mélange

vers accueil vers ouvroir-de-pataphysique

Geste des opinions du docteur Lothaire Liogieri

mauvaises pensées, pastiches, ‘patexercices

<.tu tremblerais bien d’avantage, si tu savais où je te mène > Maréchal de Turenne, A soi même.

TABLE
Mélange
Notre solitude. 2. Chez Candide ou… Hulot pataphysicien. 3. Du calcul et des calculateurs.
Féérie pour une première fois. 5. Théologie et politique. 6. La Bible.
Acte de charité du ‘pataphilosophe.
La jeune taupe. 9. Du harcèlement moral. 10. Anouilh. 11. De l’humanitarisme philosophique.
Récurrence: Carnaval de la grégarité. 13. La poupée de Casanova.
Hegel : 15. De la communication. 16. De la < fin des Fins >.
17. A l’école ( ‘patexplication de texte ) 18. Contradiction.
< Expliquer, est-ce justifier ? >

Trois entretiens au bord de Moriol
1: Avec Bergson. De la conscience et de la liberté.
2: De l’identité psychologique ou du moi.
3 : L’inconscient hors de lui.

Variations patapolitiques
De la superstition.
La gloire de Proudhon.
( ou du Gouvernement 1 )
De l’opinion publique
( ou du Gouvernement 2 )
La mystique démocratique.
( ou du Gouvernement 3 )
A propos d’un mythe : la démocratie athénienne.
La démocratie impossible ou la tristesse de Rousseau.
Du travail, du travaillisme et de l’oisiveté ou du Tiers Testament.
‘Pataphysique du complot. En hommage à Jean Louis Curtis Rgt.

05.05.2002.

MELANGE

  1. Notre solitude…
    Patadelphe. Quoiqu’on dise, les relations sociales véritablement agréables au ‘pataphysicien ne peuvent être que les échanges pervers.

Complicité et clandestinité accompagnent le secret partagé et en constituent les ingrédients spécifiques et délectables.

Elles sont pour lui le sel de l’existence. On ne peut  » partager » que des secrets.

Ubudore. Par exemple : celui -d’ailleurs fort chaste-, de la lucidité.

Demeure cependant une question : à qui se fier ?

Patadelphe. Effectivement. C’est là le point délicat. Toutefois la lecture peut suppléer au commerce des hommes.

Voyez Descartes… La conversation avec les < Grands Auteurs > nous évitera le temps perdu aux mauvaises fréquentations ( Schopenhauer ).

Ubudore . Ainsi pour iriser l’ existence faudra-t-il flirter avec soi même et… vivre sans domicile fixe… en < s.d.f.> de la pensée…

Patadelphe. C’est en effet pour le ‘pataphysicien l’ une des conditions -sinon de la volupté-, du moins de l’ < Art d’ être toujours content > ( Raymond Ruyer ).


  1. Chez Candide ou… Hulot pataphysicien
    Résolution :

Prononçons nos voeux : faisons de chaque jour un < jour de fête > et dans l’obstiné, bruyant et incessant < trafic >, parmi le tohu-bohu et le tapage de l’agitation contemporaine, demeurons donc et à tout jamais…< en vacance >.


  1. DU CALCUL ET DES CALCULATEURS
    Ubudore. Calculer, est-ce penser ?

Patadelphe. Ce serait là confondre pensée et automatisme…

Soyons plus précis.

Le mot < pensée > désigne l’activité psychique dans son ensemble abstraction faite de sa valeur objective de connaissance :

< je suis une chose qui pense, c’est-à-dire qui doute, qui affirme, qui nie, qui connaît peu de choses, qui en ignore beaucoup, qui aime, qui hait, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi et qui sent >.

Ubudore. Descartes…

Patadelphe. La Troisième Méditation, oui… D’autre part si toute connaissance est de pensée en tant qu’ acte de la vie psychique dont le but est de présentifier un objet quelconque aux sens ou à l’intelligence, toute pensée n’a pas nécessairement vocation à la connaissance… Ainsi le jeu est-il bien de représentation mais ne constitue-t-il nullement une  » connaissance ». Car toute connaissance, qu’elle soit scientifique, mystique ou de simple banalité perceptive est proprement cannibale…

Ubudore. Vous dîtes ?..

Patadelphe. … cannibale. Connaître c’est as-similer et en assimilant prétendre devenir… Devenir l’objet désiré et derechef absorbé. C’est devenir essentiellement l’autre en tant qu’autre ( Frère Thomas ) … Et pour ce faire il faut s’engager dans les voies du savoir : observer, constater, com-prendre, percevoir, concevoir…

Or aucune de ces opérations ne relève du calcul.

Ubudore. On ne saurait donc ramener la pensée à la logique et encore moins au… calcul.

Patadelphe. En effet. Le calcul n’ est qu’ une succession règlée d’opérations automatiques dont le but est de parvenir à un résultat par la réduction du « réel » à la quantité et à la combinaison des nombres. Procédure par ailleurs tautologique où tous les « énoncés » s’équivalent et qui ne fait apparaître qu’une suite de transformations purement quantitatives.

A la manière d’une équation aussitôt résolue que posée.

Le calcul n’apprend donc rien. Il restitue autrement un donné antérieurement présenté.

De surcroît le sujet s’y fait robot. Evacuation de la conscience… Il peut certes commettre une erreur s’il est malhabile, c’est à dire insuffisamment automatisé, mais, en droit, il ne se trompe jamais. D’où la séduction voire la fascination que le calcul logistique exerce sur certains esprits. Le sujet est pris dans le filet déductif des opérations logiques.

Echec et mat.

Ubudore. La belle toile d’araignée…

Patadelphe. Effectivement… C’est pourquoi il nous faut fuir cette prison des conventions, des axiomes, des chiffres et des lettres, des règles et des opérations posées sur notre chemin comme autant de pièges à notre dynamisme intellectuel…

Matrices… psychologie du ghetto… goût des  » parties fermées « … Névrose de l’enfermement exportée… jusqu’au sein du structuralisme des littératures réduites à un formalisme régulateur.

Fétichisme du Système et idolâtrie de la Cohérence…

Ubudore. Triomphe de l’esprit de déterminisme, horreur du chaos… épouvante devant le jeu spontané des associations d’idées, des états de conscience libérées de la volonté… des bassins d’attraction incontrölables où se groupent phénomènes mentaux et affectifs sans la permission d’un… mathématicien sujet prétendu transcendantal !

Patadelphe. Jeu tronqué où toujours et jusqu’à la fin des temps le possible précède le réel ; où le réel est nécessairement dé-duit du possible.

Allons plus loin : n’est-ce pas là ce goût de la fatalité, cette psychologie islamique où les destins individuels des êtres et par extension des personnages poétiques, musicaux, littéraires, plastiques, chorégraphiques… sont écrits à jamais sur le Grand Livre des destinées…

Refus de l’écart subi, mépris du clinamen et de l’échappée de sens, de la balade…

Ubudore. Ah ! Chopin …

Patadelphe. Et bien non, mon cher ! Ne déduisons pas… Allons au déduit !

( Patadelphe et Ubudore chantant… )

< Nous sommes de l’ordre de Saint Babouyn

L’ordre ne dit mye de lever matin

Dormir jusqu’à prime et boire bon vin

Et din et din et din…

A notre coucher nous aurons blancs draps

Et la belle fille entre nos deux bras

Les tétins poignans, la motte du con

Et don et don et don…

Et voilà la vie que nous demandons…

A notre lever les beaux instruments

Trompettes et clairons, tambourins d’argent

Enfants sans soucis jouant du bedon

Et don et don et don

Et voilà la vie que nous demandons > ( Loyset Compère )

*
Ubudore. La bonne chanson…

Patadelphe. La belle chanson en effet…

Reprenons. Cette obsession de la prévisibilité, ce culte et cette idolâtrie de  » l’intelligence combinatoire et artificielle  » au parfum de constructivisme totalitaire, cette négation du hasard et de la contingence… ne traduisent-ils pas plus profondément un fétichisme avéré du Principe de Raison suffisante ?

Ubudore. Nous voilà maintenant à la métaphysique… au fondement et à la caution imaginaire, au besoin et au fantasme d’une < raison des choses >.

La pensée réduite au calcul logique !

Patadelphe. Les prédicats seront donc de toute éternité contenus logiquement dans le sujet, les accidents ontologiquement dans la substance. La série sera enveloppée dans la loi.

Jugement analytique, l’histoire est prédéterminée.

Ubudore. Sainte continuité !

Patadelphe. Rien ne se fait sans raison ! Et à fortiori le jeu… hélas….

Le réel sera donc réduit à l’actualisation de la puissance, au panel des possibles selon le principe du maximum et du meilleur. ( Leibniz )

Ubudore. Du meilleur des mondes possibles… cela va sans dire.

Mais pourquoi pas du pire ?

Patadelphe. Question impie mon cher, vous avez trop d’imagination !…

Résumons. Toile d’araignée… réseau, connexion, distribution, liens, interférences, passerelles, intertextualité, commun-ication… exaltation topologique, maîtrise recherchée de l’espace-temps intellectuel… police !

L’existence ramenée à la somme des ouvertures autorisées par les règles d’un jeu de cartes !

Quel ennui !

Un silence.

Ubudore. Et pourtant, la belle expression : se tromper… Pouvoir se tromper… enfin !

Ah! l’ inédit, l’ inouï, l’ improbable, les chemins de traverse, les associations libres…

Patadelphe. … les colles… buissonnières chères aux khâgneux…

Ubudore. … les  » chemins de la liberté « …

Patadelphe. Et le plaisir de tromper…! Mazarin et son Bréviaire des politiciens.

Perspective d’esthète diplomate pour qui l’erreur et la tromperie sont l’envers obligé de l’ouverture d’esprit…

Ubudore. Le ratio-naliste calcul et le fantasme combinatoire font de nous des simples qui ne s’égarent jamais. Des robots « spirituels », anges arithméticiens et informaticiens, des purs.

Des cathares…

Univers carcéral de la logique et du calcul qui, c’est un comble, nous métamorphosent en demeurés.

Patadelphe. Caïn a tué Abel… Ressentiment du sédentaire à l’égard du nomade…

*
Ubudore. Il me semble pourtant avoir ouï tantôt un de vos semblables soutenir une thèse quelque peu différente…

Patadelphe. Certes, mais plutôt décalée que contraire à ce que nous venons d’affirmer.

Varions donc les perspectives et ne tombons pas dans le culte du formalisme des trucs et des procédés.

Ne nous enfermons pas. Partout et toujours : évacuons le logicisme.

Rappelez-vous Mallarmé : < Toute pensée émet un coup de dés…>, mais aussi : < Un coup de dés jamais n’abolira le hasard…>…

Ubudore. De l’air ! Fuyons Leibniz et ses contemporains sectateurs! son monadisme, sa caractéristique, son meilleur des mondes, sa prison conceptuelle…

Ouvrons les portes et les fenêtres !

Patadelphe. Philosophie du départ !… Ne calculons pas, pensons !

Patadelphe et Ubudore ( en choeur ) : Désertons !…


  1. Féérie pour une première fois…
    Visiteurs du soir, voici les songes, ces hôtes indiscrets…

Le silencieux Hermès a dépêché Oneiros…

N’en déplaise à l’analyste, la belle Alcmène sera… fée-condée.

Le rêve est donc … créateur et procréateur ? Chaos  » déterministe « …

Nul Amphitryon de la secte lacano-freudienne pour prétendre s’en assurer la connaissance, l’interprétation ou la maîtrise a-priori !

On n’échappe pas à la rouerie de Zeus !


  1. Théologie et politique
    Eadem mutata resurgo…

Ubudore. La Gauche et la Droite reconduisent sans le savoir l’ antique opposition de Pélage à Saint Augustin.

En toute innocence…

Aux uns, l’optimisme candide, la pureté morale et la fabrique de l’ espoir ; aux autres, la charge des affaires et les compromissions…

Patadelphe. Les deux belles ambitions complémentaires ! La phrase et… les mains sales.


  1. La < bible >…
    Ubudore. Eschatologie, sotériologie, messianisme et… petit manuel de colonialisme ?…

Patadelphe. … surtout une fiction de… fictions données pour vraies au motif qu’elles seraient révélées !

Ubudore. Et l’évidence de la rév-élation donnée pour critère de la vérité…

Sainte vision !

Patadelphe. L’une des plus grandes mystifications de l’histoire littéraire…

Mais réciproquement, demandons-nous si toute < littérature > ne serait pas d’essence biblique, fable sacrée.

L’une étant la métaphore de l’autre…

Ubudore. Et rien n’est plus religieux que la « Littérature » devenue, elle aussi, objet de dévotion.

Patadelphe. Le Livre à venir… religion du Livre : pléonasme.

Ubudore. Le Livre… ce denier du Culte.


  1. Acte de charité du ‘pataphilosophe :
    Patadelphe. J’ égare, je trompe, je dés-espère, je dé-çois…

Ubudore. De l’ eu-charistie à l’ eu-trapélie…

Patadelphe. Remontons le cours des choses : du Christ vers… Aristote.

Ubudore. Honneur à celui par qui le scandale arrive !


  1. La jeune taupe…
    Patadelphe. Enfouie dans le social, le politique, l’économique, l’ethnique, le culturel ; parmi toutes les variétés du conformisme idéologique envahissant, toutes les formes du contrôle mental et de la tyrannie grégaire…

Ubudore. Vers Saint-Gapour, la nouvelle Atlantide, l’utopie électronique et informatique… au loin déjà réalisée…


  1. Du harcèlement moral…
    Patadelphe. Un des clichés du  » langage de notre temps « .

Ubudore. Il serait plus judicieux d’évoquer l’ordre, voire… la horde morale.

Patadelphe. Une société civile et politique de petits garçons domestiqués par des technocrates et des ménagères sociales-démocrates…

Ubudore. Les nouveaux Egaux du totalitarisme éthique !


  1. Anouilh
    Patadelphe. Le monde glauque des frustrations, des inhibitions, des peurs cachées. L’univers des humiliations domestiques. Ainsi du Scénario, sinistre farce et tragédie grotesque qui en offre, par excellence, l’illustration.

Dans l’ornière des situations répétitives et des caractères sclérosés se développent les clichés de l’analyse transactionnelle ( E. Berne), des aigreurs, des ressentiments et de la culpabilité.

Après la veine des pièces roses et le ressort des drames grinçants, voici le noir d’ébène où se mêlent les thématiques de la bêtise et de la lâcheté ; monde de ratés, univers des élans étouffés, des enthousiasmes avortés… image de l’humanité moyenne.

Tristesse de l’univers dramatique propre au génie de Anouilh… l’absolu contrepoint de Giono ( Le bonheur fou, le Hussard…) ou encore… de Spinoza ( Ethique 5 ).

Ubudore. La volonté de bonheur… malgré tout.


  1. De l’humanitarisme philosophique
    Patadelphe. Forte et messianique parole d’un  » philosophe  » tout à l’ ivresse naïve de sa verve idéologique :

< L’ Humanité est faite de plus de Morts que de vivants > (A. Comte)
Ubudore. Ah ! le sublime des Philosophes, leur grandiloquence, leur sens de la litote…

Patadelphe. On est prié de baisser les yeux durant l’ élévation !

Ubudore. Soit. Mais soyons plus calmes et traduisons dans le registre de l’ objectivité irrévérencieuse selon saint Bardamu, Ensor, G. Grosz, ou O.Dix, c’est-à-dire d’après le registre du grotesque :

Au Guignols’ band : l’ Humanité ou le Cercle bavard des… clowns disparus !

Patadelphe. … avec la claque du public qui bat des mains et qui siffle, avec Monsieur Loyal, les clowns blancs et les Augustes.

Ubudore. Moralité : A chacun d’entre-nous son… fellinien tour de piste.


  1. Récurrence : le carnaval de la grégarité
    Ubudore. Itinéraire entropique des grotesques : de Saint-Médar à la Love-Parade !

Patadelphe. Convulsionnaires, révolutionnaires, pétitionnaires et maintenant… exhibitionnaires…


  1. La poupée de Casanova
    Ubudore. < Une galante qui s’ en joue, une furieuse qu’ il doit battre, une mère de rencontre et une maîtresse qui lui échappe, une géante au coeur grand et, pour finir, une nymphomane hystérique insatiable, telle est la déclinaison de l’érotique destin de Casanova selon Fellini… Lui reste à s’ émouvoir de la conquête d’ une poupée, un pantin mécanique qui, seul, lui donnera enfin la joie tant recherchée… >

Patadelphe. Leçon : Vous désirez de faire l’amour… jouez à la poupée !

Profondeur psychologique et vérité métaphysique d’un séducteur trop lucide et voué au plaisir … solitaire.


  1. < NOUS PENSONS DANS LES MOTS > HEGEL
    Ubudore. L’aimable mais incontournable trivialité…

Patadelphe. Convergences : le désespoir de Flaubert, la lucidité de Torma, l’esthétique de Godard : produire une image, une seule image enfin, singulière, qui puisse nous libérer de la prison du langage, des codes et des conventions de la communication.

Et, ajoutait Deleuze, < du complot >.

C’était là toute l’essence du bergsonisme ; dès la Thèse, et l’Avant-propos aux Données immédiates…

Il ouvre avec les accents d’un manifeste un siècle de questionnement anxieux : comment réduire la dénivellation entre l’être et le dire, les mots et les choses. Beaucoup s’y précipiteront et s’y brûleront les ailes.

Ubudore. Mais la question demeure. Comment échapper au cliché, ce kitsch de la pensée …

Patadelphe. Par l’ « intuition « , répond le philosophe, cette relation mystique au « réel » supposé accessible par delà le monde des symboles : mot, quantité mathématique, nombre et espace… ces catégories du pragmatisme et de la perception utilitaire du monde ; ces clichés du social-isme, ce communisme communicationnel qui nous investit, nous submerge et nous marque…

Ubudore… et qui constitue de surcroît, en cette fin de siècle, le piège consensuel où plusieurs voudraient nous parquer et nous réduire… stratégie d’encerclement linguistique… langues de bois…

Mais que faire ?

Pourrions-nous donc penser sans les mots ?

Patadelphe. Solution extrême… C’était le pari d’Artaud…

Le cri se substitue au discours… mais la folie guette. La gesticulation, la vocifération, les grognements deviennent les procédés d’une esthétique primitiviste de la projection de soi.

Péril du passage de la danse à la transe. Caricature grotesque de la transcendance…

Car cette prétendue libération n’est en fait qu’une régression mentale assez généralement rachetée par un commentaire paradoxalement pédant.

Un naturalisme où il n’est pas difficile de déceler un souci moral d’ < authenticité >.

Paradoxe des  » Avant-garde  » d’autant plus bavardes dans leurs attendus et leurs conclusions qu’elles furent éphémères, squelettiques et minimalistes dans leurs productions, quand elles ne sombrèrent pas dans le paupérisme esthétique voire le misérabilisme intellectuel pur et simple…

Ubudore. Se taire ?…

Patadelphe. Autre régression. A la torpeur et à l’ inconscience, celle-ci.

Peut-on penser sans les mots ? Une tentative qui prétendrait vouloir faire l’économie de la mise en signes ne donnerait qu’une pensée informe, insensée. Les voies du sommeil sont d’autres voix du silence… sans le talent et sans l’intelligence.

On sait que la  » méditation  » -quand elle ne signifie pas réflexion silencieuse et méthodique portant sur un objet quelconque-, ne signifie… rien, c’est-à-dire ne montre rien ….

Vulgaire supercherie du charlatan à l’usage du nigaud…

Ubudore. Reste à retourner le langage contre lui-même… penser avec les mots contre les mots…

Patadelphe. Tâche difficile… C’est là l’épreuve du génie… créer son langage, son univers tout en demeurant néanmoins dans le cercle de la compréhension.

Ubudore. Cette remarque de Jûnger : < l’ homme est le seigneur des formes >…

Patadelphe. La portée en est politique.

C’est en effet le propre des oligarchies que de produire l’histoire réelle, l’histoire des événements et des idées ; l’histoire des institutions et des formes qui éduquent le public, c’est-à-dire qui le dressent, façonnent son goût ; mais aussi formes qui dégénèrent en conventions et qui meurent en clichés.

Ubudore. Oligarchies religieuses, militaires, financières, industrielles, artistiques… esthétiques.

Patadelphe. L’histoire humaine est ainsi le triomphe des oligarchies : conquérantes, barbares, puis parvenues, puis encore cultivées, puis sur le tard, lorsqu’ elles ont épuisé l’énergie de leur naîveté, civilisatrices. Le public, expression passive du peuple, constitue la matière première des modes qui l’investissent et qu’il reproduit servilement.

Bien avant Spengler, Platon, après Périclès et Thucydide, avait relevé ce fait dans son Politique.

Si l’ autorité politique est une puissance sémiologique, la souveraineté esthétique est de son côté un pouvoir politique. Elles façonnent toutes deux la sensibilité moyenne…

Ubudore. Thèse fort aristocratique… commander au travers des mots.

Y compris malgré soi ; car, si la mise en forme est d’un jeu justifié, quel intérêt à  » commander  » ?

Patadelphe. Y a-t-il une autre voie ?


  1. DE LA COMMUNICATION
    Patadelphe. Nouvel opium du peuple…

Communication et pensée sont en effet en raison inverse l’une de l’autre.

Avoir l’ intelligence d’un objet quelconque c’est en posséder l’idée, savoir la définir, et l’avoir reconnue selon les trois ordres de son sens, de sa portée et de sa valeur.

Ubudore. Une idée sera donc d’autant moins communicable qu’elle sera plus ardue à saisir !

A transposer Pascal, l’ordre de la communication humaine est distinct de l’ordre de l’intelligence des choses.

Patadelphe. On ne peut communiquer que les signes des idées. Mais les idées, il faut les faire.

D’étoffe mentale ( Descartes ), réalité psychologique, l’idée est le produit d’un jugement.

Découverte d’une relation, sanction d’un effort, d’une méthode et d’une discipline de soi.

Ubudore. Bref, effet d’une énergie spirituelle. ( Bergson )

Patadelphe. Il en va de même de notre rapport aux oeuvres d’art. Quels que soient les moyens d’expression -la littérature par exemple- et les genres – roman, théâtre, poésie-, on n’entre pas dans le chef d’oeuvre en se satisfaisant… d’acheter son billet.

Il nous faut apprendre sa langue.

Ubudore. Banalité… fort peu démocratique…

Patadelphe. Mais vieille remarque platonicienne : < Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre >.

Et à l’autre bout de la chaîne philosophique, Nietzsche : il faut inspirer une sainte terreur de la langue et de la culture afin de réserver le respect dû à la beauté et aux oeuvres d’art…

Rilke encore :

< Les tableaux sont de grands solitaires qui ne se laissent pas découvrir sans préparation >.

Ubudore. A la manière d’une belle qui n’accordera ses faveurs qu’à celui qui les mérite…

Patadelphe. La communication ne communique donc que les signes, les banalités et les clichés…

La communication est un piège à rats se gavant du lard gras des lieux communs !

Leçon du Père Ubu : communication = circulation, aspiration, évacuation, bruits de fond, vidange…

*
Ubudore. Un dernier point s’il vous plaît… qui communique ?

Patadelphe. Mais nous tous ! Impossible d’y échapper. C’est notre matrice originelle, notre utérus, notre demeure première et notre premier mouvement.

Humeur et rumeur s’appellent l’une l’autre. Notamment dans l’expression immédiate et spontanée de nos supposées « opinions « .

Ubudore. Il existe cependant des spécialistes de la chose communicationnelle : les publicitaires, les journalistes, les politiciens et les concierges… Courrier  » international »… courrier  » du coeur  » … courrier  » des lecteurs « …

Patadelphe. Intarrissable logorrhée, flux, verbalisme… sortilège.

Ubudore. La communication… cet ensorcellement de notre temps !


  1. De la fin des fins
    Patadelphe. La ‘pataphysique est la fin des Fins…

En conséquence :

Elle n’est pas la Fin ( l’ Absolu-le Bien-le lieu de convergence) des Fins ( Idées, au sens platonicien ) :

Elle n’est pas l’Arcane suprème, la nouvelle Gnose, mère de Vérité…

Mais inversement, nullement militante, elle n’a pas pour objectif l’éradication du principe de finalité, de ses connotations religieuses ou providentialistes.

< Ne pas persuader, ne pas dissuader >…
Elle n’est pas la fin ( disparition ) des fins ( buts ):

C’est un genre de discours et une attitude existentielle parmi d’autres.

Certes quelque peu… décalés. Mais néanmoins effectifs.

Elle n’est pas la faim des fins ( projets collectifs, programmes, etc. ).

Le retrait n’étant pas vraiment compatible avec le nég-otium, le ‘pataphysicien réside habituellement à l’écart, bien qu’en droit rien n’empêche sa  » participation  » au jeu social.

Elle n’est pas la faim des Fins ( Sens, Valeurs ).

Technique de dés-espoir et école de dé-ception, si elle se nourrit et se divertit des visions et des utopies inconscientes d’elles-mêmes ou non, elle ne peut accréditer leur prétention assez généralement abusive, mythomaniaque ou mégalomane.

Ubudore. Elle est donc bien… la fin des Fins.


  1. A L’ ECOLE… pensée, liberté, société
    (Pour Aimable et Charmante, improbable progéniture du ‘pataphilosophe)

Patexercice :

Vous dégagerez l’intérêt ‘pataphysique de ce texte à partir de son étude ordonnée :

< Il n’ y a de pensée que dans un homme libre ; dans un homme qui n’a rien promis, qui se retire, qui se fait solitaire, qui ne s’occupe point de plaire ou de déplaire. Lexécutant n’est point libre ; le chef n’est point libre. Cette folle entreprise de l’union les occupe tous deux. Laisser ce qui divise, choisir ce qui rassemble, ce n’est point penser. Ou plutôt c’est penser à s’ unir et à rester unis; ce n’est rien penser d’autre. La loi de la puissance est une loi de fer. Toute délibération de puissance est sur la puissance, non sur ce qu’on en fera. Ce qu’on en fera ? Cela est ajourné parce que cela diviserait. La puissance, sur le seul pressentiment d’ une pensée, frémit toute et se sent défaite. Les pensées des autres, quelles qu’elles soient, voilà les ennemies du chef, mais ses propres pensées ne lui sont pas moins ennemies. Dès qu’ il pense il se divise ; il se fait juge de lui même. Penser, même tout seul, c’est donner audience, et c’est même donner force aux idées de n’importe qui. Lèse-majesté. Toute vie politique va à devenir une vie militaire, si on la laisse aller.

Petit parti ou grand parti, petit journal ou grand journal, ligue ou nation, église ou association, tous ces êtres collectifs perdent l’esprit pour chercher l’union. Un corps fait d’une multitude d’hommes n’a jamais qu’une toute petite tête, assez occupée d’être la tête. Un orateur quelquefois s’offre aux contradicteurs ; mais c’est qu’alors il croit qu’il triomphera. L’idée qu’il pourrait être battu, et, encore mieux, content d’être battu, ne lui viendra jamais > Alain, Propos.

**
‘pat / explication de texte.

INTRODUCTION :
SUJET DE DEVELOPPEMENT. Conditions de l’exercice de la pensée au sein du groupe social.

POSITION DE LA THESE. La pensée au sens strict est une fonction de jugement, de liberté et de détachement.

PROBLÈME. Double: le concept de < pensée collective > est-il légitime ? quelle en est la valeur ? Quels sont en regard les traits caractéristiques d’une pensée personnelle ?

ENJEU . Situation du ‘pataphilosophe par rapport aux préoccupations privilégiant les valeurs d’efficacité et de puissance, le consensus voire le conformisme grégaire ( domaines politique, économique et confessionnel ).

STRUCTURE : Le texte enchaîne:

-une affirmation : il n’y a de pensée que dans un homme libre.

-une justification argumentée de cette thèse par la mise en parallèle de deux attitudes existentielles opposées: la méditation détachée et l’activisme unanimiste de la puissance.

-la position d’une relation d’exclusion affectant ces deux attitudes.

-par différence, la définition de la pensée effective centrée sur l’activité du jugement qui en est l’âme.

-la portée empirique de la loi de puissance inhérente à tout jugement envoûté par le succès pratique et la nécessité du consensus.

La méthode employée par l’Auteur est l’analyse réflexive.

La progression argumentative de cette page se développe en trois moments.

A une première définition rigoureuse de l’exercice de la pensée vraie se succèdent ensuite description et contestation de la valeur du pragmatisme utilitariste dont le bien fondé est remis en question quant à son principe puis, dans un deuxième temps, au sein même de ses manifestations.

DEVELOPPEMENT :
PREMIER MOTIF THEMATIQUE DE CETTE PAGE :

Phénoménologie: sens et description d’une attitude existentielle.

Quelles sont les conditions de la pensée effective ?

Alain dégage quatre facteurs :

-le refus de l’engagement frivole ou irresponsable.

-le retrait existentiel: silence et distance.

-le recueillement et la méditation.

-la méfiance envers les pièges et les satisfactions de la vanité sociale.

N.B. développer l’idée de conversion intérieure par rapport à l’agitation désordonnée, le bavardage, l’obsession communicationnelle et l’affairement ( Heidegger ) érigés en principe de vie. Rapprochements avec Saint Augustin: < rentrer en soi > ; Lucrèce ( cf le texte du Prologue du Livre.2); Descartes: la Méditation 1 < doute, distance et émergence de la conscience de soi.> Malebranche: La Recherche de la Vérité.

Bref: ramener la proposition de Alain à une attitude philosophique et ‘pataphilosophique somme toute habituelle et dont on peut donner de nombreux exemples.

DEUXIEME MOTIF THEMATIQUE.

Il concerne l’analyse réflexive – dégager le fondement, du pragmatisme ainsi que l’étude psychologique et phénoménologique des deux figures sociales de la puissance dans lesquelles il s’incarne: le Chef et l’Exécutant.

§ Il s’ouvre sur un constat: l’état de dépendance réciproque du couple des deux protagonistes obnubilés dans leur activisme par le succès, le profit et la gloire; quels que soient les domaines.

§ Il dévoile une nécessité: refuser la pensée et opter pour le rassemblement; la pensée étant réduite à la recherche des moyens d’action et de l’efficacité pratique. L’individu en foule devient élément atomisé d’une masse de manoeuvres dociles voire serviles.

§ Il fait apparaitre les limites de l’action pour l’action, simple réflexion sur les moyens, jamais sur les fins et les valeurs.

§ Il en donne les raisons:- d’une part la pensée divise et nuit à l’unanimité, ce fétiche de l’être en foule;- d’autre part, elle est possible contestation de la hiérarchie, risque de déstabilisation, « injure au Pouvoir » ( < Lèse-Majesté >).

§ Il en dégage par différence et d’une manière elliptique la définition de la pensée effective comme exercice du JUGEMENT. Elle est juge: elle porte sur les fins, elle est mesure du fondement.

En tant que telle elle apparaît comme un facteur de division; de soi avec soi; de soi avec autrui. Pour le pragmatisme, elle est dangereuse parce que dissensuelle et non consensuelle.

§ Il dévoile la loi de la Puissance : sa pente est à l’exclusivisme, et au totalitarisme. Le groupe est tout, l’individu n’est rien ou n’existe que par et pour le groupe. Prisonnier de la paranoïa propre à la tribu, à la  » communauté. « 

Intolérante, dénuée d’humour, cette communauté qui ne cesse de s’adorer elle-même ne souffre aucune objection: < toute vie politique va à devenir une vie militaire >.

L’ULTIME MOTIF THEMATIQUE concerne les domaines empiriques d’application des analyses précédentes ( parti, presse, mouvement politique, nation, église, association…) autant < d’êtres collectifs qui perdent l’esprit pour chercher l’union >.

Alain a recours à deux procédés :

  • la métaphore de la brute au corps immense et à la cervelle d’oiseau;
  • l’exemple de l’orateur qui relève certes le défi de la discussion mais dans le souci d’avoir raison et d’imposer ses raisons, et non pas dans le but de parvenir au vrai par l’échange au risque d ‘être contredit.

§ le texte s’achève par un paradoxe : la pensée, ce serait ce moment où nous serions convaincus d’erreur…et néanmoins satisfaits d’être corrigés !

**
INTERET ‘PATAPHILOSOPHIQUE.

SENS. Qu’il n’y ait pas de pensée collective, que la pensée ait pour condition nécessaire le mouvement de conversion du sujet par l’autonomie du jugement, telles sont donc les conclusions de cette page.

PORTEE. Les implications théoriques de ces analyses enveloppent trois points.

Alain remet en cause:

  • les prétentions abusives de la rationalité technique et de l’efficacité pragmatique à la suffisance épistémologique. La réussite et l’efficacité pratique ne constituent aucunement des critères de vérité;
  • les illusions de l’idéologie communicationnelle assimilant la pensée à un simple moyen de communication;

-la valeur des phénomènes de masse, de foule, ou de grégarité sociale qu’il renvoie à la confusion.

FECONDITE.

Définir l’  » humanité  » par la pensée, la pensée par le jugement et constituer le jugement en facteur de liberté c’est retrouver le concept augustinien de < l’homme intérieur >; c’est renouveler le geste fondateur de l’exigence philosophique du cartésianisme.

Ce texte n’innove pas ; il rappelle et il se situe dans une tradition philosophique bien établie.

Il est de surcroît assez proche de la Figure quasi-‘pataphilosophique du  » libre esprit  » ( Molière, Nietzsche) , et par extension de l’Anarque. ( Jünger)

VALEUR..

Pour autant cette attitude n’est-elle pas contestable ?

Au premier abord il semble que la critique impitoyable de l’Auteur n’exprime qu’un regard hautain pour les « agités de la caverne » que nous sommes, toujours tentés, toujours séduits, toujours prêts à renier la vérité et la pensée.

Mais il convient d’éviter le contresens.

Alain était un penseur engagé dans les turbulences de son siècle. On rappellera pour mémoire:-son activité d’écrivain public;-son militantisme quasi-politique consacré pendant des années à l’Université populaire;-son engagement volontaire en 1916 par solidarité et dans le but de mieux témoigner des horreurs de la guerre;-son pacifisme à la veille de la Deuxième Guerre mondiale.

Alain se situe dans la tradition des Lumières pour lesquelles la réflexion philosophique doit mener à des prises de position positives et à une participation à la vie politique de la Cité.

Libre penseur certes. Mais non pas libre esprit.

Cet extrait doit donc être resitué au sein d’une oeuvre d’écrivain qui a refusé de demeurer « au-dessus de la mêlée ».

Dont acte.

Quant à nous, ‘ pataphilosophes, il nous place devant une alternative :

-soit nous laisser gagner par l’ivresse et la contagion de la puissance.

-soit nous risquer à l’engagement par le biais de l’entreprise, du travail, de la vie associative, de la lutte politique, du geste caritatif, de l’activité pédagogique…

-soit nous expatrier vers le < Pays des Castels >,( Jünger ), les < hauts lieux fortifiés des sages> , à la manière de Lucrèce et de Montaigne, au motif que participer à la vie publique c’est nécessairement devoir partager les extravagances de l’heure mais c’est surtout < entreprendre de guérir un hôpital de fous > ( Pascal )

Pour ce qui nous concerne, notre religion est faite.


  1. EXPLIQUER, EST-CE JUSTIFIER ?
    Ubudore. Epineuse, grave et subtile question. La relation entre les deux notions n’est pas si évidente…

Patadelphe. … qui prétend envelopper la justification dans l’explication ? et pourquoi ?

Ubudore. Question nietzschéenne… Je réponds : le moraliste, le juriste, le prêtre… d’autres encore…

Patadelphe. Il se peut… Examinons cependant les deux idées de plus près.

Expliquer, selon l’étymologie, c’est dé-plier, exposer aux yeux de…

Ubudore. Certes. Mais qu’en est-il de ce qui est ainsi déployé et comment l’est-il ?

Patadelphe. Vieux débat, antique querelle… d’un côté les rationalistes, de l’autre les empiristes et les positivistes…

-Selon les rationalistes, Leibniz par exemple, expliquer un phénomène c’est découvrir le conséquent préformé dans ses antécédents, c’est réduire le fait à sa cause, à son pourquoi.

Le ramener à sa raison suffisante.

L’ interrogatif synthétisant d’ailleurs les deux grands principes explicatifs de la causalité et de la finalité.

D’ou la thèse du rationalisme : le monde est intelligible et l’explication dévoile cette intelligibilité.

-Les empiristes sont d’un tout autre sentiment. Ils partent d’un constat : il y a des phénomènes qui coexistent et se succèdent ; coexistences et successions se répétant indéfiniment. Mais rien de plus.

Pas la moindre esquisse d’intelligibilité, de nécessité ou d’intention.

Le concept de < répétition > est l’opérateur d’ inintelligibilité de l’être.

Ainsi la sécheresse de J.S.Mill :

< Un fait particulier est expliqué quand on a indiqué la loi dont sa production est un cas…>
Le principe de causalité n’est plus alors qu’un principe métaphysique récusé comme un a-priori épistémologique dénué de fondement et un postulat méthodologique inutile.

En conséquence de quoi, le monde est déclaré globalement inintelligible et partant injustifiable.

D’où le paradoxe : il est à la fois parfaitement explicable -on le peut décrire-, et pourtant absolument incompréhensible.

Il n’y a… rien à comprendre.

Ubudore. Je vois… l’éclipse de soleil peut être déterminée par le calcul et selon les  » lois » de la « mécanique céleste » ; mais cet événement singulier, unique comme tout autre événement, n’exprime aucune fin, aucune intention, aucun sens.

C’est en cela qu’il peut être dit  » inintelligible ». Ou encore : hasardeux.

A comprendre l’idée de hasard non comme l’antonyme de la nécessité ( qui est la contingence ) mais du principe de finalité.

Patadelphe. En effet ; le soleil n’a nullement  » rendez-vous avec la lune  » comme le soutenait joliment d’ailleurs le poète.

Et pour être tout à fait précis il faudrait donc affirmer qu’il y a de l’ explicite plutôt que de l’explicable.

< L’explicite > désignant ce qui est manifesté, exprimé et énoncé en toute conscience et en toute ignorance de « cause « .

Etant admis qu’il faut entendre par là le simple relevé des répétitions relationnelles phénoménales.

Ubudore. En résumé : selon cette hypothèse : point de raison suffisante et…

Patadelphe… partant : point de justification.

Hypothèse clairement athée et laïque.

Le monde est un devenir innocent qui échappe à la règle, à la loi, au jugement et à la culpabilité.

La notion de faute lui est étrangère. Il ne connaît ni le bien ni le mal.

Il n’a pas à être disculpé et donc à être justifié. Il est là sans raison. C’est tout ce qu’on peut en dire.

Il n’y a même rien à en dire.. il échappe aux catégories de la valorisation morale.

Prétendre justifier le monde n’est donc qu’un geste insensé.

Exit la théologie…

**
Ubudore. Je vous l’accorde… Mais qu’en est-il de l’expérience humaine et de la délicate question de la justification de nos actes ?

Patadelphe. Vous évoquez le thème du sérieux de la responsabilité…

L’ alternative est semblable mais transposée dans le domaine psychologique et par extension : moral…

Pour les uns ( Leibniz, Bergson et d’une certaine manière -la critique- Kant ), le sujet de droit, la personne est origine absolue, fondement radical des décisions et des actes, substance irréductible au changement.

Une continuité métaphysique hante les discontinuités phénoménales.

Le spectre est dans la machine (G. Ryle).

Pour les autres ( Taine, Ribot, Russell, les théoriciens contemporains du chaos ), il s’agit d’ un bassin d’attraction, d’ un chaos déterministe baptisé < sujet > et qui relève d’avantage de la physique statistique que de la psychologie, à vouloir rendre compte de la prétendue intelligibilité de « ses » pensées et de « ses » actes.

Les états de conscience s’entraînent les uns les autres selon les pentes de l’association : -contiguïté spatiale et contiguïté temporelle ;-ressemblance ou contraste ; -intérêt ; -affectivité ; rédintégration…

Qui constituent des centres d’attraction groupant la succession des représentations et des événements mentaux.

En conséquence, selon cette voie : imputabilité sans doute mais point de responsabilité !

Car ni culpabilisation ni justification possibles sans l’hypothèse de la volonté et d’ une origine absolue : la substance-sujet !

Ainsi contre Leibniz, contre Hegel, la voie de l’ empirisme…

Ubudore. Hume, c’est effectivement < le diable > ( Michel Alexandre )

Patadelphe. Concluons. Le choix métaphysique et la thèse psychologique orientent l’ interprétation éthique et juridique.

L’ idée éthique ou théologique de la justification repose donc bien sur une Vision et même sur une hallucination idéologique: celle de la substance-sujet ; et pour pasticher Kant : l’ unité originairement synthétique de… la décision.

Ubudore. Et au bilan de l’analyse : Visionnaire, le philosophe rationaliste ; visionnaire, le magistrat accusateur ; visionnaire, le juriste pénaliste ; visionnaire, le prêtre culpabilisteur ; visionnaire, le politique militant ; visionnaire, le pédagogue responsabilisateur… visionnaire, l’intellectuel éclairé…

Patadelphe. Et visionnaire, l’ensemble de la caste cléricale…

Ubudore. Ô < lampe obscure >… quelle < lumière > tu répands !..

Patadelphe. … pourtant, et n’en déplaise à tout ce joli monde, ne sommes-nous pas absolument et définitivement … injustifiables ?



ENTRETIENS AU BORD DE MORIOL 1

DE LA CONSCIENCE ET DE LA LIBERTE

Ubudore. Pour agrémenter notre promenade d’une occasion de réflexion, je vous ai apporté cette page de Bergson qu’il me souvient vous avoir vu méditer dans votre jeunesse.

Patadelphe. Agréable initiative et charmante attention…Bien que cet Auteur soit fort éloigné de ma pente naturelle, j’ai toujours grand plaisir à retrouver sa manière. Je l’ai jadis fort pratiqué…

Montrez-moi le texte…

Ubudore. Le voici :

< Qu’arrive-t-il quand une de nos actions cesse d’être spontanée pour devenir automatique? La conscience s’en retire. Dans l’apprentissage d’un exercice par exemple, nous commençons par être conscients de chacun des mouvements que nous exécutons, parce qu’il vient de nous, parce qu’il résulte d’une décision et implique un choix ; puis, à mesure que ces mouvements s’enchaînent davantage entre eux et se déterminent plus mécaniquement les uns les autres, nous dispensant ainsi de nous décider et de choisir, la conscience que nous en avons diminue et disparaît. Quels sont d’autre part, les moments où notre conscience atteint le plus de vivacité ? Ne sont-ce pas les moments de crise intérieure, où nous hésitons entre deux et plusieurs partis à prendre, où nous sentons que notre avenir sera ce que nous l’aurons fait ? Les variations d’intensité de notre conscience semblent donc bien correspondre à la somme plus ou moins considérable de choix ou, si vous voulez, de création, que nous distribuons sur notre conduite. Tout porte à croire qu’il en est ainsi de la conscience en général. Si conscience signifie mémoire et anticipation, c’est que conscience est synonyme de choix. > Henri Bergson

( Extrait tiré d’une conférence prononcée à l’Université de Birmingham le 29 mai 1911. Elle sera publiée dans L’Energie spirituelle en 1919 avec pour titre : Le Possible et le Réel )

*
Ubudore. Page magnifique…

Patadelphe. Etincelante, je vous l’accorde… de la musique de clavecin selon Huxley : < du champagne dans un gobelet d’étain >…

Ubudore. En dégagerons-nous le thème ?

Patadelphe : Certainement : La fonction et la valeur de la conscience dans le cours de l’expérience humaine… Thématique axiologique.

Ubudore. Quel est d’après vous le ‘pata problème soulevé ?

Patadelphe…. aussi psychologique que métaphysique… Il s’agit de déterminer la nature profonde de la conscience.

Ubudore. Ce n’est pas rien… A première approximation, la thèse m’en paraît toutefois évidente…

Patadelphe. La conscience est < synonyme de choix >. C’est une fonction de création et d’indétermination.

Ubudore. La possibilité et la définition de la liberté humaine semblent constituer l’enjeu masqué de ce questionnement…

Patadelphe. Effectivement. La liberté est envisagée ici comme capacité d’invention et de dégagement de l’automatisme.

Ubudore. Soit. Nous y voyons un peu plus clair. Passons maintenant à l’argumentaire…

Patadelphe. La trame du texte ?… il comprend…

Ubudore. … une première question. Elle interroge le mécanisme par lequel une action devient automatique. Elle est assortie d’un exemple portant sur l’apprentissage d’un exercice. Elle en déduit une première conclusion : Apprendre, c’est se mécaniser.

Patadelphe. Puis une seconde question, symétrique à la précédente, et qui concerne non plus le processus de disparition de la conscience mais au contraire les conditions de l’extrème lucidité.

«Crise », « hésitation » et « choix » constituent les principaux concepts qui définissent aux yeux de l’Auteur la « nature » de la conscience.

Ubudore. … la position de la thèse du philosophe pour qui < les variations de l’intensité de la conscience >, ses intermittences, sont fonction de < la somme de choix distribuée sur notre conduite >.

Patadelphe. … Une conclusion qui insère la fonction-conscience dans le cours global de la vie de l’esprit.

Ubudore. Que dirons nous de la manière et du style ?

Patadelphe. Ils sont strictement problématiques ; et tout à fait caractéristiques de l’ordre des raisons et de la méthode d’exposition propre à Bergson.

Ainsi par exemple : le chapitre premier de l’Essai sur les Données immédiates de la conscience.

*
Ubudore. La progression argumentative est assurée par la succession de trois motifs thématiques ; dans l’ordre…

-une analyse des conditions psychologiques propres à tout apprentissage .

-une description de cette expérience existentielle qu’est la crise intérieure.

-une déduction de la vie de l’esprit ramenée à son essence : la liberté.

Patadelphe. Soit. Nous avons une vue d’ensemble assez satisfaisante.

Entrons maintenant dans le détail.

*
Examinons donc le PREMIER MOTIF THEMATIQUE…

(L’apprentissage entendu comme évanouissement progressif de la conscience)

Comment une action acquiert-elle l’automaticité ?

Ubudore. Il s’agit du problème de l’acquisition de l’habitude. La mémoire-habitude est organisation d’une action par la répétition ; elle correspond au montage d’un mécanisme moteur qui en assurera la reproduction.

Patadelphe. Cette reproduction est concomitante à la disparition de la conscience …

Ubudore….< la conscience se retire >….

Patadelphe. Au moyen d’un exemple -l’apprentissage d’un exercice, Bergson distingue la phase initiale -caractérisée par une hyperconscience- des différents mouvements que nous éxécutons, de la phase d’assimilation marquée par une automatisation progressive du corps.

Ubudore. Paradoxalement la maladresse est le corrélat de la conscience propre à un sujet libre , qui < décide > et qui < choisit >.

Patadelphe. En effet. A un maximum de liberté correspondra un maximum de gaucherie, de tâtonnement, d’hésitation. Cependant avec le temps et la répétition l’acquisition se renforce, le corps se mécanise, la part d’indétermination tend à s’estomper, la conscience s’évanouit: < elle diminue ou disparaît >. Telle est la condition de la fluidité du geste, de la tâche ou du propos.

Ubudore. Notons la méthode. Bergson esquisse une première définition de la liberté ; mais par différence, par rapport à ce qu’elle n’est pas ; et pour ainsi dire : en creux.

Patadelphe. Retenons-donc qu’apprendre ce serait conquérir l’inconscience de l’automatisme sur la maladresse de la conscience accompagnant la décision.

Telle est la première conclusion de cette page initialement consacrée à l’analyse des facteurs psychologiques de l’assimilation.

*
Ubudore. Continuons… Passons au DEUXIEME MOTIF THEMATIQUE.

( Analyse phénoménologique d’une attitude existentielle. )

Patadelphe. Toujours dans la perspective d’une définition de la nature de la conscience, la progression argumentative rebondit au moyen d’une seconde question. Il s’agit alors de dégager les caractéristiques du processus psychologique opposé à l’inconscience de l’habitude.

Ubudore. Remarquons que la symétrie de l’argumentation est parfaite. L’exemple de la « crise intérieure » -répondant à celui de « l’apprentissage »-, vient illustrer la thèse.

Patadelphe. Qu’est-ce qu’être conscient ? Question cruciale… Deux traits significatifs intéressent l’ensemble de la personnalité :

-l’attitude d’hésitation précédant la décision ;

-le pressentiment du risque qui accompagne le choix définitif et l’engagement.

Ubudore. Exister c’est donc se risquer à « trancher ».

Patadelphe. Oui. La « vivacité » de la conscience s’exprime dans le va-et-vient intellectuel qui mesure, évalue, pèse, délibère et finalement choisit au sein de l’alternative des différents « partis à prendre ». La conscience est alors synonyme de JUGEMENT.

( cf : l’étymologie du terme de « crise » : grec « krisis », jugement ).

Juger c’est, selon l’étymologie, « être en crise » -par opposition au cours moyen du comportement et aux facilités des habitudes mentales et motrices.

Ubudore. Notons que le jugement est certes fonction de discrimination et de synthèse des données…

Patadelphe. … mais qu’ il est aussi -et ce sera le coeur de la thèse de Bergson, « création de possibles ».

Juger c’est certes relier (définition classique de type kantien) mais c’est surtout créer -au sens fort de « création » : faire advenir à l’être en tirant du néant.

Ubudore. La conscience est donc rupture, discontinuité du cours habituel de l’existence.

Patadelphe. Rappelons-nous Aristote et le concept poétique de « Reconnaissance », ( grec: anagnorisis.) Moment essentiel du drame tragique où le héros prend soudainement conscience de son aveuglement et de l’horreur de sa destinée -à l’exemple d’ Euripide : les Bacchantes ou de Racine : Bajazet.

Ubudore. En ce sens, c’est toute la personne qui est mise en jeu: < nous sentons que notre avenir sera ce que nous l’aurons fait >. Choix professionnel, choix politique, choix affectif… autant de prises de décision à la portée considérable et… grands moments bouleversants de notre existence.

*
Patadelphe. Le dernier MOTIF…

( l’essence de la conscience : la liberté ).

Ubudore…. Par là même Bergson a dégagé la nature profonde de la conscience. « Conscience» signifie « choix » et « choix » enveloppe l’idée de « création ».

Patadelphe. Car créer ce n’est pas simplement choisir entre des possibles préexistants ( Leibniz ) ; c’est créer les possibles qui n’existaient pas et qui ne peuvent être déduits d’un donné préalable.

C’est faire apparaitre de l’imprévisible.

Ubudore. Ainsi un poème n’est-il jamais « contenu » dans les règles d’un art poétique lui préexistant. Prétendre le contraire, c’est confondre création et académisme (ou formalisme).

Et c’est en cela qu’il est possible de parler de « liberté ». L’avenir est contingent. Il est ce que nous en aurons fait. (cf J.Lequier : < être c’est faire et en faisant, se faire >)

Patadelphe. La conscience échappe ainsi au déterminisme absolu.

Contre Leibniz, Bergson souligne l’effort spirituel du sujet qui choisit, invente un avenir qui n’était pas prédéterminé dans la série de ses conditions.

( Voyez ses analyses de la genèse de l’oeuvre d’art et, par analogie, de la personnalité : Essai sur le rire notamment ).

En contrepoint, il y a une fatalité propre à l’inertie de l’habitude, dans la répétition et l’ornière des renoncements de la conscience. Dans l’application des procédés par exemple.

Ubudore. Et c’est pourquoi l’Auteur conclut en affirmant que la conscience est « mémoire et anticipation ».

Car au sein de la continuité de la vie psychique ( hypothèse centrale du bergsonisme, pour lequel rien n’est jamais véritablement oublié de notre passé ), la conscience est apte à se donner les habitudes qui la « libèrent » et la soulagent -en conservant de ce passé ce qui lui est utile, tout autant qu’elle peut déchoir dans l’inertie des automatismes qui l’aliènent.

Patadelphe. Si, comme l’écrit Giraudoux: < l’homme de l’habitude est un malade qui va à la mort spirituelle >, il est certes possible d’affirmer avec Alain que < l’habitude , c’est la volonté qui a un corps >.

**
Ubudore. Quel INTERET ‘PATAPHILOSOPHIQUE dégagerons nous de cette lecture ?

Patadelphe. Que la conscience soit une fonction de création et d’indétermination, qu’elle soit comme telle l’expression de la liberté humaine, de l’écart, du clinamen humain, telles sont les conclusions de cette page.

Quant à sa portée… les implications de ces analyses intéressent les trois domaines de la pédagogie, de la psychologie et de la métaphysique.

-Elles relèvent de la pédagogie parce qu’elles soulignent que certaine modalité de l’ action, l’habituation, permet l’équipement moteur du sujet, l’apprentissage et le report vers des tâches plus subtiles de ses ressources intellectuelles.

-Elles relèvent de la psychologie parce qu’elles soulignent paradoxalement la valeur et les bienfaits de l’inconscience dans l’acquisition des automatismes propres à toute espèce d’apprentissage. Prenons l’ exemple de l’inconscience relative du musicien à l’égard de l’attention qu’il fournit et de l’énergie cérébrale qu’il dépense. ( cf :I. Stravinski : < Il ne faut pas mépriser les doigts… > ).

-Elles relèvent de la métaphysique parce qu’elles mettent en jeu une interprétation générale de la liberté humaine.

L’analyse de l’hésitation et du choix remettent notamment en cause la prévisibilité supposée des actions humaines qui remplace le mouvement dynamique de la conscience par sa traduction en termes d’alternative donnée et de conditions de possibilité indépassables.

Ubudore. Et quant à son originalité ?

Patadelphe. Il faudrait relever la singularité de la thèse portant sur la créativité de l’esprit.

Ubudore. On pourrait la rapprocher dans l’Energie spirituelle de l’étude relative au sentiment de l’effort propre aux expériences de la perception, de l’invention et du rapppel, et la mettre en relation avec les analyses de Maine de Biran.

Patadelphe. Et souligner une thèse qui place l’ indétermination au coeur de l’existence et à l’origine de toute création.

**
Ubudore. Quel crédit accorder enfin à ces analyses ?

Patadelphe. A première lecture, il semble que les conclusions ne souffrent guère de contestation. Comment ne pas souscrire à la pertinence de cette double description de l’automatisation et du pouvoir de la conscience ?

Ubudore. Peut-être le ‘pataphilosophe pourrait-il émettre une réserve relative à une trop grande valorisation de la conscience dans la description du mécanisme de l’invention.

Ainsi d’autres Auteurs ( Ed. von Hartmann ou encore A. Schopenhauer) ont souligné l’importance de la motivation cachée au coeur de la décision.

Patadelphe. Des poètes ( Novalis, Nerval, Jünger…), des plasticiens ( A. Kubin, M. Ernst… ) ont, de leur côté, mis l’accent sur le pouvoir créateur de ce psychisme « inconscient  » dont il faudrait par ailleurs éclaicir l’ être et la signification.

Néanmoins le ‘ pataphysicien ne pourra que respirer dans cette page où il reconnaîtra des thèmes qui lui sont particulièrement chers : celui du lâchez-tout dans le ton de Julien Gracq , celui du départ d’après Latis, celui de l’ indétermination logée au centre du réel ( Lucrèce), celui enfin de l’ exigence de… libération ( Torma ).

ENTRETIENS AU BORD DE MORIOL 2
De l’identité psychologique ou du Moi

Ubudore. Après ce texte étincelant, reprenons nos esprits et … tentons de revenir à nous…

Mais au fait : qu’ est-ce que ce « nous », qu’est-ce que le  » moi  » ?

Peut-on  » rendre raison  » du moi ?

Patadelphe. Embarras éminemment philosophique… Nous avons, me semble-t-il, déjà abordé la question… d’une façon tangentielle certes… Il n’est cependant peut-être pas inutile de reprendre la difficulté où nous l’avions laissée.

Il me semble que trois hypothèses se partagent la problématique : l’ associationniste, la substantialiste, l’intellectualiste. Et pour mettre des noms d’auteurs sous les appellations d’ écoles, Hume, Bergson et Bachelard figurent assez bien, me semble-t-il, chacune de ces perspectives.

Chaque hypothèse peut être ramenée à une notion qui en constitue comme la clef de voute. Et les trois opérateurs respectifs ainsi mis en présence -association, mémoire, jugement-, nourrissent le différend spéculatif que vous avez énoncé.

Ubudore. Commençons par l’association…

Patadelphe. Oui… Toutefois il n’est peut-être pas vain de remarquer avant de nous engager plus avant que les trois écoles se rejoignent dans l ‘affirmation de la spécificité de la vie psychique. L’expérience mentale, représentative aussi bien qu’ affective constitue selon elles un univers relativement autonome, singulier et qu’on ne saurait réduire à sa base biologique et plus encore à son enracinement physico-chimique.

Le mental n’est pas le cérébral. L’homme neuronal ( J.P.Changeux ) est une fiction de l’intempérance matérialiste, une fable du positivisme sectaire.

Le  » monde  » dans lequel chacun de nous évolue est un univers de représentations, d’ « images  » privées, subjectives, presqu’ inexprimables et difficilement communicables où, à la fin des temps… le Roi se meurt ( Ionesco).

Monde de sens, d’expressivités et de valeurs, succession de  » faits de conscience  » qualitativement distincts et plus ou moins liés.

Ubudore. < multiplicité de pénétration >, comme dit Bergson.

Patadephe. Et il est exclu que nous en puissions jamais sortir. < Le rat est dans la cage > (Torma).

L’image n’est d’ailleurs jamais extérieure à la conscience.

Hors de la conscience, des  » fréquences « , des  » radiations  » , des  » bruits  » certes, mais point d’ « images ».

Il n’y a d’images qu’ en nous. L’ image est une réalité mentale. ( Russell: Analyse de l’esprit)

Or les sciences cognitives, neurologiques et informatiques -si péremptoires, si conquérantes et si présomptueuses-, ne peuvent rendre compte du seul monde qui ait pour nous un sens, le monde vécu saisissable par l’ intuition directe, la description poétique, littéraire ou encore l’ introspection expérimentale.

Remarquons de surcroît que le fait de conscience, représentatif -saveur, odeurs, son, couleur, impressions tactiles, ou affectif -émotion, sentiment, passion… est qualitatif, non localisable mais temporel. Il échappe donc à la mesure, au nombre, à la quantité. Bref à toute investigation de type mathématique.

Ubudore. Je vous l’accorde. Un son est une expressivité et non pas une simple fréquence. Ainsi la tonalité de sol mineur exprime-t-elle chez Purcell la plainte de la femme abandonnée, le désespoir de Didon que l’analyse de l’acousticien ne saurait comprendre ni restituer au moyen de ses fonctions analytiques, arithmétiques et algébriques.

Patadelphe. Mais revenons au problème…

Dans l’hypothèse où le personnel < moi > (psychologique) aurait un référent, -et pourquoi pas -? quelle est la fonction qui en est l’origine et l’embrayeur ?

Ubudore. < L’association > répondent les empiristes anglosaxons. L’existence psychique est un flux d’états de conscience qui s’entraînent les uns les autres sans l’intervention d’une quelconque volonté. Et c’est là le point essentiel.

Prenant son modèle explicatif à la physique de Newton et le transférant à la psychologie, Hume fait de l’attraction le dynamisme organisateur de toute la vie mentale.

Véritable « chaos déterministe » avant l’heure…

Le Traité de la nature humaine énumère ainsi les lois de l’association reprises en gros d’Aristote :

-La simultanéité immédiate ou contiguïté spatiale : L’évocation de l’étang de Moriol me fait venir à l’esprit le hameau de Courtamont, Lieu Haut de la ‘pataphysique.

-La succession immédiate ou contiguïté temporelle : la pensée du Collège de ‘pataphysique amène, (Alain ), la représentation de sa désoccultation…

-La ressemblance ou le contraste : l’évocation d’ un Satrape me fait penser à un autre Satrape ou au contraire à un Dataire…voire à un modeste Auditeur… imperceptible Emphytéote.

-L’intérêt : il suscite dans l’esprit un fait de conscience qui s’harmonise avec ce qui me préoccupe actuellement. Un cavalier ayant repéré sur le Chemin du Cadran les traces d’un cheval passera aussitôt à l’évocation de son prochain concours de Dressage et à la préparation de son épineuse Saint-Georges…

Restons-en là. Associationnisme mécaniste, négation d’un centre organisateur et décisionnel (Volonté), refus de tout substantialisme mental compris comme support ontologique de la succession des faits de conscience, tels sont les postulats de cette école pour laquelle la vie psychique se dissout , s’émiette et se pulvérise en une multitude d’états de conscience, de représentations, d’affects et de volitions.

Il s’agit là d’un pur phénoménisme.

Ubudore. Dans cette hypothèse peut-on encore parler d’ identité du moi ? Et que dire de la portée éthique et juridique d’une telle conception… A qui imputer la responsabilité de l’ action ?

Patadelphe. C’est là le point douloureux… D’où la protestation croisée des deux autres écoles.

L’une insistant a-contrario sur la réalité substantielle, temporelle et ontologique de la vie psychique dont la mémoire serait la clef.

L’autre mettant l’accent sur le centre décisionnel de la personnalité psychologique, du  » Moi « .

*
Commençons par le substantialisme et prenons pour exemple la thèse de Bergson.

Identité c’est durée et durée c’est con-tinuité. Bergson reprend à sa manière Descartes : < nous pensons toujours >. Le psychisme est comme un élastique qui, dès la naissance du vivant, se tend indéfiniment sans discontinuité, sans rupture, sans oubli…

< Pensée du plein > comme l’a diagnostiqué Bachelard en sa Dialectique de la Durée.

Ubudore. Pensée dont le ressort caché est l’évacuation de l’idée de néant dont l’oubli est l’ expression psychologique.

Patadelphe. Effectivement. Le moi dure… et cette durée s’exprime dans l’expérience mentale de l’effort d’ invention, de rappel et de mémoire. Dépense d’attention, d’ énergie spirituelle, c’est à dire immatérielle mais non pas surnaturelle.

C’est l’intérêt de la thèse que de vouloir réfuter simultanément le réductionnisme biologisant et la spéculation animiste en préservant la spécificité d’une expérience spécifique : l’effort mental. Car, en ces matières, Bergson prétend demeurer sur le terrain de l’expérience et nullement s’aventurer sur celui de la spéculation.

Mais s’il est vrai que mon passé m’accompagne et éclaire ma perception actuelle ; si la mémoire semble constituer la pierre de touche d’une relative identité en m’ assurant une certaine « permanence  » dans le temps par delà les changements et les métamorphoses qui transforment ma personnalité…

Ubudore… comme le montrent a contrario les expériences désastreuses de l’amnésie et de la personnalité multiple…

Patadelphe…. est-il cependant justifié de poser l’identité d’un  » moi  » qui demeurerait substantiellement semblable par delà les accidents qui l’affectent ?.. Est-il légitime de nier la réalité de l’oubli ? et plus généralement d’évacuer l’idée de < néant > en la définissant comme l’affirmation de < l ‘idée de Tout avec en plus une opération de la pensée > ( Le Possible et le Réel ).

Ubudore. Il semble que le métaphysicien ait ici débordé l’ empiriste, à trop désirer de démontrer la pérennité de l’être.

Patadelphe. Effectivement. L’horreur du vide, du désordre, de l’absence et du néant guide explicitement l’hypothèse de Bergson.

Ainsi quand nous disons < qu’ il n’ y a rien >, nous ne ferions, selon lui, que joindre à ce qu’ il y a l’idée de ce que nous cherchions, attendions, désirions.

Ubudore. En somme, rien ne manque qu’autre chose ne prenne sa place, rien ne disparaît qu’autre chose ne le remplace.

Patadelphe. Il est vrai. L’idée de < suppression > signifie pour Bergson < substitution >. Tout changement ne peut qu’ ajouter à l’être.< La réalité est du plein qui ne cesse de se gonfler et qui ignore le vide > ( La Pensée et le Mouvant ).

Pour l’Auteur de l’ Evolution créatrice, la nature a horreur du néant.

Cette continuité temporelle du  » moi  » où rien ne se détruit, où tout passe mais où rien ne trépasse, caractérise en particulier la vie psychique où le passé constitue la substance du présent et où < l’âme se manifeste ainsi comme une chose derrière le flux de ses phénomènes > (Bachelard).

Bergson a substantialisé le temps ; et le  » moi  » tire sa réalité de ce que son passé est la substance de son présent.

*
Ubudore. D’où maintenant la protestation de Bachelard au long de La Dialectique de la Durée.

Patadelphe. Car il y a de l’oubli ; il y a de l’erreur ; il y a du vide ; il y a du désordre ; il y a du néant… Et le  » moi  » n’ émerge que dans l’expérience de la décision, cette rupture avec son passé…

S’il y a de l’absolu, il réside dans < l’instant décisif > où le sujet se détache de son passé.

Il y a donc en nous une discontinuité psychique analogue à la discontinuité physique. Il faudrait citer toute la page :

< Prise dans n’importe lequel de ses caractères, prise dans la somme de ses caractères, l’âme ne continue pas de sentir, ni de penser, ni de réfléchir, ni de vouloir. Elle ne continue pas d’être. Pourquoi aller chercher le néant plus loin, pourquoi aller le chercher dans les choses ? Il est en nous-mêmes, éparpillé le long de notre durée, brisant à chaque instant notre amour, notre foi, notre volonté, notre pensée. Notre hésitation temporelle est ontologique…. > ( Dialectique de la Durée ).

Toujours le passé nous échappera. La mémoire n’a qu’une réalité spectrale, le devenir est la discontinuité même. S’ il y a de la substance -et comment le nier ? elle est cependant rythmée et intégre le vide à sa  » réalité « .

Ubudore. Et la pensée ?

Patadelphe. Elle naît de la décision et du jugement. Elle constitue pour Bachelard la dimension de transcendance et de verticalité du « moi  » se détachant de l’immanence vitale avec laquelle il doit rompre. Thème aux accents cartésiens et brunschvicgiens.

*
Ubudore. Voilà donc dévoilé le troisième opérateur… Que conclurons-nous ?

Patadelphe. Notre incursion au sein de la métaphysique du » moi  » a fait apparaitre les trois concepts décisifs avec lesquels il est possible de décrire d’une manière plausible la vie psychique dans son cours et ses manifestations : l’association, la mémoire, le couple décision / jugement.

Ubudore. Il ne semble pas pour l’heure qu’on puisse aller plus avant…dans le labyrinthe du « moi ».

Patadelphe. ‘Pataphysiciens, nous nous garderons bien de fétichiser l’un ou l’autre de ces trois opérateurs.

Dans le jeu de cache-cache de la pensée et de l’être, le « moi  » lui aussi nous échappe …Tel un feu follet il nous nargue et se rit de nos vaines et réitérées tentatives de le saisir…

Grandeur, servitude … limites de la métaphysique et du langage. Mais cela vous surprendra-t-il ?

ENTRETIENS AU BORD DE MORIOL 3
L’inconscient hors de lui

Patadelphe. Que dirons-nous maintenant de l’ inconscient mon cher Ubudore ?

Ubudore. Que c’est une notion propice à toutes les galéjades, à toutes les visions et à toutes les surenchères…

Patadelphe. Je crois deviner votre malice…

Ubudore. Peut-être serait-il préférable de l’éclaircir…

Patadelphe. Comme les eaux calmes mais glauques de cet étang qui suggèrent quelque traquenard…

Ubudore. … méfions-nous de la notion qui dort… Mais que dire qui n’ait été dit, que faire qui n’ait déja été entrepris…

Patadelphe. < Rien n’échappe à la vanité >, je vous l’accorde. Et là-dessus Pascal a tout dit. Rien n’empêche pourtant que nous continuions notre jeu. Ne serait-ce que pour nous divertir…

Je vous propose quelques pas autour de ces nymphéas. Notre impressionniste entretien donnera de l’agrément à notre promenade.

*
Ubudore. Par où commencer ?

Patadelphe. Convenons que l’idée de < conscience psychologique > définit l’ intuition ou la perception directe plus ou moins claire de nos états de conscience représentatifs et affectifs.

Cette expérience mentale est immédiate, spontanée ; elle est de l’ordre de l’ éprouvé et elle ne se distingue pas des états psychiques qui se succèdent pour tisser le fameux courant de conscience repéré jadis par William James.

Ubudore. Nous jouissont de surcroît de la faculté de revenir sur ces premières impression. Par là nous nous distinguons des états de conscience subis ou qui accompagnent nos intentions en une expérience originale mais discontinue.

Patadelphe. La Deuxième Méditation est en effet cette  » invraisemblable  » ( M. Alexandre) découverte du cogito, cette pensée réfléchie qui prend conscience d’elle même dans l’épreuve du doute et du jugement.

Estimation et mesure mentale d’ états psychologiques dont elle établit le sens, la valeur et la portée.

Ubudore. Ceci étant admis… L’idée de conscience épuise-t-elle cependant la totalité de la vie psychique ?

Patadelphe. Vous demandez s’il est légitime de réduire la vie mentale aux seuls faits de conscience… spontanés ou réfléchis ?

Ubudore. C’est cela. N’existe-t-il que des faits psychologiques conscients ?

Patadelphe. L’ étrange question … Comment une représentation pourrait-elle ne pas être consciente ? Dire < représentation > ou dire < fait de conscience > c’est énoncer une réalité identique au moyen de deux expressions différentes. La notion de < représentation inconsciente > est logiquement contradictoire, vide de sens…

Ubudore. Certains -notamment les freudiens dans leur Métapsychologie, affirment cependant qu’il s’agit bien d’un concept, que ce concept est opératoire et qu’il possède un domaine empirique d’application.

Il serait même métaphysiquement fondé…

Patadelphe. Il y aurait donc des représentations -c’est-à-dire des faits de conscience-, inconscientes ?..

Ubudore. A ce qu’ il semble, oui.

Patadelphe. Cela mérite un examen…

Je puis admettre qu’il existe bien des classes de faits inconscients mais ils sont tous physiologiques et /ou moteurs mais certainement pas représentatifs.

Ainsi quand je juge, je n’ai nullement conscience des processus cérébraux concomitants à mon effort intellectuel, à ma verbalisation linguistique, à mon imagination créatrice ou à ma mémoire reproductrice. Je subis de même fréquemment le mécanisme de la réminiscence proustienne indépendamment de l’effort de rappel du souvenir oublié. Ma perception s’accompagne d’une lucidité représentative où intervient spontanément tout un passé qui l’éclaire. Et l’habitude est bien cette disposition acquise, ce montage mental et cette attitude corporelle, qui facilite ma maîtrise du réel…

Qu’ y-a-t-il là qui relève de la représentation ?

Ubudore. Mais une vocation, nos goûts, nos préférences, nos aversions, tout le monde des affinités…

Patadelphe. … ne sont nullement inconscients. Ce sont des états représentatifs et affectifs dont j’ai conscience et qui constituent d’ailleurs la chaîne et la trame, tout le tissu de ma vie mentale. Que j’en ignore partiellement l’origine et les facteurs constitutifs, c’est incontestable. Mais cela ne signifie pas qu’ils sont inconscients.

Car l’ ignorance n’est nullement l’ inconscience. L’ignorance est un déficit actuel de connaissance. L’inconscience est à l’exemple du sommeil profond un état quasi-psychologique neutre.

Je puis être parfaitement conscient de mon ignorance. Par exemple dans les matières de la philathélie… Sachant son existence, j’ai néanmoins parfaitement conscience de ne rien connaître de son contenu.

Symétriquement, je puis être parfaitement ignorant de mon ignorance actuelle ou future. Ainsi aucun astro-physicien ne peut savoir l’état de sa science d’ici à trente ans. En quoi cette situation, somme toute banale, est-elle synonyme d’inconscience ?

Ubudore. La notion de < représentation inconsciente > serait donc inadéquate ?

Patadelphe. Absolument. Il s’agit simplement d’un abus de langage. De ceux dénoncés par Ockham, Hobbes, Condillac et les Viennois dans leur traque indéfinie du verbalisme visionnaire…

*
Ubudore. Une exception toutefois : le rêve…

Patadelphe. Soyons précis. Peut-on parler à son propos d’un ensemble ou d’un flux de représentations… sinon par un autre abus de langage ?

Le rêve est-il un état représentatif ? Que « représentent  » les  » images  » du rêve?

Ubudore. Qu’est ce d’ailleurs que la représentation ?

Patadelphe. C’est, classiquement défini, l’acte par lequel l’esprit se rend présent ses objets extérieurs ou intérieurs.

C’est aussi le fait mental qui résulte de cette opération.

Le terme même de < représentation > signifie à la fois < présence actuelle > et < remplacement >. On sait depuis Augustin, Descartes et Malebranche que l’esprit ne connaît pas directement les objets réels mais les idées ou les symboles ( Cassirer ) qui en sont les signes.

Ubudore. Or le propre de la représentation est… d’être consciente. Elle est même toute la conscience.

Patadelphe. Le psychisme onirique lui -si on le prend au sens d’une mécanique statistique de signes purs, ou encore d’expressivités-,  » produit  » bien et < sans notre permission > (Alain ) des pseudo ou des quasi-représentations sous forme de  » tableaux  » , de  » scénarios « , de  » fables « .

Ces quasi-représentations pastichent d’une manière originale, -< créatrice > vont jusqu’à prétendre les romantiques-, et en dehors de toute intention de désignation, de tout référent, et sous la forme de < mémoires incoordonnées > (Ruyer), certains états psychiques propres à la vie consciente.

Nullement « symboliques » ou manifestations de… »désirs réprimés  » ( Freud ), ces ensembles expressifs ont pour matière et pour source des états internes de l’organisme -digestion, battements de coeur, respiration, posture, des excitations extérieures -lumières, sons, contacts, et constituent un foyer autour duquel se nouent des constellations de quasi-souvenirs et d’intuitions oniriques inédites échappant à toute interprétation.

Ubudore. Les < portes d’ ivoire > de Nerval…

Patadelphe. Par exemple… Ce psychisme statistique, ce chaos déterministe d’où émergent les formations oniriques prend ainsi périodiquement selon les rythmes circadiens le relais de l’état de vigilance propre à l’être éveillé. ( M.Jouvet ).

Ubudore. Vous niez donc que le rêve soit un ensemble de représentations inconscientes et vous contestez les mantiques, la manie herméneutique des mages et des freudiens…

Patadelphe. l’ inflation de sens ( L. Wittgenstein / V.Descombes )… oui.

Ubudore . Mais si le rêve échappe au sens, peut-être possède-t-il néanmoins une fonction ?

Patadelphe. Il se peut. Dans une optique darwinienne, Michel Jouvet a récemment posé la question de l’utilité d’un état mental particulièrement dangereux pour les espèces traquées.

Dormir et rêver sont des situations particulièrement critiques pour ces proies virtuelles. Il faut donc que le rêve joue un rôle fondamental pour avoir résisté au temps, c’est-à-dire à l’épreuve de la sélection naturelle.

Ubudore. La réitération ou reprogrammation génétique de la personnalité psychologique…

Patadelphe. Telle est l’hypothèse… L’avenir nous dira si elle est ou non justifiée.

*
Ubudore. Reprenons : de quoi parle-t-on quand on parle d’inconscient ?

Patadelphe. L’alternative est claire :

Ou bien je sais, et je suis conscient que je sais.

Ou bien je ne sais pas et alors : soit je sais que je ne sais pas, d’une conscience réfléchie. Soit je ne sais pas que je ne sais pas d’une ignorance absolue et le problème ne se pose plus en l’ absence d’un quelconque état de conscience. Soit je crois savoir que je sais alors que je ne sais pas, et je suis dans l’ illusion qui est un autre… état de conscience.

Ubudore. S’il y a une réalité de l’ inconscience, il n’y aurait donc pas de place pour… l’inconscient.

Patadelphe. Mettons de côté le domaine moral et juridique ou la notion est synonyme d’ irresponsabilité.

Car l’ < ‘inconscient > est une catégorie à l’ usage des clercs…

Ubudore. Pourtant on définit parfois l’ inconscient comme l’ indicible, comme l’ inavouable, comme l’odieux . On parle de retour du refoulé…

Patadelphe. C’ est se moquer. L’ indicible n’est pas l’inconscient. Le mot désigne ce qui est connu, ce dont on a conscience mais qu’il est impossible d’exprimer pour diverses raisons. Ce qu’on ne peut dire sans danger ou ce qu’on ne veut dire du fait de circonstances particulières. Ou encore ce qu’on dissimule. Or rien de plus conscient que la dissimulation ; et le secret est bien l’essence de la politique comme de la diplomatie.

Une expression de l’ hyperconscience… de soi et de ce que l’on cache.

Quant à la  » dénégation  » et au prétendu  » retour du refoulé  » ce ne sont que transpositions psychologiques de l’antiquité rhétorique qu’est le « procès d’intention » si cher aux contemporains directeurs de conscience, aux moralistes, aux freudo-médecins, aux clercs … tous ceux  » qui savent  » ; ceux qui prétendent savoir du haut de leurs « concepts  » ; ceux qui sont conscients pour les autres -les « inconscients » bien sûr… ceux qui possèdent ce qu’ils appellent sans rire < la science…>.

Ubudore. Reste toutefois l’ oubli…

Patadelphe. Ah! je vous vois venir… la censure… A ce propos Sartre a dit l’essentiel… mais pour des raisons discutables au yeux du ‘pataphilosophe puisque guidées par le souci moral de fonder la responsabilité sur le jugement et donc sur la < Conscience > qu’il a ainsi fétichisée..

Le concept freudien de < censure > est selon lui l’envers notionnel injustifié d’une attitude intentionnelle banale, la < mauvaise foi >. Attitude existentielle tout à fait consciente bien que contradictoire pour la raison que le sujet cherche à se cacher à lui même ou à cacher à autrui tel ou tel fait dont il a parfaitement conscience.

Par extension, notons que le névrosé est lui aussi tout à fait conscient de ce dont il souffre. Et il n’a nul besoin d’un tiers pour en recevoir la révélation. Il recherche seulement une oreille, un confident…

Ubudore. … et il trouve une église… la psychanalyse…

Patadelphe. En effet. Avec ses dogmes, ses rites, sa liturgie, ses clercs, ses orthodoxes, ses hérétiques et ses schismes… tout le menu détail du petit ordinaire des sectes en quête vaniteuse de reconnaissance et de pouvoir.

Ubudore. Que dirons nous enfin de l’ Inconscient…

Patadelphe. Avec majuscule comme il se doit… Il s’agit là de l’effet du réalisme conceptuel habituel, presque populaire, un effet de langage ( Rougier) qui transforme un adjectif substantivé : en hypostase puis en idole spéculative verbale : < l’ Inconscient >.

Cela étant, nous entrons ici avec Hartmann dans le vaste domaine de la spéculation philosophique issue du Romantisme allemand et de la valorisation des motifs de la Nuit et du Chaos. Originée plus lointainement encore des grandioses constructions mystico-poétiques de Jacob Boehme.

Monde littéraire et vision poétique qui peut nous procurer – je vous l’accorde bien volontiers-, un incontestable et inoffensif plaisir esthétique…

Ubudore… et l’ Inconscient… collectif…

Patadelphe. Allons, encore un effort… Nous touchons ici le fond du verbalisme et de la confusion… avec de surcroît l’usage de cette notion de < collectivité > qui autorise les pratiques sinistres de la culpabilisation de masse… Pensez à la notion de < responsabilité collective >…

< Inconscient collectif > appartient à ce genre d’expressions définies moins par leur contenu toujours plus ou moins flou que par leur fonction idéologique : légitimer le ressentiment et alimenter la haine et la vengeance ( Nietzsche ).

Qu’il existe des formes de < conscience collective >, qui le niera ? Mais c’est revenir au concept d’ < opinion publique > ensemble de proverbes et d’adages.. Concept trivial s’il en est, pertinent cependant puisqu’il dénote une réalité incontestable. Mais si à la manière de C.G. Jung on entend par Inconscient collectif : < un héritage spirituel de l’évolution du genre humain qui renaît dans chaque structure individuelle>, qu’est-ce là sinon spéculation pure prétendant à la validité et à l’objectivité scientifique….

*
Ubudore. Le pseudo-concept dissimulait donc une imposture intellectuelle ?..

Patadephe. L’idée d'< inconscient > étant selon nous vide de sens et dénué de référent, nous nous méfierons des sondeurs d’âme, ces spéléologues de… » l’ inconscient « .

Ubudore. Excellente résolution. Laissons-les à leurs mots qui ne sont pas même des jeux, et à leurs maux, leurs chapelles et leurs interminables querelles…

Et revenons au charme de nos nymphéas…

Patadelphe. Pour nous autres, prosaïques et modestes pragmatiques, une promenade autour de Moriol ou la contemplation d’un Monet, Porte de la Muette, sera une délectation bien plus efficace que toutes les soi-disant et fumeuses psychothérapies à base…d’ < inconscient.>



VARIATIONS PATAPOLITIQUES

DE LA SUPERSTITION

Ubudore. Partirons-nous en guerre, Patadelphe, contre toutes les superstitions à la manière de l’Aufklärer ou du « Nouveau Philosophe  » ?

Patadelphe. Ce serait une erreur et une faute…

Une erreur parce que l’humanité ne peut se passer de superstitions. Elle ne cesse de tisser son voile de Maya ( cf Schopenhauer). Les illusions lui sont d’une certaine manière plus nécessaires encore que son pain quotidien… elles lui sont consubstantielles.

Ubudore. … et une faute ?

Patadelphe. En ce que la superstition constitue, et de loin, le meilleur ciment social d’intégration et d’assimilation.

La prise d’identité de l’individu et son adhésion à la  » collectivité « , à la « communauté « , n’ ont pas de meilleure base qu’une bonne hallucination idéologique partagée.

Il serait donc cruel et contraire à l’exigence… citoyenne de l’ en distraire…

Ubudore. Je reconnais bien là votre sens de l’humanité…

Patadelphe. Effectivement. Et c’est d’ailleurs un trait caractéristique de l’attitude ‘pataphysicienne, kunisme instruit par l’expérience, et affirmons-le sans ambages : une marque de son altruisme si particulier, que de ne pas intervenir dans le conflit des extravagances…

A la différence du philosophe qui prétend démystifier pour instruire et réformer, le ‘pataphilosophe décrit pour se protéger et se divertir en compagnie de son cercle d’amis, fût-il  » virtuel « .

Telle est en sa Patagonie sa manière de partager, son < Banquet >, son < Autre Cène >…

Ubudore. D’ailleurs, que pourrait-on substituer au néant dévoilé des visions ?

Le vide de la lucidité ?

Patadelphe. Je vous l’accorde… Mais le supporteraient-ils ?


LA GLOIRE DE PROUDHON

Il est des textes qui, en eux-mêmes, tels de pures merveilles, semblent circonscrire un domaine de réflexion et clore définitivement toute controverse. Tout y est dit. Le lecteur médusé n’a plus qu’à s’incliner et qu’ à se rendre à l’évidence.

Ainsi cette page de Proudhon qui, en des temps douceâtres de statolâtrie citoyenne et de fétichisme de la fonction publique, remet -et de quelle manière-, les choses du pouvoir à leur place :

< … Etre gouverné, c’est être gardé à vue, espionné, dirigé, légiféré, réglementé, parqué, endoctriné, prêché, contrôlé, estimé, apprécié, censuré, commandé, par des êtres qui n’ont ni le titre, ni la science, ni la vertu… Etre gouverné, c’est être à chaque opération, à chaque transaction, à chaque mouvement, noté, enregistré, recensé, tarifé, timbré, toisé, coté, patenté, licencié, autorisé, apostillé, admonesté, empêché, réformé, redressé, corrigé.

C’est, sous prétexte d’utilité publique et au nom de l’ intérêt général, être mis à contribution, exercé, rançonné, exploité, monopolisé, concussionné, pressuré, mystifié, volé ; puis, à la moindre résistance, au premier mot de plainte, réprimé, amendé, villipendé, vexé, traqué, houspillé, assommé, désarmé, garotté, emprisonné ; fusillé, mitraillé, jugé, condamné, déporté, sacrifié, vendu, trahi, et pour comble, joué, berné, outragé, déshonoré.

Voilà le gouvernement, voici sa justice, voilà sa morale ! Et dire qu’il y a parmi nous des démocrates qui prétendent que le gouvernement a du bon ; des socialistes qui soutiennent au nom de la Liberté, de l’Egalité, et de la Fraternité, cette ignominie… Hypocrisie ! >

( Idée générale de la Révolution )


DE l’OPINION PUBLIQUE

( sur quelques lignes d’Emile Chartier)

Ubudore. D’où vient Patadelphe qu’ < un Etat formé d’hommes raisonnables peut penser et agir comme un fou > ?

Patadelphe. Probablement de ce que chacun ne forme son opinion ni ne la maintient, tant en lui même que devant les autres…

Ubudore. Il est vrai que si nous subissons les opinions communes, il semble que paradoxalement personne ne les forme… D’où viennent donc les adages et les proverbes ?

Patadelphe. Je ne sais. Rechercher l’idéologie dominante, nous y couler et la reproduire, telle est notre attitude habituelle dans les  » matières de la chose politique « .

Ubudore. Serait-ce par incapacité personnelle à penser ou par peur de parvenir à des conclusions trop singulières ?

Patadelphe. Les deux hypothèses peuvent être invoquées pour rendre compte de < cet être fantastique > qu’est l’ Opinion publique. Il faut aussi prendre en considération notre sottise et notre bavardage… la manie de < donner un avis sur des questions auxquelles nous ne comprenons rien > ( G. Bachelard ).

Ubudore. Quant aux gouvernements populaires, se refusant fréquemment à trancher, ils prennent d’ordinaire le pouls du < grand animal > ( Platon ) avant toute  » décision « .

Patadelphe. Cela s’appelle en effet l’ esprit démocratique…

En conséquence de quoi, gouvernants et gouvernés se rejoignent dans la certitude et l’effectivité d’une même impuissance et :

< par ce jeu, il n’est point de folle conception qui ne puisse s’imposer à tous, sans que personne pourtant l’ ait jamais formée de lui même et par libre réflexion > ( Alain ).

Ubudore. Voilà bien une autre manifestation de ce chaos déterministe, de ce mécanisme statistique aveugle que nous débusquons partout et qui semble hanter le coeur des phénomènes…

Patadelphe. Il est vrai…

Nous pourrions donc renverser l’ énoncé célèbre d’Aristote repris par Leibniz pour lequel :

< la  » nature  » ne fait rien en vain et tout ce qui arrive advient selon une fin >.
Ubudore. C’est à dire affirmer ici comme ailleurs l’incontournable hasard…

Patadelphe. C’est à dire… affirmer rien.

Puisque l’idée de hasard n’est que l’antithèse conceptuelle, toute verbale, à titre d’anti-principe explicatif, du principe de finalité.

Spirale, Gidouille donc… Turbulence…

Ubudore. < Mais où vont ces errants… > ( R. M. Rilke, Elégies de Duino )…

Patadelphe.

Au pays de Lucrèce, au royaume d’ Ubu,
Parmi les choses et l’ Opinion,
Démons, merveilles et m’as-tu-vus,
Toujours et partout… nous divaguerons.


MYSTIQUE DEMOCRATIQUE ( Hommage )

On doit à Louis Rougier d’ avoir jadis dévoilé les sources philosophiques ( rationalistes ) du mysticisme à l’oeuvre dans la sphère du politique contemporain ( La mystique démocratique ).

Résumons son propos. Il est pour le ‘pataphysicien particulièrement attrayant.

-D’ un point de vue général tout d’abord.

Une doctrine initialement présentée d’ une manière problématique et sous la forme de thèses à prouver devient évidente sous le poids de l’ habitude et ne semble plus devoir relever d’ une quelconque justification. Présentée dès lors comme  » intuitive  » et non plus déduite elle se dérobe à la dispute interdisant jusqu’ à la possibilité du doute relatif à la validité de ses fondements.

De propositions à démontrer en partant de prémisses plus certaines, ses thèses sont désormais comprises ainsi que des principes indubitables sur lesquels seront établies d’ autres propositions ; celles-ci équivoques et contestables. Les nouveaux principes deviennent normes de la pensée et guide de la conduite. Ils nourrissent la foi et se nourrissent du parti pris, des instincts, des passions et des convoitises flattés et satisfaits.

Proposée auparavant comme un ensemble de propositions démontrables, la doctrine s’ est transformée en une superstition, un mysticisme.

-Du point de vue particulier de l’ idéologie politique moderne et contemporaine ensuite.

Et il en est bien ainsi des croyances en l’ unité ontologique de l’ espèce humaine, en l’ égalité spécifique de tous les hommes, aux lumières naturelles également imparties à tout un chacun, aux lois imprescriptibles du droit naturel gravé au fond de notre coeur.

Les Pères fondateurs, Hooker, Locke, Descartes, D’Alembert, Rousseau, Condorcet, Mably, Kant… tous évoquent les règles et les lois de la < Raison naturelle > fondement de l’obligation où sont les hommes de s’ aimer mutuellement et de respecter les < immortels principes >, le nouvel Evangile du biblisme politique devenu la  » loi et les prophètes de la société moderne  » ( J. Ferry ).

Et Louis Rougier de remarquer incidemment l’ incohérence de fond de la Déclaration des droits de 1789 puisqu’elle invoque simultanément deux principes politiques incompatibles : celui des droits de l’ homme et du citoyen dans l’esprit de Montesquieu qui limite en faveur de l’ individu le pouvoir de l’ Etat ; celui de la souveraineté populaire, issu de Rousseau, qui ne reconnaît aucun droit à l’ individu en face du pouvoir discrétionnaire de la volonté de la majorité.

Mais peu importe. Il ne s’ agit pas ici de rigueur logique ; il s’ agit des articles de foi d’ un Credo.

Credo politique s’entend…

Il ne suffit donc pas de se prétendre affranchi de la métaphysique ou de se dire éloigné de la superstition pour échapper à la mystique.

Toutefois l’ idylle rationaliste et l’utopie démocratique sont Visions qui ne résistent pas à l’épreuve des faits car :

-il n’ existe pas de droit naturel qui soit à l’ origine de l’ évolution juridique.

-le fait de la naissance ne confère pas à l’ individu des droits imprescriptibles qui seraient les mêmes pour tous.

-l’ institution sociale n’est pas le résultat d’un contrat librement consenti où chacun aliénerait une part de sa liberté primitive pour protéger de toute la force du corps social celle qui reste compatible avec la reconnaissance d’une liberté égale chez autrui.

Et l’auteur de La genèse des dogmes chrétiens de conclure : le droit naturel est le seul dont on ait pu affirmer qu’il n’ existe pas dans la nature. Il s’oppose au droit positif comme un droit idéal. Une utopie. De la littérature…

Car parler de < Loi naturelle > et de < Droit naturel > c’ est évoquer de pures fictions, c’est employer le langage de la métaphore.

D’où le zèle insistant, apparemment incompréhensible et indéfiniment réitéré, à proclamer ces pseudo-droits comme imprescriptibles et inaliénables. < C’ est qu’ on ne les a trouvés nulle part… >, notait déjà, ironique, J. Bentham.

D’où la croyance en la vertu de l’ éducation sur les individus et de la législation sur les peuples qui mène à les traiter comme une matière amorphe, malléable et plastique à la discrétion de la caste cléricale des Technocrates et autres Intellectuels pédagogues et responsables.

Mystification idéologique ?… superstition de masses aveulies par la propagande éducationniste ?… Telle apparaîtrait donc la mystique démocratique contemporaine…

En son particulier et pour sa gouverne le ‘pataphysicien en dégagera l’ adéquate leçon…

Note. A propos d’un mythe : la démocratie athénienne
< Athènes n’égala jamais Sparte dans la plénitude de l’horreur, mais elle ne demeura pourtant pas en reste. A peine venait-elle de découvrir la liberté, cette saveur que personne en Perse ou en Egypte n’aurait pu soupçonner -qu’elle découvrait aussitôt de nouveaux modes de persécution, plus subtils que ceux que pratiquaient le Grand Roi et les Pharaons.

Le peuple des délateurs envahit la place et le marché, non plus comme un corps secret de police, mais comme une collectivité libre de citoyens qui veulent l’utilité publique.

De même, Athènes découvrit à cet instant l’excellence de l’être singulier -et le ressentiment brûlant contre cette excellence. Aucun des grands du cinquième siècle ne put vivre à Athènes sans craindre constamment la possibilité d’être expulsé de la ville et d’être condamné à mort. L’ostracisme et les sycophantes formaient l’étau qui enserrait la société… L’utilité publique pouvait requérir ses victimes avec la même fierté péremptoire que le dieu avait employée pour les exiger…. L’opinion, cette voix publique, mobile et assassine, qui chaque jour frétillait à travers l’agora, lui suffisait. >

Roberto Calasso, Les noces de Cadmos et Harmonie


DU TRAVAIL, DU TRAVAILLISME ET DE L’OISIVETE
< Tiers Testament : démocratie, droits de l’Homme, développement économique… Nouvelle catéchèse >
Jeanne de la Tysse, Sur quelques lignes de Sa Magnificence.
1.

Ubudore. Pourquoi ce sourire, mon cher Patadelphe… quelque bonne fortune ?…

Patadelphe. Vous ne croyez pas si bien dire… en fait de belles… Je traversais récemment une commune de province et au débouché d’ une avenue je remarque une banderolle disposée sur la façade de l’ Hôtel de Ville du lieu… et qui porte l’ inscription suivante… mais devinez…

Ubudore. ?…

Patadelphe. < Honneur aux mutilés du travail > !…

Ubudore. Ah, Ah !… Les braves gens… quelque municipe libéral / social-démocrate sans doute…

Patadelphe. Vous touchez juste…

Ubudore. Ces gens là n’ ont que ce mot, ou plutôt ce slogan, tel une panacée, sur les lèvres…

Patadelphe. … le salut par le travail… L’ accueil, l’ insertion, l’ intégration, l’ assimilation par le travail… le droit au travail.. le devoir de travailler… quelle phraséologie !… à vomir !…

Ubudore. La sotériologie travailliste habituelle et normative… ivresse… écoeurant discours en effet… et répugnants zélotes… Je me suis souvent demandé quelle en était l’ origine… et quelle folie avait bien pu affecter les hommes pour qu’ ils se rendent à cette… torture, et lui vouent un culte… aussi délirant…

Patadelphe. … et pour qu’ ils lui aient consacré -le mot n’ est pas trop fort-, la presque totalité de leur existence…

Ubudore…< le travail c’ est la liberté >, enseignaient jadis les humoristes malgré eux d’ Outre-Rhin…

Patadelphe. Rapprochement impie… le rose et le brun…

Ubudore. … et pourtant…

Patadelphe. Laissons cela… nous pourrions néanmoins essayer de répondre à votre interrogation…

Ubudore. … essayons… mais à l’ irrévérencieuse manière de Patagonie, cela va de soi…

2.

Patadelphe. De quoi parlent-ils donc quand ils parlent du travail ?…

Ubudore. … de mission… de sacerdoce… d’ effort et de peine… avec l’ idée d’ une contrainte subie, naturelle ou humaine…

Patadelphe. … tout cela sent la sueur, l’ abrutissement et le knout….

Ubudore. < Le métier voute >, affirmait naguère Alain… sérieux et pesanteur des fonctions…

Patadelphe. … sans oublier la chaîne sociale… Donc une malédiction ?…

Ubudore. … tout ce qui contraint… tout ce qui aliène la liberté, la libre création, l’ oisiveté, la rêverie, la paresse et l’ ennui…

Patadelphe. … le jeu, la Fête…

Ubudore. … d’ après la sainte tradition biblique… Adam et Eve chassés du Paradis… Le mythe évacué, son idéologie explicite est néanmoins demeurée, marquant les consciences…

Patadelphe. … circoncision mentale…

Ubudore. Quelle horreur !… et qui n’ a pas cessé d’ infecter une humanité désormais écrasée sous le joug de cette lugubre représentation….

Patadelphe…. effectivement. Les Modernes ont fait du travail le fondement de l’ existence humaine et même l’ < essence de l’ humanité>…

Ubudore. Vous évoquez l’ éthique réformée, les Méthodistes, Adam Smith, Marx…

Patadelphe. … et les leçons des < Philosophes >, Hegel, Kojève, Sartre…

Ubudore. Les hégéliens étaient à ce propos intarissables…

Patadelphe. … la dialectique du Maître et de l’ Esclave… l’ esclave devenu indispensable au maître, » maître du maître » par le travail ! et réalisant son  » essence humaine  » (sic) par le travail !…

Ubudore. … thèse cardinale de la Critique de la raison dialectique… humour involontaire… l’ esclavage, le servage, le salariat, ces rapports sociaux de production, comme disaient les marxiens… réalisant un moment nécessaire du < progrès de l’ Humanité >…

Patadelphe. … nouvelle théodicée, substituant le Travail à Dieu, ainsi que l’ affirmait Bloy à propos de Zola… laïque eschatologie…

Ubudore. … mystification du pouvoir intellectuel, des intellectuels bernant leurs dupes… par la phraséologie et l’ ivresse des mots !

3.

Patadelphe. Mais nous autres Patagons, sachons revendiquer la paresse, l’ oisiveté, l’ activité choisie…

Ubudore. … refusons la société de loisirs…

Patadelphe. … méprisons les droits du « travailleur »…

Ubudore. … exigeons < la part maudite >, ainsi que la nommait Bataille !

Patadelphe. … exténuons l’ esprit de labeur, le conformisme travailliste…

Ubudore. … jouissons de la dilapidation…

Patadelphe. Et régalons-nous, mon ami, de ces deux textes que j’ ai apportés fort à propos…

Ubudore. ?…

Patadelphe. Le premier est dû à la plume de Frédéric Nietzsche, le grand généalogiste expert es mystifications ..

Ubudore. … le second ?..

Patadelphe. … Kierkegaard… un bel éloge de l’ oisiveté…

Ubudore. lisons les…

Frédéric Nietzsche, Aurore
< Dans la glorification du « travail », dans les infatigables discours sur la « bénédiction du travail « , je vois la même arrière-pensée que dans les louanges adressées aux actes impersonnels et utiles à tous : à savoir la peur de tout ce qui est individuel. Au fond on sent aujourd’hui, à la vue du travail -on vise toujours sous ce nom le dur labeur du matin au soir-, qu’ un tel travail constitue la meilleure des polices, qu’ il tient chacun en bride et s’entend à entraver puissamment le développement de la raison, des désirs, du goût de l’ indépendance, car il consume une quantité extraordinaire de force nerveuse, et la soustrait à la réflexion, à la méditation, à la rêverie, aux soucis, à l’ amour, et à la haine. Il présente constamment à la vue un but mesquin et assure des satisfactions faciles et régulières. Aussi une société où l’ on travaille dur en permanence aura davantage de sécurité : et on adore aujourd’ hui la sécurité comme le bien suprême… >

S. Kierkegaard, Miettes philosophiques
< On a l’ habitude de dire que l’oisiveté est la mère de tous les maux… On recommande le travail pour empêcher le mal. Mais aussi bien la cause redoutée que le moyen employé vous convaincront facilement que toute cette réflexion est d’origine plébéienne.

L’oisiveté en tant qu’oisiveté n’est nullement la mère de tous les maux, au contraire c’est une vie vraiment divine lorsqu’elle ne s’accompagne pas d’ ennui. Elle peut faire, il est vrai, qu’on perde sa fortune, etc. Toutefois une nature patricienne ne craint pas ces choses, mais bien de s’ennuyer. Les Dieux de l’Olympe ne s’ennuyaient pas…

… l’ oisiveté n’ est pas le mal. Et on peut dire de quiconque ne le sent pas, qu’ il ne s’est pas élevé jusqu’aux humanités. Il existe une activité intarissable qui exclut l’ homme du monde spirituel, le met au rang des animaux qui instinctivement, doivent toujours être en mouvement… >

4.

-Ubudore. Ces deux pages me conviennent tout à fait…

Pour conclure je vous suggère l’ironie de ce ‘pata koan :

< Si l’ oisiveté est la mère de tous les vices, le travail est-il le père de toutes les vertus ? >
-Patadelphe. Le joli petit problème à proposer à la sagacité de nos zélés travaillistes…


‘PATAPHYSIQUE DU COMPLOT ( en suivant Jean Louis Curtis… )

< Nous avons aussi une revue aujourd’ hui rarissime et quasiment introuvable : la revue de pataphysique, obligeamment prêtée au Club par notre Frère Haldernablou… un irrésistible monument de mandarinat nihiliste… >
Un saint au néon
*

  1. Qui sommes nous ?

< Notre Club, ou Association, ou Franc-maçonnerie, comme vous voudrez, est fondé sur le secret le plus absolu. C’est là son sens, n’est-ce pas : petit nombre et imperméabilité…. nous devons être imperméables à l’univers…. Nous ne cherchons pas à changer quoi que ce soit à l’ordre du monde, nous estimons que le monde n’est plus réformable. Nous sommes simplement des irréductibles….nous ne marchons pas. Leurs lois, leur code, leur morale, leur optimisme de pense-bête, leur hideuse uniformité : tout cela nous fait vomir. Nous sommes des exilés volontaires… >

  1. Ce qu’ < ils > veulent…

< -Comment envisagez-vous de lutter contre l’ individualisme?

-Ah, nous emploierons toutes les armes ! La plus efficace est le ridicule. D’après les plus récentes théories psychanalytiques, l’individualisme se rattache à certains comportements infantiles d’affirmation sadico-anale. C’est en somme un stade primitif de l’évolution…. nous présenterons l’individualisme dans tous les domaines comme un arrêt du développement psychique, un blocage de la sensibilité et de l’intelligence, et les individualistes comme des sortes d’avortons spitituels… En contrepartie nous exaltons le sens de la collectivité, du groupe, de la conformité.

  • ( il nous faut donc ) … jeter un discrédit définitif sur les doctrines de l’individualisme, si dissolvantes… renforcer dans l’esprit public l’idée fondamentale (…) à savoir que Dieu, la Loi et la Cité sont les trois principes moraux hors desquels il n’est pas de salut pour l’espèce humaine… >

3. Quand j’ entends le mot < culture >….

< La « culture » est une épouvantable vulgarité inventée dans la première moitié du 20 siècle par des espèces de syndicalistes, ou je ne sais quoi… Ici, nous ne sommes pas cultivés. Nous sommes des érudits, peut-être, ou des lettrés, ou des esthètes, ou des dandys. Nous sommes des latinistes, des hellénistes. Ou simplement, des gens de goût, ou encore ce qu’on l’on désignait au 17 siècle, par la belle expression d’ honnête homme…>

  1. Le jeu.

<… Le monde ne sait plus jouer, il a perdu le secret, il ne comprend plus ni l’ ironie, ni un humour un peu subtil, ni aucune espèce de voltige intellectuelle. Le monde est affreusement lourd, il prend tout au pied de la lettre, il marche à travers d’épaisses notions avec de gros sabots ; il n’a aucun sens de l’ élégance qu’ il y a à se moquer de soi-même et de ce qu’on aime le plus; et à fournir des armes contre soi; l’antiphrase l’égare; la parodie lui échappe; un minimum de raillerie le déconcerte. En bref il est si obtus que, tout naturellement, nous réagisons en exaltant en nous ce qui lui manque le plus à lui…>

  1. Le secret.

< … Le secret, la clandestinité, la double vie. Faire semblant d’ être comme tout le monde, de vivre comme tout le monde mais être différent, et avoir ses délices privés, au sein d’un petit groupe d’initiés… le Club est fondé sur le secret même dont il s’entoure… O douceur fondante de l’ hypocrisie !…

…21 mai 2001. Plaisir de la double vie. … Hypocrisie, dernier refuge de l’individualisme à notre époque. Le 20 siècle a fait du < for intérieur > un délit de lèse-société. En conséquence, tout ce qui n’est pas pur réflexe conditionné, pur conformisme, est dans l’obligation de se cacher. >

6.< Vivre l’amour…

non selon la morale du siècle mais selon la passion, l’inclination et l’esthétique…>

7. Serment.

< Je piétine… la religion communautaire. La tyrannie policière. La soumission de l’individu aux impératifs de la collectivité. La standardisation. La série. La morale commune. La vulgarisation des connaissances. Tous les idéaux du siècle : confort, argent, réussite, efficacité…>

8. Réception.

< … Au nom de tout ce qui est haï, bafoué, nié, dans ce temps des ténèbres, au nom du plaisir, au nom du bonheur, au nom du détachement, au nom de la solitude, au nom de la divine mélancolie, au nom de toutes les choses précieuses du coeur et de l’intelligence, je t’accepte dans notre Fraternité. >

15.04.2001…