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deuxième série
De la certitude. Au pays des paradoxes.
Apparence et illusion.
A Cloyne.
Les prestiges de l’autre. Juger autrui.
Pour bien penser faut-il ne rien aimer ?
( dissertation )

DE LA CERTITUDE. Aux < Journées mondiales de la vieillesse > De l’incertitude. Le choix des sorts ou Platon détourné. Le cercle des méthodes. Nager dans l’évidence.

Aux < Journées mondiales de la… vieillesse > Conte patagon.
Un Vieillard égrotant, au visage ridé,
Soupirait.
Excédé de tant de zèle il contemplait navré,
Les vagues d’ une foule adorante et pamée.
Toute une jeunesse livrée à sa convoitise,
Dans l’Espérance et l’Oraison…
L’enthousiasme, l’inculture, la naïveté,
Au seul bénéfice de la superstition !…
Lave ruisselante qu’ il lui faudrait pourtant guider.
Car telle était la Mission.
 Trop tard cependant.

L’Ogre n’avait plus faim et le terme était proche.
A quoi bon simagrées, palabres et momeries…
Le nombre n’y ferait rien.
Il faudrait dissimuler l inavouable : il lui était impossible de croire…
Toutes ces années il s’y était efforçé.
En vain.
Des sortilèges du Malin il n’avait pu s’échapper…
L’intelligence était plus forte que le désir de foi.
 Il devrait reconduire la comédie de l’Esprit-Saint,
Sauver les apparences d’une conviction flottante,
Masquer le doute tenace et cruel qui rongeait sa chancelante confession.
Et solitaire, de l’odieuse incertitude, souffrir tous les tourments.

De l’incertitude. dialogue italien.
-comment parvenir à la certitude ? demande Pierrot à Colombine.
-en te fondant sur l’Opinion, répond la jeune fille.
-l’universel consentement ? le consensus ? Voyons ce n’ est pas sérieux… en quoi le nombre ou une majorité constituent-t-ils une garantie, un critère de vérité ?
-que proposes-tu alors ?
-l’Autorité… hasarde l’adolescent.
-la sagesse de l’ âge !… Tradition et antique radotage !… pense donc à ce que tu dis !
-la Révélation ?
-mais tu n’es pas mystique…
-peut-être que la Preuve… arithmétique te donnerait toute satisfaction, intervient goguenard Arlequin.
Et il ajoute: -compter, voilà la Voie ! Tu veux tenir la Certitude ? Deux et trois font cinq !… Calcule et tu seras apaisé…
Tu posséderas la… Vérité ! >

Le choix des sorts ou Platon détourné. ( République, 10, 618a )
conte des temps anciens.
Quand Er le Pamphylien, au Grand Jugement, eut assisté à la récompense et à la punition des âmes, après que les Filles de Nécessité, les Moires, eurent accompli leur ouvrage, un hiérophante rangea en ordre les prétendants à l’ existence. < Puis, prenant sur les genoux de Lachésis des lots et des modèles de vie, il monta sur une estrade élevée et cria : … vous allez commencer une nouvelle carrière et renaître à la condition mortelle… c’est vous qui allez choisir votre génie… chacun est responsable de son choix; la divinité est hors de cause. Le même hiérophante étala sur terre devant eux les modèles de destinées… Il y en avait de toutes sortes…> Des vies de visionnaires errants, de vagabonds anonymes, pauvres délirants voués à l’ infamie et à l’ insulte publique; on y trouvait des carrières choisies de chemineaux lettrés ; il y avait des vies de pèlerins ascétiques et exaltés, hallucinés qui criaient leur faim de sens ; on y trouvait aussi des existences de touristes hagards qui encombraient le sol parmi les sorts d’autres gens du voyage réunis en intellectuelles tribus par les idées intoxiquées…
L’âme d’ Er, à qui le hasard avait assigné le dernier rang, s’avança pour choisir ; mais soulagée de l’ambition du sens et de la vérité par le souvenir de ses épreuves passées, déniaisée, elle alla cherchant longtemps la vie d’un particulier étranger aux affaires de la pensée.
… < Elle eut quelque difficulté à en trouver une, qui gisait dans un coin, dédaignée par les autres… elle s’empressa de la prendre >
Et c’est ainsi qu’ Er le Pamphylien devint… Er le ‘Pataphysicien.

Le cercle des méthodes. Conte patagon.
Un patagon eut un rêve. Il était transporté au Royaume de Méthode.
Convictionnaire, inquiet, nouveau Parsifal au pays de Klingsor, il poursuivait la chimère du chemin de Sagesse.
Le Magicien sourit lorsqu’il lui présenta ses drogues… Dialectique, Diaporématique, Exhortation parénétique, Confession, Question disputée, Méditation, Essai, Enquête, Critique, Analyse réflexive, Généalogie, Phénoménologie… les Filles Fleurs de la Pensée se présentèrent dévoilant leurs charmes et leurs prestiges.
Séduit, en leur compagnie il dansa la ronde des Grâces philosophiques.
Cependant que l’ivresse le gagnait bientôt et que la tête lui tournait.
Pris de vertige il s’ effondra.
-Pauvre sot, murmura alors Kundry écartant le filtre des lèvres de l’innocent… Qu’espérais-tu donc ?
Mais au réveil, détrompé, il s’était fait roi.

Nager dans les évidences.
Un pataniais était en quête de Certitude. Il s’engagea sur la route du pays des Critères.
Il rencontra Cohérence et Correction, il y croisa Preuve, Rigueur et Précision. Mais ces Signes ne suffisaient pourtant point à le satisfaire.
Un matin, telle une ondine surgit des Profondeurs, Evidence se présenta à lui…
La fée lui fit signe de la rejoindre.
Subjugué par la sublime Apparition, à sa suite il se précipita dans des eaux lumineuses et chatoyantes.
Mais sa nage ne le put longtemps soutenir.
Il s’ y noya.

AU PAYS DES PARADOXES : une visite chez Paul Valéry. vertu du paradoxe. la mécanique paradoxale. l’illusion subie et l’illusion provoquée. Epiménide le’Pataphysicien. de l’Oupapo.

Une visite chez Paul Valéry.
Il se raconte au Collège de Patagonie que Dämon Sir le Jeune fut jadis reçu par l’auteur de l’Eupalinos. Et qu’après les échanges de courtoisie d’usage, la conversation roula sur les paradoxes et autres intellectuels divertissements.
-< un homme sérieux n’a pas d’esprit, un homme d’ esprit n’est jamais sérieux >, lança matois le Poète.
-< sans aucun doute cher Maître ; mais pourquoi diable, faudrait-il < avoir de l’ esprit > ? répondit le visiteur.
Ne serait-ce pas là le comble du sérieux ? >

Vertu du paradoxe. dialogue italien.
-qu’est-ce qu’un paradoxe ? demande Pierrot à Colombine.
-une assertion qui surprend l’attente parce qu’elle heurte volontairement la pensée commune ou la vraisemblance, répond la jeune fille. Mais je n’en vois pas vraiment l’intérêt, poursuit-elle.
Je connais d’ ailleurs un homme à paradoxes, comme on dit. C’est un être vraiment singulier qui passe son temps à faire le diable et à tout compliquer, sans doute par vanité… pour se rendre intéressant.
Alors que les choses pourraient être si simples…
-c’est que tu nageras dans les évidences, arachnéenne Ondine, l’interrompt Arlequin.
-ce serait donc cela la fonction du paradoxe, intervient Pierrot, casser les évidences ?
-tu lui accordes trop ou trop peu, nuance énigmatique le Comédien.

La mécanique paradoxale.
(Suite)
-jai noté quelques paradoxes sur un calepin. Pourriez-vous en deviner les auteurs ? demande Pierrot.
-va pour ton jeu ! aquiesse Arlequin.
-< il faut commander à la nature en lui obéissant >
-sagesse des nations ; un paradoxe philosophique passé en adage … Francis Bacon !
-juste… < Il n’ y a pas de phénomènes moraux. Il n’y a qu’une interprétation morale des phénomènes >
-Nietzsche, répond le comédien. C’est vraiment trop facile ! A moi de te poser une colle.
< Il n’est pas de phénomènes juridiques ; il n’y a qu’une interprétation juridique des phénomènes. >
-il est symétrique du précédent, remarque Pierrot, mais je ne vois pas…
-et pour cause ; je viens de l’inventer ! par transposition…
Tiens en voilà un autre qui passe … profitons en ; prenons le dans notre filet :
< Si la paresse est la mère de tous les vices, le travail est-il le père de toutes les vertus ? >
-celui ci me plaît bien, sourit Pierrot.
-je crois que j’ai compris, hasarde Colombine. Pour créer un paradoxe il suffit de renverser un adage !
-par exemple… oui. Mais il s’agit là de paradoxes sémantiques.
-c’est une activité bien puérile ! s’ exclame réticente la Ballerine.
-belle enfant, c’est que peut-être nous n’aurons que le choix du jeu ou de la sottise …

L’illusion provoquée et l’illusion subie.
(Suite)
-toute les illusions paradoxales sont-elles provoquées par l’esprit malin ? demande Colombine.
-non, répond Arlequin. La plupart des énoncés impossibles ne sont en fait que des effets de confusion, des contradictions involontaires.
Il s’agit de simples exclusions logiques inaperçues.
Certains sont illustres.
-peux-tu donner un exemple ? demande Colombine.
-le paradoxe de Grelling. Un mot est dit autologique s’il possède la propriété désigné par ce mot ; il est dit hétérologique, dans le cas contraire. Ainsi le mot < polysyllabique> est autologique car il est composé de plusieurs syllabes ; le mot < monosyllabique > est hétérologique, car il n’est pas composé d’ une seule syllabe.
-je crois comprendre, reprend Colombine. Le mot < hétérologique > sera soit hétérologique soit autologique. S’il est hétérologique, il s’applique à lui même, il est donc autologique. S’il est autologique, il n’est pas hétérologique.
-tel est en effet le paradoxe, aquiesse Arlequin.
-et quelle est la solution ? demande Pierrot.
-< autologique > et < hétérologique > sont des propriétés qui ne s’appliquent qu’à des objets, mais elles ne peuvent pas s’appliquer à elles-mêmes.
C’est Russell qui le premier l’a montré avec sa théorie des types logiques.

Epiménide le ‘Pataphysicien. (Suite)
-explique-toi, demande Pierrot.
-la théorie des types s’applique notamment mais pas seulement aux énoncés. Ainsi distingue-t-on un énoncé simple -qualifié de < type 0 > qui affirme un fait ; un énoncé sur un énoncé -celui-ci est qualifié de < type 1 > ; un énoncé sur l’énoncé d’un énoncé – celui-là est qualifié de < type 2 >
-soit, mais…
-tu vas comprendre…Prenons un exemple.
Les énoncés : < les ‘Pataphysiciens sont menteurs >, < Epiménide est ‘Pataphysicien >, sont du type 0 ; l’énoncé : < Le ‘Pataphysicien Epiménide affirme que tous les ‘Pataphysiciens sont menteurs > est du type 1; l’énoncé du type : < Je pense me souvenir que le ‘Pataphysicien Epiménide affirme que tous ses confrères sont menteurs > est du type 2.
On en déduit la règle suivante : un énoncé ne peut impliquer qu’un énoncé du même type.
De ce qu’Epiménide est ‘Pataphysicien, on ne peut inférer que son affirmation est fausse comme dans le paradoxe : < Si le ‘pataphysicien Epiménide dit vrai lorsqu’il affirme que tous les ‘Pataphysiciens sont menteurs, il s’ensuit qu’il est lui même menteur. Mais s’il est lui même menteur, il ment lorsqu’il prétend que tous les ‘Pataphysiciens sont menteurs. Il en résulte qu’il est faux d’ affirmer que tous les ‘Pataphysiciens sont menteurs>
-j’ai compris, dit Colombine, ce serait inférer d’un énoncé du type 0, un énoncé de type 1.

En effet, poursuit Arlequin, de ce qu’Epiménide est un ‘Pataphysicien, on peut conclure que, lorsque Epiménide affirme des faits, il est menteur ; mais on ne peut rien conclure, lorsqu’il affirme des affirmations se rapportant à des faits.
Si je dit : < Ubudore croit que Patadelphe est en Patagonie >, la croyance d’ Ubudore, et par suite, sa sincérité est absolument indépendante du fait que Patadelphe est actuellement ou non en Patagonie.

De l’Oupapo. (suite)
-ainsi toutes ces fameuses propositions ne seraient que des effets d’illusion subie et non provoquées, constate Pierrot. De simples erreurs de jugement, comme il existe des illusions ou des paradoxes visuels.
les paradoxes sont en effet des propositions impossibles dues à la transgression involontaire du respect de la règle des types logiques, reprend Arlequin.
On ne peut pas appliquer une propriété à elle même; ainsi la lenteur n’est pas… lente.
Pour penser la vérité d’un énoncé, il faut se situer à l’extérieur de cet énoncé. Le vrai est toujours de métalangage.
Langage second sur un langage premier.
Ainsi < cette phrase est fausse > et < je suis un menteur >, sont deux énoncés indécidables ; on ne peut dégager leur valeur de vérité, sauf à les considérer comme des compléments de propositions qui ne peuvent être signifiantes simultanément.
Ce sont des propositions en auto-référence, des boucles étranges et qui renvoient à elles-mêmes.
Tout langage est donc incomplet en ce qu’il exige un autre langage d’un ordre supérieur pour rendre compte de sa cohérence logique. Ce que Gödel a démontré en 1931.
Et de surcroît, s’il existe bien une description logique du monde, le monde lui même -en tant que tel-, échappe à toute logique. L’intelligibilité se dit non pas des choses mais des énoncés sur les choses.
-je comprends, intervient Colombine. Confondre le logique et l’ontologique serait l’illusion par excellence…
Cependant les paradoxes sont parfois des jeux sémantiques à destination pédagogique. Ainsi le paradoxe de Bacon cité plus haut.
-certainement vertueuse enfant. Mais il en est d’autres dont la destination est purement ludique.
-c’est-à-dire ?
-ainsi il existe un Ouvroir de paradoxes potentiels -l’Oupapo, particulièrement apprécié de certains membres du Collège de Patagonie. On s’y divertit à créer toutes sortes de paradoxes visuels, plastiques, logiques, scientifiques et autres…
-Ce sera là l’oeuvre et la perversion de l’esprit malin, objecte scandalisée Colombine.
Quelle étrange manie que cette volonté d’égarer !
-rationaliste jouvencelle… conclut Arlequin, crois-tu sérieusement au pouvoir salvateur de la logique ? Prétends-tu sauver les hommes de leurs passions par l’enseignement de la syntaxe et de la mathématique ?
-c’est pourtant là le programme des rationalistes…

En effet ; et depuis Platon. On voit le résultat… Elaborer des paradoxes, n’est-ce pas tout simplement prendre modèle et enchérir sur l’ambiguïté des langues naturelles ?
 ( 30.09.2000

APPARENCE ET ILLUSION. Y-a-t-il une vérité des apparences ? Dissiper une illusion est-ce seulement corriger une erreur ? Lorsque la vérité dérange faut-il lui préférer l’illusion qui réconforte ? Peut-on vivre sans illusion ? Le paradoxe du comédien. Quand l’ être c’est le voir … A Cloyne chez l’évêque Berkeley.
< Et l’apparence pure est l’extrême réalité >Jean Hughes Sainmont ( Cahiers C.P. 5/6 )

Y-a-t-il une vérité des apparences ? Dialogue italien.
-comment éviter le piège des apparences trompeuses ? demande Pierrot.
-comment une apparence pourrait-elle jamais être trompeuse ? répond Arlequin.
SCOLIE. La vérité est un terme de logique. L’apparence est un terme qui ressortit à la métaphysique.
L’apparence est ce qui est donné des choses au sujet dans sa représentation.
Il n’y a de vérité ou de fausseté qu’à propos de l’apparence, celle-ci ou celle-là.
La chose est. Indépendamment du sujet susceptible d’en prendre ou non connaissance. Quand celui-ci s’en donne une représentation il la métamorphose en phénomène représenté ; image perceptive, poétique ou scientifique ; ou encore hallucinée.
Donnée immédiate de la représentation, l’apparence n’est donc ni vrai ni fausse. Elle est ce qu’elle est, une irréductible relation de la chose au sujet de la représentation.
En conséquence, elle ne peut être qualifiée de trompeuse. C’est toujours le sujet qui en juge bien ou mal. Faute de se décentrer de son expérience actuelle, il ne saurait s’en faire -à parler comme Spinoza-, une idée adéquate.
Si ce projet n’est pas vain.
Les apparences ne nous trompant pas, il n’y a donc pas davantage de vérité des apparences.
Mais éventuellement une vérité de nos propositions sur les apparences.
Tandis qu’ il y a bien une réalité des apparences. Elles constituent d’ailleurs la seule réalité tangible qui nous soit donnée.

Dissiper une illusion est-ce seulement corriger une erreur ? Dialogue italien.
-pouvons-nous écarter le voile de Maya ? questionne Colombine.
-certainement, répond Arlequin. Mais alors, à tes risques et périls.
SCOLIE. L’erreur est un terme qui désigne l’état d’esprit de quiconque tient pour vrai ce qui est faux.
C’est une affirmation donnée pour vraie alors qu’elle n’est pas conforme aux normes logiques de la vérité -soit par le caractère non univoque des termes dans le raisonnement, soit par l’incompatibilité des propositions entre elles, paralogisme-, ou qu’elle ne correspond pas à la réalité représentée.
< Une erreur est un jugement objectivement faux par lequel nous affirmons que quelque chose existe avec telle nature déterminée, alors que l’objet n’existe pas ou ne possède pas cette nature. Il n’y a véritablement errreur que dans la connaissance abstraite proprement dite. L’erreur ne vient que du raisonnement. Le propre de l’erreur est de pouvoir être réfutée par l’expérience et le raisonnement. Les illusions des sens ne peuvent pas être réfutées ainsi ; ce sont seulement des manières de percevoir qui ne sont pas normales > Jules Lagneau, Célèbres leçons
L’erreur a pour origine soit un défaut d’attention ou de mémoire dans la chaîne des démonstrations et raisonnements, soit l’incompréhension d’ une méthode mal maîtrisée, soit l’indétermination d’ un problème mal posé.
Une fois démasquée et corrigée, l’erreur disparaît.

L’ illusion désigne, quant à elle, l’apparence sensible à propos de laquelle nous commettons une erreur d’appréciation qui, une fois rectifiée, ne la fait pas pour autant disparaître. C’est une fausse présentation provenant non des données mêmes de la sensation, mais de la manière dont s’est faite l’interprètation perceptive de celle-ci.
< La connaissance par les sens est l’occasion d’erreurs sur la distance, sur la grandeur, sur la forme des objets. Souvent notre jugement est explicite et nous le redressons d’après l’expérience ; notre entendement est alors bien éveillé. Les illusions diffèrent des erreurs en ce que le jugement y est implicite, au point que c’est l’apparence même des choses qui nous semble changée. Par exemple, si nous voyons quelque panorama habilement peint, nous croyons saisir comme des objets la distance et la profondeur ; la toile se creuse devant nos regards. Aussi voulons-nous toujours expliquer les illusions par quelque infirmité de nos sens, notre oeil étant ainsi fait ou notre oreille. C’est faire un grand pas dans la connaissance philosophique que d’apercevoir dans presque toutes, et de deviner dans les autres, une opération d’entendement et enfin un jugement qui prend pour nous forme d’objet > Alain, Eléments de philosophie
Exemples classiques : percevoir comme brisé un bâton à demi plongé dans l’eau ; prendre un insecte qui vole près de l’oeil pour un oiseau éloigné…

Exemples classiques : percevoir comme brisé un bâton à demi plongé dans l’eau ; prendre un insecte qui vole près de l’oeil pour un oiseau éloigné…
Ainsi je ne cesse d’accréditer l’illusion du repos absolu après que j’ai néanmoins compris la relativité de tous les mouvements. Mon corps continue à me paraître au repos parce que je demeure immobile, alors que je le sais être en mouvement en regard de l’axe imaginaire de la rotation terrestre, de la trajectoire de cette planète autour du soleil et de la course du système solaire autour du centre de la galaxie.
De la même manière, un certain nombre d’objets astronomiques, étoiles de plus ou moins grande magnitude, nébuleuses… semblent constituer une constellation, par exemple la constellation d’Orion, alors que je sais que cette apparence n’existe que relativement à ma situation relative dans l’ espace-temps, à tel référentiel déterminé, par exemple le système solaire et sa place dans la galaxie.
< Les astronomes (…), après avoir été convaincus par de puissantes raisons que le soleil est plusieurs fois plus grand que toute la terre, ne sauraient pourtant s’ empêcher de juger qu’il est plus petit lorsqu’ils viennent à le regarder >, notait en ce sens Spinoza.
L’explication qui dénonce l’ illusion ne la dissipe donc pas.
C’est en cela que cette dernière suscite en nous le mirage de sa tromperie.
Tel est le propre de l’illusion représentative ou « illusion des sens ».
La réflexion philosophique s’est attachée à dévoiler la « racine indestructible » de l’illusion.
-Spinoza ( Ethique ) relevait l’illusion de la finalité comme la source de toutes les autres.
-Bergson ( Les deux sources de la morale et de la religion ) évoquait les illusions vitales et notamment la < fonction fabulatrice > avec la religion primitive assurant la cohésion sociale en faisant contrepoids à l’intelligence dissolvante.
-Quant à l’illusion transcendantale analysée par E. Kant ( Critique de la raison pure, Dialectique transcendantale ) elle consiste en un usage spéculatif llégitime de la raison qui se propose de connaître les choses en soi.

Lorsque la vérité dérange, faut-il lui préférer l’illusion qui réconforte ?
patafable.
Un déçu de Vérité cherchait à fuir Réalité.
Dans le giron d’Illusion
Il crut trouver Consolation.
Celle-ci, après l’ avoir ainsi séduit…
Derechef, elle le dupa.
SCOLIE.
Stratégie existentielle, mécanisme de défense du moi, occultation du réel par substitution d’une interprétation aberrante à la perception objective du monde, tel est le deuxième type d’illusion, celle dont la fonction est d’assurer l’équilibre psychologique et affectif du sujet.
Effet du désir et de l’espoir, – espoire ( sic) -, conscience hallucinée qui peut aller à la psychose, acte d’adhésion sans critique, assentiment donné sans justification rationnelle, mode d’attachement affectif à un fantasme, sont les marques de cette stratégie d’évitement dont le rôle est de dissiper l’angoisse par une volontaire cécité.
Au motif d’ un réel ressenti comme déplaisant.
Et rien de plus banal que cette recherche d’un réconfort par l’utopie, la chimère et le mirage.
Quand le sujet, inspiré ou qui se croit tel, accrédite la réalité et la vérité de ses propres mirages, il s’agit des visions de la foi…
Quand il s’agit d’ un philosophe ou d’un esprit spéculatif, on parlera avec Emmanuel Kant d’ < apparence transcendantale >
Ainsi les dialectiques illusions du Moi, du Monde, de Dieu.

peut-on vivre sans illusions ? Dialogue italien. Dissertation.
Colombine : – l’illusion… comment vivre avec ?
Arlequin : -< dans, par, contre… avec >, c’est là le cercle de nos relations avec la belle…
Colombine : -et ne peut-on s’ en dégager ?
Arlequin : -s’en dégager ? qu’ est-ce faire d’autre que prétendre arpenter le vide.
SCOLIE.
L’illusion est ordinairement présentée comme apparence trompeuse et passe pour dangereuse par ses effets.
En conséquence elle contredirait le principe d’une existence harmonieuse et équilibrée. Or il est demandé si l’illusion est nécessaire à la vie. Le problème est donc celui de sa fonction et de sa valeur.

  1. Vivre dans l’ illusion.
    C’est le moment de la naïveté, de l’ immédiateté, de la spontanéité précritique ; le temps de l innocence.
    L’illusion apparaît alors constitutive de la représentation. Elle caractérise un certain type de conscience, un style de vie dont la phénoménologie a été brossée par de nombreux auteurs.
    Platon dans son Allégorie au Livre 7 de la République ; Descartes selon l’ ordre des raisons de la première Méditation ; Malebranche dans le corps de la Recherche de la Vérité ; Hegel enfin par sa description de la conscience sensible au sein de la Phénoménologie de l’esprit.
    Vivre dans l illusion définit un certain type existentiel, celui de la dupe.
    Trois puissances trompeuses y conjuguent leurs effets : les choses, autrui, moi même.
    A l’ambiguïté provoquée des pseudo-illusions des sens, s’ajoute la stratégie du rival qui nous leurre et la chape des symbolismes et autres codes culturels dont nous ne laissons pas d’être imprégnés. Quant à l’affectivité -moment du dynamisme vital créateur de fictions utiles, de mythes et de croyances au service de la puissance-, maîtresse d’ erreur et de fausseté elle ne cesse de générer songes chimères et utopies.
    Vivre dans l’ illusion, c’est donc céder à ces données immédiates de l’ existence.
  2. Vivre contre l’illusion
    Voici maintenant le sérieux de la noble Raison. Théorique et morale.
    Selon les deux versants du rationnel – le scientifique- et du raisonnable :
    attitude du Libre Penseur, du Philosophe des Lumières, de la Critique et de la Démystification militante à vocation pédagogique, du socratisme…
    Pose du « demi-habile » selon Pascal.
  3. Vivre par l’illusion enfin et la relative maîtrise des prestiges, des faits de langage.
    C’est le moment ludique.
    Poète du sempiternel « dimanche de la vie » , astucieux ingénieur d’artifices tout autant qu’effectif montreur de marionnettes, le ‘pataphysicien élabore en pleine connaissance de cause la fable des fables qu’il juxtapose aux objets candides de l’utilité sociale, ces oeuvres aux prétentions diversement édifiantes.
    Ainsi laissera t-il par devers lui quelques traces aussi vite effacées qu’elles auront plus légèrement zébré la neige des apparences.
    A moins que discrètement il n’en fasse un holocauste à la pureté du néant.

le paradoxe du comédien. dialogue italien.
-quand le comédien est-il véritablement lui même? demande Colombine.
-dans la succession des apparences qu’il donne à voir et des personnages qu’ il interprète quand il les interprète, propose Pierrot.
-ne serait-ce pas plutôt par la maîtrise consciente de son existence ?
-pourquoi privilégier cette dernière ? intervient Arlequin. Dans le premier cas il joue un rôle et il le sait. Il simule la fiction de ce qu’il n’ est pas. Dans le second cas il est le personnage… en quête de l’auteur qu’il n’est pas encore.
-pas encore ?
-il écrit son rôle et sa vie, au fur et à mesure qu’ il les crée. Et il ne sera jamais tout à fait ce qu’ il s’accorde à être. Ne serait-ce que parce qu’il sera toujours mentalement en retard sur ce qu’ il devient.
-on ne pourrait donc sortir des apparences ? reprend Pierrot.
-… de soi ? Des rôles que l’on joue ou que l’on crée naïvement ou en toute connaissance de cause ?
Il semble que non.
-du comédien il n’y aurait donc pas d’essence, comme disent les philosophes ; il n’ y aurait que la série des apparences qu’il se donne ? reprend Colombine.
-ce qui vaut pour quiconque, poursuit Arlequin.
Pas d arrière-monde, en effet ; rien que des apparences et… des manifestations.
Et nullement trompeuses, note le bien.
-ainsi tout se résoudrait donc au jeu ?… lache incrédule Pierrot.

A Cloyne chez l’évêque irlandais : de quoi l’ apparence est-elle l’ apparence ?
Ballade irlandaise.
< Dieu rêvait, le monde était son rêve et nous autres passants nous rêvions le monde dans le rêve de Dieu qui rêvait notre rêve… >
La Sibylle ‘pataphysique, Eclats
*** 
 Tout se réduit aux états de conscience.
Car je ne peux me représenter dans mes pensées une chose sensible ou un objet à part de la sensation que j’en ai. L’objet et la sensation sont identiques. Il est la sensation même. On ne saurait les abstraire l’un de l’autre.
L’abstraction et son support le concept ne sont qu’illusions à être considérés autrement que comme signes, par exemple comme des intelligibles.
Le clavecin qui accueille mes doigtés n’est pas une chose matérielle qui existe réellement comme telle en dehors de mes sensations. Il n’est que la somme de mes représentations mentales, un être mental, un ensemble bien lié d’idées.
Forme, couleurs, contacts sont sensations et la matière est coextensive à notre représentation.
Quant à la distance et à la grandeur elles ne peuvent être perçues. Elles sont de jugement.
Il n’y a donc pas d’ au-delà de nos pensées ; il n’ y a pas de chose en soi, pas d’ arrière-monde et l’apparence est la seule et vraie réalité car toute l’effectivité des choses est d’ être perçues.
Aussi n’y a-t-il que des idées et des esprits.
Cependant le monde extérieur existe bel et bien et le sceptique doit ravaler son athéisme et ses prétentions. Car les choses, c’est-à-dire les idées ou les images perçues, présentent selon notre expérience habituelle un ordre et une stabilité dont l’imagination à elle seule ne saurait rendre compte.
Elles peuvent donc être connues. Et si mes perceptions s’accordent enfin avec celles d’autrui, il faut bien qu’une Providence impose un ordre extérieur tout spirituel, un discours que Dieu tient aux hommes et pour lequel ils lui doivent louanges et remerciements.
Et nous passons dans le rêve ordonné de ce Dieu… >
*
Tels furent jadis les très mélodieux accents de l’irlandaise ballade de l’évêque Berkeley.

LES PRESTIGES DE L’AUTRE. Peut-on connaître autrui? La place d’autrui. Comment savoir qu’ un autre être est conscient ? Qui est l’autre ? Qui suis-je? Un homme peut-il en juger un autre ? La faim dans le monde ou la résolution du problème d’autrui. Autrui est-il un autre moi-même ? Suis-je prisonnier du jugement qu’autrui a de moi-même ? Qu’est-ce qu’un homme seul ? L’enfer, c’est les autres…

Peut-on connaître autrui ? conte patagon.
Un homme conçut le projet de se mettre à la place d’autrui afin de le mieux connaître.
Il voulait savoir comment l’autre voit, entendre comme il entend, sentir comme il sent, imaginer comme il imagine, se souvenir comme il se souvient…
Mais comment faire ?
Il imagina de convoquer Sympathie.
Mais il fut vite détrompé. L’affinité et l’aversion étaient certes des données immédiates de la conscience, mais ces intuitions -aussi pénétrantes fussent-elles-, n’étaient pas infaillibles, très liées à une atmosphère particulière, subjectives et trop naïvement confiantes en la bonne foi de personnages assez souvent dissimulés.
Il leur fallait l’appoint d’Intelligence et de Jugement.
Perplexe, il se tourna alors vers Analogie.
Cependant l’intellectuelle représentation ne tarda pas à le décevoir.
« Manteaux et chapeaux » montés sur de petits ressorts, ainsi lui apparaissait de l’extérieur ce qu’il avait métamorphosé en corrélats des cartésiennes idées de son trop ambitieux entendement.
Obstiné, il se dirigea vers Justice et s’en alla fréquenter de Thémis les prétoires.
Il y entendit les réquisitions des Procureurs, les jugements des Magistrats, les conclusions des Experts, les plaidoiries des Avocats. Mais les audiences n’ étaient que tissus d’incertitudes et les méthodes de ces prétentieux oracles aux interminables disputes ne le convainquirent pas.
De plus en plus dubitatif, il invoqua le secours de Science qui lui proposa ses prestigieux concepts. Il visita les Psychologues, les Analystes, les Sociologues, les Conseillers et les Consultants.
Cependant que l’ < Autre >, ce fuyant objet de leurs études, tel un mirage évanescent ne cessait d’échapper à leurs trop vastes généralités.
Plein de méfiance, il interrogea Philosophie.
Ses sectateurs le renvoyèrent au principe d’individuation. < Les positivistes se leurrent, affirmèrent-ils. Tu es Monade ; tout ce qui n’est pas Un être n’ est pas un Être… seul existe l’ individu -qui n’est d’ailleurs qu’effet d’interactions d’interactions… Et le singulier ne peut-être saisi dans le filet des concepts. Autrui n’ échappe pas à la règle >
Accablé, il allait céder au découragement quand le hasard le mit en présence d’ un patagon à qui il réitéra sa question.
L’agnostique sourit.
< Ce n’est effectivement là que l’exemple d’ une banalité bien connue, lui dit-il. A jamais inaccessible, l’ < autre > n’ est qu’ un mythe, un pur fait de langage… l’objet de tous les commérages, ce dont on parle.
Un mirage à la manière de tout ce qui est.
Ni plus ni moins.
Tu es mirage, l’autre est mirage ; jamais tu ne quitteras le séjour des mirages.
Et sur ces tangibles apparences tu bâtiras le système de tes relations, c’est-à-dire de tes illusions.
Comment pourrais-tu t’évader de tes symboliques représentations ? >

La place d’autrui. dialogue italien.
-peut-on se mettre à la place d’ autrui ? questionne Pierrot.
-tu demandes s’il est possible de le connaître ? demande Colombine.
-non pas ! j’ai compris qu’ il s’agissait là d’un projet vain.
-alors ta question n’a pas de sens…
-si fait! intervient malicieux Arlequin. S’il n’ est pas possible de le connaître, rien n’ est cependant plus facile que de… prendre sa place.
-je ne comprends pas…
-allons… un peu d’ imagination… pense à l’usurpateur et pense à l’imposture… ne sont-ce point là les clefs d’une lecture intelligente et objective de l’Histoire et de son fondement ?
le sujet qui manque à la place… murmure alors, toute pensive, Colombine.

Comment savoir qu’ un autre être est conscient ? dialogue bergsonien.
-comment savoir qu’un autre être est conscient ? demande Pierrot.
-il nous faudrait pénétrer en lui, répond Colombine.
-métaphore audacieuse, ironise Arlequin. Comment pourrions-nous coïncider avec autrui.
Nous ne pouvons juger de ce qu’il fait que par ses attitudes et sa conduite, les signes extérieurs de ses intentions.
-il est vrai, poursuit Pierrot. Ainsi moi je pourrais n’être qu’ un automate ingénieusement construit par la nature, allant, venant, discourant et simulant le choix ; les paroles par lesquelles je m’affirme conscient pourraient être prononcées inconsciemment…
-c’est la conjecture de l’ auteur de l’Energie spirituelle, précise Arlequin.

-il faudra donc se résoudre à la probabilité, concède Colombine. Il y a entre nous une ressemblance extérieure évidente, et nous concluons de cette ressemblance extérieure à une similitude interne.
-mais dans ce cas, poursuit Pierrot, que faire d’autre sinon interpréter les signes et juger des attitudes et des intentions d’après les apparences ?
Alors Arlequin : < sans doute… méfie toi malgré tout d’Herméneutique… Quelle maîtresse pourrait être plus trompeuse ? >

Qui est l’autre ? dialogue italien.
-qui est donc autrui? demande ingénument Pierrot.
-mon Semblable, répond Colombine.
-quelle grandiloquence ! s’exclame Arlequin. L’autre n’est-il pas plus exactement mon… possible ?

Qui suis-je ? conte patagon.
A l’automne de sa vie, un homme s’interrogeait sur lui-même.
Il n’était que contradictions… aucune unité de l’être comme de son être n’apparaissait dans la succession des événements qui avaient marqué son existence… Il chavirait sous les circonstances qui l’avaient poussé… tout n’était que désordre et confusion.
Qu’il subissait…
Et revenait la lancinante question de son identité… -quel est cet étranger, cet autre que je suis?..
Il décida de tenir un journal pour en lui mettre un peu d’ordre.
Mais il ne fit qu’ajouter à cet énigmatique chaos…

Un homme peut-il en juger un autre ? dialogue.
( A l’Ecole poldave de Magistrature )
Arlequin : -qui t’a fait juge ?
Magistratus : -quelle question !… la Société, mon ami ! Je représente ses intérêts et je défends la paix civile. Je définis le préjudice, je restitue à celui à qui on a fait tort et je punis celui qui transgresse la Loi.
Arlequin : -j’entends bien. Mais comment juges-tu ? et surtout… < qui > juges-tu?
Magistratus : -je ne saisis pas ta question…
Arlequin : -juger, ce n’est pas seulement rendre un jugement, exprimer une sentence d’après l’écart du singulier et de l’universel, de l’acte et de la règle, selon l’équité, au dire du Philosophe… C’est, plus profondément, poser un rapport à prétention de vérité entre un acte et une personne…
Magistratus : -… en effet… l’intéressé, le prévenu, l’inculpé…
Arlequin : -il faut établir les faits et interroger le degré de responsabilité du présumé coupable. N’est-il pas vrai ?
Magistratus : -c’est certain. C’ est pourquoi je tiens la balance égale entre les différentes parties : le Ministère public, la Partie civile, la Défense. Chacun peut faire valoir ses raisons. Et mon rôle est de conduire les débats.
Selon l’impératif de Justice qui est norme du Droit. Bien entendu.
Arlequin : -je t’accorde tout cela… Cependant je ne te demandais pas de préciser ton rôle mais d’en dégager la condition de possibilité, le fondement.
Peux-tu préciser davantage… < qui > juges-tu ?
Magistratus : -tu te répètes Arlequin… et je n’ai pas de temps à perdre à la philosophie… Je juge un prévenu, un justiciable, un sujet de droit, une Personne… Et c’est faire honneur au délinquant, au criminel que de le rappeler en le châtiant à la dignité de ses Devoirs !
Arlequin : -je vois que dans cette Maison d’apprentis Redresseurs de torts, Kant et Hegel sont les hôtes bienvenus…
Mais pourtant c’est à moi de ne plus comprendre…
Magistratus : -qu’ est-ce qui t’arrête ?

Arlequin : -une petite difficulté sémantique dont la portée m’interroge… C’est que… Personne, ce n’est… personne ; et cette idée semble n’être qu’un terme de métaphysique, une idée morale, une idée-rôle qui te permet de juger… et de punir.
Magistratus : -hé bien !?… où est la difficulté ?… Et d’ailleurs comment faire autrement ?
Arlequin : -es tu certain que la nature du prévenu ou son essence, -si ces mots ont une signification-, ne t’échapperont pas ?
Magistratus : -si les débats sont bien menés, je te réponds sans hésiter par l’ affirmative. J’en suis assuré.
Arlequin : -tu me parais bien téméraire… Car de surcroît n’ es tu pas contraint à te prononcer d’après des discours ? d’après les interprétations et autres allégations hasardeuses des différents acteurs de la comédie judiciaire dont, dans ton théâtre et menant les débats, tu n’ es que le metteur en scène ou le simple régisseur ?
Magistratus : -que m’ importe. Ce qui est essentiel c’est la chose jugée, l’acte. Faute de quoi, point de justice, point d’ordre social. Le reste est pur byzantinisme ; et ici, à l’Ecole, on n’enseigne pas la métaphysique du Droit.
Arlequin : -qu’ enseigne-t-on au juste à l’Ecole de Thémis ?
Magistratus : -on apprend la procédure et la jurisprudence efficace !
Arlequin : -la rumeur circule en effet que l’avancement dans la carrière serait fonction de la productivité des audiences… une fort vilaine calomnie certainement… et qui sera colportée par tes adversaires les Robins…
Magistratus : -pense ce que tu veux…
Arlequin : – mais on prétend également que la vertu exigée n’est pas toujours à la hauteur de la fonction occupée et certains s’étonnent de la mansuétude dont jouiraient certains de tes collègues pour incompétence, fautes techniques ou… pour des infractions qui, commises par le justiciable ordinaire, seraient sanctionnés bien plus sévèrement….
On critique le concept même d’ < indépendance > d’une magistrature -paraît-il- désireuse de transformer son < autorité > en < pouvoir >… On pointe les prérogatives jugées exorbitantes du Juge d’instruction, du Procureur, du Juge des tutelles…
Magistratus : -bref l’ imputation habituelle de pratiques, de dérive inquisitoriales…
Devrions-nous être des saints ?…
Arlequin : -juger les autres n’est pas une fonction banale…
Magistratus : – certes… mais nous sommes des hommes…
Et peut-on imaginer une société sans juges ?…
Arlequin : -sans doute ; et c’est là une bien belle vocation…

On note enfin que des affaires particulièrement lourdes seraient confiées à des novices sans véritable expérience et sans compétence spécifique…
Magistratus : -… tes propos sont fort hardis Arlequin et tu ferais bien de changer de ton !
Arlequin : -ce ne sont là que bruits… médisances intéressées qui circulent autour des prétoires…
Mes intentions n’ont jamais cessé d’être respectueuses à l’égard de la noble Institution que tu représentes Magistratus… Mais vraiment tes certitudes m’ étonnent…
Magistratus: -étonne-toi tant que tu le désires… peu me chaut !
Arlequin : -dis-moi : seraient-ce seulement les intérêts de la < Société > que tu défends ?
Ne seraient-ce pas plutôt… ses illusions ?…
Magistratus : -que signifient ces insinuations ?…
Arlequin : -… notamment la conjecture devenue évidence pour vous, les Magistrats, qu’on puisse < connaître > autrui… au motif qu’on souhaite le juger !
Magistratus : -ironie facile…
Arlequin : -… et plus profondément encore la thèse toujours supposée mais jamais prouvée qu’il aurait une < nature >…
Magistratus : -en effet… point de nature, point de responsabilité… et…
Arlequin : -… point de Jugement… Je comprends la série…
Magistratus : -… manquerait-elle de logique ?
Arlequin : -que non pas !… D’où -à te suivre-, la légitimité du harcèlement des interrogatoires et la persécution publique des audiences…
Magistratus : -tu dépasses la mesure Comédien !
Arlequin : -tu ne m’ a pas répondu Magistratus… Qui juges-tu ?

Magistratus : -qui je juge ?… hé bien tu vas l’apprendre !… Toi !… toi l’ impertinent Arlequin !… et à tes dépens !…
Allez !… à l’audience !
Pour tes insolences, pour ta scandaleuse ‘pataphysique et pour outrage à Magistrat !…

Complément :
A: -Mais les victimes ? Que désirent-t-elles ?
B: -Du sens…
Il leur faut des récits, des narrations, des fables…
A: -Pour étancher leur soif…
B: -… de vengeance ?
A: -… de sens !
Ici comme ailleurs c’est la souffrance, le ressentiment qui suscitent le sens …
B: -Voilà donc ce qu’elles attendent des audiences, les victimes !
Du compassionnel, des affects et… de l’intelligibilité !
A: -C’est là la crédulité de la victime…
Métaphysicienne naïve, il lui faut un coupable, un < sujet > responsable et bien sûr : des < mobiles >.
B: -Faute de quoi ?
A: -Pas de travail de deuil, comme on dit…
… mais l’attente insupportable de la réponse à la question du « pourquoi « de l’acte, de la douleur…
B: -… Et du repentir !
Quoi de plus scandaleux en effet qu’un coupable absent… étranger au repentir…
A: -Curieux métier que la fonction de juger : entre le policier, le psychanalyste, l’assistante sociale…
B : -… le métaphysicien et le quêteur de Sens…


Alfred Jarry, Ubu roi, Acte 3, scène 2.
Père Ubu. … je veux faire des lois maintenant.
Je veux d’abord réformer la justice, après quoi nous procèderons aux finances.
Plusieurs magistrats. Nous nous opposons à tout changement.
Père Ubu. Merdre. D’abord les magistrats ne seront plus payés.
Magistrats. Et de quoi vivrons-nous ? Nous sommes pauvres.
Père Ubu. Vous aurez les amendes que vous prononcerez et les biens des condamnés à mort.
Un Magistrat. Horreur.
Deuxième. Infamie.
Troisième. Scandale.
Quatrième. Indignité.
Tous. Nous nous refusons à juger dans des conditions pareilles.
Père Ubu. A la trappe les magistrats.
Mère Ubu. Eh! que fais-tu, Père Ubu ? Qui rendra maintenant la justice ?
Père Ubu. Tiens ! moi. Tu verras comme ça marchera bien.
****

La faim dans le monde ou la résolution du problème d’autrui. dialogue. Aux Enfers
-comment résoudre l’irritant problème de la faim dans le monde ? interroge l’ humaniste Conscience.
-je connais deux solutions, répond l’âme du Père Ubu.
Par ailleurs définitives et radicales.
-ah !… trés intéressant… et lesquelles ?
-la première est la manducation…
-le cannibalisme !?… je reconnais bien là ton proverbial bon goût, Âme ignoble d’ Ubu !
Et la seconde ? la seconde ?… l’autophagie !
-quelle horreur !
-et à la trappe le souci d’autrui, les illusions et tous les faux-problèmes que cet innocent -ce faisceau d’ apparences-, suscite et dont il nous encombre !
( 15.11.2000 )

Autrui est-il un autre moi-même ? Dialogue italien.
-autrui est-il un autre moi-même ? demande Pierrot à Arlequin.
-dans l’hypothèse affirmative, l’autre c’est le même et nous sommes deux à occuper la place… Il est moi, je suis lui. L’un est l’autre… Seule Alcmène a fait cette expérience… Souviens-toi de la mésaventure d’Amphitryon…
-de la mythologie, de la légende… C’est impossible ; c’est révoquer le principe d’individuation !
-sans doute ; mais c’est pourtant ce à quoi prétendent la morale, la religion, la philosophie…
-?
-songe aux idées de < Prochain >, de < Personne > et aux conséquences du fantasme lévinasien…
-?
-le < Visage > entendu comme rappel à l’ impersonnalité de l’ordre éthique …

Suis-je prisonnier du jugement qu’autrui a de moi-même ? dialogue italien
-suis-je prisonnière du jugement d’autrui sur moi-même ? questionne Colombine.
-peut-être pas davantage que tu ne l’es de tes propres jugements, répond Arlequin.
-mais puis-je m’en libérer ?
-qui t’a persuadée de la vérité de l’opinion des autres ?

Qu’est-ce qu’un homme seul ? dialogue italien.
-Qu’est-ce qu’un homme seul ? se demande Pierrot.
Et il consulte le dictionnaire qui lui donne la série des synonymes : abandonné, célibataire, distinct, délaissé, exclus, isolé, orphelin, particulier, singulier, solitaire, unique, veuf…
-Mais alors, s’interrroge-t-il candidement, le mot de solitude résumerait-il… à lui seul, la nature de tout existant ?

L’enfer, c’est les autresdialogue italien.
-Qui a écrit < L’enfer, c’est les autres > ? demande Pierrot.
-Sartre, répond Colombine. C’est devenu un lieu commun de la philosophie…
-C’est très excessif ! Et l’amour ? et l’amitié ? et la solidarité ?…
Il y a des gens délicieux ! j’en connais…
-L’autre est pourtant celui qui me juge et me tourmente… je suis prisonnier de son regard… il me fait honte… me chosifie, me pétrifie, me réifie…
-Alors Arlequin : -Je vois ma belle enfant que tu sais bien ton philosophe…
Mais même unilatérale, sa thèse est discutable…
-?
-L’enfer, ne serait-ce pas tout simplement… nous-mêmes ?


Pour bien penser faut-il ne rien aimer ? dissertation.
( Pierrot revient de la Montagne Sainte-Guenièvre une dissertation à la main)
Arlequin : -tu me parais de fort belle humeur Pierrot…
Peut-on savoir ce qui te met ainsi en joie ?
Pierrot : -c’est que je crois avoir tantôt répondu correctement à une question assez délicate…
Colombine : -et laquelle s’il te plaît…
Pierrot :- < Pour bien penser, faut-il ne rien aimer ?…>
Arlequin : -en effet… quel rébus !… et qu’as-tu répondu ?
Pierrot : -c’est un peu long…
Arlequin -allons… tu vois bien que tu énerves l’impatience de Colombine… dis-nous tes raisons.
Pierrot : -… soit, je commence…

INTRODUCTION
« Bien penser » ( à différencier de « penser bien », c’est à dire selon les exigences du conformisme ) exprime au premier abord l’intention de régler la pensée d’après le critère de la preuve et la norme du vrai.
« Ne rien aimer », si toutefois une telle attitude est possible, suppose une capacité de détachement affectif absolu du sujet connaissant relativement aux objets de l’expérience qu’il rencontre et se propose d’étudier.
< Pour bien penser, faut-il ne rien aimer ? >
Cette interrogation invite à une réflexion concernant les conditions de possibilité de la pensée adéquate et rigoureuse. Elle enveloppe notamment la question de l’incidence des intérêts subjectifs, de l’attrait, ou encore du goût, sur la forme, la matière, l’objectif et les méthodes de la connaissance.
Le désengagement affectif, la neutralité existentielle constituent-ils des réquisits nécessaires à l’acquisition des connaissances ? Tel est donc le problème suggéré par la question.
L’enjeu est tout autant psychologique qu’axiologique. Mais il concerne au premier chef le rapport de l’attitude intellectuelle propre au sujet à la valeur de la connaissance dans l’exercice de la pensée.
Deux hypothèses paraissent satisfaire à la résolution de cette difficulté critique :
-la contestation radicale de l’investissement affectif dans les démarches intellectuelles. C’est la thèse positiviste ( A.Comte / R.Carnap ) ;
-la valorisation de l’intuition, du sentiment ou encore de l’éros envisagés comme voies de connaissance métaphysique ou esthétique privilégiées. C’est la thèse mystique ( Pascal) , sentimentaliste ( Shaftesbury ), utilitariste ( J.S.Mill ) ou encore métaphysique ( H.Bergson )
A. LE POSITIVISME.
Défini notamment par A. Comte ( Discours sur l’esprit positif ), plus récemment par R. Carnap et l’Ecole de Vienne, il est caractérisé par la dissociation de la pensée et de l’affectivité dans le projet de connaissance.
« Bien penser » suppose le refus délibéré de l’intuition sentimentale dans les démarches du savoir. L’affect constitue un « obstacle épistémologique » ( G. Bachelard ) au progrès scientifique. Le chercheur s’interdit par principe de mêler le psychologique au logique et à l’expérimentation. Il s’agit de n’être pas séduit, de ne pas tomber sous le charme de l’objet à étudier, de ne pas prétendre l’« aimer ». Il s’agit, dans un contexte de neutralité affective, de décrire et d’expliquer les choses, les états de choses, les mélanges de choses, les relations entre les choses au moyen de propositions symboliques adéquates au réel représenté.
La pensée scientifique cultive donc un idéal social d’intersubjectivité, -ainsi du « Transcendantal objectif  » selon M. Serres -, d’impersonnalité, un style de connaissance dégagé de toute complaisance sentimentale.
Les routines phénoménales sont repérées et transcrites dans un langage quantitatif et fonctionnel, « mathématique », où s’expriment les « lois » correspondant aux répétitions des phénomènes. Mis à la question le « réel » peut et doit être adéquatement représenté ( tableau / graphe / équation ) La pensée est «rationnelle». Synonyme de jugement ( bien penser, c’est penser justement ) et de conscience de soi, elle authentifie ses méthodes et demeure consciente de ses limites. Enfin, analyse, synthèse, tests expérimentaux des hypothèses, toutes ces opérations cognitives reflètent une démarche libérée de l’approche qualitative toujours plus ou moins dangereuse parce que potentiellement émouvante.
Ici plus qu’ailleurs: le moi est « haïssable » et l’« amour » déplacé, sinon ridicule.

OBJECTIONS :
Diverses objections ont été formulées quant à la validité de l’ « Esprit positif » dans son effort d’investigation à propos du réel. Elles concernent le projet inhérent à cette conception de la pensée, son parti-pris de méthode ainsi que le découpage des objets de ce type de connaissance.
-Quelle est l’origine du savoir ? N’y-a-t-il pas un désir de connaissance ? un goût de la recherche ? une passion parfois dévorante qui transmue une simple enquête en quête de l’absolu ?
Ainsi: que veut l’astrophysicien ? quelles sont ses motivations secrètes ? pourquoi la cosmologie ? Peut-on réduire la recherche fondamentale à des intérêts de puissance et à des motifs unilatéralement économiques voire lucratifs ?
Il semble arbitraire de dégager la pensée scientifique dans son dessein fondateur de certains mobiles « irrationnels » où interviennent des inclinations, des penchants, des espoirs qui échappent à la règle positiviste mais qui expriment toute une gamme d’intérêts psychologiques assez généralement occultés.
Dans cette optique, pour « bien penser », il faudrait beaucoup s’investir dans sa recherche, bref : beaucoup « aimer ».
-Peut-on en effet ramener l’exercice de la pensée à l’objectivité froide d’un appareil enregistrant les données de l’expérience? L’investissement affectif est-il absent du travail méthodique de la pensée elle-même ? La sensibilité esthétique par exemple fait elle défaut au mathématicien, au naturaliste, à l’astronome ? N’existe-t-il aucune réceptivité affective à la qualité des objets étudiés, à leur apparence, à leur sens, à leur valeur ?
-Quant à la nature et à la sélection des objets étudiés, est-il possible de ne pas les référer à des options intellectuelles plus ou moins mêlées d’intérêts psychologiques plus ou moins conscients ? Dans le domaine des « sciences humaines » par exemple, peut-on concevoir un médiéviste, un égyptologue affectivement étranger à leur domaine de recherche?
N’y-a-t-il pas un effet en retour de l’intérêt du chercheur sur le découpage de son champ d’investigation?
Il semble donc que l’idée d’ une pensée absolument désintéressée, d’une pensée pure, d’une pensée détachée affectivement de son objet ne soit qu’ une hypothèse sans réel fondement. Car « bien penser » ce n’est certes pas : ne « rien aimer ».

B. L’ INTUITION ET LE SENTIMENT COMME VOIES DE CONNAISSANCE.
Afin de répondre au problème d’une manière plus satisfaisante, il faudrait donc élargir le domaine de définition de la pensée. On se dégagerait de l’étroitesse scientiste d’après laquelle la physique mathématique donnerait le seul modèle valable de méthode de la pensée pertinente.
Déjà Descartes définissait la pensée comme l’activité psychique dans son ensemble, ne considérant que l’acte même de penser abstraction faite de sa valeur objective de connaissance:
« Je suis une chose qui pense, c’est-à-dire qui doute, qui affirme, qui nie, qui connaît peu de choses, qui en ignore beaucoup, qui aime, qui hait, qui veut, qui ne veut pas , qui imagine aussi et qui sent » ( Méditations métaphysiques 3 )
Mais fidèle à son parti-pris intellectualiste, il ne reconnaissait comme légitime que la pensée rationnelle, n’accordant tout au plus au « sentiment » qu’une valeur pragmatique et utilitaire d’adaptation au monde ( Méditation 6 )
D’autres auteurs -ainsi Pascal, Rousseau, H. Bergson ou Max Scheler-, d’autres écoles telles que les Utilitaristes anglo-saxons ( Bentham, J.S.Mill ) réhabilitant l’affectivité, ont mis l’accent sur le rôle des sentiments, la valeur de l’intuition et la fonction de l’intérêt et du désir,voire de l’amour dans le jeu de la pensée humaine.
Pascal notamment a mis à jour < l’esprit de finesse > en opposition à < l’esprit de géométrie >.
-Le premier, « sentiment de la complexité des choses, du discernement des éléments simultanés qui la composent et estimation de leur valeur réciproque, se manifeste spontanément avec une sûreté qui tient de l’instinct » ( Léon Brunschvicg )
-Le second, à l’aise dans un domaine où les principes sont bien définis et d’où l’on tire des conséquences rigoureuses joue souvent à faux et maladroitement hors de ce domaine (Logique sentimentale ambiguë, paradoxale et contradictoire)
Pascal a également rapporté l’origine de la vérité au< coeur > entendu comme sentiment d’évidence et voie privilégiée de connaissance. « Nous connaissons la vérité non seulement par la raison ( intelligence discursive ) mais encore par le coeur ( faculté d’intuition ); c’est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes espace /temps/ mouvement /nombre » (Pensées)
Dans une optique mystique, débordant l’expérience empirique, il affirme :
« c’est le coeur qui sent Dieu et non la raison; voilà ce que c’est que la foi: Dieu sensible au coeur et non à la raison. »
L’amour de Dieu constitue la solution au problème existentiel par delà les savoirs dispersés, relatifs et strictement utilitaires que nous procure la pensée scientifique.
Rousseau a développé le thème du désir comme moteur de l’existence et force motrice des passions intellectuelles à l’origine de la connaissance.
L’Utilitarisme anglo-saxon a fondé le jugement de moralité sur le critère de la compassion.
Max Scheler a dévoilé l’importance décisive de la sympathie pour la compréhension d’autrui.
Henri Bergson enfin s’est efforcé de montrer comment l’artiste et le métaphysicien étaient aptes à dévoiler par l’effort de création et l’intuition la réalité dans sa mobilité même en substituant leurs images aux symbolismes linguistique et mathématique.

Inspirateur spirituel d’André Breton, de Julien Gracq et des Surréalistes, dans la ligne de Schopenhauer, il définit l’artiste comme celui qui traverse la banalité du conformisme social, qui parvient à décrire les conduites dans leur originalité et à saisir les choses habituellement voilées par le langage et la pensée utilitaire.
Ces différents exemples illustrent l’unité d’un même propos : contourner l’obstacle de la pensée rationnelle fossilisée et cristallisée dans un univers de formes conceptuelles figées. A côté de la pensée scientifique se juxtaposent alors la pensée artistique, la poésie, la pensée métaphysique et la pensée religieuse.
Chacune selon le découpage de son domaine propre définit une manière de « bien penser », une norme ( le Beau / l’Etre / Dieu ) selon une méthode spécifique. Loin de les hiérarchiser ou de les réduire à l’une d’entre-elles ( unilatéralisme réducteur) il convient à chaque fois d’en comprendre le sens, la valeur et la portée.
CONCLUSION
Il nous était demandé si « pour bien penser, il fallait ne rien aimer ».
L’ouverture de la notion a permis la critique d’une vision réductrice : le positivisme scientiste. Elle a de surcroît fait apparaitre des modalités particulières du penser tout aussi qualifiées à être que le fonctionnalisme mathématique et la méthode expérimentale.
Car en dernier ressort ce sont bien l’admiration, la séduction et la tentation, le désir et finalement le < coeur > et l’ < amour > donc des forces irrationnelles qui ouvrent le chemin de la connaissance. ( cf Platon, Phèdre )
**
Colombine : -la belle dissertation Pierrot. Je suis fière de toi…
Arlequin : -rien de plus… séduisant que la parole philosophique en effet…
Pierrot : -tu ne sembles pas convaincu…
Arlequin : -si fait… Penser… bien penser… voilà un problème, comme on dit, bien intéressant…
Ton devoir comblera sans doute un philosophe… mais un ‘pataphysicien ?
Colombine : -je ne comprends pas. Si le problème de la pensée droite ne te préoccupe pas Arlequin, que fais-tu donc quand tu disputes ?
Arlequin : -je danse…