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Geste des opinions du docteur lothaire liogieri
 
DEMONS ET MERVEILLES ( Mauvaises pensées, pastiches, ‘patexercices… )
 

Oxana détournée, ou les entretiens de Patadelphe et d’Ubudore
TABLE :
Variations sur l’existence
CONVERSATION SUR LA NOËLLE
Du délire sur le désir
< Au-delà de l’objet du désir ou le Pays des Chimères >
1: Rousseau dans la lumière de Saint Augustin.
De < l’incertitude du désir >
2 : Hobbes dans le filet de Thomas d’Aquin.
De < l’irréalité du désir et de son objet >
3 : la Voie de l’Ascète ; du Bouddhisme.
De < l’art de désirer >
4: Descartes pastiché par lui même.
De < la pulsion > ou de l’origine du désir
5: Freud déconstruit par Wittgenstein.
( 30.10.99 )
*
DU PASSAGE
Méditation ‘pataphysique
*
A COURTAGNON
Sur < Autrui > et de quelques… autres
1. De la < reconnaissance >.
2. < l’utopie de l’Humain> ou Lévinas chez les Hallucinés.
3. Peut-on fabriquer l’homme ?
4. De la persécution.
5. Une mise au point de René Descartes.
*
DE L’AMORALE
1. Unité des morales et de la morale.
2. Fondement de la ‘Pataphysique des moeurs ( traduction ).
Maxime de l’amoralité ‘pataphysique.
( 15.12.2001… )

 

CONVERSATION SUR LA NOËLLE : DU DELIRE SUR LE DESIR 

Au Dieuble…
-Patadelphe. L’automne est arrivé… nature tient ses promesses…
-Ubudore. Certes. Il n’est que la réalité seule qui y puisse prétendre…
-Patadelphe. Votre ton est aujourd’hui à la mélancolie… l’expérience humaine vous décevrait-elle ?
-Ubudore. Non point. Que pourrais-je lui demander ? Que pourrais-je exiger d’elle ? Il nous la faut subir dans toute sa rigueur et sa monotonie…
Et comme dit le Poète: < Toujours nous tournons dans le même cercle… et la prolongation de la vie ne saurait nous procurer de plaisirs nouveaux >
-Patadelphe.Vous êtes bien morose. Il est vrai qu’on ne s’en peut évader… il existe toutefois bien des stratégies d’évitement…
-Ubudore. La géographie du désir… Le pays des chimères… Je garde à l’oreille la petite musique de Rousseau. Et cette sublime page véritablement fondatrice du Romantisme.
Vous souvenez-vous ?
-Patadelphe. La Nouvelle Héloïse… lointain écho…
-Ubudore. Elle est comme gravée dans mon coeur, tentatrice, séductrice…
-Patadelphe. et… corruptrice. La mauvaise foi nous guette, mon cher Ubudore…
-Ubudore. Ou tout simplement la fatigue… la fatigue d’exister.
-Patadelphe. Vous rappelez-vous l’épicurien tétrapharmakon, la médecine du Jardin ?
-Ubudore. Il me semble..< Il n’est point de dieux; la mort n’est pas à craindre; la douleur peut être combattue; le plaisir est en notre pouvoir…>
Sagesse modeste…
-Patadelphe. Mais sagesse effective qui ne promet que ce qu’elle peut tenir…
-Ubudore. A la différence de l’exaltation romantique…
-Patadelphe. Pour vous distraire de votre mélancolie je vous suggère un remède divertissant… un jeu…
-Ubudore. ?…
-Patadelphe. Une parodie… une pochade… Retournons les faux remèdes contre eux-mêmes…
-Ubudore. Soit… Et en l’occurrence renvoyons Rousseau… à Jean Jacques…
-Patadelphe. Vous m’avez compris. Quel procédé choisirez-vous ?..
-Ubudore. … la grandiloquence de la confession. Dans le ton de Saint Augustin…
-Patadelphe. Invocation et déclamation accompagneront donc notre promenade.
Allons vers ces châtaigniers parmi les hêtres, les chênes et les charmes qui bordent cette allée… et à leur exemple, chemineaux de rencontre, déposons les quelques fruits amers de nos vaticinations sur le chemin de notre errance.
Vous voyez, je vous précède dans le ton…
 ***
AU-DELA DE L’OBJET DU DESIR : LE PAYS DES CHIMERES.
ROUSSEAU DANS LA LUMIERE DE SAINT AUGUSTIN
 Ubudore. Je commence :
Ô Ubu, ma joie, mon espérance, permettez-moi, je Vous prie, d’approfondir encore davantage cette difficulté sans que je sois troublé dans l’attention d’esprit que j’y apporte : à l’instar du Misanthrope de Genève, je désire de savoir si < le pays des chimères est en ce monde le seul digne d’être habité… >
Serai-je voué à la lugubre alternative de devoir choisir entre le désir impossible à satisfaire et le remède fatal d’une définitive guérison qui -m’ôtant la fièvre du penchant, m’emporterait par là même dans la tombe ?
Car, Votre Magnificence, qu’en est-il réellement de la valeur de l’objet du désir ?
Je n’assure rien, mon Ubu et mon Père : ce ne sont que des doutes que je Vous propose. Assistez-moi, s’il Vous plaît, et soyez mon Guide dans cette recherche.
Dans la ténèbre de mon inquiétude, je m’interroge : jouit-on moins de ce qu’on obtient que de ce qu’on espère ? et < n’est-on vraiment heureux avant que d’être heureux > ?
Ô Verte Chandelle qui répandez Votre lumière sur mon esprit, Votre Vérité ne se moquera-t-elle pas de la simplicité et de la folie des hommes ?
Mais Vous m’avez gratifié d’ < une vertu consolante qui rapproche de moi tout ce que je désire>, qui me rend < présent et sensible > l’objet de mes voeux car elle le peut soumettre au caprice de mon imagination.
Est-il vrai cependant que ce divin prestige disparaît devant l’objet même et que la sainte Illusion cesse où commence la morne jouissance ?
Me faudra-t-il donc virtuellement satisfaire et serais-je justement voué au prestige de la seule < propriété imaginaire > ?
Créateur et Conservateur de toute chose, Tout Puissant Ubu, Vous l’Admirable Ouvrier qui avez conçu l’Opinion et le Commun Lieu, m’expliquerez-Vous Ô mon Père, la vertu du romanesque Cliché, la gloire du Bovarysme, l’élégance souveraine du Kitsch, la beauté de Sottise et la séduction d’ Egarement… vos Enfants, votre Progéniture…
Dites-moi mon Père, je Vous prie, ceux-là ne sont-ils pas encore dans la cécité du vieil homme qui demandent ce que Vous désiriez avant que d’avoir créé la Vision et l’ Aveuglement…
J’avoue, mon Ubu, que j’ignore Vos raisons et qu’il m’est impossible de pénétrer Votre Abyssale Sagesse. Mais je sais, par les Saintes Visions que Vous nous accordez, le charisme de votre Grâce.
Elle s’étend sur notre misère et la relève en l’ennoblissant de nos Extravagances.
Ô ma Joie, mon Espérance, je cultiverai donc l’art suprêmement difficile de faire mon propre malheur en suivant le chemin rude et escarpé qui mène à Votre Sagacité.
Je ne percevrai donc jamais le réel tel qu’il est mais m’efforcerai de le voir tel que je désirerai qu’il fût. Je m’obstinerai dans la folie et poursuivrai sans relâche ma discipline vers la Catastrophe et la Déroute persuadé intimement, par l’éclat de Votre Chandelle, que là est la voie de mon salut.
Oui mon Père ! comme l’ont compris Jean Jacques, et avec lui dans leur nef assemblés, les fols, les Saints Intellectuels et les Utopistes, le < pays des chimères > est en ce monde < le seul digne d’être habité >.
Ô Magnificence Sublime, désormais tout pénétré de Votre Ivresse et de Votre extatique Vérité, je sais et proclamerai : ne sont réelles et justifiées que les Solutions Imaginaires.
Et quant à ceux, les ingrats schismatiques, les impies qui pervertisent Votre Sagesse en feignant, en osant pasticher par leurs oeuvres et jusque dans leur vie Vos Divins Commandements, ceux qui renchérissent sur l’ imaginaire par ce qu’ils nomment la ‘pataphysique… qu’ils soient voués à Votre Exécration ; et que saisis par Votre Croc à Nobles, assommé par Votre Bâton à merdre et envoyés à la Trappe, ils disparaissent dans l’enfer de l’infâme lucidité.
*
Patadelphe. La belle apologie du désir et de la Vision… Saint Augustin mâtiné de Mabillon….
Mais mon ami nous avons progressé, nous voici au terme de l’Allée. Prendrons-nous à gauche par ces essarts jusqu’au pays des Sarmates ou à droite dans la forêt vers Moriol et la Preuse ?
Ubudore. Engageons-nous sous le couvert. Peut-être lèverons-nous quelque chevreuil… Mais que notre promenade ne vous fasse pas oublier votre gage.
Vous me devez une réponse…
Patadelphe. Mon bon, je n’avais rien promis… vous m’obligez… mais soit… J’accepte et je vous propose de continuer à filer la notion…
Ubudore. De qui allez-vous donc nous régaler ?…
Patadelphe. … De Thomas d’Aquin pour la méthode et de Hobbes, pour l’enseignement …
Ubudore. Le téléscopage est plaisant, aussi insolite qu’anachronique… je vous écoute…

DE L ‘INSATISFACTION DU DESIR :
HOBBES DANS LE FILET DE SAINT THOMAS D’AQUIN
Patadelphe.
SOMME d’UBUOLOGIE
QUESTION 666 : De la Bête, id est : du Désir et du Réel
Article I. Le désir s’alimente-t-il du peu de sécurité de son objet ?
OBJECTIONS :
1.Saint Basile dans son Commentaire de la parabole de la Concupiscence déclare : < La définition du désir comprend l’admiration pour un bien estimable dont la créature reconnaît la valeur.>
A ce titre seul l’objet solide, ferme et consistant peut retenir l’attention du désir. En effet seul un bien tangible et non seulement imaginé -comme l’affirment les pervers possédés du démon-, est susceptible de produire cet effet de tentation et de séduction qui engage l’adhésion.
2. Nous lisons dans saint Augustin et il est spécifié dans les Décrétales que : < le sentiment de pauvreté accompagne la perception de l’objet désiré. >
Désirer c’est savoir qu’on a pas ce qu’on désire et c’est aspirer à le posséder. Or si on aspire à posséder ce qu’on a pas c’est à la condition qu’il existe cependant et demeure de telle sorte que la convoitise puisse être assouvie.
3.Selon le mot du Psalmiste : < la terre et ses fruits témoignent de la gloire de Dieu >. En effet les biens de la terre sont livrés par le Tout Puissant à l’usage du nécessiteux en vertu de son droit naturel.
Et Dieu ne saurait tromper sa créature sur la qualité des biens que sa grâce a répandus pour son secours et son réconfort.
EN SENS CONTRAIRE :
Saint Isidore a écrit dans ses Etymologies : le terme de < désir > vient de desiderium, (de desiderare ), passage de la tendance spontanée ou besoin, à la tendance consciente orientée vers un but conçu ou imaginé.
Exemple : les besoins de voir et de forniquer ou le désir d’ élubucubrer.
REPONSES :

Il semble que tout désir s’accroisse de l’insatisfaction réelle liée à l’éloignement de son objet dans l’espace et dans le temps. Tout ce qui est à distance de notre représentation met notre imagination en mouvement. Et le Poète a dit audacieusement : < Et le désir s’accroît quand l’effet se recule >.
Or selon la droite raison nous ne pouvons désirer effectivement que les objets qui se présentent éloignés de notre perception. C’est pourquoi naissent les imaginations et les fantasmes.
Donc il n’est pas pertinent d’affirmer et la fixité de la concupiscence et la consistance de son objet.

Aristote remarque dans ses Métaphysiques ( Livre W: a3789-a3791 ) : < le capricieux est gouverné par l’arbitraire et la versatilité, l’insatiable par l’excès de ses intempérances. Il est donc inévitable qu’ ils connaissent tous deux l’ insatisfaction >.

Nous lisons dans Saint Ambroise ( Sur l’Apôtre ) : < Que personne n’excède l’ appétit ordinaire du chrétien. Faute de quoi, égaré dans la démesure et l’envie, insatisfait car incapable d’étancher sa soif inextinguible, le pécheur blasphèmera l’oeuvre du Seigneur >.
SOLUTIONS :

< Celui dont les désirs ont atteint leur terme ne peut pas davantage vivre que celui chez qui les sensations et imaginations sont arrêtées > ( Hobbes).
Vivre -ainsi que l’affirme d’autre part Saint Bardamu, c’est aller d’un désir l’autre, d’un château l’autre. Telle est la nécessité de l’existence terrestre.

Le fond du désir de l’homme n’est pas de jouir une seule fois et pendant un seul instant mais de < s’assurer le chemin de son désir futur > ( Hobbes ). 
Désirer c’est donc désirer de répéter la convoitise d’un objet toujours fuyant et évanescent.

Le penchant général de toute l’humanité est < d’acquérir sans trêve pouvoir après pouvoir. La cause étant qu’on ne peut rendre sûrs le pouvoir et les moyens dont dépend le bien-être dont on jouit présentement qu’en acquérant davantage et sans cesse > ( Hobbes ). Or la satisfaction dépend de l’arrêt de ce mouvement ininterrompu de notre naissance à notre mort.
C’est pourquoi elle est présentement impossible.

L’existence terrestre de la créature -en son actuelle misère ou encore qu’elle tende vers la félicité, est ainsi marquée par une incessante reconduction de la convoitise, en sorte que le chrétien doit regarder comme la condition de son salut la Vision et l’amour de Dieu, unique bien véritable et seule possibilité de se dégager de l’enfer de la tentation, des désirs impossibles, et de la sujétion à la Bête. >
*
Ubudore. La belle chute ! et la belle démonstration que voilà ! La Vision comme remède aux visions… Ce qui ne peut que  » séduire  » un ‘pataphilosophe… Je reconnais les deux procédés d’argumentation chers au Docteur Ub-angélique : le syllogisme et l’argument d’autorité… la citation…
Patadelphe. Culte de la Logique et Révélation… Ne sont-ce pas là les procédés favoris de tous les Spéculatifs…
Vous remarquerez en outre que la thèse développée par Hobbes répond parfaitement à celle de Rousseau …
Patadelphe. Tout en l’approfondissant…
Si, selon Jean Jacques, le pays des chimères est le seul qui vaille d’être habité, c’est que l’objet désiré est dévalorisé au profit de sa représentation.
Le réel est navrant parce qu’il est ennuyeux… Il ne tient jamais ce qu’il promet. Ainsi est-il toujours plus ou moins décevant au regard des ressources de l’imagination romantique.
Proust n’est pas loin… Problématique axiologique.
D’après l’Auteur du Léviathan, le désir répète pour s’assurer, au motif du peu de certitude de la fixité de son objet. Problématique peut-être plus politique qu’ontologique…
Nous retrouvons ici l’un des thèmes favoris de la pensée de Hobbes : l’omniprésente et irréductible insécurité.
On peut certes jurer de quelque chose… mais on ne peut s’assurer de rien !
Ubudore. Il est vrai. Cependant nous pourrions peut-être aller plus loin encore.
Et dans la perspective du Majjhima-nikayo nous risquer jusqu’à montrer la vanité du désir comme écho du peu de réalité voire de l ‘irréalité de son objet…
Patadelphe…. Quel déplacement géographique et… problématique… Ex oriente lux… et vers l’ontologie cette fois…
Allons-nous voyager mon cher Ubudore, quitter l’Europe du Baroque et gagner les Indes et plus loin encore, les rives du lointain Cipango ?
Ubudore. L’exotisme… Et pourquoi pas…
Patadelphe…. Allons nous asseoir sur cette large souche… Je me recueille… et suis à vous.
 

DE L’ IRREALITE DU DESIR ET DE SON OBJET : LA VOIE DE L’ASCETE.
( DU BOUDDHISME )
 Ubudore.
-Quelle est, Ô mes disciples la voie épineuse et semée d’embuches que doit éviter d’emprunter le noble fils des Ariyas ?
-Ô Maître, la manie de désir, la manie d’existence, la manie d’ignorance, telles sont les suppurations, les drogues et les toxiques qui pénètrent l’être tout entier et l’engagent sur le chemin de la vésanie et de la douleur.

-Quelle est, Ô mes disciples la voie de la libération, la doctrine qui remonte le courant ; qui est intérieure et profonde, et qui se cache à ceux qui sont assujettis à la concupiscence, enveloppés dans une épaisse ténèbre ?
-Ô Maître, le démon de la dialectique, les constructions de la pensée, et la manie de la spéculation sont ruelles des opinions, gorge des opinions, épine des opinions, ronceraie des opinions, filet des opinions où le fils inexpert de la terre ne se libère pas de la naissance, de la déchéance, de la folie et de la mort.
-Ô mes disciples, l’opinion est une maladie, la spéculation est un chancre, la vision est une plaie. Qui a surmonté toute opinion est appelé par moi un saint savant. Celui qui veut s’avancer le long du sentier des Ariyas doit laisser derrière lui la manie de poser tous ces faux-problèmes qui traduisent la lèpre de l’inquiétude et le prurit de l’angoisse.
-Ô mes disciples, la doctrine des Accomplis détruit depuis les fondations toute satisfaction procurée par de fausses théories, tout attachement à des dogmes et à des systèmes ; et pour cette raison elle tranche à la racine la crainte aussi bien que l’espérance.
-Ô mes disciples, éloignez-vous des raisonneurs, des palabreurs, des cogitateurs. Détachez-vous de la foi, de la rumeur, des arguments d’école, des réflexions et des raisons.
Et en vous s’ouvrira l’oeil de la réalité.
Mais moi je vous dis que l’on ne peut, dès le début, obtenir la parfaire conscience, mais seulement progressivement, en s’exerçant pas à pas, en opérant jusqu’à la parfaite connaissance.
Voici qu’il en vient un, mû par la confiance ; venu, il s’associe à notre Ordre, l’Ordre des Ariyas ; s’étant associé, il écoute ; ayant écouté, il reçoit la doctrine ; ayant reçu la doctrine, il se la rappelle ; de la doctrine retenue, il se met à scruter le sens ; en ayant scruté le sens, la doctrine lui octroie le savoir ; ayant eu le savoir, il l’approuve; l’approuvant, il le pondère ; le pondérant, il s y exerce diligemment ; et s’exerçant diligemment, il réalise la plus haute vérité.
La pénétrant enfin, il la voit.
Et que voit-il, Ô mes disciples ? Que toutes les choses sont privées d’individualité et de substance.
Le devenir est tourbillon de choses, d’états de choses, de mélanges de choses, de relations entre des choses instables, faisceaux éphémères d’agrégats transitoires qui convergent et divergent, s’agrègent et se désagrègent.
Car le devenir, Ô mes disciples n’est pas un accident mais la substance même de tout ce qui existe.
Tout est agitation. Et co(a)gitation.
Voilà ce que moi votre Maître j’ai vu : un monde tombé dans l’agitation et une race qui tremble, des hommes tremblants attachés à leur personne et aux choses, semblables à des poissons dans un courant presqu’asséché.
En vérité ce monde a été vaincu par l’agitation. On naît, on meurt, on déchoît d’un état, on passe à un autre. Et à cette peine et à cette déchéance, personne ni rien ne connaît d’ échappatoire.
-Ô Maître, quelle est l’origine de ce malheur, de cette souffrance et de cette agitation ? Dis- nous la doctrine du grand Ascète, toi qui sait l’origine à partir des causes ?
-L’illusion, Ô mes disciples, l’illusion du désir, de la soif et de la concupiscence, la soif de vie toujours de nouveau renaissante, jointe au plaisir de la satisfaction et se rassasiant ça et là. Soif d’existence et de devenir.
Corps, sentiments, perceptions, tendances, conscience, tel est le quintuple tronc de l’attachement, la flamme qui brûle dans le plaisir et l’aversion, et dans l’aveuglement.
Or il n’ y a rien à désirer car tout ce qui existe n’est que passage, changement, devenir et mort.
Voilà Ô mes disciples la source de la souffrance, la cause et la racine de la folie.
Voilà l’Enseignement.
Aversion, répulsion, révulsion… Renoncez au monde !
Telle est l’ Illumination, tel est l’éveil, telle est la voie. >
***
Patadelphe. Vous avez bonne mémoire… platoniciennes réminiscences de quelque vie antérieure sans doute… Et voici un style qui ne manque pas de grandeur…
Assez proche de la ‘pataphysique par certains de ses aspects…
Toutefois je dois avouer que la grandiloquence du ton me gène quelque peu… comme si faisait défaut un ingrédient nécessaire à l’équilibre psychologique de la voie proposée…
D’un point de vue ‘pataphilosophique s’entend…
Ubudore. Une pointe d’humour, un certain détachement… à l’égard du < Détachement >…
Patadelphe. C’est cela. Quant à la thèse selon laquelle < le désir serait vain au motif qu’il n’y a rien à désirer >, elle me parait contestable aussi bien dans sa formulation que dans sa portée.
Dans sa formulation parce que le fait que < tout passe > ne signifie aucunement le néant de ce qui passe ; quant à sa portée parce qu’il me semble possible de développer – en restant chez nous, à la manière de Montaigne ou de Descartes, un art de vivre où la jouissance, la volupté, voire la lévitation auraient toute leur place.
Ubudore. J’entends bien vos raisons.
Pour ce qui est de Montaigne les choses sont claires et assez connues : saisir l’opportunité du moment favorable, le kairos, vivre à propos, cultiver l’art de savoir ce qui nous donne véritablement du plaisir, cultiver la volupté…
En ce qui concerne Descartes, votre propos peut paraître plutôt surprenant…
Patadelphe. C’est que d’ordinaire nous le lisons d’assez loin… Ainsi ce passage que je vais tenter de vous restituer sans trop le trahir…
Ubudore. Avec grand plaisir…
 

DE L’ART DE DESIRER: DESCARTES PASTICHE PAR LUI MÊME
Patadelphe :
< A Elisabeth… ou à Madame Christine… Madame…il me semble que l’erreur que l’on commet le plus ordinairement touchant les désirs est qu’on ne distingue pas assez les choses qui dépendent entièrement de nous de celles qui n’en dépendent point : car, pour celles qui ne dépendent que de nous, c’est à dire de notre libre arbitre, il suffit de savoir qu’elles sont bonnes pour ne les pouvoir désirer avec trop d’ardeur, à cause que c’est suivre la vertu que de faire les choses bonnes qui dépendent de nous, et il est certain qu’on ne saurait avoir un désir trop ardent pour la vertu, outre que ce que nous désirons en cette façon ne pouvant manquer de nous réussir, puisque c’est de nous seuls qu’il dépend, nous en recevons toujours la satisfaction que nous en avons attendue. Mais la faute qu’on a coutume de commettre en ceci n’est jamais qu’on désire trop, c’est seulement qu’on désire trop peu ; et le souverain remède contre cela est de se délivrer l’esprit autant qu’il peut de toutes sortes d’autres désirs moins utiles, puis de tâcher de connaître bien clairement et de considérer avec attention la bonté de ce qui est à désirer. >
*
Ubudore. Qu’en termes convaincants…
Patadelphe. … ces choses là sont dites…
Ubudore. Et quelle manière !…. je reconnais le ton précautionneux et cette belle phrase dense et sinueuse, si caractéristique…
Patadelphe. … vous voyez, l’original s’imposait…
Ubudore. … effectivement… Ceci étant -et ‘pataphysiquement s’entend-, comme tout  » original  » il ne sera jamais que l’occasion de son propre pastiche…
le pastiche du pastiche…
Patadelphe. … Toutefois un scrupule m’arrête..
Ubudore. Que voulez-vous dire ?
Patadelphe. Cette idée de < désir >… dont on fait si grand usage, me laisse comme un goût d’ inachevé…
Ubudore. … un malaise… conceptuel…
Patadelphe. C’est cela… elle mériterait un examen plus approfondi…
Ubudore. Nous disposons cependant d’une Réponse… toute faite, d’une Doctrine, que dis-je, d’une Dogmatique…
Patadelphe. … La freudienne ?…
Ubudore. La < théorie de la pulsion >, oui…
Patadelphe. Nous amuserez-vous à la brocarder ?…
Ubudore. Le jours avance … mais pourquoi pas… et qui résisterait à la platitude théorique de la ‘pataphysique ?
Patadelphe. Quel metteur en scène choisirez-vous ?
Ubudore. Un connaisseur… Wittgenstein.
*

DE LA PULSION OU L’ ORIGINE DU DESIR OU

FREUD DECONSTRUIT PAR WITTGENSTEIN
 
Ubudore :
< Notes prises après une conversation. 1934. Je viens de voir de près avec K. < la théorie de la pulsion > de Freud. Cette lecture m’a fait sentir combien cette façon de penser dans son ensemble demande à être combattue.
Quels que soient les désirs (ses propres désirs) que Freud rapporte, je peux arriver à la même origine que celle qu’il dévoile par son analyse.
Le fait est que chaque fois qu’un désir vous préoccupe, souci, problème qui importe beaucoup dans votre vie, – tel un problème sexuel-, peu importe ce dont vous partez, vous serez finalement et inévitablement ramené à ce thème constant, la pulsion. Freud remarque à quel point le désir paraît logique une fois éclairci. Bien sûr, il paraît logique.
Vous pourriez partir de n’importe lequel des désirs que vous éprouvez et vous trouveriez qu’ils peuvent tous se relier à une origine du même genre ; et cette origine serait fondée de la même façon.
Il se peut qu’en pratiquant sur soi cette libre introspection on soit en mesure de découvrir certaines choses sur le désir, mais cela n’explique pas ce qu’est la pulsion.
A propos de cette liaison du désir et de la pulsion, Freud se réfère à divers mythes de l’Antiquité (Eros et Thanatos) et prétend que ses recherches ont enfin permis d’expliquer comment il se fait que l’homme ait jamais pu penser ou proposer cette sorte de mythe.
Ce n’est pas cela que Freud a fait en réalité, mais quelque chose de différent. Il n’a pas donné une explication scientifique de la pulsion. Il a proposé un mythe nouveau, voilà ce qu’il a fait. Par exemple l’idée selon laquelle tout désir est une manifestation de < la pulsion de vie ou de la pulsion de mort >, a un caractère attrayant qui est précisément le même que celui qu’a une mythologie. C’est presque comme s’il se référait à un totem… Et on doit être doué d’un sens critique à la fois très fort, très aigu pour reconnaître et percer à jour la mythologie qu’offre et impose la psychanalyse…une mythologie d’un grand pouvoir. >
*
Patadelphe. Votre fantaisie suit Wittgenstein de très près…
Ubudore. De fort près en effet… mais elle en est d’autant plus plausible.
Patadelphe. Un < totem…>… notre Autrichien est bien sévère… légitimement d’ailleurs…
Que de surcroît -derrière le paravent de sa pseudo-justification thérapeutique, la psychanalyse ne soit par la mythologie proposée qu’ un des procédés employés par les docteurs de la Loi -la secte envahissante des Directeurs de conscience contemporains, pour l’espionnage et la manipulation des esprits, qui en doutera ?..
Toutefois nous restons sur notre faim…
Ubudore. C’est-à-dire ?…
Patadelphe. Si le désir a pour  » source  » la fameuse < pulsion >, la question demeure : de quoi parlons-nous quand nous employons ce terme ?
Est-ce une notion claire et distincte ? Ou bien ne serait-ce pas un simple cache misère, un bouche trou, une pseudo-idée invoquée pour le besoin de la cause, à la manière de cette < vertu dormitive de l’opium> jadis alléguée par A.Comte ?… une manière adroite de baptiser la difficulté sans rien résoudre ?
Quelle est la signification de la notion et quelle en est la grammaire ? Quelles en sont les règles d’emploi ?
Ubudore. Que de questions… L’alternative est pourtant simple : il s’agit soit d’une notion spéculative soit d’un terme descriptif signifiant à référent empirique incontestable…
Patadelphe. Les freudiens soutiennent que la < pulsion > est un concept limite entre le psychique et le somatique.
Ils désignent par là une < force >  » inconsciente  » d’origine biologique ( faim, soif, besoin sexuel ) dotée d’une forte charge énergétique. Elle orienterait le sujet vers un certain objet et par la réduction de la tension éprouvée elle permettrait ainsi la  » satisfaction  » du désir.
Ubudore. Il n’y a rien là de bien original. Tout être vivant est effectivement un ensemble dynamique de besoins, d’appétits, d’instincts, d’inclinations, de désirs et de fonctions diverses qui demandent à se traduire par des actes. La tendance est donc première et désigne selon la définition classique les formes spontanées de l’activité.
En bonne mécanique physiologique, c’est du mouvement ou de l’arrêt de mouvement à l’état naissant. Et le mouvement c’est de la chaleur…
Ce qui nous ramène à la définition du vivant : un clapotis de chaleur !
Patadelphe. Certes, mais ce concept descriptif peut cependant recevoir une connotation spéculative : c’est le < conatus > de Spinoza, -l’ < effort propre à tout être pour persévérer dans son être >, de Schopenhauer, la < volonté de puissance > de Nietzsche…. et enfin notre freudienne < pulsion >, base de tout un système méta ou… patapsychologique.
Ubudore. Système qui prétend dévoiler le ressort du fonctionnement psychosomatique de l’individu dans son ensemble.
Patadelphe. … ou mythologie explicative totalisante…
Ubudore. … je sais… la théorie de < l’appareil psychique > et ses deux  » topiques « ; la thèse du ; l’affirmation de la dialectique des < principes de plaisir et de réalité >…
Patadelphe. C’est cela… on déclarera donc sans démonstration -car il ne s’agit là que d’énoncés stipulatifs et performatifs …
Ubudore. … le trucage habituel des dogmatiques : l’affirmation… crée et fonde l’être…
Patadelphe. … d’une part : l’ existence d’un < psychisme inconscient > généré habituellement par le < refoulement de la pulsion >, et, -pendant la < cure >-, par la < résistance > de l’analysé au < travail d’interprétation > du prétendu < analyste >…
Ubudore… et d’autre part : l’ existence d’un « conflit  » opposant le prétendu < principe de plaisir > « poussant » le sujet à satisfaire ses pulsions et à supprimer toute tension pénible, au non moins prétendu < principe de réalité >…
Patadelphe. … On postulera donc que ce < principe de réalité > « contraint  » le < Moi > à résoudre les conflits qui l’opposent au < ça >…
Ubudore. … l’ensemble des pulsions primaires < soumises au principe de plaisir >…
Patadelphe. … et au < surmoi >… l’ensemble des < interdits moraux intériorisés sous forme de conscience morale >.
Ubudore. Quel jargon !..
-Patadelphe. … qui aurait fait les délices… d’un Lucien. On imagine le titre: Psychanalystes à l’Encan !
-Ubudore…. et quelle épaisse machinerie  » théorique » très  » fin de siècle  » imaginée d’après la Thermodynamique et transférée comme modèle explicatif dans le domaine des faits psychologiques…
… singulière conception de l’homme aussi…
Patadelphe… l’ idéal du bonheur humain défini par le « retour à l’équilibre », par la décharge énergétique qui accompagne la réduction de la tension ….
Nous sommes loin de l’Aurige de Delphes… ou du David du Bernin…
Ubudore. Que voulez-vous, les Freudiens ne sont pas des héros, des Nietzschéens… deux manières bien différentes de concevoir l’ « humanité « …
Patadelphe. Mais poursuivons cet intéressant développement…
L’analyste s’auto-proclame donc < interprète > des supposés  » désordres  » de la conduite auxquels, nouvel oracle et profond herméneute, il confère… un sens en les ramenant évidemment à sa marotte, à sa grille de lecture et à sa scolastique conceptuelle.
Ubudore. Et pour les besoins de sa cause, selon la  » logique  » de la pétition de principe…
Une fois de plus on n’échappera pas à la balayette du Père Ubu…
Patadelphe. Remarquez en outre qu’en ne se limitant pas à l’étude des formes psychonévrotiques de la « désadaptation du sujet à son milieu », la psychanalyse se veut une « science explicative  » de l’ensemble du comportement humain !…
Ubudore. Grandiose et irréfutable idéologie qui < a réponse à tout > -ainsi que le montrait Popper- … merveilleuse Weltanschauung…
Patadelphe. Son appétit de sens et sa largeur de Vue sont à la hauteur de la hardiesse de ses « concepts »…
Pédagogie, sociologie, croyances, anthropologie, faits de culture et de civilisation, critique littéraire, arts et religions… tel est le vaste champ de ses détectives investigations …
… pour le plus grand bonheur du genre humain…
Ubudore. Cela va sans dire… Car évidemment… altruiste et se chargeant de la souffrance des hommes, christophore à divans, la tribu des analystes se veut  » universelle  » ( l’  » Oedipe  » ! ), explicative, encyclopédique, systématique et « rationnelle »…
Patadelphe… L’insinuante médecine et la redoutable Obédience…
Le merveilleux système d’écoute du psychisme humain…
Ah, la cure !… le colloque du clerc et de la servilité… Ah, l’attention flottante…
Comme le remarque Wittgenstein, mais comme l’avait auparavant diagnostiqué Alain, il faut beaucoup de cartésienne défiance, de perspicacité, de caractère aussi, pour se soustraire au terrorisme intellectuel de cette < mythologie > et des héraults qui la colportent … tant fonctionne la machine à gloire médiatique au service de cette opinion publique et de ses adages…
Ubudore. … La prétendue racine du désir, la < pulsion> n’était donc qu’ une notion floue, spéculative, définie moins par sa précision conceptuelle que par sa fonction idéologique de  » solution imaginaire « , un vulgaire instrument de pouvoir…
Patadelphe. A ce qu’il semble… oui.
***
Ubudore. Notre présente conversation s’achève… nul regret ?
Patadelphe. Nous nous sommes bien payés de mots… On ne peut tout de même pas avoir la prétention ou le mauvais goût de désirer d’être exhaustif.
La pataphysique se montre et se pataphysique, parfois… sur le mode ‘pataphysique… indéfini tourbillon des idées et des choses…< Être et Dire >, … à jamais inachevée… montage, tissée de renvois, de rappels, de chausse-trapes et de sous-entendus… le piège du monde…
Ubudore. … il se fait tard sur la Preuse… l’ombre s’avance…
Patadelphe. Hé bien ! cher Ubudore… il est temps, séparons-nous…
( 30.10.99 )
 


MEDITATION ‘PATAPHYSIQUE Du passage ( ‘patexercice )
 L’Ombre d’Ubu : < Quelles réflexions vous inspire, ô mon fils, ce commun lieu : < tout passe. > ?
L’Escholier du Père Ubu : Un < lieu commun >, Ô mon Père, est un énoncé, une banalité dont le contenu n’est pas réfléchi mais dont la valeur n’est cependant pas nulle.
L’Ombre. Ne méprisons pas le lieu commun, mon fils. Il est l’origine du monde ; non point la bête immonde comme l’entend le vulgaire, mais le ventre fécond du dérèglement ‘pataphysique.
Admirons-le. Mieux : aimons-le !
Parmi les possibles ‘pataphilosophiques, dans l’innocence et la naïveté, il s’abandonne à nous comme la conceptubualisation potentiellle d’une notion ou d’un thème.
L’Escholier. Ô Sainte et Ténèbreuse Face, par cette brève à clarifier, Vous proposez deux termes liés en énigme à notre méditation, pour le meilleur et… pour le pire :
Le pronom indéfini < tout > et le verbe d’état < passer >.
L’indéfini enveloppe l’idée d’ < universalité >; et désigne la totalité de ce qui existe et de ce qui est soumis à < la loi du changement >.
Le verbe < passer > suggère l’évanouissement, l’étiolement, la disparition, l’anéantissement final affectant tout processus réel.
Vous nous invitez, Ô mon Père, nous autres Vos Escholiers, à éclaicir en ce ‘patexercice le sens de ce constat et à en dégager la portée et la valeur.
Elles nous apparaissent ‘pataphysiquement décisives : car si tout est voué à l’anéantissement, le pari d’exister peut-il être tenu ?
Est-il jubustifié de < se soucier > ( Heidegger ) , de < faire effort > ( Maine de Biran ), de continuer à < exister > ( Sartre ) ou même de < palabrer > ( Les Nouveaux philosophes) si nos oeuvres sont soumises au despotisme du changement et à la corrosion du temps ?
Réaffirmons donc hardiment qu’il en va de la signification même du projet d’exister !
Nous procéderons par ordre, l’ Ordre rhétorique qui plaît à Votre Magnificence.
*
Et sur le plan sémantique tout d’abord . L’expression < tout passe > signifie :
-que tout est passage, transition, relation, altération.
La < discontinuité > est au coeur de la < continuité >.
-que tout change d’ état : devenir, évolution, progrès, regrès, métamorphoses et déclin, entropie… tel est le réseau notionnel adéquat à la pensée du réel.
-que tout perd de son éclat, s’étiole, se fane, de la maturité à la sénescence par le pourissement lent. L’acmé est par contre toujours bref, éphémère, fragile, instable, fugace..
-que tout disparaît au même titre que tout < paraît > et que tout < apparaît >.
En outre, puisqu’ après avoir été, tout ce qui est  » sera « … comme s’il n’avait jamais été , l’anéantissement est donc la vocation du réel.
Sur le plan logique ensuite : Platon, parmi les plus doués de vos enfants, Ô mon Père, a longuement montré en son Sophiste et son exaltation dialecticienne, qu’au sein du devenir le < même > devient < autre > et < autre que l’autre >.
L'<identité> s’efface devant la <différence>, la <limite> devant <l ‘illimité>.
Sur le plan ontologique enfin : tout est affecté de cette marque irréductible qu’est l’ < altération >, le devenir-autre.
Et Chaos dévore la forme.
Rien Ô mon Père, -excepté Votre Gloire-, ne saurait donc prétendre échapper à la règle des Nornes, à la loi inéluctable et implacable du < passage >.
Passants, passagers, passeurs ou passereaux… selon le cas on passe, ça passe et ça trépasse…
C’est pourquoi l’ < éternel devenir > est le thème par excellence reconnu depuis le lointain Héraclite.
Devenir, déroute, débandade… désastre.
Il est vrai : monde, choses, autrui et moi-même, rien n’échappe au commun lot!
Mais Ô Puissant Ubu, seul Vous persistez, seul Vous demeurez, et seul Vous abondez.
Et < l’Univers est plein de votre Magnificence >.
L’Ombre. Cela est bien dit, mon fils.
L’Escholier. Cependant Ô mon Père, pour nous les simples, le < passage > a les traits de la malédiction.
Et ainsi que l’affirmait Hegel, le Docteur irréfragable : l’expérience est douloureuse et < la conscience est malheureuse >.
-Et tout d’abord par le morne ennui, l’angoisse de l’attente, le regret de l’inaccompli et le remords de la faute.
-Ensuite par la perception aiguë et la reconnaissance cruelle du <changement>
-Et encore dans l’épreuve quotidienne de la lutte contre l’ impitoyable < nécessité >.
On ne peut rien fixer.
Que peuvent l’effort, les règles, les conventions, les institutions ?
Que peuvent les artifices ?
Vaine est l’obstination, dérisoire le musée, inutile la commémoration… Douleur et souffrance accompagnent ces tentatives aussi inefficaces que réitérées.
Au jeu de l’existence: Pair, Impair, Impasse et Manque.
Aussi nous réfugions-nous d’ordinaire vers l’utopie et l’idylle qui nous promettent la béatitude par l’arrêt trop espéré du < devenir incertain > ( Eschyle ).
*
Mais je devine Ô mon Père le courroux qui assombrit Votre Coruscante Face.
Certes, cette vision Vous apparaît trop unilatérale, trop réductrice. Et je sens bien que ma méditation ne saurait se borner à ce constat de déploration.
Non, non ! Je ne verserai pas dans l’impiété et je boirai à la source vive de Votre Sagesse.
Le monde n’apparaît tel -il me faut en convenir-, qu’à des esprits aveugles, étroits et grossiers, trop éloignés de Votre Secours !
C’est pourquoi, animé d’un zèle saint aussi bien que persuadé, habité d’un nouveau courage, je reprendrai maintenant l’analyse du concept où je l’avais trop tôt abandonnée.
Et mes louanges célèbreront Vos Oeuvres.
L’Ombre. Cela est bien dit, mon fils.
L’ Escholier. Et premièrement du point de vue sémantique.
< Passer >, c’est circuler, communiquer; c’est également… transmettre.
Telle est la condition du claudélien échange et du don, le présupposé de la sociabilité, de l’association intéressée et utilitaire ou encore de la sincère philanthropie.
De la noble pédagogie à la vertueuse politique.
-Sur le plan logique, la transition est source de l’apparition ; car c’est la différence qui amène la nouvelle identité.
Et tous nos raisonnements ne sont-ils point relations et relations de relations ?
-Et sur le plan ontologique, l’ idée de < passage > enveloppe la renaissance, la création, la nouveauté, l’originalité.
Tel est donc le paradoxe du devenir, < merveille > grosse de dynamisme, de jeunesse et de vitalité face aux démons obscurs de la mort, de l’inertie, de l’entropie.
Les runes de l allégresse vitale accompagneront donc, Ô mon Père, l’expérience joyeuse du passage.
Si le monde est tragique puisqu il est devenir, involution, dégénérescence, déclin et mort, il est aussi évolution et progrès sous la condition de l’activité finalisée et de l’ < incarnation des valeurs >.
Multiple, divers, riche, interdisant l’ennui et la torpeur à qui sait voir, à qui sait l’étudier, à qui sait en jouir.
Et le < changement > est la condition de cette richesse affirmaient Nietzsche et, après lui , Léni Riefenthal.
Exister, c’est donc vouloir le passage et accepter le changement.
Et comme l’a montré Hegel en son saint jargon, il y a un vif plaisir à éprouver la < contradiction à surmonter >.
Fuyons donc -comme le préconise l’auteur du Zarathoustra en son Cinquième Evangile, les nihilistes épuisés et le ressentiment à l’égard de la vie.
Acceptons lucidement le commun lieu de la réalité où < rien n’est jamais donné mais où tout est toujours à construire >.
Suivons avec courage le chemin des deux bonhommes de Flaubert.
A l’écoute du langage de Notre Temps.
Et comme dit le Poète : < Le vent se lève!… il faut tenter de vivre!…>
Le monde est vaste. Mettons à la voile.
*
Et en votre Royaume d’abondance où < tout change et tout passe >, divin Père, immense est le champ qui s’ouvre aux Escholiers d’ Ubu comme aux investigations du ‘pataphilosophe.
Grâce vous en soit rendue.
L’Ombre. Cela est bien dit Ô mon fils. Et tu m’ as compris.
 


 A COURTAGNON. SUR < AUTRUI > ET DE QUELQUES AUTRES…
< il faut bien parler de choses et d’ autres… > La Sibylle ‘pataphysique, Eclats
 
Patadelphe. Quel silence…
Ubudore. Quelle solitude…
Patadelphe. Silence et solitude… les deux colonnes de… l’ asociale sécurité.
Ubudore. Avoir la paix… La paix du scriptorium, la paix du sablier et sa bonne mélancolie… la salle d’études… la profonde bibliothèque…
Patadelphe. La paix des forêts…
Ubudore. … propice à l’évocation de l’ < absent >…
Patadelphe. … de l’ < autre > ?…
Ubudore. … des < autres >…
Patadelphe. … de l’ < Autre > …
Ubudore…. et du < Tout Autre >…
Patadelphe. Prenons à droite, voulez-vous, et engageons-nous dans ce chemin …
Ubudore. C’est cela. Suivons le lit du ruisseau, remontons jusqu’ à la source.
L’Ardre nous y invite…
Patadelphe. Dans ces lieux retirés nulle désagréable promiscuité… Point d’ < autrui > pour nous importuner…
Nous pouvons nous entretenir à visage découvert.
*
Ubudore. Mais de fait, de qui et de quoi parlons-nous quand nous parlons d’ < Autrui > ?
Patadelphe. Réveillons et consultons l’Oracle… aux yeux bandés.
Ubudore. La grammaire ?…< Autrui > fait partie de la classe des < pronoms et des adjectifs indéfinis de quantité partielle > tels que < certains >, < d’ aucuns >, < plusieurs >…
< Les autres > désigne < tous les êtres ou tous les objets qui restent d’un groupe d’où un être ou un objet au moins est retiré >.
Patadelphe. On ne saurait être plus concret et plus précis… Quant à l’ < Autre > ?…
Ubudore. Il s’agit d’un pronom indéfini substantivé… et promis par la même à un brillant avenir …
Patadelphe…. je vous entends bien : spéculatif et visionnaire… au même titre que < Nul > ou encore et surtout < Personne >…
Ubudore. … et dont l’ usage ressassé jusqu à écoeurement nous contraint… par cette police du langage et de la pensée qu’il nous faut subir jour après jour, dans la contamination linguistique.
Patadelphe. Saint langage, Sainte morale… Pieuse contagion.
Notre communion selon les deux espèces…
Et tout d’abord par l’usage social : l’autre c’est < le semblable >, le < frère >, le < même > dans son altérité, sa différence…
Puis, comme catégorie universaliste religieuse d’origine vétéro et néotestamentaire : le < Prochain >…
Ubudore. … Selon la terminologie idéologique de l’auto-proclamée  » Religion du Livre « .
Patadelphe. Ce n’est pas tout. Car avec l’idée de < Personne >, < Autrui > se présente enfin avec les atours du Droit et de la Moralité civile… univers mental non moins contraignant, non moins insinuant.
Ubudore. La Loi et les lois… L’ombre d’Ubu s’étend sur nous et nous couvre de sa magie linguistique, mon cher Patadelphe…
Patadelphe…. et de ses superstitions…
Ubudore. Cependant à l’origine de ces chansons demeure une réalité incontournable : l’autre, les autres, autrui constituent bien une donnée immédiate de l’existence…
Patadelphe. … de part en part relationnelle, c’est incontestable.
Pour pasticher… lourdement, Heidegger, < exister, c’est être-à, être-avec, être-avec-autrui, être-au-monde… >
Ubudore… les fameux < existentiaux >… C’est être < contemporain > ( O. Spengler ) ; et le < moi > commence effectivement au < nous > ( M. Scheler ).
Exister, c’est donc toujours déjà vivre sur le mode de l’autre.
Patadelphe. Soit. Ce qui enveloppe deux conséquences :
D’une part l’impossibilité du solipsisme qui -s’il a une portée représentative-, ne possède par contre en biologie relationnelle aucune base ontologique…
Ubudore. C’est évident … et d’autre part ?
Patadelphe. La contrainte vécue de la reconnaissance selon ses diverses modalités…
Ubudore. … exister avec autrui, par autrui, pour autrui, mais aussi contre autrui…
Patadelphe. … sans autrui ?
 

DE LA < RECONNAISSANCE >
 Ubudore. Improbable gageure… car il est vrai que nous vivons dans le climat permanent de l’exigence de reconnaissance. 
Patadelphe. Effectivement < Être reconnu…>, est un fantasme universel…
Ubudore. Faut-il toutefois accepter ce fait comme une nécessité ? Peut-on le refuser ? Quelle attitude adopter ?
Patadelphe. Vous demandez si le ‘pataphysicien doit accepter ou refuser d’entrer dans ce « jeu »… le jeu de la reconnaissance ?
Ubudore. Oui… Cela mérite pour le moins une analyse.
Patadelphe. Sans doute…mais une pause serait aussi la bienvenue…
Ubudore. Arrêtons-nous auprès de ce méandre et reposons-nous sur ce monticule…
Patadelphe. … un terrier… un vieux logis qui, d’ après ses dimensions, a vu séjourner bien des hôtes…
Ubudore… du renard sans doute… du blaireau aussi…
Patadelphe. … et maintenant deux ‘pataphysiciens… drôles d’animaux… en veine de divertissement…
Ubudore. … de fables et de fictions…
*
Ubudore. Revenons à notre < reconnaissance >… Nous devrons tout d’abord définir le concept, en préciser ensuite les modalités empiriques d’application et dégager enfin sa valeur…
Patadelphe. Soit… cette démarche me convient tout à fait.
Commençons par la notion.
Ubudore. Indépendamment du sens psychologique de rappel ou encore du sens affectif de gratitude, selon l’acception la plus générale, la reconnaissance est l’ affirmation de la valeur ou mieux encore, de la vertu -au sens latin-, d’un homme digne de considération ; elle est expression, aveu ou confession d’une  » dignité « , et dans tous les cas la manifestation d’une certaine estime.
Patadelphe. Plus ou moins ; être « avec autrui  » c’est le considérer ou en être considéré…
Ubudore…. le jeu de la considération…
Patadelphe. … la relation de réciprocité… Et d’après quelles voies ?
Ubudore. Pour ma part j’en distinguerai trois : l’affrontement, les modes de la philia, le mérite.
1.
Le mérite est classiquement défini comme un droit à une récompense que confère un acte à l’agent qui l’accomplit par devoir.
Il est d’autant plus grand que les obstacles à vaincre furent plus nombreux et plus difficiles. Il met en jeu les modes de l’oblation : la privation, le sacrifice de l’intérêt propre, la souffrance physique et morale, la lutte contre les penchants et les passions.
Patadelphe. Tout cela est… fort moral… La philia…
2.
Ubudore. De la lecture des classiques, de l’Ethique à Nicomaque et des Evangiles, il est possible de tirer et de composer un nuancier : de la simple entraide plus ou moins intéressée à ce qu’ on nomme « amour  » en passant par la sympathie, la pitié, la compassion, le don gratuit, la  » grâce » mystique, la  » charité « …
Patadelphe. Un clavier aux larges registres… de l’égoïsme au sublime..
Laissons la sainteté à sa lointaine majesté et retournons maintenant au choc des égoïsmes, c’est à dire à l’affrontement…
3.
Ubudore. C’était l’option privilégiée par Hegel, Kojève et Sartre…
Patadelphe. Le fondement de leur Vision de la < philosophie de l’Histoire > …
Ubudore. La fameuse Dialectique du Maître et de l’esclave envisagée comme grille de lecture métahistorique de l’événementiel politique…
… < la lutte des consciences pour la reconnaissance >, le triomphe du < maître > qui a su < mettre sa vie en jeu > dans le duel, et la vengeance de < l’esclave > qui parvient au terme de l’ < Histoire > à prendre le pouvoir…
Patadelphe. … par l’activité laborieuse…
Je connais la fable… et son origine à peine dissimulée : le besoin de sotériologie accordé à la soif de se venger des oligarchies… le fantasme de salut de la prétendue < Humanité > par… le < travail > !
Ubudore. Cependant il y a là quatre pétitions de principe inavouées :
-que quelque chose comme l’ < Humanité > existe ;
-que -prise comme un tout-, elle possède devenir, évolution et < Histoire > ;
-qu’elle éprouve l’exigence d’un quelconque < Salut > ;
-et enfin que ce salut lui vienne du < Travail > et de l’ < administration des choses > à l’échelle… planétaire !
Patadelphe. Grandiose Vision judéo-chrétienne dans sa version réformée devenue anthropologie travailliste laïque / libérale-social-démocrate et métaphysique de l’  » humain » .
Déclinons ses attendus :
il y a une essence de l’homme… il est < perfectible > … il y a un cours de l’ histoire qui manifeste progressivement cette essence dans le temps. Le Livre + Leibniz + Rousseau + Kant = Hegel, les hégéliens, Kojève… et la Synarchie… à l’ U.N.E.S.C.O., l’O.N.U.. et les bavardages narcissiques de l’intelligentsia conformiste et bien « pensante » …
Ubudore…. deux siècles d’idéologique et imaginaire Dogmatique pour la résolution de la question sociale supposée…
Patadelphe. … avec < projets de société > à la clef et au passif quelques dizaines de millions de victimes…
Car quoiqu’ils disent et quoiqu’ils en aient… le Verbe tue…
Quand le Verbe, -saint Jean Bouche d’Or-, du haut de sa chaire se fait chair, c’en est fini de rire…
Nul doute que la veine utopique n’est pas tarie et que l ‘antienne sotériologique ne cessera pas de nous divertir et de nous combler de ses extravagances…
*
Ubudore. Si nous passions maintenant à la justification de la reconnaissance ?
Patadelphe. C’est là le troisième moment, le point épineux de votre démarche…
Pour ma part je discernerai une alternative et deux options : Ou bien le sujet reçoit sa vérité et son être d’un autre ; c’est -à dévider la série-, la thématique chrétienne, hégélienne, sartrienne, lacanienne et lévinasienne… et le désir de reconnaissance possède une portée ontologique ; il fonde la subjectivité.
Ou bien -de Thrasymaque à Klossowski par Sade, Gracian, Schopenhauer, Nietzsche et quelques autres-… on ne décèlera là que supercherie, mystification et plate moralisation.
Ubudore. Selon la première perspective, le désir humain est désir de l’autre, désir du désir de l’autre… désir de l’autre … et enfin -‘pataphysiciens un dernier effort-, respect et reconnaissance de l’Autre…
Patadelphe. Entrelacs à fils multipes.
Ubudore. Evitons l’étranglement… dénouons-les.
Patadelphe. Ainsi mon existence serait d’une manière absolue fonction d’autrui, de ce qu’il daignerait m’accorder… désir de l’autre…. Je ne serais que son ombre portée…
Je reçevrais, mon être de son jugement, de son < regard >. On comprend qu’on ait pu invoquer… l’ < enfer > et constituer l’expérience de la honte voire du remords en paradigme de l’intersubjectivité…
Ubudore. Sartre… Mais quelle vision de l’homme…
Patadelphe. Vision d’esclave en effet…
Nous sommes très loin du sens grec dérivé des < lois de l’ hospitalité > (Ulysse chez les Phéaciens) et de la < reconnaissance > pensée comme expression de la gratitude et de la fierté qui remercie…
Mais une autre relation de servilité orienterait, dit-on, mon existence. Je tirerais mon être de désirer ce que l’autre désire…
Thématique commune à l’anthropologie, à la sociologie et à leur envers, la  » critique  » à prétention démystifiante.
< Mimétisme > ( René Girard ) du désir des mêmes objets désirés par l’autre qui ouvre un monde de violence et de vengeance sans fin -dont il ne serait possible de sortir qu’en détournant cette violence sur une victime sacrificielle ; ou < consumérisme > lié à la vanité sociale analysé par Veblen et Raymond Ruyer contre la critique de l’économie politique du signe ( Jean Baudrillard ) … trois directions analytiques divergentes pour une commune problématique.
Ubudore. Et en troisième lieu, désir… de l’autre.
C’est toujours l’autre qui commande… mais c’est maintenant moi qui me détermine par rapport à lui …. jusque dans la relation de séduction : désirer < d’être reconnu et désiré par l’autre > … prétendre exister par son regard que je ne cesserais de solliciter, d’implorer ou de forcer … pauvre et lamentable chose sous influence, privée d’autonomie, et obséquieuse jusqu’à l’abjection…
Patadelphe. Nous avons affaire à un authentique fétichisme… une véritable idolâtrie d’ < autrui >, ce veau d’or à deux pattes…
Mais dégagons-nous de la fondrière psychosociologique et gagnons le terrain moral…
Ubudore. Problématique universaliste, chrétienne et kantienne. Des Evangiles à la Déclaration des Droits de l’Homme.
Patadelphe. L’ < autre > se fait maintenant valeur : avènement de l’ < Autre >… Alchimique métamorphose… mystique transsubstantiation… naissance et apparition de l’  » Idée  » spéculative, anthroponomique, de la < Personne humaine > … Religion civile du rien devenu tout, puisque < personne > ce n’est… personne, pas même le masque de < persona >, masque du < masque > , son étymologique origine.
Ubudore. Remarquable et spectrale notion puisqu’ -à suivre Francis Bacon-, tout à la fois : < fantôme du forum >, illusion procédant du langage et < fantôme du théâtre >, illusion propagée par les systèmes philosophiques…
Patadelphe. Il s’agit là en effet d’ un pur fantasme ethico-religieux jouant le rôle de fondement métaphysique d’un jugement prescriptif, le fameux < impératif catégorique > piétiste et kantien.
Ubudore. Enonçons-le : < Agis de telle manière que tu considères autrui comme une Fin et jamais simplement comme un moyen >.
Patadelphe. Morale du < devoir > , morale < du troupeau > ( Nietzsche) , de la soumission au commandement, à la Loi… ( Stirner )
Ubudore. … et à ses prophètes… comme l’ avait vu Schopenhauer en sa critique du Kantisme ( Fondements de la morale )… où < l’autre > et moi-même sommes certes reconnus mais à la manière d’épouvantails revêtus des haillons de < l’obligation éthique > … au mépris de notre personnalité réelle, de notre distinction…
Patadelphe. < Tu dois ! >, et tout est dit… Telle est la mirobilante parole du Prêtre… du bon pasteur < personnaliste >… de l’excellent bonhomme, persécuteur apôtre de la religion civile… et jusqu’à l’hallucination collective du moralisme intempérant… et de ses agents…
Et dans le désordre :
… Imams, rabbins, prêtres, archiprêtres, pasteurs, popes, papes, guides, führers, gourous, psychanalystes, professeurs de yoga… Science-po/Ena/Bercy/LeMondains, diététiciens, hygiénistes, publicitaires… chers professeurs, conseillers conjugaux, hommes et femmes de Loi et de lois, écrivains dérangés et engagés, ministres de la Culture, Scientologues ignorantins, Droits-de-l’hommeux vigilants, Persécutants moralistes, Bonimenteurs éditorialistes… pythies, oracles, prophètes, futurologues, anges gardiens, devins de banlieue…
bref le tout venant des prêcheurs de l’ < Acrote morale >…selon Sainmont / Latis / Sandomir ..
Mais vous frissonnez ?…
Ubudore. Je n’y puis rien…ces < petits hommes noirs > ( Voltaire) me donnent froid dans le dos…
Patadelphe. Vous êtes bien délicat… Pour mon particulier, ils me dérideraient plutôt le visage… Mais il est bien vrai qu’ils pullulent…
A ce propos une anecdote…
 L’ < UTOPIE DE L’ HUMAIN > OU LEVINAS CHEZ LES HALLUCINES
 Patadelphe…. C’était il y a quelques temps, sur les Ondes… au <  » Ministère » de la Culturelle Vérité > le bien nommé … un halluciné… mon ami, quel ton !… pour un peu il aurait convaincu mon récepteur … le bienheureux en vibrait d’émotion…
Ubudore. ?…
Patadelphe. J’essaie de vous restituer le sermon du < monsieur > : il s’agissait si j’ai bien compris de < vivre l’éthique. >…
Ubudore. Nom d’un chien… quel programme !… je me sens déjà tout « interpellé »…
Patadelphe. Je vois que vous êtes dans d’excellentes dispositions… mais essayez de vous représenter le discours et la pose de l’imprécateur :
< L’Ethique de la Sollicitude doit se substituer à celle de l’Honneur… Et le Principe de l’Ethique n’est autre que l’émergence de l’Humain dans l’Être > … tout cela avec majuscules bien entendu… et l’émotion à fleur de voix…
Ubudore. … quelle grandiloquence…
Patadelphe. … ce n’est rien … attendez la suite…
< la Responsabilité doit primer la Liberté… et l’Universalité doit se fonder sur la Rencontre des Singularités… il faut penser la Singularité de chaque homme face à chaque autrui…< Me voici > répondant de Tout et de Tous… nulles limites à la Responsabilité… Tu es Appel et Je suis Réponse… telle est l’émergence du Sujet humain… Ton Visage m’affecte non pas à l’indicatif mais à l’ impératif… car telle est la partie la plus vulnérable de l’Etre humain qui en appelle à moi… tu ne tueras pas… tu feras tout pour que je vive… tu ne m’abandonneras pas… à mon sort… à ma solitude… et pas seulement dans les situations de violence… mais au quotidien… Mon Visage n’est pas habillé, il est exposé à la mort… il exprime la Loi… il ne faut pas chercher la reconnaissance dans l’affrontement et la philosophie ne commence pas à l’étonnement mais à la détresse…>
Ubudore. … les belles paroles et les nobles idées…
Patadelphe. …vous n’y êtes pas. Il s’agissait d’un prêche… » philosophique »… ce n’est pas de la littérature… asséné à l’auditeur par l’un des sectateurs de Lévinas-le-phénoménologue, un de ces nouveaux docteurs de la Loi… de la  » Loi « … au-dessus des lois… cela va sans dire ; Loi qui leur donne justification et pouvoir de parler d’où ils parlent, de reprendre les autres, de les juger, de les admonester, de les dénoncer et de les condamner…
Ubudore. Quoi ! vous dites qu’ils accréditent de pareilles fadaises, de semblables sottises… jamais un adolescent débutant dans l’exercice de la dissertation n’oserait juxtaposer les métaphores rapées de ce galimatias mielleux et prétentieux fait de charitables intentions, de bons sentiments, de misérables concepts et… de sinistres conclusions…
Juger autrui… quelle horreur et quelle primaire naïveté !
Patadelphe. C’est pourtant ce galimatias -comme vous dites-, qui a cours aujourd’ hui… et pas seulement sur les Ondes…
Ubudore. Mais enfin de quoi parlent-ils quand ils parlent de < l’Humain> ? puisqu’ils n’ont que ce terme sur les lèvres… et qu’est-ce donc que l’homme > ?
Patadelphe. Sans doute dans leur précipitation n’auront-ils pas remarqué que le concept faisait problème…
A moins que… Mais nous y reviendrons… Retournons à notre question… la valeur du désir de reconnaissance.
*
Ubudore. Nous venons de décrire la première réponse pour laquelle nous recevrions notre vérité d’un « autre ». Et cette thèse est très généralement reçue.
Patadelphe. Passons maintenant aux critiques de ce prétendu désir de reconnaissance.
Elles ne manquent pas. Nous pouvons en envisager trois.
Le refus de la < reconnaissance > interprétée comme mystification et supercherie ; puis l’attitude du mépris délibéré de l’ < autre > comme tel ; et enfin la politique de la différence.
Ubudore. Supercherie et mystification.
Le prétendu < devoir de reconnaissance > ne générerait que des considérations platement moralisantes.
C’était la thèse d’un Thrasymaque dans l’Antiquité; ce fut la thèse de Sade anticipant d’une manière critique les développements de Lévinas et ses contemporaines analyses de la valeur du prochain comme épiphanie de l’Autre, comme origine de ma responsabilité absolue et de mon obligation d’assistance.
Patadelphe. L'< autre >, loin d’être celui duquel je recevrais mon être à vocation éthique, serait tout au contraire le piège le plus dangereux pour mon identité !
Si exister, c’est vivre sous influence, être soi suppose une extrême méfiance à l’égard des stratégies d’autrui.
Ubudore. Thématique développée – si je ne m’abuse-, par Vincente Minelli en certaines de ses comédies ( Les ensorcelés ).
Patadelphe. En conséquence de quoi il importerait selon cette perspective non pas tant d’y céder mais plutôt de l’affronter ou de s’en dégager.
Ubudore. Le mépris délibéré…
Patadelphe. C’est la thèse de Schopenhauer… dans ses Aphorismes sur la sagesse dans la vie.
L’ouvrage expose une critique impitoyable de ce qu’il nomme la < vulgarité sociétaire >. Il faudrait s’exclure sans remords et sans repentir des relations sociales où nous avons tout à perdre -en temps et en énergie-, et strictement rien à gagner… La nature humaine, triviale, malveillante et mesquine constituant un insupportable fardeau pour le < sage >. Les tentatives d’éducation et les efforts de moralisation seraient vains, le magistère philosophique serait inutile… Il conviendrait alors de fuir les projets insensés, les utopies et les balivernes idéologiques du forum.
En s’abstenant ainsi de la compétition et du besoin puéril d’être reconnu, le sage mènerait une existence retirée, fuyant la scène et gagnant la salle.
Loin de s’intégrer, il faudrait donc se retirer du jeu. Et l’équilibre mental résiderait dans ce retrait bien compris.
Ubudore. La politique de la différence enfin…
Patadelphe. Attitude nietzschéenne… Activisme de < Boutefeu > ( E. Jünger ).
Il faudrait creuser les différences… par < l’exploitation > des incapables ; tel est le programme de l’ Evangile dionysiaque propre à l’auteur de l’Antéchrist.
En conséquence de quoi la < vaticination > nietzschéenne ( P. Klossowski ) suggère l’organisation d’un complot, d’une réunion clandestine de complices sélectionnés selon les critères intellectuels, physiques et moraux les plus sévères afin de parvenir à une < surhumanité > …
Ubudore. De la littérature certes… mais nous sommes loin de la présentation pieuse du Nietzsche pour sociaux-démocrates des années 70… un Nietzsche  » retraduit  » d’après les méthodes les plus < scientifiques > … c’est-à-dire euphémisé … émasculé et… enfin présentable.
Patadelphe. C’étaient en effet … les habits neufs du nietzschéen nouveau…
*
Ubudore. Faut-il conclure ?… l’ autre et sa reconnaissance en valent-ils la peine ?
Patadelphe. Je dois avouer que je ne comprends pas la question… je vous suggère toutefois un ‘pataphysique mot d’ ordre aux accents rimbaldiens :
< philosophie du départ ! >( E.P.)
Ubudore. Le chant de la terre…
Patadelphe. Oui…
A défaut de « reconnaissance » il nous donnera peut-être… < la joie >( Henri Thomas ).
 PEUT-ON FABRIQUER L’HOMME ?
 Ubudore. Soit. Je dois néanmoins avouer que le < surhumain >… me laisse rêveur… sait-on même de quoi < l’homme > est fait ?
Patadelphe. Bonne question :< de quoi et de qui > parle-t-on quand on parle de < l’ humain > ?
Ubudore. Le terme s’emploie d’ordinaire en trois sens et selon trois registres…
La compassion que l’on témoigne à autrui, registre psychologique ; l’appartenance à une commune espèce, le genre humain, registre biologique ; et enfin l’Humanité, registre éthique.
Patadelphe. C’est dans ce contexte axiologique qu’on situe habituellement les idées de < Personne > et de < Dignité de la Personne humaine >.
De ce point de vue, < l’ Humanité > est une idée transcendantale, au sens kantien, donc une pure fiction à usage régulateur dont le rôle est de fonder le jugement de valeur moral en prescrivant à tout homme l’obligation du respect de < l’autre >.
Ubudore. Et nous connaissons également l’ origine de ce concept…
Patadelphe. La source en est en effet triple. Juridique, religieuse et morale.
Elle relève du droit romain et s’applique à celui qui jouit des droits civils.
Elle se précise dans la tradition néo-testamentaire au sens de < prochain >, celui qui est redevable, mystiquement parlant, de mon < assistance > et de mon < amour >.
Boëce en a donné la signification philosophique classique reprise ultérieurement par les Scolastiques : < Personne se dit d’une substance individuelle de nature raisonnable >. Kant, resté dans l’ornière du christianisme réformé, en a fait la clef de voute de la moralité et lui a attribué -comme être raisonnable-, une < dignité > et une < valeur > absolue.
Ubudore. D’où par la suite et dans la ligne du kantisme, la Déclaration des Droits de l’homme… et d’une manière récurrente la doctrine et l’histoire du droit naturel.
Patadelphe. Jusqu’ à Léo Strauss… et ses contemporains sectateurs. Notamment américains…
Ubudore. Nous avons ainsi restitué la filiation .
Patadelphe. Il est clair que nous avons affaire à une idée spéculative, à une pure fiction.
Pour nous ‘pataphysiciens, la < personne > n’existe pas -pas plus par ailleurs que le < droit naturel > ; il s’agit là d’ une idée-rôle, d’une notion qui ne possède aucun référent empirique mais à laquelle une force, une < puissance > ( Nietzsche ), confère une fonction idéologique.
En ce sens, < l’ Humain > est un concept sublime, < immense > au sens de Malebranche, image de < l’infini >, c’est-à-dire -à suivre Rudolphe Carnap, « vide de sens  » et de contenu, sans objet, fantômatique ou -pour reprendre le vocabulaire de Bacon-, spectral…
Ubudore. Je vous suis…
Si nous mettons maintenant de côté l’aspect psychologique de la notion, incontestable celui-là, traduisant l’élan de sympathie spontanée qui nous pousse parfois à soulager la douleur ou la souffrance d’autrui dans un élan irrationnel, il nous reste à élucider la troisième acception du terme, le concept d’ < humanité > au sens scientifique, et plus précisément à chercher le référent empirique de la notion d’ < humanité biologique >.
Patadelphe. J’ai peur que nous ne le cherchions… longtemps…
L’ identité biologique de l’humanité -comme tout ce qui relève de l’application du principe d’identité-, me paraît être plus problématique encore que la découverte du saint Graal … car l’espèce humaine étant soumise comme toute autre espèce au changement et à l’évolution, toute définition de < l’humain > se ramènerait à une simple coupe dans la ligne de temps de ce développé qu’est l’humanité.
Et plus profondément c’est l’idée de < nature > humaine qui est ici en question…
Y-a-t-il quelque chose comme une < humaine nature > ?… Problème métaphysique…
Ubudore. Si nous plaçons sous le concept tout ce qui relève de la spontanéité : tendances, reflexes innés, besoins… l’usage de ce mot est certainement pertinent. Mais si nous prétendons fixer cette spontanéité donnée alors nous accréditons le fixisme qui constitue pourtant non pas seulement une spéculation historiquement datée mais une erreur scientifiquement repèrée comme telle.
Patadelphe. Il faut donc déplacer la question.
Elle n’est plus de savoir s’il y a un donné… c’est l’évidence, mais si ce donné en perpétuel devenir depuis des centaines de milliers d’années doit -à reprendre l’ alternative classique d’Aristote-, être laissé à une évolution naturelle, à un devenir hasardeux ou s’ il peut être guidé par une intervention artificielle.
Ubudore. Le < Grand Débat > … de < cette fin de siècle >…
Patadelphe. Et l’inépuisable déballage… sur la < bioéthique > … source d élubucubrations variées, d’innombrables prophéties et d’imprécations moralisatrices…
Scientifiques, Prix Nobels, Ecclésiatiques, Philosophes, Autorités morales, la Compagnie des Doctes… tout l’establishment monte au créneau…
Ubudore. Et pourquoi pas… le ‘pataphysicien ?
-Patadelphe. Pourquoi pas en effet… Mais avons-nous quelque chose à proposer et même quelque chose à dire ? si ce n’est comme à l’ordinaire un essai de… définition des termes et la clarification des pseudo ou des… faux-problèmes ?
Ubudore. Effectivement. Une bonne définition suffit le plus souvent à faire disparaitre Visions et perspectives.
Patadelphe. Et en l’occurence la question est de savoir s’il est légitime de « fabriquer l’homme » ?
Le problème qui agite les esprits est celui-ci : doit-on ou non intervenir dans le génome pour mettre fin à la < roulette génétique > ?
Pour les uns, il y a une nature humaine intangible et sacrée. Et il est hors de question de se substituer à ce qu’ils nomment le < Créateur > . Thèse religieuse et spéculative invérifiable.
Pour d’autres, le « pouvoir médical  » est justifié à intervenir à la marge pour corriger handicaps, maladies et disfonctionnements prévisibles, les insupportables écarts à la < moyenne> ; cette < moyenne > qui leur tient lieu de concept de < nature> . Il serait alors légitime d’orienter le hasard…
Mais pour d’autres encore, les enfants de Wells et les disciples de Gabor, le Nobel de Physique, < tout ce que l’on peut faire, on doit le faire > … Impératif catégorique de la « raison scientifique ».
Ubudore. C’est l’ île du Docteur Moreau que vous évoquez … fâcheuse référence…
Patadelphe. Il en fut de pires… Oui… Fivette, prélèvements d’organes, expérimentations sur l’embryon, banques d’organes… et enfin clonage, tous ces procédés techniquement possibles autoriseraient l’intervention de l’homme sur son patrimoine génétique… et permettraient l’eugénisme, le vieux rêve de l’humanité prométhéenne, depuis… Platon et sa cité idéale ( République 4/5/6 ).
Ubudore. L’artificialisme positiviste contredirait ainsi un tabou éthique et religieux majeur, une manière de  » Onzième Commandement  » :
< Tu n’ interviendras pas dans le patrimoine génétique de ton espèce ! >
Mais si l’idée de < nature > est comme nous l’avons vu vide de sens…
Patadelphe. Je vous laisse tirer la conséquence… de la prémisse.
Si la ‘pataphysique cesse d’être littérature et banale attitude existentielle, pour devenir effectivement…< forme de vie > pour reprendre l’expression de Wittgenstein, au nom de quoi et de qui pourrait-elle contester le passage à l’acte du démiurge positiviste ?
Et pourquoi laisser au hasard -c’est-à-dire à l’arbitraire du rien-, le soin de définir l’évolution de l’espèce plutôt que d’ intervenir en toute conscience dans le cours de cette évolution afin de procéder à la fabrication de cette solution imaginaire plus réelle que le réel , de cette nouvelle oeuvre d’art que serait l’ < homme > ?
Ubudore. Vous m’effrayez, Patadelphe…
Patadelphe. C’est simplement la rançon de la cohérence… Il est curieux de constater que les hommes n’apprécient la logique que dans la mesure où elle va dans le sens de leurs préjugés et de leurs habitudes. Nietzsche l’avait remarqué : tout < professeur de nouveauté > passe pour un esprit méchant, diabolique, dès lors qu’il prend les routines et les idées convenues à rebours ( Le Gai Savoir ).
Et -qu’on le veuille ou non-, la science -sans la morale-, est… incontestablement  » diabolique « .
Ubudore. Mais alors dans cette hypothèse c’est la < Recherche > qui fait le droit…
Patadelphe. Si le < Droit naturel > n’est qu’un tissu de fictions … oui.
Ubudore. Et s’ouvre désormais pour le généticien ‘pataphysicien un champ nouveau d’investigation…
Patadelphe. Un nouvel et très exitant Ouvroir… L’Ouvroir d ‘eugénie potentielle… L’OUDEUPO.
Mais rassurez-vous, tout cela n’est encore qu’ hypothèse… et nous sommes des songe-creux…
Ubudore. Après l’idéaliste et mystique alchimie personnaliste, voici donc l’alchimie scientifique en acte… la génétique ‘pataphysique opératoire…
Votre conclusion me donne quelque peu le vertige… et comme le Narrateur de la Première Méditation, après l’épreuve du < Doute > , je me découvre tout étourdi…
*
Nous avons bien avancé mon cher Patadelphe… peut-être devrions-nous nous accorder une courte halte…
Patadelphe. Nous sommes parvenus à la source ; avons-nous assez de persévérance pour continuer notre promenade ?
Ubudore. Que pourions-nous ajouter à vos dernières extravagances ?
-atadelphe. Que s’il n’est pas pour l’ heure possible de fabriquer l’homme, du moins est-il en notre pouvoir de le persécuter au nom de la morale…
DE LA PERSECUTION
 Ubudore. Ici je vous suis mieux… Nous ne quittons donc pas le terrain de la < reconnaissance >…
Patadelphe. … ni même celui du souci d’autrui…
Ubudore. Mais il s’agit du harcèlement et de la méchanceté… un souci bien particulier…
Patadelphe. … mais si ordinaire…
Ubudore. Que veut le persécuteur?
Patadelphe. La confirmation par l’autre de sa certitude d’exister…
Ubudore. Thèse énigmatique…
Patadelphe. La souffrance et la douleur continuées qu’il inflige constituent la preuve de la reconnaissance qu’il lit dans les yeux de celui ou de celle qu’il persécute, qu’il poursuit de ses assiduités…
Et pour cela il lui faut les… harceler.
Ubudore. < Sans cesse sur le métier reprenez votre ouvrage…> … je crois comprendre.
Le fondement de la persécution serait ontologique…
Le persécuteur recherche une confirmation à être, à son être. Et pour cela il a besoin de l’autre, d’ être reconnu par l’autre, en l’occurence, comme son tyran.
Patadelphe. La réponse psychologique avancée habituellement -< le désir de vengeance >-, n’est donc au mieux que superficielle…
Quant au reproche moral, il est comme d’habitude insatisfaisant, décalé…
Condamner n’est pas comprendre. La clef de l’explication doit être cherchée dans le sentiment d’horreur que le persécuteur éprouve à l intuition de sa propre caducité, à l’intelligence vécue de son impermanence…
< Tout passe >, je passe… tu trépasseras dans la lenteur, donc je suis…
Et le bonheur de la persécution résiderait dans le fait qu’exécutée avec art, elle peut ne pas avoir de fin… ainsi que la vengeance, c’est une concession à perpétuité…
Ubudore. Et il y aurait de cela dans toute espèce d’assiduité ?
Patadelphe. C’est probable…
Ubudore. La persécution serait ainsi le paradigme ou la métaphore du lien social ? et l’amour même n’en serait qu’une espèce ?
Patadelphe. C’est vous qui le dites… Car qu’est-ce qu’aimer, ce projet désespéré, si ce n’est prétendre à favoriser la perpétuité de ce que l’on aime…
Ubudore. Un vertige me saisit… quelle horrible chose que la ‘pataphysique…
Patadelphe. Le refus des complaisances et de l’à-peu-près… < C’est ainsi…>, affirma -paraît-il-, Hegel au pied des Alpes…
Mais qu’est-ce donc que la ‘pataphysique bien comprise, sinon l’hégélianisme auquel on aurait ôté sa dimension spéculative… < l’ odyssée de l’esprit > …
Remarquez que si < l’être et le dire > ainsi que le < dire à propos de l’être > ne nous satisfont pas, il est d’autres occupations plus compatibles avec ce que notre estomac peut accepter…
Le bilboquet par exemple a aussi ses charmes…
Ubudore. Vous raillez… Mais alors quel modèle de socialité la ‘pataphysique peut-elle nous proposer ?
Patadelphe. Aucun… Elle ne propose rien, elle reflète…
-Ubudore. Mais il faut bien vivre…
Patadelphe. Pourquoi pas… et dans cette perspective, puisque vie il y a, il me souvient d’un texte de Descartes, auteur très célébré mais fort peu lu qui répond d’une certaine manière à votre question. Il s’agit d’un extrait de sa correspondance ; le voici dans l’ approximation du rappel .
*

UNE MISE AU POINT DE RENE DESCARTES
 Du < doute > appliqué au commerce des hommes.
< Il y a encore une vérité dont la connaissance me semble fort utile : qui est que, bien que chacun de nous soit une personne séparée des autres, et dont, par conséquent les intérêts sont de quelque façon distincts de ceux du reste du monde, on doit toutefois penser qu’on ne saurait subsister seul, et qu’on est, en effet, l’ une des parties de l’univers, et plus particulièrement encore l ‘une des parties de cette terre, l’ une des parties de cette société, de cette famille, à laquelle on est joint par sa demeure, par son serment, par sa naissance. Et il faut toujours préférer les intérêts du tout, dont on est partie, à ceux de sa personne en particulier. Toutefois avec mesure et discrétion , car on aurait tort de s’ exposer à un grand mal, pour procurer seulement un petit bien à ses parents ou à son pays ; et si un homme vaut plus, lui seul, que tout le reste de sa ville, il n’aurait pas raison de la vouloir perdre pour la sauver >.
*
Ubudore. Propos qui sonnera étrangement aux oreilles des âmes pieuses et kantiennes… mais qui -s’ il dégage une fondamentale leçon de prudence à l’usage du commerce des hommes-, ne répond toutefois pas exactement à ma question.
Patadelphe. Mon bon, vous êtes d’une… insupportable exigence… Oserais-je moi-même une réponse … mais elle sera courte et lapidaire, elle tiendra en une séquence de quatre mots :
solitude, silence, complicité, jeu… le < jeu du roi > … bien entendu…
Et… à chacun sa « patagonie ».
Ubudore. Nous sommes bien au bout du chemin… Nous voici revenu à notre point de départ…
Patadelphe. … à la civilisation et à ses bruits… à l’ humeur et à la rumeur… des < campagnes hallucinées… > aux < villes tentaculaires >…
Ubudore. Qu’il en soit donc ainsi, mon cher Patadelphe.
  


  DE L’AMORALE

< Oh! que de fois je l’ai entendu Scarbo… Que de fois j’ai entendu bourdonner son riredans l’ombre de mon alcôve… > Aloysius Bertrand, Gaspard de la nuit

UNITE DES MORALES ET DE LA MORALE

Ubudore à Aimable,
Mon cher enfant, tu me demandes de te préciser l’attitude des ‘pataphysiciens en matière de moralité. Après réflexion et au lieu de te proposer un indigeste… sermon, j’ai résolu de te faire parvenir ce texte qui, je le pense, satisfera certainement ta légitime curiosité.
Après cinquante années il n’a pas pris une ride -bien au contraire-, tant est inactuelle parce que trop actuelle la ‘pataphysique.
*
< Pour les Moralistes le suprême devoir est de faire croire qu’on choisit sa Morale. Nous ne nous arrêterons même pas à la question de savoir si l’ homme en est capable ou non, ce qui ouvrirait un débat immense et floculent à la Pataphysique des Compossibles, avec une ou plusieurs questions préalables pour savoir si le débat est possible ou non, si la possibilité a un sens ou non, si ce sens lui même, avant tout, n’est pas… quoi donc ? ce qu’on voudra ( quodlibet ) ou non. Nous nous contenterons plus modestement, mais plus scientifiquement, d’ observer le comportement des Moralistes dans ce qu’ il a de commun, regrettant de ne pouvoir chiffrer leurs réactions -plusieurs sont décédés, on le sait depuis Socrate, et beaucoup sont intransportables-, dans un labyrinthe expérimental confectionné ad hoc. Même ceux qui proposent ( ou cherchent à imposer ) une Morale de prétention universelle conservent à l’ homme une possibilité de choix, au moins entre deux options ( bien ou mal, orthodoxie ou hétérodoxie, scientisme ou obscurantisme, marche vers l’Avenir -radieux- ou stagnation dans le Passé -infect-, bonnes ou mauvaises moeurs, etc. ). Et la Pluralité des Morales tend à donner à l’ homme, même s’il l’ improuve, une haute idée pataphysique de soi. Au 20 siècle, les théoriciens de la Morale exposent volontiers que l’homme se choisit lui même et par dessus le marché, le monde avec ( pour ce que ça coûte! ) : son action morale « colore  » l’existence. Selon d’autres c’est l’ histoire, et même l’Histoire qui choisissent pour les quidams. Mais quelles que soient ces options, le résultat est, pour le réconfort des pataphysiciens aussi bien que des autres, tenacement identique. La constatation est, comme on sait, de Julien Torma. De quoi s’ agit-il en toute morale ( même individualiste) ? Obéir d’abord, sous quelque prétexte que ce soit, à ceux qui commandent ( sauf dans les rares cas où il y en a qui sont mieux autorisés à commander parce qu’ils commanderont effectivement demain) ; quant à ceux qui commandent, leur devoir est de commander ; ceci de par leur mission divine ou historique, ce qui est la même chose. La règle d’or, en cas de délit ou de faute, reste : Ne pas se faire prendre ; être en règle avec tous les gouvernements extérieurs, intérieurs, d’en bas, d’en haut, du fond, du pro-fond. La vertu est, de tous les moyens d’ y parvenir, à la fois le moins dangereux et le plus efficace, en presque tous les cas. Tel est le dogme intangible. Pour le reste, les excursus philosophiques, métaphysiques,sociologiques, psychologiques, utilitaristes, révolutionnaires, etc., en reviennent simplement à justifier, de façon plus ou moins compliquée, les moeurs en vigueur, et jusque dans leurs plus délicates nuances, -tout ceci A CONDITION de dire qu’on ne justifie pas du tout l’usage et les moeurs, que leurs nuances sont ou pourraient n’être que billevesées, etc., mais qu’il faut remplacer la morale établie par une autre infiniment Supérieure, qui -et ici c’est le miracle pataphysique- en fin de calcul, pour le réel effet, se confond avec elle. < Peut-on être mouton sans troupeau ? > ( A. Jarry, Spécul. )
A. Templenul ( Cahier C.P. 21 ) 7.05.2001
 
 Et encore…

FONDEMENTS DE LA ‘PATAPHYSIQUE DES MOEURS, Kant, traduction

Maxime de l’amoralité ‘pataphysique.
De tout ce qu’il est possible de concevoir dans le monde, et même en général hors du monde, il n’est rien selon le ‘pataphysicien qui puisse sans restriction être tenu pour estimable, si ce n’est seulement une mauvaise volonté.
L’intelligence, le don de saisir les ressemblances des choses, la faculté de discerner la singularité pour en juger, et les autres talents de l’esprit, de quelque nom qu’on les désigne, ou bien le courage, la persévérance dans les desseins, comme qualités du tempérament sont sans aucun doute et à bien des égards bonnes et désirables. Mais ces dons de la nature peuvent devenir extrêmement funestes si la volonté qui doit en faire usage et dont les dispositions propres s’appellent pour cela caractère, est soumise à la Loi.
Il en est de même des dons de la fortune. Le pouvoir, la richesse, la considération et la santé, ainsi que le bien-être complet et le contentement de notre état, ce qu’on nomme le bonheur, engendrent une confiance en soi légitime qui peut aussi souvent être convertie en humilité déplacée dès qu’il existe une prétendue  » bonne volonté » pour redresser et tourner vers des fins déclarées  » universelles  » l’influence que ces avantages ont sur l’ esprit, et du même coup tout le principe de l’action.
Mais un spectateur avisé et impartial éprouvera de la satisfaction à voir que tout réussisse habituellement à un être que n’ baisse aucun trait de  » bonne volonté « .
Il y a bien plus des qualités qui sont favorables à cette volonté malicieuse même, qui peuvent rendre son oeuvre beaucoup plus aisée, et qui d’après cela ont une valeur intrinsèque absolue. Aucune condition ne limite la haute estime que le ‘pataphysicien leur témoigne.
La modération dans les passions et les affections, la maîtrise de soi, la puissance de calme réflexion sont excellentes à beaucoup d’égards et constituent une partie même de la valeur intrinsèque du ‘pataphysicien ; et on peut assurément les considérer comme nécessaires sans restriction à l’instar des Anciens qui leur ont conféré une valeur inconditionnée. Car elles ne sauraient devenir funestes. Le sang froid d’un libre esprit ne le rend pas seulement plus redoutable; il le rend aussi aux yeux des dévots bien plus détestable.
Ce qui fait que la mauvaise volonté est telle, ce sont ses oeuvres et ses succès, c’est son aptitude à atteindre tel ou tel but proposé, c’est seulement le vouloir ; c’est à dire que c’est en soi qu’elle est malicieuse.
Et il y a dans cette idée de la valeur absolue de la volonté malicieuse, dans cette façon de l’estimer en faisant entrer l’utilité en ligne de compte, quelque chose de si évident, qu’appuyé sur l’accord complet entre elle et la raison ‘pataphysique aucun soupçon de transcendante chimère ne saurait être éveillé.
 
 15.12.2001.