clinamen-2

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TABLE
Alfred Jarry
Être et Vivre
Agrémenté des notes de I.L. Sandomir
( dossier du Collège de ‘Pataphysique, 29 phalle 89 )
Prophase
Être et vivre
Notes
**
Visions actuelles et futures
( L’Art littéraire, mai 1894 )

ETRE ET VIVRE

Prophase de Sa feue Magnificence
le Vice-Curateur Fondateur
Du Collège De ‘Pataphysique

Un demi siècle avant la vogue de la Philosophie que plus d’un nomme  » existentielle « , Alfred Jarry l’avait déjà épuisée ( avec l’autre ) en un petit écrit auquel notre Collège rend hommage aujourd’hui en le remettant à sa place pataphysique qui est la première.
On peut dire en effet que c’est de Jarry le premier ouvrage spécialistiquement pataphysique. Car le Guignol auquel il se réfère, désignait et illustrait la Pataphysique plutôt qu’il n’en traitait ex professo. Ici au contraire rayonne le principe de la carrière de Jarry Docteur, Exégète et promoteur de la Pataphysique. Et ce, à propos d’une des plus bourgeonnantes et luxuriantes applications de la Pataphysique, nous disons la Philosophie.
Il sied d’avérer, et nous l’avérons, que de toutes les philosophies -et Faustroll sait qu’à notre âge, qui est grand, nous en avons conspecté de toutes les bigarrures-, la philosophie précisée  » existentielle », avec tous ces sous-produits, est probablement une des plus propres, sinon la plus propre, à susciter la féconde et scientifique évagation du Pataphysicien. Il faudrait sans doute remonter jusqu’à l’incomparable Zohar, encore que nous sortions alors de la philosophie strictement dite, ou, en moins profond, jusqu’aux Harmonies de la Nature, pour trouver un catalyseur pataphysique d’une telle efficace.
Mais Jarry ne pouvait connaître cette aujourd’hui réputée philosophie : il avait seulement ouï Bergson au Lycée Henri 4 et, dès avant, en 1890, pris contact avec Nietzsche grâce à son professeur de philosophie, B. Bourdon. Kierkegaard, en effet, était alors à peu près ignoré; et il s’en fallait encore d’un an que Paludes, ce  » Petit traité de la contingence  » -parfait enchiridion de ce qu’on sobriquette maintenant l’ « existentialisme »- eût dressé avant la lettre le complet répertoire de ses thèmes philosophico-pathétiques, tout en même temps qu’il en élaborait l’antidote si remarquablement ignoré des actuels philosophes de l’existence…
Jarry donc, faute de pouvoir emprunter à d’autres ce paradigme de Pataphysique philosophosophique, dut se conter tout bonnement, il avait vingt-et-un ans, de l’inventer.
Et de le dépasser.
Sans doute, en ces dix pages, ne s’agit-il pas de retrouver la technicité détaillée et d’ailleurs fort variée des diverses doctrines dites existentielles : mais une riche intuition de ce jeu et de sa naïveté, de ces émerveillements craintifs d’exister et de ces manèges hippoxyliques où, autour du  » concret », les universaux tournent sans pouvoir, à l’admiration du vulgaire philosophique, se jamais rencontrer et moins encore s’intégrer… Jarry a bien saisi la tonalité tragi-comique de ces ritournelles.
Voyez, voyez la Machine tourner. On reconnaît au passage la Pensée et la Mort, avec le Temps ( Zeit ) et l’Existence. L’Acte, l’engagement et ses contradictions ( agréablement insolubles ), la Quotidienneté ( Alltäglichkeit ), la Facticité, l’Angoisse et le Souci le plus roux, l’irréductibilité et l’authenticité, voire l’impuissance, avec le saut de M. Albert Camus ( nettement surclassé par l’acrobatie philosophique de Lesteven ), et  » l’ être de l’existant où se produit, comme l’écrit Martin Heidegger, le néantir du Néant ». Rien ne manque à ce pot-pourri profondément superficiel et superficiellement profond, pas même la transcendance du Dasein qui est  » liberté-pour-le-Fondement » (Grund), laquelle est hyperbolisée par Jarry avec largesse jusqu’à l’explosion attentatoire. Paix ! Nous en passons : au tamis phénoménologique.
Ce sont engins que tous ces concepts. Ingénieux donc et ingénus. Au-delà desquels Ubu demeure, son Croc et sa Gidouille. Et nunc manent tria haec : fides, spes, charitas : major autem trium est  » charitas ».

I. L. Sandomir


ETRE ET VIVRE

M. UBU. – Ceci vous plaît à dire, monsieur, mais vous parlez à un grand pataphysicien.
ACHRAS. -Pardon, monsieur, vous dîtes ?…
M. UBU. -Pataphysicien. La Pataphysique est une science que nous avons inventée,
et dont le besoin se faisait généralement sentir.
Echo de Paris du 23 avril 1893.
 ( Paru dans L’Art littéraire, mars-avril 1894 )

Au commencement était la Pensée ? ou au commencement était l’Action ? La Pensée est le foetus de l’Action, ou plutôt l’action déjà jeune. ‘introduisons pas un troisième terme, le Verbe : car le Verbe n’est que la pensée perçue, soit par celui qu’elle habite, soit par les passants de l’extériorisé. Mais notons-le pourtant ; car faite Verbe, la Pensée est figée dans un de ses instants, a une forme-puisque perçue n’est donc plus embryon -plus embryon de l’action. L ‘Action, il faut qu’elle soit au commencement pour le déroulement des actes du présent et du passé. Elle était, elle est, elle sera dans les minutes de la durée, par l’indéfini discontinu.
-La Pensée n’était pas au commencement, car elle Est hors du temps : c’est elle qui excrète le temps avec sa tête, son coeur, et ses pieds de Passé, de Présent et d’Avenir. Elle est en-soi et par-soi, et descend vers la mort en descendant vers la durée.
 » Il vaut mieux vivre », répondent à tout les idolâtres de la mode. Lesteven, mort en beauté volontaire, tu les réfutes par ton bond simiesque ; et vous, squelettes qui me reniflez des mitres d’évêque de vos nez camards, vous ne daignez cette banalité, coutumière et au snob et au bourgeois sphérique. Vous ne vivez pas -malgré le témoignage des terrorisés qui vous proclament leurs passés compagnons de route, -ne le nier pas, vous ne vivez pas, il n’y a pas de mal à ça, vous faites mieux,
vous Etes.
L’Etre, sous-suprême de l’Idée, car moins compréhensif que le Possible, est hypindéfinissable. Contente-toi, mon cerveau aux lobes luisants, de cette intuition, la fraternité de l’Etre et de l’Eternité. L’Eternité, contraire du Vivre, le détruit. Donc l’Etre aussi, pair de l’Eternité.
Or définissons son antipode prouvé, le Vivre. Vivre est acte, et ses lettres n’ont que le sens du délire d’un hanneton renversé.
Vie égale action de sucer du futur par le siphon ombilical : percevoir, c’est-à-dire être modifié, renfoncé, retourné comme un gant partiel; être perçu aussi bien, c’est-à-dire modifier, étaler tentaculairement sa corne amiboïde. Car et donc on sait que les contraires sont identiques.
Etre, défublé du bât de Berkeley, est réciproquement non pas percevoir ou être perçu, mais que le kaléidoscope mental irisé SE pense.
Vivre : discontinu, impressionnisme sérié.
Etre : continu, car inétendu ( on ne démèle pas plus les composants de zéro que l’infini ).
Conséquemment :
Quand l’ Etre devient le Vivre, le Continu devient le Discontinu, l’Etre syllogistique-ment le Non-Etre. Vivre= cesser d’Exister.

Vivre, rappelons-le, est entendu vie de relation, vie dans la boite de guitare du temps qui le moule ; Etre, vie en soi, sans ces formes anorthopédiques. Vivre c’est le carnaval de l’Etre.

UN VIVANT intersèque votre Pérennité : versera le vin de son Temps dans votre Cristal hors de forme. Il ne vous modifie possible que si – contrairement aux choses connues – une seule parcelle de lui vous oint ( habitude peut-être de Mithridate ). Assimilez-vous le, pour que votre crainte cesse.
Ou qu’il disparaisse. Car l’Etre et le non-Etre sont fort proches, communs qu’ils sont par un élément. Insinué en vous, il sera transmué en votre substance ; expulsé hors de vous, il sera cru votre excrétion.
L’ Anarchie est ; mais l’idée déchoit qui se résout en acte ; il faudrait l’Acte imminent, asymptote presque. – ( Toujours. Et pour cela nul autre souci que d’entretenir le poêle des Actes )-. Vaillant de par son nom prédestiné voulut vivre sa théorie. Au lieu du Monstre inconcevable, fut palpable et audible la chute non fendue d’un des grelots de son joyeux bonnet. Et pourtant il fut grand. -Quoiqu’il fût contraire à l’Etre. -Car l’Etre est meilleur que le Vivre. Mais -casuistique licite- pour en paix avec ma conscience glorifier le Vivre je veux que l’Etre disparaisse, se résolvant en son contraire. Jour et nuit successifs s’évitant avec adresse, demi-tons, coïncidants je les abomine ; et je révère l’ascension miroitante d’un des deux seuls.
Mes engins ne sont pas construits ; mais avant que l’Etre disparaisse j’en veux noter les symboles – et non cymbales, malgré la rime future, comme a failli l’écrire ( et avec raison, vous le savez ) ma plume fourchante -que pour les petits enfants -il fut bon père et bon époux -l’on gravera sur sa pierre tombale
Symboles de l’ Etre : deux yeux Nyctalopes, cymbales en effet appariées, de chrome circulaire, car identique à soi-même; –
Un Cercle sans circonférence, car inétendu ;-
L’Impuissance des pleurs d’un coeur, car éternel.

TOUT MEURTRE est beau : détruisons donc l’Etre.
Par la stérilité. Tout organe au repos s’atrophie. L’Etre est génie : il n’éjacule point, il meurt. Mais les Oeuvres exsautent les barrières, quoique je dédaigne de leur tendre, à leur chute, grâce à ma voix l’anxiété des tympans d’autrui.

Par le stupre; inconscient avec l’ambiance et la fréquentation des Hommes, la lecture des Oeuvres et le regard circulaire des Têtes. Quoique l’action et la vie soient déchéance de l’Etre et de la Pensée, elles sont plus belles que la Pensée quand conscientes ou non elles ont tué la Pensée. Donc Vivons et par là nous serons Maîtres.
-Là-bas, sur les étagères, ils ne vivent point, mais leur pensée ne récite-t-elle point à leur -qui seul peut comprendre – Génie, sur les trois cercles stridulents de l’ivoire de leur ventre irréel ?

Notes

Remarque générale sur les < réalisations pataphysiques > d’Alfred Jarry
( Jean-Hugues Sainmont, Jarry et la ‘Pataphysique, Cours élémentaire. Cahier 1. 15 clinamen 77. E.P. )
La phraséologie poétique et plus particulièrement symboliste, par son obscurité et son affectation, son caractère éthéré et même éthéromane, son amphigouri et son saugrenu, conspirait si merveilleusement aux réalisations pataphysiques que Jarry l’a fougueusement adoptée, en a remis et a largement battu tous ses concurrents -comme l’avait fait pour un certain romantisme Lautréamont qu’il invoque. Précieuse outrance qui se traduit elle-même en feux… d’artifice. Avouons d’ailleurs qu’il est impossible de concevoir Jarry pris au piège de la sottise lyrique.

Epigraphe
L’épigraphe prévient le lecteur contre l’apparence philosophique du discours, à laquelle donc il faut se garder d’abandonner et subordonner l’interprétation régulatrice de toutes les autres. Un certain nombre d’expressions ou métaphores militent aussi pour ériger le Sensorium Pataphysicum. De plus, la structure et l’orientation du texte instruisent très-patemment et même à une lecture cursive : on part dans une apologie de l’Etre, et brusquement par une culbute qui semble arbitraire, voici qu’on se met à célébrer le Vivre et même à < détruire l’Etre > !
< Casuistique licite > selon Jarry, et qu’il a réalisée, en sa propre épiphanie terrestre, jusqu’à la limite ! D’où les embarras des biographes : fut-il < personnage > ou < homme > ? poseur ( à la rigueur posé ) ou vivant ? exténuant-exténué ou malheureux poète inadapté ? Et s’il s’était payé le luxe d’être tout à la fois et bien autre chose encore ? Bien au-delà : pataphysicien.

Explicitation
L’opposition < philosophique > élue par Jarry pour son jeu est celle de l’Etre et du Vivre.
A l’Etre qui est la plénitude immuable et totale ( donc hors du temps et de ses vicissitudes ) s’apparentent la Pensée et l’Idée, ainsi que l’Eternité ( plus tard dans Faustroll, Jarry écrira Ethernité et en fera l’analyse physico-chimique ). En effet l’Idée est un rapport vrai conçu indépendamment des circonstances temporelles et spatiales : ainsi la somme euclidienne des angles d’un triangle est-elle euclidiennement vraie et éternelle : comprendre ce théorème c’est saisir qu’il est universellement et sempiternellement vrai dès que ses prémisses sont posées : et penser ce théorème c’est le comprendre comme éminemment réel ( même s’il n’existe pas en des réalisations matérielles), bref c’est atteindre son Etre. L’Etre est donc < sous-suprême de l’Idée> ( car l’Idée outre le réel, embrasse aussi le possible ).
Au Vivre, qui est développement, croissance, impulsion dans l’espace et le temps, se rattachent l’Action et la Durée, le Devenir. Vivre c’est passer d’un moment du temps à l’autre, c’est être situé dans des relations changeantes avec les choses et avec les autres hommes.
-( Contrairement à la définition de Berkeley : être c’est percevoir ou être perçu, Jarry définit ainsi le Vivre. Car Vivre signifie 1° que l’Extérieur pénètre en nous quand nous le percevons ; 2° que nous nous < étalons > au dehors dans la représentation que les autres se font de nous ( être perçu ). On ne vit pas en soi ( vie = échange ). Donc on ne peut dire : < vivre en soi ; il faut dire ; < être en soi >.
Jarry ( cf. les Jours et les Nuits, 4, 2 ) soutient que l’Etre est subjectif ( ou mieux que l’objectif et le subjectif s’y confondent ) : le monde extérieur n’a pour moi d’existence que si je le ressens en moi, il n’est qu’une des irisations du kaléidoscope mental, irisation d’ailleurs indiscernable des autres. Ainsi l’esprit de la doctrine de Berkeley est par Jarry poussé plus loin que n’a été Berkeley, jusqu’à la ‘Pataphysique de César-Antéchrist et de Faustroll. )-
Vivre c’est instabilité, caducité et la mort au terme. Cette vie est double : il y a celle du < bourgeois sphérique > et des < idolâtres de la mode > – il y a celle de l’anarchiste qui se pose en s’opposant : en un sens très élevé, elles reviennent au même ( telle est la signification de M. Ubu ).
Dans la mesure où la Pensée comprend ( aux deux sens ) le temps lui-même et l’Action, les projette devant soi, -elle est le terme suprême dont tous les autres dépendent ( effectivement : pour que nous parlions de ces autres termes, il faut bien que d’abord nous les pensions ). Mais dans la mesure où la Pensée se fait, devient aventure et succession, elle déchoit vers la Durée, elle se perd ( non seulement elle se fatigue par exemple, -mais elle est marquée par son époque, son âge : bref, elle n’est plus dans l’éternel et le pur vrai ). Ainsi tantôt la Pensée passe pour dominer l’Action et l’engendrer ( foetus ) -tantôt elle est écrasée, anesthésiée, finalement euthanasiée par elle.
Il y a donc une sorte d’équilibre ( identité de contradictoires, vérifiée en nous ) ou un balancement pendulaire entre < je pense donc je suis > et < je vis donc je pense >.
La mort rompt cet équilibre absurde et logique. L’abolition de la Vie fixe l’Etre :
Tel qu’en lui-même enfin l’éternité le change
L’Etre détruit le Vivre. Réciproquement le Vivre lèse l’Etre : en se perdant à chaque instant il se soustrait à l’Etre. Ainsi la Mort est-elle une médiation inépuisable entre l’Etre et le Vivre. Le meurtre en est une expression particulièrement élégante, comme Thomas de Quincey l’avait vu. Tuer la Pensée, détruire l’Etre, ce serait la manifestation de puissance la plus réussie :
< Tuez un homme, vous êtes un assassin ; tuez -en des millions, vous êtes un conquérant ; tuez-les tous, vous êtes Dieu > ( Jean Rostand ).

Le Cimetière Marin de Valéry heurte ces mêmes deux abstractions, selon le même mouvement que celui d’ Etre et Vivre. Le parallélisme va si loin qu’on ne peut le croire fortuit : d’autant qu’il serait invraisemblable que Jarry n’ait pas fait lire cette oeuvre à son ami : une réminiscence est donc probable. Cette communauté de préoccupation a déjà été signalé dans le Cahier 2 à propos d’un article de Valéry ( mai 1899 ).

Enfin, il faut ajouter que le meilleur commentaire d’Etre et Vivre se trouve dans les oeuvres de Jarry : notamment dans César-Antéchrist ( fin de la dernière scène de l’Acte prologal ), dans toute l’exorde de l’article sur Filiger, et dans les Jours et les Nuits, au chapitre Adelphisme et Nostalgie, et par dessus tout, au chapitre Pataphysique, qui rend ces notes inutiles…


VISIONS ACTUELLES ET FUTURES

C’est ici la loi de la tache de la lèpre du vêtement de laine ou de lin,
ou de la chaîne ou de la trame, ou de quelque chose que ce soit
qui soit faite de peau, pour la jugée nette ou souillée.

Lévitique

Vous traquez les anarchistes en bloc, je frappe la bourgeoisie en bloc, disait Emile Henry. Apparente logique éblouisseuse de potaches, absurdité guerroyant contre l’absurdité, aveugles de Nadir-Khouli aux bourses de dinars confus de la cécité de leurs gourdins.
Aveugles pour aveugles, j’aime mieux ceux qui s’entr’aident -pour la terminale chute glissante et profonde des chapelets catholiques dans la baignoire de Sésostris. Qu’il est plus beau d’étudier les conjonctions ! Et en face de son ennemi, le scalpel choisi à l’aide d’un index dans l’arsenal porté par trois esclaves léporides, de lui couper avec sagesse le nez et les oreilles… -Mais le plural aujourd’hui, c’est le duel à l’américaine, cache-cache, fulgurant météore qui éclate et s’évanouit, triangle d’un couperet que remportent dormir ses deux bras rouges ; bascule, obscurité. -Mieux que la guillotine, la potence, permanente et plus élégante, morts et potences après les corbeaux vermoulus, navigation aérienne ; que la Bombe banale et bourdonnante, la Machine à Décerveler, coram populo tous les dimanches pour le Seigneur ronflant sur un tertre, petite fille de Moloch et des Vierges de fer. Il suffit de l’initiative d’un petit César dans son village. Trois serviteurs dociles ( je les préfère en caoutchouc, car après service dégonflés on les renferme dans un tiroir) pour battre et graisser. Renouveau des arts, le gloussement circulaire d’un orgue y adapté charme les derniers instants. Phynance, justi-et purificatrice de tout, découle par un robinet. Le populaire familial tout blanc de la cervelle rentre heureux et moralisé de ce démocratique spectacle-Mais l’äge d’or est trop en le futur.
Substitution, hélas! de la Science à l’Art, et c’est une machine qui ferait le Geste Beau, malgré notre esthétique volonté et malgré Dom Junipérien et sa Révérence bien établie. -On serait du moins sûr de répéter ce geste aux temps et lieux de son gré : le bref geste humain ondoie et seul ce qui en résulte Est. Avec T. de Quincey est mort le club des dilettantes du meurtre parfait ( Society for the propagation of great Idéas ). A son exemple, disons qu’il faut que le meurtre soit honni, mais qu’à le voir tout perpétré il vaut mieux le voir oeuvre d’art ( c’est pourquoi la Guillotine est vandalisme paralogique : elle prive le corps ( si l’on veut le conserver au mur ) de son suspenseur naturel ;elle réduit à la dualité la triple gaine de bambou de la triple âme platonicienne, rompt l’équilibre sans épithumial profit, force perdue. -Qui sait portant si cette force ne se résout pas en pensée, et si le sexe du décapité n a pas conscience ?
La Pendaison est une des fins de l’homme. Le cou s’étrécit pour un porte-Pipes. Mais ceux qui travaillent l’écume des vagues de la mer ( en la calcinant , comme on sait, dans un moule de grés clos jusqu’à siccité ) n’ont point songé aux anses des oreilles.
Le Pal ( melius est principium orationis… ) est abandonné jalonnant les temps de mâts dégréés. Et l’on dévissera prochainement ceux qui sont apophyses du charnel et du prismatique toit de la Halle aux vins et de quelque autre chose que ce soit, que l’on appelle toits, comme les aiguilles étendants après leurs morts les langues des caméléons sur les reins de leurs cimeterres, -car ils attirent le feu du ciel.
Ainsi les choses obéissent à l’aimant répulsif de leur destination première, tels les trains que l’on a domestiqués comme les boeufs ( déjà ) et les rhinocéros, alors qu’il eût été plus beau de les ruer l’un sur l’autre en liberté dans une arène, comme l’Ichthyosaure et le Mégalosaure. N’eût on pas mieux fait d’agrandir, pour en insuffler les hamacs, les gorges des Onocrotales ?
Tôt ou tard d’ailleurs leur seront substitués de < plus pratiques > engins locomoteurs. Car il est aussi absurde de vouloir tout mouvoir sur notre terre ronde par une mécanique circulaire ( ce n’est pas imiter l’orbe mais Descartes ) que de fleurir, parce qu’hommes, en chapeaux anthropomorhes… :

DU BATON A PHYSIQUE :
Phallus déraciné, ne fais pas de pareils bonds ! Tu es une roue dont la substance seule subsiste, le diamètre du cercle sans circonférence créant un plan par sa rotation autour de son point médian. La substance de ton diamètre est un Point. La ligne et son envergure sont dans nos yeux, clignant devant les rayures d’or et vertes d’un bec de gaz palloïde.
Le cycle est un pléonasme : une roue et la superfétation du parallélisme prolongé des manivelles. Le cercle, fini, se désuète. La ligne droite, infinie dans les deux sens, lui succède. Ne fais pas de pareils bonds, demi-cubiste sur l’un et l’autre pôle de ton axe et de ton soi ! Le cavalier t’étreint ( surpendu s’il le désire, à la Cardan entre tes côtes -laissons le disque quelques siècles encore aux accessoires et à l’homme ) et tu poursuis la succession de tes équilibres momentanés, dans le sens du mouvement ( si le spectateur est à ta droite, et encore ta droite et ta gauche dans la deuxième moitié de ta course ) des aiguilles d’une montre.
Tu concilie le discontinu de la marche et le continu de la rotation astrale ; à chaque quart de chacune de tes révolutions ( qu’on la mesure d’où l’on voudra ) tu fais une croix avec toi-même. Tu es saint, tu es l’emblême bourgeon de la génération ( si cela était pourtant, tu serais maudit, Bourgeois ), mais de la génération spontanée, vibrion et volvoce dont les images gyroscopo successives révèlent à nos yeux, hélas trop purs, ta scissiparité, et qui projettes loin des sexes terrestres le riz cérébral de ton sperme nacré jusqu’à la traîne où les haies d’indépendantes pincettes des chinois Gastronomes illustrent la Vierge lactée.
Ainsi chantâmes-nous ce jour-là, où nous ne parlâmes point de nos malthusiennes Machines, ni de l’Autoclave, ni de la Digitale, NI DU PINCE-PORC.
-( La Machine est née des cendres de l’esclave et elle différenciera ses serfs organes instinctifs pour la serve intelligence, sillage de l’intelligence despotique, d’un nègre derrière l’Antéchrist, comme l’Apocalypse ne l’a point dit. )

Sur un principe tout différent, la locomotion de ces serviteurs caoutchoutés, génériquement PALOTINS, les seuls
Parfaits pour qui veut que sa Volonté s’érige loi souveraine. Ils sont
Mécaniques, et pourtant ne se remontent que par le repos comme
Des êtres animés, dans d’ophidiennes caisses en fer-blanc, dominicalement
Ouvertes. Et ils ont
Une volonté propre, parallèle plus loin prolongée
De la Volonté de leur maître. Ils ont
Au moins quatre oneilles, sur lesquelles le pôle
Exerce diverse influences
De déclinaison, et autant d’inclinaison. Ils n’ont
Que de petits ailerons, et de grands
Pieds plats sonores. Dans la foule on les reconnaît à la prononciation : le vocable
Souvent proféré : Hon, monsieuye ! et la transition
Par conséiquent de quoye. Bien avant Ravachol il en existait d’Explosifs de par leur seul vouloir. Ceci explique que l’Etat, pour les prisons ou le Museum, n’a jamais pu en avoir un vivant.
La célérité de leur course est égale ou supérieure à celles des Momies courant après leur double. Aux abois, ils savent mourir en ce schématique dialogue :
La coercition extérieure. – Nous vous arrêtons.
Le palotin. -Hon, monsieuye !


( Explosion aux jumeaux effets )


Refermez ce livre à couverture automnale, nous en resterons là pour aujourd’hui. – La Pataphysique est la science de ces êtres et engins actuels ou futurs avec le Pouvoir de leur Usage ( discipulus )… – Définition de la science Divulguée, avant de ramper sous les arcanes inverbaux…- Disc. -L’esprit veuille que ce Divulgué soit compris du plus ignare, fût-ce du Chevalier qui se plaint qu’on matelasse miséricordieusement de peur que n’y déferle et ne s’y brise l’émeri irrégulier de ses violettes dents gloutonnes Votre vivante statue de luisant ébène et d’émeraude adamantine, et les pustules coralliaires du triangulaire dieu des Jardins.