ubu61

vers accueil vers ouvroir-de-pataphysique

Geste des opinions du docteur lothaire liogieri
 Démons et merveilles 2
 

Sa Magnificence…

< Les pairs étant douzaine, il est sans parangon. Son lard tremble à sa marche et la terre à son souffle ; Pour chacun de ses pas, son orteil patagon Lui taille au creux de sable une neuve pantoufle > Alfred Jarry, Le bain du roi, Poèmes de la Revue blanche
 

TABLE
Sur la superstition et l’idéophagie philosophiques.
Platon tel qu’en sa caverne.
De Sartre et de l’existentielle psychanalyse.
Les illuminations d’ Edmund Husserl.
Une remarque de l’Abbé de Condillac
**
Du quiétisme et de la ‘pataphysique.
ou Fénelon détourné.
 (05.02.2000…)
vers < Qu’est-ce que la philosophie ? >

 
 Le ‘pataphysicien chez les idéophages…
 < … il y a sur tes épaules plus de plumes que de cervelle et tu as rêvé des sottises. >
A. Jarry, Ubu roi 4, 3.
 
 
SUR LA SUPERSTITION ET L’IDEOPHAGIE PHILOSOPHIQUE

< l’obscurité est d’ordinaire caution de profondeur… >
Pseudo-Lucien, Dialogue des Idéophages
 *
Ubudore : – Je vous propose aujourd’ hui un repas Patadelphe…
Patadelphe : -Un repas ?… et au menu ?
Ubudore : – Un sauté de Philosophes à la sauce patagone… qu’en dites-vous ?
Patadelphe : -Vrai festin de Thyeste… J’espère que nous ferons bonne chère… mais tout dépendra de la cantine… est-elle de qualité ?
Ubudore : -N ‘ayez crainte mon ami ; le gibier est de choix.
Patadelphe : -Et pour entrée ?
Ubudore : -A tout seigneur tout honneur : Platon. Nous aurons donc des Idées pour premier plat…
Patadelphe :-… des idées… c’est un os de seiche que vous nous proposez….
Ubudore :- Que voulez-vous qu’ un Philosophe nous offre, si ce ne sont… des idées ?
 

PLATON, TEL QU’EN SA CAVERNE…

< Chez presque tous les pédagogues, il y a un démagogue qui sommeille > ( R. Ruyer )
 Patadelphe :-Et pourquoi donc ce vieux Monsieur?
Ubudore : -Vieux Monsieur… lui aussi a eu une jeunesse… et combien tumultueuse… Parce qu’il incarne en sa personne presque toute la philosophie en son continent  » visionnaire », son état d’ esprit, son dogmatisme idéaliste, ses certitudes, ses prétentions. Avec lui naît la figure métahistorique du Clerc, le Magistrat Philosophe…
Patadelphe : -Il me souvient en effet d’un  » projet  » politique de < réforme morale > de la Cité-Etat et de ses institutions…
Ubudore : -Vieux fantasme de Philosophe : le totalitarisme constitutionnel …
Patadelphe :- … mais appuyé sur une imposante machinerie conceptuelle de nature métaphysique…
Ubudore :- … qui fondait elle même une théorie de la connaissance à l’usage de la rénovation complète des méthodes et des objectifs de la pédagogie.
Patadelphe : -La geste habituelle de l’intellectuel engagé et responsable : rénovateur de la chose sociale, créateur de < projets de société >…
Ubudore : – C’est au coeur de la Politeia, au coeur de la République, que le propos du dogmatisme totalitaire et idéaliste se laisse le mieux découvrir et analyser … en une manière d’aveu …
Patadelphe :- … après, rappelez-vous, qu’ont été affirmés l’eugénisme, la communauté des femmes, la division du travail forcée, l’exclusion de l’artiste, l’ éducation-dressage des enfants retirés aux familles et confiés à l’ Etat…
… jusqu’à l’ éloge de la délation civile dans le texte -il est vrai ultérieur-, des Lois.
Ubudore :- …toutes ces mesures étant justifiées…
Patadelphe : -… ah ! le besoin et le mythe de la justification et du fondement…
Ubudore : -… au nom de la < justice > en l’individu et dans la Cité …
Et quelle cohérence !…
Patadelphe : -Mon bon, le raisonneur est le plus souvent un homme habité par la logique, et qui va jusqu’au bout de l’ idée qui le hante. Utilisant la méthode de l’argumentation spéculative a-priori, refusant le contrôle de l’ expérience du fait de son insatisfaction et de son ressentiment contre l’expérience même, il stipule, définit, décrète et gouverne, du moins… en < Idées >, la matière à venir du destin des humains….
… et plus particulièrement la  » politique « .
Ubudore :-La sociologie fantaisiste et rêvée se substitue alors à l’étude plus prosaïque du réel…
Patadelphe :- En l’ occurrence il s’agissait d’ une manière de fantasme réactionnaire propre à un eupatride exilé du pouvoir et qui, la rage au coeur, assistait impuissant à ce qui lui paraissait représenter la « décadence  » de sa cité, Athènes.
Ubudore : -Sentiment d impuissance renforcé par l’échec de l’ aventure sicilienne…
Patadelphe :-Restait l’Académie, c’est-à-dire l’ enseignement et… la littérature, -cette maîtresse de substitution-, la consolation de la philosophie, comme l’ écrira si bien Boèce, cette autre incarnation de la Figure de l’intellectuel, et l’ espoir d’ une action au moins indirecte par le biais des élèves -la tribu docile de ceux que l’on forme, sur le cours des choses…
Ubudore : -En effet. Et en ce sens il me semble que rien n’est plus significatif de la démarche d’ensemble du Philosophe et de la plupart de ceux qui se baptisent < philosophes > que la fameuse , ce passage tant commenté… mais le plus souvent selon la pente de l’idéalisme spéculatif.
Patadelphe : -Pour les besoins de la cause… bien entendu.
Ubudore :-Peut-être pourrions-nous nous y arrêter…
Patadelphe : -Certainement… Allons à la bibliothèque…
Reprenons le texte et efforçons-nous d’ en dégager la portée… de notre point de vue.
*
Ubudore : -… Le récit s’ordonne comme un drame à trois temps. L’état d’ aliénation, la conversion, le retour. La narration reproduit comme en miroir les étapes de la démarche dialectique platonicienne, elle même constitutive de la structure du dialogue platonicien selon l’ordre des raisons habituel au genre : image-définition-essence-science.
Le premier moment -la description des conditions d’existence des captifs dans l’antre souterrain, est une critique figurée de la représentation selon le sens commun. Des hommes sont enchaînés et retenus, le visage tourné vers la paroi d’une grotte sans qu’ils puissent jamais tourner la tête vers la lumière extérieure.
A quelque distance un feu envoie sa clarté vers l’entrée de la demeure des captifs. Dans l’ intervalle des personnages que Socrate nomme des < charlatans > agitent au-dessus d’ un mur des objets de toutes sortes dont les ombres sont portées sur la paroi qui fait face aux prisonniers.
Que l’on interroge les captifs sur les ombres cinématographiques qui se succèdent et ils tombent d’accord pour leur attribuer valeur de réalité les considérant comme les choses mêmes. Mieux, leurs conversations et leurs disputes ont ces reflets pour unique référent.
Patadelphe : -La stratégie et le propos de Platon sont clairs. Il faut critiquer le sens commun, lui refuser sa valeur de connaissance et dénier enfin toute réalité au monde sensible afin de… justifier l’idéalisme.
Ubudore : -Il n’y a en effet aucune difficulté à relever les insuffisances de l’ imagination et les illusions des sens. Les Sceptiques s’en donneront bientôt à coeur joie… Le sophisme est bien plutôt de dénier la qualité de réalité ontologique aux phénomènes purement sensibles.
Epicure insistera sur ce point en affirmant tant la réalité du monde sensible que la valeur représentative de la sensation.
Patadelphe : -Le deuxième moment, la narration des étapes de la conversion des enchaînés, pose dans toute sa pureté le problème pédagogique. Socrate présente successivement deux cas de figure. Ou bien les prisonniers sont délivrés et arrachés sans ménagement, traînés de force aux lieux d’instruction et sans aucune préparation avec les conséquences que l’on devine…
Ubudore : -… l’ incapacité à désigner les objets qu’on leur présente, l’ éblouissement et finalement le dégoût des nouvelles voies et des nouveaux objets de connaissance…
Patadelphe :-… ou bien on leur ménage des étapes progressives par lesquelles ils pourront percevoir les objets, dont les ombres de la caverne n’étaient que les reflets, puis < le ciel >, < les étoiles > et encore < la lune >, enfin, < le soleil >…
Ubudore :-… qui symbolisent la < réalité véritable > selon Platon, soit : les < Idées > mathématiques ( les nombres et les figures ), les < Idées > spéculatives saisies par la dialectique ( le Vrai, le Juste, le Beau ), les futurs  » transcendantaux  » de la scolastique, et enfin l’ < Un-Bien >, l’ Inconditionné conditionnant, la Source, l’ Origine absolue de tout < ce qui est >, -ce qui rend apte ( to agathon).
Nous sommes alors complètement immergés dans l’ < être >… la stabilité, l’ éternité… l’extase…
Patadelphe : -Le dernier moment du drame décrit le retour contraint des < initiés > qui renaclent à revenir auprès de leurs anciens compagnons d’ aliénation. < Se souvenant de leur ancienne demeure >, des valeurs et des disputes qui y ont cours, ils n’aspirent selon Socrate qu’à l’attitude décrite par Platon dans le Théétète… l’ évasion vers les < Iles fortunées > de l’ idéalisme spéculatif…
Ubudore :-Une fois initiés aux < vrais objets > ( les < Idées > ) et aux véritables méthodes de connaissance, l’ apriorisme mathématique et la dialectique philosophique, on les forcera donc à assumer la responsabilité du gouvernement et la charge des affaires publiques.
Patadelphe : -Ontologie, pédagogie, politique… la machine à trois temps… Le pouvoir est ainsi fondé sur la métaphysique et repose sur une pédagogie qu’ on pense rationnelle, pédagogie par ailleurs réservée à quelques uns, triés sur le volet.
Précisons.
Elitisme biologique, biocratie, méritocratie de l’effort consenti, longue expérience de l’existence civile et militaire -jusqu’ à cinquante ans! tels sont les critères de la sélection des  » meilleurs  » en vue du pouvoir au motif que la conduite de la Cité-Etat modèle ne peut être laissée aux mains des intéressés, des ambitieux, des incapables et des ignorants… cela va de soi…
Ubudore :-Les dialecticiens idéophages au pouvoir… Platon ne manquait pas d’ imagination…
Patadelphe : -La clef de voute de ce vigoureux édifice imaginaire, de cette superbe Vision des choses est en effet la métaphysique des Idées.
Ubudore : -Passons à la postérité de cette noble « pataphysique ». Elle fut tout autant politique qu’ ontologique.
Sur le plan de l’ontologie , il suffit de quelques citations pour restituer la filiation qui court de Platon à Cantor… en passant par saint Augustin, Descartes, Malebranche, Bossuet et bien d’ autres…
-saint Augustin : < Je sais que 7 et 3 font 10, et non seulement maintenant, mais toujours ; qu’il n’y a eu aucune époque où 7 et 3 n’ aient pas fait 10 ; et qu’ il ne viendra aucun temps où 7 et 3 cesseront de faire 10. >
Et encore : < Que 3 et 4 fassent 7 est chose absolument vraie, même s’ il n’ existait aucune réalité dénombrable > ( Sur le libre arbitre L. 2 )
-Descartes : < … lorsque j’ imagine un triangle, encore qu’il n’y ait en aucun lieu du monde hors de ma pensée une telle figure, et qu’il n’ y en ait jamais eu, il ne laisse pas néanmoins d’y avoir une certaine nature ou forme, ou essence déterminée de cette figure, laquelle est immuable et éternelle, que je n’ ai pas inventée, et qui ne dépend en aucune façon de mon esprit… > ( Méditation 5 )
Et de la même manière que les Pères de l’Eglise tels saint Augustin identifient < le Monde des Idées > de Platon à l’ < Intellect divin >, Malebranche affirme treize siècles plus tard qu’il est plus facile à un philosophe d’établir la réalité intelligible du monde des idées, immuables et communes à tous les esprits que de prouver l’ existence du monde matériel : < les idées ont une existence éternelle et nécessaire> ( Entretiens sur la métaphysique et la religion 1.§ 8 )
-Et son quasi contemporain Bossuet d’enchérir : < Toutes ces vérités, et toutes celles que j’en déduis par un raisonnement certain subsistent indépendamment de tous les temps ; en quelque temps que je mette un entendement humain, il les connaîtra ; mais en les connaissant il les trouvera vérités, il ne les fera pas telles…> ( Connaissance de Dieu et de soi même ).
-Hermite enfin : < Je crois que les nombres et les fonctions de l’analyse ne sont pas le produit arbitraire de notre esprit ; je pense qu’ ils existent en dehors de nous avec le même caractère de nécessité que les choses de la réalité objective et que nous les rencontrons, ou les découvrons, ou les étudions comme les physiciens, les chimistes et les zoologistes .>( Darboux, Vie et oeuvre d’ Hermite )
Patadelphe :- C’est le même réalisme mathématique, réalisme des Idées présenté sous forme allégorique dans la République et maintes fois avancé, réitéré, expliqué jusqu’à ressassement dans de nombreux dialogues parmi lesquels le Phédon. Thèse d’origine pythagoricienne dont la fortune a été immense pour l’histoire de la philosophie occidentale comme l’a montré jadis magistralement Bertrand Russell.
Ubudore : -Les Idées, ces < formes primordiales et comme les raisons fixes et immuables des choses… et qui résident dans l’ ntelligence divine > …
… en qui demeure toute l’intelligibilité du monde…
Patadelphe :-L’historique de la contestation de < la théorie des idées > serait ici hors de propos. Rappelons-nous néanmoins pour mémoire l’argumentaire d’ Aristote ou les objections de la tradition sceptique et empiriste par exemple celle d’ un John Stuart Mill.
Ubudore : -Indiquons toutefois que le < réalisme mathématique > repose sur une conception très contestable de la nature des vérités mathématiques.
Car loin d’ être découverts par intuition noêtique transcendantale, les êtres mathématiques peuvent être pensés créés tout banalement par convention. Ce sont alors des êtres symboliques, des êtres de définition. Ainsi la proposition selon laquelle :< La somme des angles d’un triangle est égale à deux droits > n’est formellement vraie qu’ au sein de l’axiomatique euclidienne admise par convention et dont elle se déduit par transformations tautologiques.
Mais cette proposition est fausse au sein d’ autres conventions, d’autres axiomatiques, ainsi celles de Riemann. De la même manière les propositions arithmétiques telles que 7+3=10 dépendent de la définition des dix premiers nombres entiers, de celle de l’addition de l’associativité, de la distributivité, de celle de l’égalité…
Ce ne sont que des vérités de définition. Ce qu’établit Poincaré.
Patadelphe :-D’autres arithmétiques sont pensables dont les nombres obéissent à d’ autres conventions.
De même pour l’algèbre. Il est possible de créer une algèbre où a+a=a et a*a=a, une algèbre sans coefficients numériques : algèbre de Boole utilisée pour les machines à calculer.
Ubudore :- Quant aux idées non mathématiques au sens strict elles expriment en fait l’illusion ontologique clairement mise à jour par Carnap et les Viennois.
L’alchimie verbale platonicienne transforme en effet des adjectifs ( bon, juste, vrai, égal…) en substantifs en les faisant précéder de l’article défini… Le Bien, le Beau, l’ Egalité…
Avec les platoniciens on parlera ainsi du < Beau > , du < Bien> , du < Juste >, de l’ < Egalité > comme s’il s’agissait de choses belles, bonnes, justes, égales entre elles et susceptibles de figurer comme sujets dans des énoncés dotés de sens.
Ces idées existeraient en soi et se convertiraient l’ une en l’autre. C’est la théorie développée dès l’Alcibiade majeur et qui aura tant de succès au sein du Néo-Platonisme et d’ une certaine mystique chrétienne.
Patadelphe : -Tout au contraire, nous ‘pataphysiciens nommerons < belles > les choses que nous conviendrons d’appeler telles au motif qu’elles nous séduisent, que nous les admirons et qu’elles suscitent en nous une émotion esthétique d’ un certain genre et parfois susceptible de disposer favorablement nos capacités  » poétiques « .
-Nous nommerons < bonnes > les choses que nous considérons commes vitales et comme nous étant utiles et nécessaires pour persévérer dans notre être.
-Nous nommerons < vraies > les propositions et les énoncés dotés de sens, non contradictoires et/ou en adéquate correspondance symbolique avec le < réel >, énoncés affirmés d’après la preuve et la vérification d’hypothèses falsifiables.
-Nous nommerons enfin < justes >, les actions qui conviennent à notre prospérité… sans nous aventurer au delà…. c’est-à-dire sans nous risquer, à la différence des dogmatistes et moralistes à prétendre < universaliser > notre expérience.
Notre modeste, locale et peu ambitieuse singularité nous suffit…
Ubudore : -Nous refuserons donc aux < idées > et aux < critères > les caractères d’ < universalité > et de < nécessité >.
Patadelphe :-Et nous laisserons la catholicité de… l’ Universel aux régents, aux prêtres et à leurs cousins… les Philosophes de la chaste tradition bien pensante…
Ubudore :-toutes ces grandes incarnations du Verbe et de l’Esprit dont un ‘pataphysicien inspiré -nouveau Jacques de Voragine-, devrait écrire la Légende dorée…
Patadelphe : -… vaste programme mon ami…
Ubudore : -… inépuisable et indéfini en effet …
Patadelphe : -… sans oublier -permettez que je vous donne la réplique-, leurs contemporains dévots, suppôts, idolâtres propagandistes sectateurs. Toute la procession des épiscopoï, pistoï, catéchumènes et autres omniprésents énergumènes, les initiés aux saints mystères de l’Idéalisme éthique….
Pourtant n’est-ce pas là mon cher Ubudore  » pécher contre l’esprit  » et revenir à un nominalisme tout aussi intempérant et dogmatique que le réalisme des Idées ? Et n’allons-nous pas encourir la critique que nous adressons à certains ?
Ubudore :-Certes non. Car nous autres – iconodules encavernés-, reconnaissons, mais sans plus et en toute candeur, la réalité des seuls objets empiriques, les phénomènes, les apparences, les « images  » dont nous contestons toutefois la  » rationalité « .
L’apparence phénoménale nous suffit. Mieux , elle nous comble…
Patadelphe :- N’ est-ce pas là encourir le reproche de relativisme et davantage -crime abominable contre l’ < Humanité > ( sic )- de… cynisme ?
Ubudore :-Comment faire pour éviter le contresens ?… Mais de la même manière que nous contestons à la cosmologie et à sa théorie de l’ < Univers > toute prétention à l’ universalité, nous constatons sans plus, sans état d’ âme ( quel mot !) et quels que soient les domaines axiologiques considérés, la réalité ou le fait du singulier, la réalité ou le fait du divers, la réalité ou le fait du multiple et… la banalité du chaos.
Et nous en tirons la conséquence, -car je le répète, nous, ‘pataphysiciens démunis, sommes absolument dépourvus du sens noêtique-, la thèse de l’ inintelligibilité de notre univers -celui dont nous avons l’ expérience-, de celle du < vide >, de celle de l’ < être >, de l’ < il y a >, du < réel >.
Et nous laissons bien volontiers, l’ autre monde -que dis-je, tous les autres !- aux amateurs de patafictions…
Et à pasticher enfin le style… à litote, cela va sans dire, de l’ école existentialiste et de la philosophie de l’expérience, nous affirmerons sans ambages le tragique comme < L’horizon indépassable de la condition humaine >. !
Patadelphe :-Affirmons, mon bon…
Il faudrait donc -mais dans un tout autre sens que celui de Nietzsche ou de Heidegger-, déposer le platonisme, sa tradition et toutes ses variantes passées présentes et à venir et ramener les platoniciens, les platonistes, les platoniques et autres platonisants à leur caverne… à l’antre souterrain de l idéalisme intempérant qui est leur véritable patrie, leur songe … le lieu de l’ illusion ontologique dont ils se nourrissent… et dont ils nous abreuvent assez indiscrètement depuis des lustres.
Car les < aliénés > ne sont peut-être pas ceux dont Socrate pensait qu’ ils l’ étaient…
Et cet < idéalisme transcendantal >, à parler à la manière de Kant, n’est-il pas lui même en tant qu’ < illusion > transcendantale une… aliénation de substitution ?
Ubudore: -Et peut-être plus mon ami : un marqueur de pouvoir, à parler comme Deleuze.
Car sur les plans politique et pédagogique l’attitude platonicienne qui pose le Philosophe en Magistrat civil et en Juge de la chose publique a eu elle aussi une fortune considérable.
Patadelphe : -Notamment au sein de la caste cléricalo-médiatique, la nomenklature de < ceux qui savent et qui enseignent ceux qui ne savent pas… >, les autres, tous les autres bien sûr…
< J’appelle clerc, -disait à ce propos Samuel Butler, celui, quel qu’il soit, qui se présente comme sachant mieux et comme agissant mieux que ses voisins >.
Ubudore : -La  » démagogie  » platonicienne -car selon l’étymologique lettre, toute conduite du peuple est bien démagogie-, a en effet orienté une notable partie de l’ histoire de la politologie islamique, médiévale et renaissante. Mais elle a de surcroît inspiré -au sens d’un enthousiasme… exubérant-, l’époque moderne…
Patadelphe : -Pensons à la fureur pédagogiste des Lumières, aux Saint-Simoniens, aux Comtiens, à la mythologie de l’Ecole républicaine et à sa férule Jules Ferryenne, aux Frères Ratapoints, à la Figure de l’Intellectuel engagé et à idées ; pensons aux innombrables infatigables et désintéressés < améliorateurs de l humanité >, comme les définit Nietzsche et à leur discours intimidant, à la démonie du Verbe si prégnante au 19° et 20° siècles …
Ubudore : -… et pensons notamment à leur représentant par… excellence, J.P. Sartre dont plusieurs cultivent de nos jours le souvenir nostalgique… quand ils n’en singent pas assez comiquement et médiatiquement la pose…
Patadelphe :- Là je vous suis moins…
Une pause ?… Qu’est-ce que je vous sers mon ami ?
Ubudore :- Un verre de Pineau… du terroir d’ Ubuland, s’ il vous plaît…
Patadelphe :-ah! le parti pris des choses…
 


DE SARTRE ET DE L’EXISTENTIELLE PSYCHANALYSE

< Mais la critique littéraire trouve ici ses limites. Le reste est l’affaire de la psychanalyse. Qu’on ne se récrie pas : je ne pense pas ici aux méthodes grossières et suspectes de Freud, Adler ou de Jung ; il est d’autres psychanalyses >
J.P. Sartre, Sur Bataille, Un nouveau mystique ( Décembre 1943 )

 

Patadelphe : -< Un petit homme noir qui gravit une pente et semble porter tout le fardeau du monde sur d’étroites épaules voutées. Nouvel Atalante soutenant une colonne imaginaire, pénétré d’on ne sait trop quelle Vision… la tête baissée, et comme saisi d’ un vertige intérieur >…
Ubudore :-…le regard fixe dirigé vers le sol… vers la Loi… les Carnets pour une morale, dans la poche… peut-être… et à l’entour les courtisans, les journalistes et les flatteurs…
Cette mise en scène photographique a fait le tour du monde Patadelphe… la démarche comme épiphanie de la Démarche. D’un style… D’un style… philosophique. Celui du génie inquisiteur… du procureur, de l’Intellectuel toujours impeccablement rangé du côté du < bon Droit et de la Vérité, la vérité selon les réquisits de la philosophie < de la liberté >… ou pour mieux la nommer la licence de persécuter… au nom de la Liberté.
Patadelphe : -Vous êtes sévère, implacable même… ne seriez-vous pas excessif et même de parti pris ?… attitude peu ‘pataphysicienne mon ami …
Ubudore : – Je ne le pense pas… Car < Philosopher >, pour l’auteur des Situations, c’est accuser, accuser les autres, instruire leur procès ; à charge de préférence… la liste serait interminable… Baudelaire, Flaubert, Breton, Bataille, Céline, Mauriac, Nabokov, Camus, parmi les plus célèbres, et tant d’autres de moindre pointure…
Patadelphe :- Il est vrai que ces faits sont difficilement contestables… mais…
Ubudore : … et pour ce faire il faut une méthode, une procédure, un philosophique code pénal, une méthode infaillible, soignée, pensée, conceptualisée… Elle sera donc fondée sur une métaphysique inédite, ad hoc, la très fameuse < ontologie phénoménologique >, afin de fournir les armes spéculatives au ressentiment en élaborant un outil à l’efficacité imparable : la < psychanalyse existentielle >. De la sorte sera justifiée la pertinence de l’ application à tous du maître concept de cette philosophie de la culpabilisation : la < mauvaise foi >.
Patadelphe : -Hypothèse saisissante et qui en vérité me laisse songeur …
Mais pour vérifier l’ éventuel bien fondé de vos propos approchons-nous du Grand Oeuvre sartrien… je sens soudainement mon appétit qui s’aiguise…
Ubudore : -..et rappelons tout d’ abord quelques attendus bien connus de la-dite .
*
Patadelphe :-< … ce qu’ il faut rappeler ici contre Hegel, c’est que l’ être est et que le néant n’ est pas >
L’ontologie de Sartre affirme, stipule, la dualité de l’être. En deux propositions :
-L’être est.
-Puis, contre Heidegger et son concept de ( Qu’ est-ce que la métaphysique? ), Sartre affirme que < le néant > n’est rien d’autre … que la négation de l’ être. Cette négation a un nom et un support, c’est l’homme. < l’ homme est l’être par qui le néant vient au monde >.
Ubudore : -C’est cela …
Patadelphe :- … parce qu’à la différence des autres < étants >, c’est la négation qui constitue l’ < humanité > de l’ homme. Pour être, il faut ne pas être, c’ est à dire qu’ il faut être d’ une certaine manière. Et cette certaine manière d’ être en n’étant pas définit … la liberté.
Ubudore : -En conséquence la < liberté> a pour essence la négativité, dans le langage sartrien : le pouvoir de « néantiser ». Et qu’ est ce donc que  » néantiser » ?… c’est tout benoîtement… juger !
Patadelphe :-Il y aura donc deux régions de l’ être. L'< en soi > et le < pour soi >. De l’ < en soi> , la chose qui n a besoin pour être que d’ être, le volumineux ouvrage ne nous dira… rien ou presque rien ; par contre Sartre sera beaucoup plus disert en ce qui concerne le < pour-soi >, l’ homme..
Ubudore :- … intarissable même… Je pense en connaître la raison…
Si toute < chose> est identique à soi, pure tautotologie réalisée,  » parménidienne « , l’ < homme> par contre, nullement chose parmi les choses, est … différence. Il est autre… une vieillerie conceptuelle… l’ un des genres de l’ être dégagés dans le Sophiste par Platon et reprise à Hegel par Kojève…
< Il est ce qu’il n’ est pas et il n’ est pas ce qu’ il est >.
Il ne saurait donc être assimilé à une chose.
Car il est < conscience >, conscience < intentionnelle>, concept pris celui-ci à Brentano et à Husserl.
La conscience intentionnelle est donc l’ être de l’homme. Thèse massive, stipulative, assénée sans preuve selon la bonne vieille méthode de la métaphysique a priorique.
Or la  » conscience « …
Patadelphe : -…< dans la tombe et … qui regarde Caïn > ( Hugo ), le thème vient de loin…
Ubudore : -… signifie par excellence pour Sartre : intention de retour éthique sur soi, réflexion, capacité de comparaître devant soi même, et nécessité de se juger, de s’approuver, de se condamner ; soi… sans oublier les autres. Les autres qui ne constituent pas seulement le lieu commun… d’un enfer mais surtout l’ occasion d’un interminable procès…
Le grand divertissement existentialiste…
Car infaillible, perspicace et pénétrant, le pour-soi en sa conscience sondera les reins et dévoilera…< explicitera >, comme disent les phénoménologues, les coeurs et … leurs < intentions >.
Patadelphe : -Singulières Assises -à vous suivre, où le pour soi constitué en Tribunal, serait tout à la fois représentant du Ministère public, de la Loi et… juge de soi, pérenne, et à jamais prévenu !
Ubudore: -En conséquence de quoi l’ < erreur sur soi même> sera déclarée impossible, puisque le sujet est pure transparence à soi, transparence qui est la marque de sa spécificité ; et tout mensonge sera déclaré effet de < mauvaise foi >…
Patadelphe :-L’ ingénieux système… la magnifique toile d’araignée… Vous me découvrez un horizon insoupçonné… Et je suis tout ébahi …
Remarquez qu’à l’ appui de votre interprétation Camus aura au moins pressenti sinon dévoilé cette mécanique par la fiction romanesque en créant ( La Chute ) cette si pénétrante figure du < Juge-pénitent > , J. B. Clamence, éternel accusateur et éternel coupable, espèce de court-circuit hypostasié de l’ obsession moralisante…
Ubudore : -…et de la volonté de puissance propre à l’Intellectuel en fonction…
… la belle âme…
*
Patadelphe : -Résumons… Nous disposons d’ une < ontologie >. Nous savons ce qu’est l’ homme. Resterait maintenant à définir la méthode d’ investigation nécessaire à l’ accusation.
C’est bien cela ?
Ubudore : – Ce sera la < psychanalyse existentielle >…
Patadelphe :-Retournons donc au texte…
Ubudore : -Il est vrai que la dame se fait attendre alors qu’ elle donne la clef des  » intentions  » de son illuste auteur. Il faut en effet parvenir aux derniers chapitres < Avoir, faire et être >, et aux dernières pages de l’ouvrage pour assister à sa naissance, à son avènement, à ce qu’ il faut bien appeler sa prise de pouvoir.
Patadelphe :-Voyons le prélude de cet intéressant épisode…
Sartre pose le problème de la définition de l’identité humaine et de sa compréhension. ( p.647 )
Il prend l’exemple de Flaubert, de l’homme Flaubert. Et à ce propos le Philosophe conteste la valeur opératoire de la psychologie « substantialiste  » : < Or ce que chacun de nous exige dans son effort même pour comprendre autrui, c’est d’abord qu’on ait jamais à recourir à cette idée de substance, inhumaine par ce qu’ elle est en deçà de l’ humain >.
Ubudore :-Car pour juger et accuser autrui il faut un sujet d’accusation, un suppôt que l’empirisme associationniste de type humien dissout dans la juxtaposition des représentations et les discontinuités phénoménales des actes… et que le substantialisme matérialiste, biologiste ou sociologique ramène au croisement des conditions objectives de la personnalité à cerner.
Or l’explication qui porte sur les faits et non sur les valeurs interdit la justification ou l’inculpation…
Expliquer n’est pas justifier…ou sanctionner…
Dans les deux cas, empirisme ou positivisme, le jugement de valeur et l’ accusation sont donc impossibles par principe. C’est pourquoi ils doivent être rejetés.
Patadelphe :- Il se peut… Qu’ est-ce donc que < l’ humain > pour J. P. Sartre ?
Ubudore :-Il poursuit, je souligne : < C’est ensuite que, pourtant, l’être considéré ne s’effrite pas en poussière et qu’on puisse découvrir en lui cette unité -dont la substance n’était qu’une caricature – et qui doit être unité de responsabilité, unité aimable ou haïssable, blamâble et louable, bref personnelle. Cette unité qui est l’ être de l’homme est libre unification… L’ unification irréductible que nous devons rencontrer, qui est Flaubert et que nous demandons aux biographes de nous révéler, c’est donc l’ unification d’ un projet originel, unification qui doit se révéler à nous comme un absolu non substantiel. >
Patadelphe : -Très intéressant et il est vrai, très éclairant passage… Deux remarques :
-La première porte sur la manière du raisonnement qui n’est pas sans rappeler le procédé kantien de la Déduction transcendantale du < Je pense >, l’ < unité originairement synthétique de l’ aperception >, dans la Critique de la Raison pure. Cette < forme pure > nécessaire à l’exercice du jugement de connaissance comme à l’accomplissement du jugement moral soumis à l’impératif catégorique, le célèbre et très mosaïque < tu dois ! >.
Ubudore :-Il y aurait ainsi chez Sartre une espèce de déduction transcendantale ; mais en fait il ne s’agit que d’une simple pétition de principe qui pose l’ existence du sujet à juger entendu comme capacité d’unification d’ < un projet originel >.
Patadelphe :-Retour donc à l ‘archaïque < preuve ontologique > : je conçois le < sujet d’ unification> , donc… il existe ! L’existence se déduit du concept …
Ubudore : -L’objet de la connaissance ensuite. Ce qui intéresse Sartre, ce qu’il traque, ce n’est nullement l’ oeuvre en elle même, mais l’ homme, l’auteur. En l’occurrence, Flaubert.
Le jugement esthétique appréciatif portant sur la qualité de l’oeuvre se déplace alors vers le discours rhétorique. Et plus précisément vers le genre épidictique relatif à l’éloge et au blâme de la personne par le procédé d’amplification tel qu’ il fut dégagé et analysé par Aristote au Livre 1. de sa Rhétorique.
Peut-on être plus clair ? L’étude de l’oeuvre n’ est que prétexte… à règlement de compte.
Patadelphe : Telle serait donc -à appliquer selon vous au Philosophe la catégorie à laquelle il a recours à l’usage d’autrui, la signification du projet originel de la critique sartrienne, son … .
Ubudore : -Oui. C’ est là une Vision d’avocat général…
Mais poursuivons. Il n’ y a donc pas à proprement parler substance -opérateur ontologique insatisfaisant pour la tâche réquisitoriale, mais plutôt spécificité de l’homme, savoir la capacité de se choisir soi et de surcroît … toute l’ humanité !
Patadelphe : -Très audacieuse application de l’attribut essentiel par l’ extensionalité logique à la classe des humains…
Ubudore : -Vous savez bien mon ami que l’ < universel > (to catholou ) est chez les théologiens, prêtres et Philosophes, religieux et laïcs, depuis l’Apôtre, depuis saint Paul, le critère de l’ < amour > des hommes…
Patadelphe : -Et -à deviner vos raisons c’est à la phénoménologie qu’ il reviendrait maintenant de mieux cerner ce qu’il faut bien appeler malgré la métaphore ou la périphrase une « essence « .
Ubudore :-Oui. Car -curieuse contradiction ou simple inadvertance, il paraît au lecteur tout de même un peu surpris, que contrairement à la proposition fameuse devenue adage, l’existence ne précèderait donc pas toujours l’ essence…
C’est que pour  » faire vivre l’ éthique « , selon l’ expression convenue, c’est à dire son projet éthique d’accusation publique et à toutes mains, Sartre devait contourner sa propre thèse ontologique.
Patadelphe :-Je vois… parce qu’ il serait englué dans le dilemme suivant : ou bien se contenter de l’ < existence> , de la contingence pure, de la discontinuité, du hasard, de l’expérience singulière de la joie ou de la… nausée et alors adieu à la raison inquisitoriale par évanouissement du suppôt et du sujet d’ attribution…
Ubudore : -… ou bien substituer l’ idée de < projet originel d’ unification > à l’idée d’ . Dès lors -au moyen des concepts métaphysiques d’ < origine absolue > ou de < continuité existentielle >, s’ouvre la voie royale du tribunal de la critique < ad personam >.
Patadelphe :- Déduction impressionnante…
Ubudore :-Mais ne lâchons-pas notre proie, allons courre et suivons-la dans la suite de ses définitions…
Patadelphe :-La quatrième partie de l’Être et le Néant étudie les modes d’être du < Pour-Soi>. Sartre dégage trois possibilités : la possession, l’ < avoir > ; la transformation du monde, le < faire > ; le projet d’ < être >. La liberté de la conscience, nullement abstraite se confond avec son faire. Et cette liberté bien qu’ < en situation >, liberté dans un monde donné, se découvre < projet>.
La psychanalyse existentielle le thématisera, comme on disait à l’époque, elle en sera l’ étude.
*
Ubudore :- Reprenons. Nous avons vu plus haut que pour comprendre autrui, il fallait mettre à jour son « projet fondamental « . Projet qu’ ‘il postule comme < unité de responsabilité, unité aimable ou haïssable, blamable et louable, bref personnelle.>
Patadelphe : -Cette unité d’unification qui est l’ être de l’ homme. Son être.
Ubudore : -Mais pour louer ou pour blâmer le sujet -puisque nous sommes dans le genre épidictique sinon judiciaire, il faut préalablement le connaître.
Patadelphe : -Par quelle voie ?…
Ubudore : -Je cite :< en retrouvant à travers les projets empiriques et concrets la manière originelle que chacun a de choisir son être > (p. 689) Car il n’est pas suffisant de dresser la liste des conduites, des tendances et des inclinations comme le ferait l’empirisme vulgaire mais il faut les et les < interroger >.
Patadelphe :-Tel serait donc le but de la psychanalyse existentielle qui doit mener l’ < enquête >.
Ubudore : -Il est temps maintenant de la décrire.
Patadelphe : -Ouvrons l’ouvrage aux pages 656 et 657.
-Son principe tout d’ abord : < l’ homme est une totalité et non une collection ; en conséquence, il s’exprime tout entier dans la plus insignifiante et la plus superficielle de ses conduites -autrement dit, il n’est pas un goût, pas un tic, un acte humain qui ne soit révélateur >.
Et encore : < chaque conduite humaine symbolise à sa manière le choix fondamental qu’ il faut mettre à jour… c’est par la comparaison de ces conduites que nous ferons jaillir la révélation unique qu’elles expriment toutes de manière différente.>
Ubudore :-Métaphysique totalitaire, unitaire, identitaire, holistique, définie d’ après les postulats de la Psychologie de la Forme et lointain écho des conceptions spinozienne et leibnizienne de la substance et de l’expression. On retrouve le même présupposé de la < totalité expressive >, où tout signifie et où tout renvoie à tout, appliqué à la culture et à l’ histoire, chez les théoriciens allemands de l’ école romantique, de Herder ou de Hegel à Spengler.
Patadelphe :-< La doctrine de l’interpénétration, selon laquelle les divers objets ne sont pas séparés se trouvent dans toutes les mystiques… depuis Parménide jusqu’ à Bradley. >, montrait jadis Russell…
Remarquez qu’ il serait très suggestif de développer ici la critique associationniste de la critique sartrienne de l’associationnisme…
Ubudore :- … et de développer l’hypothèse ‘pataphysique du moi chaos déterministe en reprenant les analyses de Hume dirigées contre la théorie leibnizienne de la substance appliquée à la psychologie.
Patadelphe :-Pour l’auteur de l’Enquête sur l’ entendement humain, c’est l’ imagination qui métamorphose les discontinuités réelles des états de conscience en continuité apparente de la vie psychique… suggérant l’ apparente unité d’ un moi psychologique…
Ubudore :-… l’ unité comme la continuité du moi substantiel ne sont donc qu’ illusions récurrentes.
Patadelphe :-< apparences transcendantales >, conclura Kant.
Ubudore : -Or si le postulat est indémontré -et il est, nous le voyons, pour le moins discutable d’après l’ argumentaire classique de la tradition empiriste, que vaut la méthode ?
Patadelphe : -Je poursuis… Son but : < … déchiffrer les comportements empiriques de l’ homme… mettre en lumière les révélations que chacun d’eux contient et les fixer conceptuellement.>
Ubudore :- Réalisme et inflation du sens… vocabulaire oraculaire… le corps comme augure et le Philosophe comme aruspice… Hercule Poirot herméneute… le phénoménologue chez Agatha Christie… c’est inattendu…
Patadelphe: -Pas vraiment… La thèse vient de Husserl et Merleau Ponty étendra l’empire du sens … à la nature … Rappelez-vous cette proposition fameuse, véritable profession de foi et impératif méthodologique de la Phénoménologie :
< C’ est l’expérience pure et, pour ainsi dire, muette encore, qu’il s’agit d’ amener à l’expression pure de son propre sens > ( Husserl : Méditations cartésiennes § 16 )
Ubudore : -Le corps -globalement compris selon Sartre, ne cesse donc de manifester un sens. Epiphanie perpétuelle. Toute attitude vaut pour conduite et toute conduite vaut pour  » parole » à entendre, à déchiffrer. Il s’agit dans tous les cas d’un texte à lire… véritable bible vivante striée de signes… Tout est signature.
Retour inattendu à Blaise de Vigenère…
Chacun de mes gestes, chacun de mes silences sera considéré comme un énoncé, comme un … aveu. Le corps est identifié au dicible… il exprime et s’ exprime… La signification s’est faite chose, le verbe s’est fait chair…
Patadelphe :-L’intentionnalité serait donc partout… au grand bonheur de l’ herméneute…
Ubudore : -Tel est sans doute le centre de cette phénoménologie, ce fétichisme du sens, ce despotisme du sens.
Patadelphe :-Remarquez toutefois que cette thèse est fort banale… elle est commune au Freudien, au Lacanien…
Ubudore :-… mais aussi mon ami au Policier, au Prêtre, au Magistrat… à l’ illuminé Kabbaliste, à toutes les formes de la conscience inquiète, de la conscience soupçonneuse, culpabilisée et culpabilisante, de la conscience obsédée par le sens et en quête d’ aveu… de la conscience ressentimenteuse, de la mauvaise conscience. ( voir Nietzsche )
Ah!… la postérité du Livre des Juges… le beau cadeau fait là à < l’ Humanité > !…
Patadelphe: -Le sens comme déluge… mais poursuivons…
-Son point de départ : < … est l’expérience >.
Ubudore : -Ce concept d’ < expérience > paraît évident et n’est pourtant pas interrogé. D’où les difficultés qui suivent.
Patadelphe : -Son point d’appui : < … est la compréhension préontologique et fondamentale que l’ homme a de la personne humaine.> Car < Bien que la plupart des gens, en effet puissent négliger les indications contenues dans un geste, une parole, une mimique et se méprendre sur la révélation qu’ ils apportent, chaque personne humaine n’en possède pas moins a-priori le sens de la valeur révélatrice de ces manifestations, n’ en est pas moins capable de les déchiffrer…>
Ubudore : -Cette notion de < compréhension préontologique > est tout simplement un mythe… Mythe de la transparence, de l’ immédiateté dans l’ accès soi-disant originaire et direct au réel et à autrui indépendamment des codes et des conventions culturelles qui imprègnent la perception et toute notre représentation du monde et des conduites humaines.
Patadelphe : -Bergson avait pourtant relevé ce fait et à maintes reprises : < Nous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons le plus souvent à lire des étiquettes collées sur elles… Et ce ne sont pas seulement les objets extérieurs, ce sont aussi nos propres états d’ âme qui se dérobent à nous dans ce qu’ ils ont d’ intime, de personnel, d’ originalement vécu… >
Ubudore :-Il est vrai que Bergson, lui, ne se souciait guère d’imputabilité…
Patadelphe :-Et de ce point de vue la critique émanant du Structuralisme dans les années soixante aura porté.
Ubudore :- Néanmoins ce mythe est nécessaire au Juge qui mène l’ instruction.
Pour que l’ imputation du choix puisent être fondée, il faut qu’ il ait une intelligibilité, il faut qu’ il soit source, qu’ il soit origine absolue . Pour être mis en examen, inculpé, jugé, condamné et… blâmé, il faut que je sois cause irréductible et antécédente de mes actes.
Bref : < projet d’ unification >…
Et il est donc nécessaire que le sujet soit sujet signifiant, cause de soi, absolue liberté, transparent à lui même et qu’ il se soit choisi en toute connaissance de cause.
Patadelphe : -Ce qui est évidemment impossible.
Car de ce que je suis conscient d’un certain nombre de variables parmi celles qui orientent mes choix, et de ce que je veux ces choix , il n’en résulte pas que je sois en possession de la totalité -si cette notion à une pertinence quelconque, des facteurs en présence qui m’ inclinent sans tout à fait me déterminer, à parler comme Leibniz.
Ubudore : -Quant au poids du hasard, principe explicatif contraire à l’idée de finalité intentionnelle, il ne saurait dans une telle Vision en être question.
Car le fétichisme du sens -fût-il philosophie de la contingence, est par définition refus du hasard, ce vide du sens.
Patadelphe : -… ce même sens qui représente pour les pêcheurs d’absolu, le secret à déchiffrer, secret qui nourrit leur … entretien infini… l’énigmatique et silencieuse… Absence…
Ubudore : -Ce qui ne saurait nous étonner… l’univers de Sartre est aux antipodes de celui d’un Lucrèce.
*
Patadelphe:- Qu’ allez-vous conclure de votre analyse ?
Ubudore : -Que la psychanalyse existentielle encourt les mêmes réserves que les herméneutiques à prétention exhaustive et totalitaire ; qu’à l’instar des synthèses unificatrices, elle n’est que vision et qu’une traduction du fanatisme totalitaire.
En l’occurrence celui qui a pour objet l’ univers humain.
Et que les analyses critiques de la Dialectique transcendantale kantienne et de l’Ecole de Vienne sont toujours d’actualité et s’appliquent à la démarche de Sartre.
Car si l’on se mêle -entreprise sans doute excessive…-, de connaître autrui, il faut soit se contenter des données fragmentaires relatives à ces êtres fragmentaires que sont les hommes ou… s’exalter dans un dogmatisme métaphysique aussi fragile qu’ ambitieux.
Patadelphe : -En hypostasiant les catégories d’ < identité >,d’ < unité> de < totalité > , de < sujet > de < projet > et de < sens >…
… et en s’ exposant ainsi aux paralogismes de la raison pure analysés par Kant…
Ubudore : -L’Idée de < projet humain d’unification >, n’est donc qu’ une fiction qui ignore ou qui veut ignorer qu’elle l’est, dépourvue de valeur représentative, mais à portée pragmatique.
Sa véritable finalité, son intention, bien réelle celle-ci, est de satisfaire le besoin avoué ou inavoué du ressentiment culpabilisateur d’un type de Philosophe en mal de volonté de puissance.
Patadelphe : -Ainsi, après toute cette analyse, de la < psychanalyse existentielle > nous n’ aurions donc rien appris, si ce n’ est qu’ il nous serait nécessaire de la tenir à distance ? …
Ubudore : -Certes ; et de rester désormais sur nos gardes …
Patadelphe : – Nous respecterons donc le ‘pataphysique principe de légitime défiance…
Ubudore : -… et nous nous méfierons, mon ami, des Fouquier-Tinville et autres Vichinsky au petit pied, les nouveaux Jésuites, les petits maîtres < échappés aux petites maisons >, comme dirait Voltaire, …de leur périodique < retour à Sartre > … et de l’usage intimidant que ces belles âmes prétendent faire d’une méthode si commode à leur dessein pas même dissimulé… de reprendre le rôle prestigieux de l’ Accusateur public.
 


LES ILLUMINATIONS D’EDMUND HUSSERL ( de l’essence, de l’Europe et du Papou… )
Patadelphe :- … Que pensez-vous de la fricassée ?… êtes-vous rassasié ?…
Ubudore :- … ma foi j’ai encore une petite faim…
Patadelphe : -… vous êtes décidément en appétit… un autre verre de Pineau ?
Ubudore : -Si vous voulez…
A fréquenter le pays des Idées, je ne suis pourtant guère idéophage moi-même ; et j’apprécie à leur juste valeur les nourritures terrestres…
Cependant quelque chose me tracasse …
Patadelphe : – ?…
Ubudore : -Revenons à cette thèse quasiment fondatrice de l’ école phénoménologique et si fréquemment citée par Merleau-Ponty…
Patadelphe : -…< C’est l’expérience pure et, pour ainsi dire, muette encore, qu’ il s’agit d’amener à l’expression pure de son propre sens > ( Méditations cartésiennes §16 )
Eclairez-moi. Pouvez-vous me dire ce que cela signifie ?…
Ubudore :- … il s’agissait du programme de la phénoménologie… selon Husserl.
Patadelphe :-Autre gros consommateur d’idées…
Ubudore :-… d’essences… mon bon… d’essences…
Patadelphe :-… mais qu’est-ce qu’ une essence ?
Ubudore :- Je dois avouer que je n’en ai pas… la moindre idée…
Jamais je n’ai vu, imaginé, conçu ou rencontré … d’essences.. Je ne suis, moi, ni oracle, ni mage… ni… phénoménologue… Sans doute serais-je atteint de quelque cécité…
Patadelphe :- Tentons cependant quelques mots sur la chose…
Ubudore :-Pourquoi pas… Tentons…
Patadelphe :-Vous savez que la phénoménologie se propose d’étudier la connaissance comme une fonction de la conscience… Pour ce faire Husserl a développé ce qu’il nommait une < logique transcendantale > dont le dessein était de déterminer les conditions a priori de la pensée en général.
Et à la manière de Descartes il prétendait fonder la connaissance sur un certain type d’expérience subjective, l’évidence.
Ubudore: -Ce critère de l’évidence il l’a trouvé dans la méditation d’un sujet qui prétend mettre le monde et le moi empirique  » entre parenthèses  » … ce qu’ il nommait la < réduction phénoménologique >.
Patadelphe :-… attitude extraordinaire, dans les deux sens du terme …
Ubudore : -La < suspension du jugement > mettrait alors à jour en toute certitude l’existence d’ un < sujet pur > qu’il baptisait < ego transcendantal >.
Patadelphe :- D’un sujet pur ? … tâche ardue…
Ubudore : -… en effet… méthode quasi-mystique… certainement à l’usage des initiés…
Patadelphe : -Nous savons que le projet était de faire de la philosophie une < science rigoureuse >, et de donner aux sciences -qui n’avaient d’ ailleurs rien demandé au Philosophe-, le présent… vivant d’un fondement susceptible de procurer une certitude apodictique…
…c’est à dire l’incontestable caractère de nécessité qui semblait -paraît-il, leur faire défaut…
Ubudore :-Car l’enjeu était de sauver la philosophie du naturalisme, du relativisme positiviste et du psychologisme. Cette hydre à trois têtes, que le phénoménologue, nouveau saint Georges, se devait de terrasser… au bénéfice de l’Universel et du Nécessaire…
Patadelphe :-… Dans le droit fil du platonisme Husserl contestait à la perception toute prétention à la connaissance dans la mesure où elle n’a pour objet que des faits singuliers et contingent. Il contestait également aux sciences toute prétention à l’ autonomie et à la suffisance épistémologique…
Ubudore : -C’est depuis Platon toujours la même chanson… les couplets sont différents mais le refrain ne varie guère… Problématique académique donc, la recherche du fondement de la connaissance.
Et toujours la même aversion des idéalistes pour le particulier, la contingence et l’inintelligible…
Patadelphe :-Et ce fondement il le rencontrera dans l’ < essence >.
Ubudore :-Dans l’ essence …
Patadelphe :-Oui ; et non pas dans ces vulgaires rapports constants entre des phénomènes qui caractérisent l’invariance statistique, fonctionnelle et mathématisée … des objets étudiés par l empirisme et le positivisme scientifique.
Car la suspension du jugement, l’épochè, même si elle évacue la croyance au monde, ne peut réduire l’objet de la visée que la visée, l’intention, n’épuise pas.
La forme ou essence de l’objet visée par la conscience excède toujours selon Husserl ce qui est perçu comme fait simple ou ensemble de sensations. De la même manière le mathématicien éprouverait comme une contrainte impersonnelle la connexion des êtres et des formules mathématiques… qu’ il ne créerait pas à coup de conventions et de définitions, mais qu’il découvrirait…
Ubudore :- Où ?
Patadelphe :- … c’est là le problème…
Ubudore :-Husserl postule donc d’ un côté que toute connaissance authentique est vision d’une essence. Cependant il ne reconnait pas le réalisme ontologique de Platon c’est à dire l’ existence d’un univers séparé des essences…
Patadelphe : -Mais d’autre part cette  » réduction  » diffère de l’abstraction empirique qui dégage, elle, de l’expérience phénoménale une notion générale ou un « concept  » signifié par un terme, mais certes pas une  » essence intelligible « .
Ubudore :-Il faut donc définir… l’essence de cette énigmatique essence et sa vision, la , puis créer une méthode susceptible de nous les révéler…
Patadelphe : -Je crois comprendre… si toute conscience est < conscience de quelque chose >, selon la thèse passée en adage de Brentano, quelle est cette chose dont la conscience est consciente ?… Il faut donc décrire le vécu objectif de cette conscience, et en préciser la méthode de description.
Ubudore : -Ce sera la < réduction éïdétique >.
*
Patadelphe : – Reprenons. Qu’est-ce donc que cette essence qui n’est pas une Idée, qui n’ est pas une apparence phénoménale, qui n’est pas non plus un invariant conceptuel scientifique ?… les trois réponses traditionnelles au problème métaphysique de l’objectivité du réel…
Ubudore : -C’est là en effet la question … à quoi se réfère Husserl avec son idée d’ « essence » ?
Patadelphe :-Il semble qu’elle soit objective sans être réelle au sens de Platon ou d’Augustin, vécue sans toutefois être subjective au sens de l’idéalisme subjectiviste, à la manière de Fichte…
Elle n’existerait donc ni dans un monde séparé, ni sous l’espèce d’un concept élaboré par l’ esprit ?
Ubudore :-Je vois… ou plutôt, j’espère voir… Il faut donc que sa signification soit constituée par la conscience intentionnelle.
Ouvrons les Idées directrices pour une phénoménologie…
< Un objet individuel, n’est plus seulement quelque chose d’ individuel, un < ceci là >, quelque chose d’unique ; du fait qu’ il a < en soi même> telle ou telle constitution, il a sa spécificité, son faisceau permanent de prédicats essentiels qui doivent nécessairement lui appartenir en tant qu’ il est tel qu’ en soi même il est, pour que d ‘autres déterminations puissent lui échoir. > ( § 2. Le Fait . Que le Fait et l’essence sont inséparables. p.17. Traduction : P.Ricoeur )
Patadelphe :- Si je comprends bien, un objet n’ est pas seulement un complexe, une coalescence instable de qualités éphémères ainsi que le définirait d’après la physique contemporaine Russell, il possède de surcroît une essence, un eidos, définie comme l’ensemble de ses prédicats essentiels permanents, sous les aspects variables qu’ il peut revêtir…
Ubudore :-Husserl nomme < réduction éidétique > la méthode qui consisterait à dégager les essences selon deux voies : -soit en ôtant aux faits concrets leurs éléments empiriques contingents par la multiplication des cas où le même fait se produirait ; -soit en recourant à la méthode des variations qui en modifiant telle ou telle qualité de l’objet, forme, couleur, saveur… permettrait de dégager son invariant éidétique.
Patadelphe :- Mais comment peut-on affirmer que tout fait a une essence ?
Ubudore :-Réponse de Husserl : < La même réalité considérée dans son essence, pourrait aussi bien exister à n importe quelle autre place, sous n’ importe quelle autre forme. L’être individuel sous toutes ses formes est d’ un mot très général contingent. Tel il est ; autre il pourrait être en vertu de son essence >. ( p. 16 )
Patadelphe :-Mais est-il possible de transporter dans le temps et l’espace un fait, un événement sans le modifier radicalement ? Un fait ou un objet est un complexe de facteurs empiriques . Il est ce complexe même et rien d’autre. Ici et maintenant.
Ubudore : -bonne question… Les variations spatio-temporelles auxquelles on le soumet l’affecteront, l’altéreront ou le détruiront et il perdra sa spécificité.
Or ce qui est ainsi transporté dans le temps et l’espace en imagination ne peut subsister en dehors de ses conditions d’origine puisqu’ il est l’ensemble de ces conditions.
Peut-on alors postuler la permanence de son prétendu < eidos > en dehors de ce complexe de facteurs constituant ? Cela fait problème…
Patadelphe : -Voilà pour l’ < essence >. Passons à la Vision des essences…
Husserl distingue deux types d’ intuition. L’intuition de l’objet empirique, de l’ être individuel et l’intuition de l’essence. Celle-ci est < une vision au sens fort … elle est une intuition originaire qui saisit l’ essence dans son ipséité corporelle >.
Il a recours à deux types d’exemples pris à l’univers des sons et des couleurs.
Les couleurs. Soit la couleur rouge. Je prends l’exemple de cette draperie d’un tableau de Philippe de Champaigne.. J’opére la réduction éidétique et j’ôte de ce rouge ce qu il comporte de contingent, soit le fait d’ être le rouge de cette draperie exposée à mon regard.
Que se passe-t-il ?
Ubudore : -Réponse : < Je réalise dans une intuition pure le sens de la pensée en général, rouge in specie, l’universel identique que l’intuition détache du ceci ou du cela. Le singulier en tant que tel n’est plus visé maintenant, non plus ceci ou cela, mais le rouge en général. Nous avons alors une pure conscience immanente de l’universel, une donnée immanente. >
Patadelphe :-Ai-je vraiment intuitionné l’essence du rouge ? n’ai-je pas tout simplement isolé une sensation singulière extraite d’un corrélat de sensations voisines ( forme, texture… ) auxquelles celle-ci est associée dans ma perception globale, statistique de la draperie ?
Il semble plus probable que loin de m’être élevé sur le plan de l’essence du rouge en général, je sois resté au niveau qualitatif des sensations.
Patadelphe :- Autre exemple : les sons. < Par exemple, chaque son possède en soi et pour soi une essence et, au sommet, l’essence générale de son par excellence, ou plutôt d’acoustique en général, si l’ on entend strictement par là le moment abstrait qu’ on peut dégager intuitivement du son individuel soit sur un cas isolé, soit par comparaison avec d’autres cas à titre d’ éléments communs. > ( p.18 )
Ubudore :- Cependant qu’ est-ce qui caractérise un son si ce n’est du point de vue sensoriel sa hauteur, son intensité, son timbre et du point de vue physique, sa fréquence, l’amplitude et la la géométrie de la vibration qui lui correspond.
Patadelphe : – Effectivement ces attributs ont un sens. Mais que signifie : < l’ essence générale du son en général > ? Un son en sa singularité possèderait-il une essence ?.
Non, car il n’ est qu’un complexe de qualités concrètes, de déterminations empiriques.
Quant au concept de son, en tant qu’ idée générale et abstraite, c’est une notion de classe, la classe des sons, des phénomènes sonores.
La classe des sons serait-elle sonore ? Et l ‘ idée du rouge serait-elle rouge ?…
J’ai bien peur que nous nous égarions…
*
Patadelphe :-Appliquons maintenant la méthode de réduction éidétique à l’ < Humanité > et demandons-nous avec Husserl quelle est l’ essence de cette < Humanité > .
Ubudore :-Le Philosophe dégagera en tant que déterminations essentielles de cette essence les traits de la rationalité, de l’esprit scientifique et de la démocratie propres à la Culture européenne, cette Europe idéalisée, cette Europe rêvée, cette image d’ Epinal des < Grecs-qui-ont-inventé-l attitude-théorétique >…
Patadelphe : -…et il affirmera dans la Conférence de Vienne ( Krisis, p. 372. ) que ces critères font défaut aux peuples « primitifs » qu’il exclut de l’excellence humaine représentée par l’idéal européen devenu norme du plein accomplissement de… l’ Humanité !…
Ubudore : -… Seront ainsi exclus de cette Humanité essentielle, avec les enfants, qui n’ont pas l’ âge de raison, les fous, qui l’ont perdue, les peuples enfants extérieurs à cette rationalité selon les bons vieux préjugés de l’européocentrisme, notamment … les tziganes et les Papous.
Patadelphe : -Les Papous ?…
Ubudore :-Selon Husserl l’ Européen est au Papou ce que l’ Homme est à l’animal… oui…
Telle est la conséquence logique de l’élitisme universaliste et essentialiste de Husserl .
Patadelphe :-Je comprends… L’ auto-élection européocentriste……
Ubudore : -Ah ! la notion de peuple élu… et sa transposition paradigmatique en < Humanité -occidentale-normale > centrée sur l’ego transcendantal et dont le destin serait de  » répandre les Lumières « …
Patadelphe : -Et le beau concept que celui de ligne d’évolution : bête-Papou-Philosophe…
Ubudore :-Les Papous… sans la tête… philosophique, cela va sans dire…
Les faits eux sont têtus… et les références, incontournables : La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale. La célèbre Krisis… Et diverses pages traduites et publiées par la revue Alter ( 1995 ).
Ainsi : < De même que l’ homme et le Papou lui même représentent un nouveau degré dans l’animalité, précisément celui qui s’ oppose à la bête, de même la raison philosophique représente un nouveau degré dans l’humanité et dans la raison > ( Krisis, p .372. )
Patadelphe :-Les  » non philosophes » apprécieront…
Ubudore : -Ce qui n’ est pas sans suggérer d’étonnants rapprochements…
Patadelphe : -Voilà ce qui résulte de la répudiation du singulier et de l’ application à l’humanité empirique de l’essentialisme universaliste et totalitaire…
Ubudore : -On conçoit la gène et le silence de nos démocrates Intellectuels d’ordinaire plus bavards devant de semblables thèses et leur portée.
Car Husserl n’est-il pas -au panthéon et dans l’imaginaire des Philosophes, la grande et la prestigieuse figure, la caution des Lumières contemporaines, de tous ceux qui se soucient de propager la Loi ?
N’ est-il pas la référence du programme de l’activisme pédagogique idéaliste ?
Patadelphe :-Laissons-les donc à leur gène mon ami … mais pour notre ‘pataphysicienne gouverne gardons à l’esprit que l’ Idée de l’ < Humanité >, c’est à dire l’ humanité… en Idée, ainsi que la pensée de l’ , ne sont en fait que des instruments de discrimination et de pouvoir à l’usage du Clerc.
Ubudore : -Et soulignons qu’on discrimine ou qu’on partage les hommes tout autant en raison… des < raisons > de l’idéalisme philosophique, -et notamment du théorique mépris de leur singularité empirique … qu’ en < raison > de bien d’autres extravagances…
Patadelphe :- Telles sont entre autres les conséquences de la très bien pensante Idéophagie… et également …
Ubudore : -…de la violence de la Raison…
 
 ***

Patadelphe :-Il est temps de nous quitter… je crains que nous n’ayons abusé… et je redoute l’indigestion… les idées sont si pesantes…
Ubudore :-Et nous sommes si frivoles… mon ami…
Séparons-nous donc sur un dernier clin d’oeil…
Je vous suggère la lecture de ce passage de Condillac… pour conclure… pour le dessert …
< Ce sont les philosophes qui ont amené les choses à ce point de désordre. Ils ont d’ autant plus mal parlé que, lorsqu’ il leur arrivait de penser comme tout le monde, chacun d’ eux voulait paraître avec une forme de pensée qui ne fût qu’ à lui. Subtils, singuliers, visionnaires, inintelligibles, souvent ils semblaient craindre de ne pas être assez obscurs, et ils affectaient de couvrir d’ un voile leur connaissances vraies ou prétendues. Aussi le langage de la philosophie n’ a-t-il été qu’ un jargon pendant plusieurs siècles. Enfin ce jargon a été banni des sciences. Il a été banni, dis-je mais il ne s’ est pas banni lui même : il y cherche toujours un asile, en se déguisant sous de nouvelles formes, et les meilleurs esprits ont bien de la peine à lui fermer toute entrée. >
( Condillac, Oeuvres, t. 3, p. 401)
 


DU QUIETISME ET DE LA ‘PATAPHYSIQUE OU FENELON DETOURNE

Que la ‘pataphysique n’est point la < tolérance >.
 *
< Hors le noeud du débat, je me suis maintenu en équanimité et pure indifférence > Montaigne, Essais 3.10.

PATAPHILE-EPISCOPE A MONSEIGNEUR LE GRAND DAUPHIN DE PATAGONIE…
Monseigneur,
Quand on parle dans le monde d’ un ‘pataphysicien, on veut dire un esprit court, incrédule et grossier. Pourtant l’ équanimité qui est une vertu, loin d’ être grossière, est quelque chose de sublime. Tous les gens de bien la goûtent, l’ admirent, sentent quands ils la blessent, la remarquent en autrui, et sentent quand il est nécessaire de la pratiquer ; mais ils auraient de la peine à dire précisément ce que c’ est que cette vertu.
L’équanimité est une droiture de l’ âme qui retranche tout retour inutile sur elle-même et sur ses actions. Elle est différente de la tolérance. La tolérance est une vertu au-dessous de l’ équanimité. On voit beaucoup de gens qui sont tolérants sans être impavides : ils ne disent rien qu’ ils ne croient vrai; ils ne veulent pas passer pour ce qu’ ils sont ; et ils craignent sans cesse de passer pour ce qu’ ils ne sont pas ; ils sont toujours à s’ étudier eux-mêmes, à compasser toutes leurs paroles et toutes leurs pensées, et à repasser tout ce qu’ ils ont fait dans la crainte d’ avoir trop fait ou trop dit… Ces gens là sont tolérants ; mais ils ne sont pas équanimes : ils ne sont point à leur aise avec les autres et les autres ne sont point à leur aise avec eux : on y trouve rien d’ aisé, rien de libre, rien de frivole, rien de naturel ; on aimerait mieux des gens moins réguliers et plus imparfaits, qui fussent moins composés.
Être tout occupé des créatures, sans jamais faire aucune réflexion sur soi, c’est l’ état d’ aveuglement des personnes que le présent et le sensible entraînent toujours : c’est l’ extrémité opposée à l’ équanimité. Ëtre toujours occupé de soi dans tout ce qu’ on a à faire, c’est l’ autre extrémité qui rend l’ âme sage à ses propres yeux, toujours réservée, pleine d’ elle même, inquiète sur les moindres choses qui peuvent troubler la complaisance qu’ elle a en elle-même. Voilà la fausse sagesse, qui n’ est avec toute sa grandeur, guère moins vaine et guère moins folle que la folie des gens qui se jettent tête baissée dans toutes les sottises… L’ une est enivrée de tout ce qu’ elle voit au-dehors, l’ autre est enivrée de tout ce qu’ elle s’ imagine faire au-dedans ; mais enfin ce sont deux ivresses…
L’ équanimité consiste en un juste milieu où l’ on est ni étourdi ni trop composé : l’ âme n’ est point entraînée par l’ extérieur, en sorte qu’ elle ne puisse plus faire les réflexions nécessaires : mais aussi elle retranche les retours sur soi qu’ un amour-propre inquiet et jaloux de sa propre excellence multiplie à l’ infini. Cette liberté de l’ âme est la véritable impavidité.
Voici donc le progrès de notre quiétisme.
Le premier degré est celui où elle se déprend des visions extérieures pour rentrer au-dedans d’ elle-même, et pour s’ occuper de son état et de son propre intérêt : c’est un amour-propre sage qui veut sortir de l’ enivrement des égarements habituels au commerce des hommes.
Dans le second degré, l’ âme joint à la vue d’ elle même celle de Sa Magnificence qu’ elle admire. Voilà un faible commencement de la véritable sagesse ; mais elle est encore enfoncée en elle-même : elle ne se contente pas d’ admirer Sa Magnificence, elle veut être assurée qu’ elle l’ admire ; elle craint de ne pas l’ admirer ; sans cesse elle revient sur ses propres actes. Ces retours si inquiets et si multipliés sur soi même sont encore bien éloignés de la paix et de la liberté qu’on goûte dans l’ équanimité simple : mais ce n’ est pas encore le temps de goûter cette liberté ; il faut que l’ âme passe par ce trouble; et qui voudrait d’abord la mettre dans la liberté de l’ équanimité simple, courrait le risque de l’ égarer.
Dans le troisième degré, elle n’ a plus ces retours inquiets sur elle-même; elle commence à regarder Sa Magnificence plus souvent qu’ elle ne se regarde, et insensiblement elle tend à s’ oublier pour s’ occuper en Elle par un amour sans intérêt propre. Et c’ est par Sa Lumière qu’ elle se voit contraire à Sa Pureté infinie.
Telle est -comme l’ affirme Amyot en sa Tranquillité de l’âme et du repos de l’esprit,
< l’ équanimité d’ humeur qui sied véritablement à un Prince. >
Tel est ainsi Monseigneur le chemin de perfection qui mène à Sa Magnificence, ubi et orbi, toujours et partout, Ubu-Roi, notre Lumière, notre étoile, notre pôle.
Que Ses Grâces pleuvent sur Votre Trône.
Je suis Monseigneur votre sujet et votre humble et dévoué serviteur.
 05.04.2000…