, c’est mêler la morale à la ‘pataphysique,
Incantation de vieux sémiologues marxistes désenchantés mais décidément humanistes et restés pieux.>
Carnet. Pierre Klossowski nous a quittés.


Septembre 2001.
semaine du 9.9 au 16.9.
Pataphysical Wordl Center…
Au courrier, de Ragnar O ‘Pata :
< 1. Emotion mondiale… Enorme < incivilité > au retentissement planétaire :
Deux conclusions à tirer du dernier épisode de la partie d’échecs que se livrent < Croisés > de la restauration du Califat et < Croisés > de Démocratie de Marché, les apôtres visionnaires de sotériologies aussi rivales qu’ exclusives :
-Tour 1 : < Le terrorisme est la continuation de la guerre mais par d’autres moyens > Les Damnés de la terre. ( F. Fanon parachevant Clausewitz. 1965 )
-Tour 2 : < Qui méprise sa vie, maîtrise celle des autres > Sénèque et Machiavel.
Et cinq conseils de lecture… pentagonale : Samarcande, d’ Amin Maalouf. Alamout, de Victor Bardol. Le Grand Maître des Assassins, de G. Bouthoul ( 1936 ). Cahier 13 et Cahier 14 du Collège de ‘pataphysique. V. Plomb et J. Brunet.
… Ou le récit de l’ épopée de l’ ismaëlien Hassan Sabbah ; lequel, au 11° et 12 ° siècles, parvint par la stratégie sacrificielle et suicidaire des < stylets vivants > à déstabiliser complètement l’Impérium de l’ époque, la Dynastie des Turcs Seldjoucides.
Rien là donc de bien nouveau sous le soleil des… < Grands Satans >.

  1. Et quelques thèmes clichés, logorrhée interprétative de l’ Evénement :
    Lutte du < Bien contre le Mal >… de la < Civilisation contre la Barbarie >… < Choc des civilisations >… Opposition des < frustrés de Démocratie, de PIB, de Performance technique > et des < Décadents Occidentaux > ; de < la Race élue des fils d’Ismaël > et de < l’ évangile de la Liberté des Enfants et Cousins d’Israël > ; mépris des < Exploités du Sud > pour les < Exploiteurs du Nord > etc. …
    On voit que nous évoluons dans la nuance…
  2. Il se peut que ces commentaires, notamment ceux qui émanent de quelques Occidentaux, participent d’une illusion. Et qui n’est pas récente.
    Celle de la confusion du < global > et du < mondial >. De ce que les standards de vie et de pensée tendent effectivement à homogénéiser la planète, s’en suivrait la nécessité d’un < Ordre global politique > légiférant, administrant, contrôlant l’ ensemble du genre humain.
    En l’occurrence le nouvel ordre totalitaire démo-libéral du Marché… présenté le plus fréquemment par ses zélotes comme l'< agencement naturel > des choses.
    Mais coïncidant de fait et comme par hasard… avec celui de l’ Empire.
    Il réaliserait l’utopie, la < fin de l’Histoire >…
    C’est là sans doute une erreur de perspective. S’ il y a bien < mondialisation >, elle se développe dans le contexte de la dispersion, de la contradiction et de la contingence.
    Les réseaux font rhizome comme le notait Deleuze il y a 20 ans.
    La < globalisation > -quelles que soient ses modalités- n’ est qu’un rêve de théologien de la chose politique.
    Et la nécessité n’est qu’ une catégorie logique. Il n’y a jamais de nécessité politique. Il n’y a que des rapports de forces en constante évolution. L’ avenir n’est écrit nulle part ; le futur est imprévisible, < contingent >, à reprendre la terminologie de l’Ecole.
    Quant à l’Etat… Providence, l’ < Etat Universel > absorbant, nouveau Léviathan, rivaux, alliés, peuples et nations, ce n’est qu’ une chimère d’ intellectuels totalitaires, fussent-ils d’obédience « libérale ».
  3. Enfin, dernier aspect de cette tragédie, plus cocasse celui-ci : le scénario de l’arroseur arrosé ou du poseur de mines sautant sur ses propres pièges…
    Les alliés d’hier, les rapports de forces et les relations internationales s’étant retournés, sont devenus les ennemis d’aujourd’ hui et d’autant plus déterminés qu’ il leur a fallu ronger leur frein. Ce qui n’ a fait qu’entretenir ou décupler leur haine.
    Ainsi du Hamas naguère installé en Palestine par un Mossad d’ordinaire plus avisé ; ainsi des Talibans, jadis instrumentalisés par l’ Empire pour contenir l’ ex URSS en Afghanistan, balkaniser son flanc sud, faire main basse sur le pétrole, les minerais, et encadrer enfin l’espace géostratégique de l’ actuelle Russie, de la Baltique au Pakistan par le Kosovo et la Turquie.
  4. Quant à nous autres Patagons,  » dans Syracuse en flammes, Archimède trace ses sphères « … Relisons les poèmes d’Omar Khayam.>
    Sans doute… mais il va falloir apprendre à vivre parmi tous ces hystériques…
    Nous sommes dans de… < beaux draps > comme dirait Louis Ferdinand…
    Bardamu à Manhattan.
    Réminiscences des années folles…
    < C’était le quartier précieux, qu’on m’a expliqué plus tard, le quartier pour l’or : Manhattan. On n’y entre qu’à pied, comme à l’église. c’est le beau coeur en banque du monde d’aujourd’hui. Il y en a pourtant qui crachent par terre en passant. Faut être osé. C’est un quartier qu’en est rempli d’or, un vrai miracle, et même qu’on peut l’entendre le miracle à travers les portes avec son bruit de dollars qu’on froisse, lui toujours trop léger le Dollar, un vrai Saint-Esprit plus précieux que du sang. (…) Quand les fidèles entrent dans leur banque, faut pas croire qu’ils peuvent se servir comme ça selon leur caprice. Pas du tout. Ils parlent à Dollar en lui murmurant des choses à travers un petit grillage, ils se confessent quoi. (…) Ils n’avalent pas l’Hostie. Ils se la mettent sur le coeur. Je ne pouvais pas rester longtemps à les admirer…>
    L.F.Céline. Voyage au bout de la nuit.

semaine du 17.9.2001 au 23.09.2001.
De la niaiserie et de la Vision.
Au courrier, de Jeanne de La Tysse :
< … appliquons à la Figure du Chimérique ces éclaircissements définitionnels de Littré : Niais :    1° Terme de fauconnerie. Qui n’est pas encore sorti du nid, et qui a été pris au nid, en parlant des oiseaux de vol. Un faucon niais.  2° Fig. Qui est simple et encore sans usage du monde. Un garçon niais. Une fille niaise.  3° Il se dit des manières, du ton, etc. Tournure niaise. Cette mine entre douce et niaise est passée en une autre toute contraire, et il ne m’est plus rien resté qui ne soit changé, VOIT. Lett. 42. J’ai la tête assez belle, avec beaucoup de cheveux gris, les yeux doux, mais un peu égarés, et le visage assez niais, ID. ib. 78. Elle affecte toujours un ton de voix languissant et niais, MOL. Critique, 2.  4° Qui annonce la sottise ou l’inexpérience.>
Ajoutons pour le plaisir cette Galanterie du Grand Siècle à l’ usage de quelques bien- pensantes de la Nouvelle Compagnie du Saint Sacrement :
< … elle était sotte à merveille, de mine tout à fait basse, d’ aucune sorte de mise….> ( Saint-Simon )
Au 19° on disait < bas bleu >… Voir Henry James ( Les Bostoniennes ) >.
Un bijou d’ E. Rohmer.
Au courrier de Bérenger Second :
< L’ histoire est l’art de choisir entre plusieurs mensonges >, écrivait Rousseau au Livre 4 de l’ Emile. L’ historien scrupuleux ne saurait prétendre à la vérité. Guidé certes par l’objectivité qui n’ est qu’ un idéal méthodologique, une valeur, il ne peut que  » représenter  » l’ événement, ce qui fut et… ce qui n’est plus.
D’où les polémiques incessantes qui agitent la confrérie passionnée des sectateurs de Clio.
Car les méthodes d’ investigation à prétention rationnelle sont toujours de fait subordonnées à une chimère, à une idéologie, à une marotte ou à tout le moins à un point de vue.
Banalité qu’il convient de garder en mémoire.
C’est pourquoi le romancier historique ou le mémorialiste cernent généralement avec plus de bonheur le détail, le climat d’un époque littérairement ou plastiquement restituée.
Et l’  » histoire imaginaire « , consciemment imaginaire -libérée du vain souci d’une vérité inacessible- est le plus souvent bien plus suggestive et plausible que les thèses accablantes qui écrasent sous le poids de leur érudition une matière insaisissable.
Avec son film l’ Anglaise et le Duc , le propos d’ E . Rohmer est de nous livrer la représentation d’ un témoin, une femme, une britannique introduite dans l’aristocratie et l’ oligarchie de son temps et qui assiste, stupéfaite et indignée, à une succession de méfaits et de massacres perpétrés au nom du < Bien >, du < Salut public >, de la < Nation >, et diverses autres idoles, par des intellectuels à lubies.
Apprentis sorciers vite débordés par une populace ressentimenteuse.
Et pour ce faire le metteur en scène nous présente une succession de tableaux reconstitués par Jean Baptiste Marot, paysages et lieux fréquentés par la narratrice, d’après des gravures d’époque numérisées.
Nous assistons donc -de l’intérieur- à la tragi-comédie de la Révolution française, de ces < événements qui ébranlèrent le monde >, événements éprouvés et vus par un témoin guidé par ses affections et son jugement propre.
Le résultat est là : un bijou.
Et l’ on rit enfin de la fureur des pédants, des professeurs de < vérité historique > , des inquisiteurs allant jusqu’ à accuser le metteur en scène de… < révisionnisme > ( sic), insulte particulièrement infamante dans le monde de promiscuité étouffante du conformisme intellectuel, de l’intimidation et de l’ idéologiquement < correct >.


semaine du 24.09.01 au 30.09.01.
Saint-Simon et la Spéculation…
A propos de l’affairisme boursier de nos contemporains < Traders >, < Analystes financiers >, < Golden boys > et autres spéculateurs de sainte Finance, l’idole monothéiste de notre temps, cette remarque de Saint-Simon refusant les offres de Law lors de l’ affaire du Mississipi :
< … depuis la fable du roi Midas, que je n’avais lu nulle part, et encore moins vu, que personne eût la faculté de convertir en or tout ce qu’il touchait; que je ne croyais pas aussi que cette vertu fût donnée à Law, mais que je pensais que tout son savoir était un savant jeu, un habile et nouveau tour de passe-passe, qui mettait le bien de Pierre dans la poche de Jean,et qui n’enrichissait les uns que des dépouilles des autres; que tôt ou tard cela tarirait, le jeu se verrait à découvert, qu’une infinité de gens demeureraient ruinés, que je sentais la dificulté des restitutions, et de plus à qui restituer cette sorte de gain… >
Eadem mutata resurgo…
De quelques procédés pataphysiques et des censeurs.
Au courrier, cette remarque de Patadelphe à un correspondant :
< …l’apparence conformiste de quelques articles ne doit pas tromper. Pour faire comprendre un métalangage nouveau, la prudence et l’habileté sont nécessaires… Il faut déjouer la méfiance des censeurs, les égarer sur de fausses pistes, user de subterfuges… Artifice des notes développées sous des articles irréprochables suggérant les objections aux dogmes en cours ; insinuation du doute en présence de thèses dogmatiquement assurées; exposé complaisant d’une thèse que l’on déclare réprouver ; balance du pour et du contre laissant au lecteur le soin de trancher ; ton respectueux ne trompant guère les subtils sur la valeur de l’ objection dissimulée ; et enfin la méthode des renvois ou des liens permettant de détruire ou de confirmer l’impression suggérée par un propos conformiste ou non. Autant de procédés reconnus et employés par le libre penseur. Et chez les ‘pataphysiciens un pyrrhonisme systématique mettra « en scène » le dogmatisme quel que soit le domaine considéré, scepticisme fécond qui tue l’idée même d’un progrès possible dans les matières spéculatives pour s’en divertir et qui s’en tient au pur éclectisme des extravagances recensées…>
Platonisme mathématique.
Au courrier, de Patadelphe :
< L’oeuvre du mathématicien, c’ est une oeuvre de découverte qui consiste à lever le voile sur une réalité qui préexiste >, affirme Alain Connes, Prix Ampère, Médaille Fields et lauréat du prix Crafoord…
Il  » existerait  » donc un  » monde mathématique  » dont il conviendrait de  » forcer les secrets »…
L’ objet conventionnel, effet du calcul et de l’ artifice humain est devenu  » réalité naturelle  » préxistant à l’ effort d’ invention du mathématicien…
Ontologie réaliste qui prolonge la vénérable tradition qui court de Pythagore à Cantor par Platon, saint Augustin, et Malebranche.
Langage spéculatif de l’ésotérisme, occultisme et mysticisme de la Quête : < si l’ on veut vraiment trouver quelque chose, il faut être seul.>
Bref, l’ activité mathématique envisagée à la lumière du régime d’intelligibilité propre à l’ âge métaphysique ( Voir à ce propos les analyses d’ A. Comte, de Jean Piaget et de Louis Rougier ).
 
 vers porte 71 ( journal d’un ‘pataphysicien 2 )


Pseudo-Magritte, l’actualité ventriloque