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Geste des opinions du docteur Lothaire Liogieri

SUR LE REL ET L’IMAGINAIRE

Vents et marées 1.2.

enfant, lune et chat, création originale

TABLE
Sur le réel
position de l’idéalisme critique
par Epistémon
Sur l’image, l’imaginaire et l’imagination
par Epistémon

( août 2006 )

PEUT-ON CONNAITRE LE REEL ? Par Epistémon le ‘Pataphysicien

Double questionnement :
-épistémologique : étude du fondement, des procédés et des limites de la connaissance ;
-métaphysique : qu’en est-il du < réel > en lui-même ?
Auteurs et oeuvres incontournables :
-E. Kant, Critique de la raison pure ;
-A. A. Cournot, Essai sur le fondement de nos connaissances et sur le caractère de la critique philosophique ;
-J. Piaget, La psychologie de l’intelligence ;
-G. Bachelard, Le rationalisme appliqué ;
-E. Peillet, Séminaires de Prin ;
-Dämon Sir, Opuscula pataphysica selecta.
*
< Connaître > est une activité psychique qui met en jeu un ensemble :
-de facultés : sensibilité, intuition, jugement, imagination ;
-de conduites : observer, percevoir, comparer, expérimenter, conjecturer, vérifier, expliquer, interpréter, analyser, définir, synthétiser, déduire, induire ;
-de principes logiques et méthodologiques : identité, causalité, finalité, déterminisme… ;
-de catégories et d’outils mathématiques : quantité, nombre, relations spatiales et temporelles, graphe, fonction, statistiques, tableau… ;
-de concepts métaphysiques : substance, force, matière, esprit, énergie, vie…
*
Analyse sémantique.
Du point de vue grammatical < réel > est adjectif ; le < Réel > est un adjectif substantivé devenu une catégorie spéculative.
Le terme qualifie ce qui existe à un titre quelconque ; en ce sens il s’oppose habituellement à < apparent >, < fictif >, < illusoire >.
Comme modalité du jugement ( Kant, Analytique transcendantale ) il accompagne le < possible > et le < nécessaire >.
En tant qu’ < actuellement donné dans une expérience > ( E. Goblot ) < réel > s’oppose à < abstrait >, < conceptuel >, < intelligible >.
*
En quoi l’idée de < connaissance du réel > fait elle problème ?
-Pour le sens commun, la connaissance est la copie du réel.
Connaître, c’est saisir l’objet dans sa réalité même; c’est percevoir ; et percevoir, c’est voir. Pour connaître, il suffit d’ouvrir les yeux…
L’objet existe tel qu’il se manifeste, tel qu’il nous est donné. Les objets sensibles s’imposent à nos sens ; ils existent en dehors et indépendamment de nous.
La réalité du monde sensible étant une évidence, le problème disparaît.
-Evidence reprise sur un mode plus raffiné par le Gestaltisme et la Phénoménologie ; ainsi Sartre, L’ imaginaire :
< … lorsque je perçois une table, je ne crois pas à l’existence de cette table. Je n’ai nul besoin d’y croire, puisqu’elle est là en personne. Il n’y a pas un acte supplémentaire par lequel, percevant d’ailleurs cette table, je lui conférerais une existence crue ou croyable. Dans l’acte même de perception, la table se découvre, se dévoile, elle m’est donnée >.
-La tradition de la philosophie réflexive ( Descartes, Malebranche, Kant, Lachelier, Lagneau, Alain, Michel Alexandre, la ‘Pataphysique… ) récuse la thèse naïve ou dogmatique d’une prétendue < conscience du monde extérieur >.
Du point de vue critique, la conscience n’est que l’intuition de nos propres états internes et non de quelque chose d’extérieur à nous.
Le sens commun ignore que nous ne connaissons les objets extérieurs, le < réel >, que par les impressions subjectives induites sur le psychisme.
Et si l’école phénoménologique ( Husserl, Sartre, Merleau-Ponty ) affirme à juste titre l’intentionnalité de la conscience ainsi que le caractère non primitif de la notion de sujet,
la thèse postulant l’immédiateté de l’objet est à tout le moins discutable.
Les doctrines de < l’expérience immédiate > méconnaissent notamment le point de vue génétique qui relève la genèse progressive du sujet et de l’objet :
< l’observation et l’expérimentation combinées semblent démontrer que la notion d’objet, loin d’être innée ou donnée toute faite dans l’expérience, se construit peu à peu >,
affirme Jean Piaget, La construction du réel chez l’enfant.
La psychologie génétique a ainsi analysé en détail la constitution progressive du réel chez l’enfant -de l’origine de la pensée et de la confusion initiale du sujet et de l’objet marqué par la confusion du réel et de l’imaginaire ( syncrétisme ) à la constitution du monde objectif fondé sur trois critères.
Est dit < réel > :
-ce qui donne prise à la prévision ( permanence de l’objet );
-ce qui se prête à des expériences distinctes mais concordantes ;
-ce qui est relié à un système de relations spatiales et causales.
Critères voisins de ceux de l’adulte et de ceux de l’homme de science.
*
Nous qualifions habituellement de < réel > :
-Ce qui pour nous offre prise à l’action et ce qui y résiste ( Maine de Biran décelait dans la sensation de < résistance > accompagnant l’effort moteur volontaire, le processus constitutif de l’objectivation ).
Ce qui enveloppe la croyance à la permanence de l’objet.
-Ce qui bénéficie de l’accord des témoins.
Fait de langage, le < réel > est un effet social exprimant une mentalité collective mais variant d’une époque l’autre; l’objectivité des choses étant fonction des systèmes de préjugés propres aux différents groupes humains.
-Ce qui satisfait à un certain nombre de critères intellectuels : accord des différents sens, concordance des expériences, une certaine cohérence logique.
Ne peut être considéré comme < réel > que ce qui apparaît d’abord comme logiquement possible où s’affirme l’activité de synthèse du psychisme qui définit proprement la fonction du réel.
< Le réel, c’est ce que l’on croit après réflexion > ( P. Janet ).
Conduite du présent, le < réel > est effet de jugement. Il comprend différents degrés selon les plans de conscience, la situation et les dispositions du sujet.
Il se décline également en univers mentaux distincts :

  • la réalité de l’expérience quotidienne;
    -l’univers du savant ;
    -celui de l’artiste ;
    -la réalité absolue du métaphysicien ;
    -la représentation du croyant.
    La construction psychique du réel subit aussi des altérations :
    hallucinations, incapacité d’attention aux événements traduisant l’affaiblissement de la fonction de synthèse, psychasthénie, schizophrénie.
  1. En conséquence se pose effectivement la question de l’objectivité et de la valeur de la < connaissance du réel >.
    Question inconnue du sens commun -pour lequel la réalité est donnée dans la perception, voire dans la sensation- et qui considère en toute naïveté la pensée comme une manière de décalque, de réplique mentale interne de l’objet.
    Or le réel pour l’homme n’étant pas donné mais construit, l’objectivité ne peut être conçue comme conformité de la pensée à un < objet en soi > qui lui préexisterait.
    L’objet est concept entendu comme effet de synthèse des apparences.
    Et la vérité ne peut se ramener à une simple < adéquation de l’esprit et de la chose > ainsi que l’affirmait la scolastique médiévale.
    Ainsi la pensée rationnelle, la science, ne cesse-t-elle d’élaborer son objet. L’objet scientifique est le fruit d’une dialectique de l’hypothèse et de l’expérimentation, une < théorie matérialisée > .
    En ce sens le monde est moins notre représentation ou notre convention que notre vérification ( cf G. Bachelard, Le rationalisme appliqué, La Philosophie du non ).
  2. D’un autre côté se présente l’énigme de l’essence du réel, l’inconnue de la < chose-en-soi >, le problème ou… pseudo-problème ontologique.
    Or si l’étude génétique et l’interprétation épistémologique de la notion d’objet font apparaître que le réel est fonction d’une pensée enveloppant des opérations mentales et des conduites expérimentales complexes, il semble impossible d’opposer la chose à l’idée, le réel à la pensée.
    Peut-on pour autant -thèse de tous les idéalismes- le réduire à un pur phénomène représentatif ?

SUR LE REEL, POSITION DE L’IDEALISME CRITIQUE ( Kant, Lagneau, Alain, Michel Alexandre ) cf Georges Pascal, La pensée d’Alain.

  1. L’idéalisme critique est une sotériologie. Non une philodoxie.
  2. L’intuition fondamentale de la doctrine est que la liberté du jugement est le coeur de la philosophie, la marque et la vertu de l’homme.
    Ainsi Alain, Eléments de philosophie, introduction :
    < Le mot Philosophie, pris dans son sens le plus vulgaire, enferme l’essentiel de la notion. C’est au yeux de chacun, une évaluation exacte des biens et des maux ayant pour effet de régler les désirs, les ambitions, les craintes et les regrets. Cette évaluation enferme une connaissance des choses par exemple s’il s’agit de vaincre une superstition ridicule ou un vain présage ; elle enferme aussi une connaissance des passions elles-mêmes et un art de les modérer. Il ne manque rien à cette esquisse de la connaissance philosophique. L’on voit qu’elle vise toujours à la doctrine éthique, ou morale, et aussi qu’elle se fonde sur le jugement de chacun, sans autre secours que les conseils des sages. Cela n’enferme pas que le philosophe sache beaucoup, car un juste dénombrement des difficultés et le recensement exact de ce que nous ignorons peut être un moyen de sagesse ; mais cela enferme que le philosophe sache bien ce qu’il sait, et par son propre effort. Toute sa force est dans un ferme jugement, contre la mort, contre la maladie, contre un rêve, contre une déception. Cette notion de la philosophie est familière à tous et elle suffit. >
  3. Problème : comment conserver sa lucidité dans ce monde d’événements, d’apparences, d’affections et de passions ?
    Réponse : par la constitution d’un réel ordonné. Par la connaissance rationnelle.
  4. Thèse : il n’y a de monde que pour un esprit, que par l’esprit.
    L’esprit doit mettre le monde en ordre, qui est le sien, par l’idée. Ce sont les idées qui sont le tissu du monde.
    Le monde ordonné que nous connaissons n’est pas un chaos d’intuitions sensibles, couleurs, odeurs bruits… où nous serions perdus.
    C’est une conquête de l’intelligence, de la perception à la science.
  5. Le réel naît de l’effort de connaissance :
    < La perception droite ou, si l’on veut la science, consiste à se faire une idée exacte de la chose, d’après laquelle idée on pourra expliquer toutes les apparences. > Alain, Vigiles de l’esprit.
    L’hypothèse est à la science ce que l’idée est à la perception : une anticipation qui a pour but de mettre en ordre toute l’apparence du monde.
    Sans l’hypothèse il n’y aurait pas de fait. Le fait n’est pas une réalité objective donnée. Seul nous est donné un chaos d’impressions sensibles que l’esprit doit lier selon ses lois :
    < Il n’ y a de fait que par l’idée. > Alain, Les Idées et les Ages.
    L’esprit devance l’expérience et < on observe jamais que ce qu’on a supposé > Alain, Eléments de Philosophie.
    < La raison prend les devants. > Kant, Critique de la raison pure, introduction.
    L’expérience n’instruit que ceux qui l’interrogent.
    Cependant toutes les questions ne sont pas correctement posées ; il faut distinguer l’hypothèse qui est d’entendement et la conjecture qui est d’imagination.
    -La conjecture suppose l’existence d’un objet : supposer des habitants sur une planète lointaine, un poids dans les corps. Elle recherche la nature des choses.
    -L’hypothèse s’efforce de rendre compréhensibles des phénomènes en découvrant leur loi. Elle répudie le fétichisme, l’imagination de prétendues vertus cachées à l’intérieur des êtres.
    Ainsi le poids n’est pas dans les corps; il n’est pas une propriété de la bille qui tombe pas plus que l’attraction n’est une propriété de la terre.
    Ce sont des relations, des rapports :
    < l’ attraction n’est pas un pouvoir caché dans la bille, ni dans la terre, mais un rapport entre elles. > Alain, 101 Propos, 4, 48.
    De la même manière l’atome n’est que par relation; il n’est nullement l’élément dernier que découvre l’analyse de la matière. L’électricité n’est pas un fluide enfermé dans un corps; effet d’imagination.
    Elle n’est pas une substance, un être qui existerait en soi et par soi. Elle n’est pas un être ; elle se définit par un ensemble de rapports.
  6. Il n’y donc pas d’intérieur des choses et l’être, tout être est relation.
    Le but de la science est de nous faire connaître des faits et leurs lois. Non pas de nous révéler le « fonds des choses » :
    < Les objets du monde réel, ce sont les rapports intelligibles qui donnent un sens aux apparences, mais dont l’apparence, au rebours, ne peut donner le secret. > Alain, Idées.
    En conséquence < tout est nombre > et < la géométrie est la clef de la nature >.
    Les mathématiques sont la science de ces rapports abstraits qui nous permettent de saisir le monde. Elles sont le détour nécessaire pour se délivrer de l’imagination et percevoir les choses en leur vérité.
    Ainsi l’ombre de l’homme n’est pas une sorte d’âme, de double de l’homme, sur laquelle il faut veiller, comme croient les sauvages ; la géométrie et l’optique en faisant concevoir l’ombre par les vraies causes, nous délivrent de ces conceptions fantastiques. ( cf Alain, Propos sur la religion ) :
    < Qui n’est point géomètre ne percevra jamais bien ce monde où il vit et dont il dépend. Mais plutôt il rêvera selon la passion du moment. > Alain, Propos sur l’éducation.
  7. Le monde existe sans nous mais il importe de dépasser l’empirisme commun, de refuser l’idée que le monde est fait d’objets dont chacun a son essence propre et subsiste par soi sans égards à l’esprit qui le pense.
    Problème : qu’en est-il de ce réel dont l’existence ne peut être mise en doute mais qui ne subsiste que sous forme d’idées ?
    C ‘est par l’idée de substance que nous percevons des objets. Elle nous permet de tenir ensemble des apparences diverses, ce qui est comprendre ; elle ne nous permet pas de saisir quelque réalité qui existerait en soi et par soi : < Nos impressions changent et le monde subsiste ; ce qu’exprime le mot substance. > ( Lettres sur Kant )
  8. Entendement et raison : la métaphysique comme vision.
    C ‘est Kant, Critique de la raison pure, qui a mis en lumière la différence entre les deux facultés.
    La raison prétend se séparer de la chose et penser selon soi ; l’entendement, c’est ce même esprit attentif à penser ce qui lui est donné, à ne point se couper des impressions sensibles.
    Passer de l’entendement à la raison, c’est passer de la physique à la métaphysique, cette tentative, cette dialectique qui, par raisonnements et par preuves, cherche à saisir quelque substance ou réalité absolue.
    L’illusion métaphysique, la veine spéculative consiste à chercher l’essence des choses comme une propriété qu’il posséderaient en eux-mêmes et qui les ferait être ce qu’ils sont.
  9. Existence et essence.
  10. L’erreur est de prendre les formes de l’entendement pour des choses, les idées pour des objets. Mais les idées ne sont point des choses.
    Elles sont oeuvres de l’entendement, cet ensemble de formes, cette capacité de mise en forme qui ordonne le chaos et constitue un univers.
    Connaître suppose donc un chaos, une existence donnée, et un esprit législateur.
    L’esprit donne ses lois aux monde; il ne lui donne pas l’être.
    < Il n’y a de réel que ce qui s’accorde avec les conditions matérielles de l’expérience, c’est-à-dire avec la sensation. > Kant, Critique de la raison pure.
    L’existence s’éprouve, elle ne se prouve pas. L’essence est de l’esprit et non des choses; mais l’existence n’est pas de l’esprit.
    L’essence ( l’idée ) et l’existence sont séparées. L’univers nous résiste; pur désordre il est ce qui  » choque  » notre raison, cette exigence d’ordre :
    < Le monde est sans loi. Cela même, dit le vieillard, est la loi du monde. > Alain, Entretiens au bord de la mer.
    Mais nous ne pouvons saisir l’existence que par l’essence.
  11. L’existence se définit par l’événement, l’accident, la rencontre :
    < L ‘ordre de l’existence est ce qui n’a point de raison. > Alain, Entretiens…
    L’existence est contingente :
    < On ne trouve pas l’existence à partir de l’essence > ( ibidem ).
  12. Les lois font paraître l’événement comme résultat de poussées extérieures, comme accident.
    Rien n’arrive jamais que de rencontre et le principe d’inertie est le principe de toutes les lois de l’existence.
    Toutefois la nécessité que l’entendement découvre dans les phénomènes est distincte de la nécessité des choses.
    L’esprit saisit l’événement dans un réseau de causes et d’effets, en le déterminant. Ce qui est limiter et situer dans un système explicatif clos.
    D’où l’erreur de limiter l’existence à un système alors qu’elle est indivisible et qu’il n’y a pas de système clos.
    C ‘est la raison qui, dans sa quête d’absolu, se représente une totalité des conditions et arrive ainsi à conclure que tout événement est strictement déterminé et pourrait être prévu par une intelligence supérieure.
    La raison transporte la nécessité des idées dans les choses.
  13. Le monde est indifférent et inflexible. Il n’est point songe.
    Dans le rêve, notre pensée n’a d’autre matière que ce monde, l’immense existence qui nous tient de toute parts.
    Par le mécanisme physiologique de l’association des idées, notre esprit crée un monde imaginaire en employant des matériaux bien réels.
    Nullement rêve, le monde est < ce qui nous résiste > ( cf Maine de Biran ) ; il est aussi la condition de notre action, de notre liberté.
    Il est la condition de l’esprit qui ne serait rien s’il ne percevait rien. Le rêve suppose le monde et :
    < nos songes sont faits de la même étoffe que les choses . > Alain, Propos d’un Normand.
    **
    < Dans le fonds le métier de penser est une lutte contre les séductions et apparences. Toute la philosophie se définit par là finalement. Il s’agit de se délivrer d’un univers merveilleux, qui accable comme un rêve, et enfin de vaincre cette fantasmagorie. Sûrement de chasser les faux dieux toujours, ce qui revient à réduire cette énorme nature au plus simple, par dénombrements exacts. Art du sévère Descartes, mal compris parce qu’on ne voit pas assez que les passions les plus folles, de prophètes et de visionnaires, qui multiplient les êtres à loisir, sont déjà vaincues par le froid dénombrement des forces. Evasion, travail sérieux. >
    Alain, Eléments de philosophie.
     
     


A la manière d’Escher

 SUR L’IMAGE, L’IMAGINAIRE ET L’IMAGINATION
( contribution à un projet d’article pour une Somme de pataphysique, par Epistémon )

-La ‘pataphysique est la science des solutions imaginaires-

Imagination : conception, évasion, extrapolation, fantaisie, idée, improvisation, inspiration, invention, rêverie, supposition. Divagation, élucubration, extravagance, fantasme, puérilité, vaticination, vision ( Les dictionnaires )

 Plan

  1. définitions.
  2. les problèmes.
    Le monde comme  » métacinéma ».
  3. pata koans.
  4. références / citations.

  1. Définitions
    ( image, imagination, imaginaire, imago, archétype )
  2. < Image > se dit habituellement :
    a. de la représentation matérielle d’un objet : photo, affiche, estampe, gravure…
    b. d’un procédé rhétorique, soit la représentation d’un objet par un autre objet qui rend le premier plus facile à saisir.
    L’image peut être une comparaison ( rapprochement des deux objets ) ou une métaphore ( fusion des deux termes de la comparaison ).
    Développée elle devient symbole, allégorie, apologue, parabole.
    Il y a image quand au lieu d’insister sur un rapport purement intellectuel entre deux termes analogues, on s’efforce de donner le sentiment du concret en évoquant la couleur, la forme, le mouvement, etc.
    L’image est un instrument d’intelligibilité. Elle a pour fonction d’expliquer, de faire comprendre; elle décrit, elle peint ; elle suggère en parlant à l’imagination ; elle orne, elle étonne, elle émeut…
    c. ( comme icône sacrée ) d’une représentation peinte sur bois des Eglises chrétiennes d’Orient.
    d. d’une représentation concrète ou mentale de ce qui a été perçu antérieurement par les différents sens.
    On parle d’image visuelle, auditive, tactile, olfactive, gustative, motrice, kinesthésique, etc.
    En ce sens :
    -Elle est distincte de la sensation qui en est la source.
    -Elle n’est pas un simple cliché, une pure reproduction.
    -nullement chose ( thèse développée par Bergson, Matière et mémoire ), elle ne saurait non plus se confondre avec la chose dont elle est la représentation ( thèse de la philosophie réflexive et critique : Descartes, Kant, Lagneau, Alain, Michel Alexandre, la ‘Pataphysique ).
    Mode de la pensée, de l’activité psychique, l’image est une expression de la conscience.
    Elle est, selon les écoles, induite :
    1°) soit involontairement par le jeu des associations ( Taine, Métapsychologie freudienne ) ;
    2°) soit par la conscience imageante ( sujet < transcendantal > ) qui vise un objet en le posant comme absent ou irréel et n’en fournit qu’un < analogon >, un équivalent ( cf les analyses de Sartre, L’imaginaire, reprenant Kant, Analytique transcendantale, Hegel, Propédeutique et Encyclopédie philosophique ainsi que les analyses husserliennes de l’intentionalité ).
    Mouvement de la conscience et de la fonction symbolique, elle manifeste deux expressions du dynamisme de l’esprit plus ou moins concomitantes, deux modalités de la vie mentale, la mémoire et l’imagination.
  3. < Imagination > désigne le pouvoir de l’esprit d’élaborer des images à partir d’expériences antérieures de la conscience percevante.
    On distingue ordinairement l’imagination reproductrice et l’imagination créatrice.
    -L’imagination reproductrice est la fonction par laquelle le sujet conscient perçoit en image un objet sensible absent ou rappelle des éléments du passé sans les rapporter au passé.
    -L’imagination créatrice désigne la capacité de former des synthèses originales par combinaisons inédites des images-échos provenant de l’expérience sensible.
    A distinguer de l’invention.
  4. Par opposition au < réel >, entendu comme effet de la perception, le concept d'< imaginaire > qualifie -dans le vocabulaire des sciences humaines et de diverses disciplines littéraires- les productions de l’imagination.
    Opposé à < réel > il désigne le mode d’existence du contenu de certaines représentations et le domaine auxquelles appartiennent ces contenus.
    Il se décline en multiples univers imaginaires, ensembles organisés d’images dynamiques.
    *
    Transcendantal objectif et transcendantal subjectif.
    A la différence de Kant qui avait mis à jour dans la Critique de la raison pure et la Critique du jugement l’imagination, ce transcendantal subjectif, cet < art caché dans les profondeurs de l’âme >, en distinguant le schématisme et la symbolisation, le structuralisme considère l’imaginaire – véritable transcendantal objectif- comme la structure a priori de toute activité imaginative; il serait à celle-ci ce que la langue est à la parole.
    Postulant l’antériorité de l’imaginaire sur l’appréhension du réel et la spontanéité créatrice de l’imagination, il le constitue en condition a priori de l’expérience humaine du monde, de tout rapport au réel.
    Explorant les structures anthropologiques de l’imaginaire, Gilbert Durand a, par exemple, cru pouvoir dévoiler les < différents régimes de l’image > qu’il a rapporté à certains concepts réflexologiques.
    Ainsi, à la < dominante posturale > avec ses dérivés manuels et l’adjuvant des sensations à distance, correspondrait un type de personnalité schizomorphe ou héroïque ; -des invariants psychologiques caractérisés par l’idéalisation et le recul autistique, le diaïrétisme, le géométrisme, l’antithèse polémique; – des principes d’explication logiques d’exclusion et de contradiction ; -des schèmes verbaux organisés autour des oppositions < séparer/ mêler- monter/chuter >; -des archétypes épithètes tels que < pur /souillé – clair/sombre- haut/ bas >; -des archétypes substantifs comme < la lumière/ les ténébres – l’arme héroïque/ le lien – le héros/ le monsre >; – des symboles, < le soleil, l’azur, les runes, les armes, les cuirasses, la tonsure, l’échelle, l’escalier, le ziqqurat >.
  5. C.G. Jung a avancé le concept d’ < imago > pour désigner la < représentation inconsciente > qui organiserait le modèle des relations réelles ou fantasmatiques de l’enfant avec ses parents et ses proches. Cette représentation serait construite à partir des premières expériences des satisfactions et des frustrations infantiles.
    Déformant le réel dont elle ne serait pas un reflet, elle porterait une forte charge affective.
    Le psychanalyste spéculatif a également proposé la notion d’ < archétype > pour désigner les images et les symboles ancestraux qui constitueraient < un fonds commun à toute l’humanité > et qui se retrouveraient en chaque individu à côté de ses réminiscences personnelles.
    Ces archétypes constitueraient un < inconscient collectif > véhiculé par les contes , les légendes, les diverses mythologies. Ils peupleraient les rêves, les délires et les productions artistiques.
    Ainsi l’ archétype de la Mère connotant la Nourriture, la Sécurité, l’Enveloppement absolu, la Fécondité inépuisable…
    **
  6. les problèmes / débats
    A. Psychologie de la connaissance. Statut de l’image mentale.
  7. Ecole empiriste ( Aristote, Hume, Taine, Ribot… ).
    Image = reproduction de l’objet perçu par l’esprit à la manière d’une photographie renfermée dans un album.
    Thèse : l ‘image est une reproduction affaiblie de la perception en son absence.
    Pour l’atomisme psychologique, l’esprit agissant est un < polypier d’images > mutuellement dépendantes.
    Son unité, son harmonie est un effet des images-forces s’équilibrant ainsi qu’elles équilibrent le dynamisme des sensations. Toutes les fonctions mentales sont des combinaisons d’images, la perception étant une simple addition d’images à la sensation actuelle.
    L’image est en elle-même une réplique de la sensation, la sensation étant comprise comme une copie de l’objet perçu.
    L’image est une sorte de cliché mental, subsistant sous forme de traces -l’engramme-gravée dans telle région déterminée du cerveau pour chaque sens.
    *
    L’imaginaire est ainsi le décalque, le double édulcoré, l’écho du réel produit par un < mécanisme mental associatif >.
    Les causes de l’association sont :
    -la contiguité spatiale et temporelle : l’évocation de la ville de Saint-Malo suggère celle de Chateaubriand; l’évocation du fanatisme religieux contemporain amène la pensée et l’imagerie des guerres de religion du 16° siècle…
    -la ressemblance ou la dissemblance, le contraste : l’évocation des plus grandes fortunes amène celle de la paupérisation de quelques uns ;
    -l’intérêt et l’habitude : chacun tend à joindre à une perception actuelle un ordre de considérations et un régime d’images qui lui sont propres ;
    -l’affectivité : joie, tristesse, amour, haine, jalousie, envie… constituent comme autant de centres d’attraction groupant les représentations ;
    -la rédintégration selon laquelle quand deux ou plusieurs idées ont fait partie du même acte intégral de connaissance, chacune d’elle suggère les autres ; les associations d’idées et d’images étant multipolaires ;
    -les filiations rationnelles ou logiques : la cause faisant penser à l’effet, le moyen à la fin et inversement.
    *
    Quant à l’oeuvre d’art, elle n’est que la présentation dans un ordre imprévu, une combinaison insolite des reliquats d’images qui proviennent de l’expérience passée et du monde extérieur.
    *
    Note : La physiologie du cerveau : les données scientifiques.
    L’image n’est rien d’autre que le mécanisme de l’évocation ; c’est un < dynamisme associatif >. Il consiste dans la mise en jeu d’origine centrale des mêmes éléments récepteurs corticaux correspondant à l’impression sensorielle . S’il n’existe pas d’images-clichés conservées dans le cerveau, il existe des aires ou des zones de l’écorce cérébrale où viennent se diffuser et se projeter les processus nerveux propres à telle ou telle espèce de sensation ( aires visuelles, auditive, tactile, etc. ).
    Peut-on parler de < chaos déterministe > pour définir l’activité mentale et notamment l’imagination ?
    **
  8. Place et fonction de l’imagination au sein de l’harmonie des facultés de l’esprit selon Emmanuel Kant.
    Récusant la thèse empiriste de l’image-reflet comme il refuse le postulat de l’harmonie préétablie entre le sujet et l’objet, Kant substitue le principe d’une soumission de l’objet au sujet.
    Percevoir, connaître, c’est poser l’être identique à travers toute impression sensible.
    Comment appliquer les catégories de l’entendement au sensible ? Par le < schématisme >, effort de l’imagination.
    L’unité de l’ être-un est conçue de quatre manières : quantité, qualité, relation, modalité. L’unité de l’esprit est introduite dans le flux chaotique des impressions sensibles par un médiateur, le temps, qui permet une synthèse transcendantale du sensible par l’imagination ( non empirique et reproductrice mais productrice ).
    La synthèse transcendantale de l’imagination tend à l’unité de tout le divers de l’intuition dans le sens interne. Les concepts transcendantaux, les concepts mathématiques et les concepts empiriques ont un schématisme lié à la production d’images mais différent d’elles.
    La synthèse de l’imagination n’a pour but aucune intuition particulière, mais seulement l’unité dans la détermination de la sensibilité. Il faut donc bien distinguer le schème de l’image.
    L’imagination est cette fonction qui permet le tracé de l’objet -de tout objet- comme un, tracé qui enferme toute la diversité particulière. Le schème est la mise en mouvement de l’abstrait et l’imagination, temporelle, se donne dans une série d’actes, d’épisodes.
    Un concept sans intuition est vide. Le schème est une série de phases temporelles enchaînées selon un ordre : < une maison est un creusement, un empilement de pierres, la position d’un toît… Le concept est le schème traduit par le langage abstrait. > ( Michel Alexandre, Lecture de Kant ).
    L’imagination est l’auxiliaire de l’entendement. On ne peut penser une ligne sans la tirer ; on ne peut penser un cercle sans le décrire.
    Les schèmes, intermédiaires entre la sensibilité et l’entendement, procurent ainsi aux catégories leur signification.
    Ils traduisent un « art caché dans les profondeurs de l’âme humaine » .
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  9. Intellectualisme, Phénoménologie et Psychologie positive contemporaines ( Alain, Sartre, Piaget ) :
  10. 1. Alain. Rejet de la réalité et du concept d'< image mentale >.
    Thèse :
    A proprement parler, il n’y a pas d’image mentale. L’imaginaire est une conduite, une attitude du sujet, une fonction de la pensée.
    L’image mentale est une illusion d’image. On s’imagine imaginer.
    L’imagination n’est qu’ un complexe d’émotions et de mouvements du corps. Confusion, pauvreté et ébauches motrices la caractérisent. Alors que penser en vérité, c’est passer du rêve à la perception, de l’imagination à entendement ; c’est s’éveiller.
    *
    Explicitation ( cf La pensée d’Alain , Georges Pascal ) :
  11. L’image est la représentation que nous nous faisons de l’objet en fonction de nos affections actuelles et virtuelles.
  12. La nature de l’image est assez complexe : l’imagination est inséparable de l’entendement car elle est toujours anticipation et jugement ; elle est aussi inséparable du corps ; le jugement d’anticipation a pour objet comme pour point de départ des affections corporelles.
  13. L’entendement, c’est la pensée qui est plus attentive à la nature propre des objets qu’à leurs rapports avec notre corps ; l’imagination, c’est la pensée qui est plus soucieuse des affections corporelles que les objets peuvent engendrer que de leur nature propre.
  14. En conséquence l’imagination est ordinairement  » maîtresse d’erreur et de fausseté  » (Pascal) parce qu’elle est anticipation et liée aux affections corporelles. Toute supposition est possibilité d’erreur, absence d’examen avant le jugement. Imaginer, c’est mal anticiper, c’est supposer ce qui n’est pas.
  15. Ainsi la rêverie est-elle une pensée errante traduisant un détachement de l’esprit à l’égard du monde et un abandon de l’imagination où les choses sont perçues selon l’ordre du sentiment et non pas selon leurs lois. La pensée erre selon les désirs et les craintes sans examen critique. Et la rêverie sur des données réelles bâtit un monde imaginaire.
  16. Sensations, états et mouvements du corps, passions, mouvements de la parole sont les données qui constituent les matériaux des constructions imaginaires.
    Penser selon les mouvements du corps, c’est imaginer. Comme font voir les jeux des enfants. Les attitudes et les affections du corps donnent lieu à des interprétations, qui sont des imaginations et d’autant plus fantastiques que celles-là sont plus vives et plus désordonnées. Imagination et passions sont liées.
    Ainsi c’est un mouvement de passion qui me fait voir la lune plus grosse à son lever. Pourtant je ne la vois pas plus grosse; son apparence est la même à l’horizon et au zénith. Ce que je puis prouver en mesurant cette apparence au réticule. Mais je crois, je m’imagine qu’elle est plus grosse parce que je m’étonne de la voir s’élever parmi les choses. : < c’est mon étonnement qui grossit l’image ; c’est la secousse même de la surprise qui me dispose à un effort inusité. > Vigiles de l’esprit.
    Le désordre corporel engendre un trouble dans nos pensées ; telle est l’imagination errante ou délirante.
  17. Nous ne voyons pas des images comme nous voyons des objets. L’image n’est pas la reproduction inerte et pâle de la chose. L’imagination a le pouvoir de nous rendre présent en quelque façon les objets absents ; mais ce n’est pas parce qu’elle évoquerait les choses absentes, dans l’esprit même, sous forme d’images impalpables.
    *
    L’art et le jugement, deux moyens de sauver et de se sauver de l’imagination.
  18. Et c’est parce qu’il n’y a point d’images que l’art existe : < C’est parce qu’on ne peut feindre des images, qu’on fait des oeuvres. > Vingt leçons sur les Beaux-Arts.
    L’oeuvre, dont la présence est réelle, met un terme à la rêverie en lui donnant un objet. C’est bien une oeuvre d’imagination puisqu’elle exprime des mouvements du corps humain qu’elle est capable de susciter chez le lecteur, l’auditeur ou le spectateur.
    Les images poétiques nous permettent de représenter l’objet en provoquant les affections que nous aurions en sa présence : < Elles visent toujours à produire quelque changement d’attitude et d’affection dans le corps humain, ce qui est la seule manière de faire paraître comme présent un objet absent. >
    Tel est le passage de l’imaginaire à l’imaginé, de la rêverie au sentiment esthétique.
  19. Or ce monde d’objets imaginaires est le premier que nous connaissons ! Et il n’est pas naturel à l’homme de penser le monde en sa vérité. Les pensées d’imagination sont plus faciles que les pensées d’entendement. Et ce n’est que par le jugement que l’homme peut s’éveiller et penser. L’entendement doit surmonter l’imagination ; ce qui est oeuvre de volonté seule apte à nous dégager du rêve, de la sottise de la folie. Et c’est par le doute que nous passons de croire à savoir : < Réfléchir, c’est nier ce que l’on croit >. Propos sur la religion.
    3.2. Husserl et l’intentionnalité.
    Le sujet conscient se rapporte toujours à un objet. La conscience est intentionnelle.
    Toute conscience est acte, manière de viser quelque chose d’extérieur à elle.
  20. Sartre prolongeant Husserl. Substitution du concept de conscience imageante à celui d’image mentale.
    -La négation intellectualiste d’Alain -radicale- de l’image est excessive. Elle est contredite par les données de l’introspection.
    Je peux penser en image une fleur, un chat, une plage… A chaque sens et à chaque individu correspond un régime singulier d’images.
    -Symétriquement, l’atomisme mental associationniste des empiristes est faux.
    Il n’existe ni sensation isolée ni image isolée. La conscience imageante reproduit plus ou moins exactement des ensembles perceptifs ( Sartre retrouve ici les conclusions de la Psychologie de la Forme ).
    Et l’image n’est pas la représentation de la sensation mais de l’objet :
    < c’est une certaine façon qu’a l’objet de paraître à la conscience ou si l’on préfère qu’a la conscience de se donner un objet. >
    -Imaginer un objet, c’est penser à cet objet comme néant.
    Comment s’effectue cette  » néantisation » ?
    En s’appuyant sur une matière par où l’esprit vise l’objet absent. Penser à un objet absent ne se réduit pas à un jugement sur l’absence actuelle de cet objet ( thèse de l’ intellectualisme ); c’est penser à lui à travers une matière, une hylé, jouant le rôle de symbole ( analogon ).
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    L’imagination est donc une conduite ( Jean Piaget ), une activité. Non une somme, une juxtaposition d’images mentales.
    L’empirisme est ainsi retourné. L’imagination n’est plus conçue comme le succédané de la perception. L’imaginaire n’est plus le fantôme, le résidu du réel. C’est une manière de se projeter dans le monde.
    D’où un paradoxe : Si l’imaginaire ne se déduit pas du réel, la perception, quant à elle, ne peut jamais être abstraite de l’imagination !
    Car on ne perçoit jamais le monde tel qu’il est mais tel qu’on est.
    Toute perception est en effet projective ( dans la conscience ne se rencontrent -à proprement parler- ni perceptions, ni souvenirs, ni images ni sentiments ) .
    Tandis que la perception du monde est toujours mêlée d’affects, de désirs, de mythologies…
    -La  » perception authentique  » ( Alain, Eléments de philosophie ) par contre, la perception  » rationnelle », la connaissance ( Lagneau, Brunschvicg, Bachelard ) prétend construire un monde vrai où le < réel > serait un imaginaire surmonté.
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  21. Conséquence : Critique du Bergsonisme et de la thèse du < monde comme métacinéma > ( cf Deleuze, l’image-mouvement )
    Dans Matière et mémoire, Bergson prenait à contrepied la tradition de l’idéalisme critique et refusait d’opposer le mouvement entendu comme réalité physique dans le monde extérieur à l’image comprise comme réalité psychique dans la conscience.
    Confondant ainsi la chose et la perception de la chose, il développait la thèse spéculative d’après laquelle le réel est un ensemble d’images, un < plan lumineux d’immanence, le plan de matière et son clapotement cosmique d’images-mouvement. > ( Deleuze, L’image-mouvement et ses trois variétés ).
    L’esprit était défini comme ensemble d’images et la perception comme une image réfléchie, réfractée par une image vivante, le cerveau, conçu tel un < centre d’indétermination > ( Deleuze ) source d’un univers mental de représentation individuée.
    Objection :
    -La cosmologie spéculative bergsonienne rappelée par G. Deleuze -en rupture avec la tradition de la philosophie réflexive et critique- affirme la réalité ontologique de l’image.
    Qu’elle émane de l’ < univers > ou qu’il s’agisse de sa projection mentale dans l’esprit.
    -Pour la philosophie de la représentation , tout au contraire, l’image perçue n’est pas un « cliché mental  » pas plus que le prétendu < univers > n’est un  » méta-cinéma « .
    Ce ne sont là que des métaphores.
    N ‘existent que des esprits imageants, des singularités ( qui percoivent, qui se souviennent, qui s’abandonnent à la rêverie, qui rêvent, qui fantasment, qui hallucinent… ) baignant dans un cosmos lumineux de… radiations.
    Et pas plus qu’il n’ existe » dans  » la conscience d’images, de perceptions, de sentiments, de souvenirs, encore moins de supposés < souvenirs purs > ( thèse métaphysique de Bergson ), il n’existe d’images extérieures à la conscience.
    Quant aux concepts deleuziens d'< image mouvement >, d'< image-perception >, d'< image- action >, d'< image-affection >, ils doivent être compris comme des opérateurs esthétiques applicables à la seule production cinématographique.
    Les considérer comme signifiant pour des choses en soi les consituerait en êtres de raison ( au sens de Kant ), c’est-à-dire en mythologies spéculatives.
    Pour la tradition de la philosophie de la représentation ( notamment la ‘pataphysique ) l’ < univers > est une réalité nouménale de la raison pure, l’oeil n’est pas dans la chose et l’idée de < métacinéma > est un concept précritique.
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    B. axiologique : valeur de l’image et de l’imagination.
  22. Le rationalisme platonicien et le rationalisme classique ( Descartes, Pascal, Malebranche ), l’intellectualisme ( Lagneau, Alain ) dévalorisent l’imagination :
    -au motif qu’elle n’est qu’une perception affaiblie, pauvre et confuse ( cf selon Descartes, Méditation 6, notre incapacité à présentifier mentalement, à imaginer un polygone complexe dont nous pouvons par contre concevoir la définition sans effort ) ;
    -en tant que traduction des désordres du corps et de l’affectivité;
    -comme puissance de leurre et de divagation. < Ennemie de la raison >, elle est source d’illusions, d’erreurs, de fausses croyances, de préventions, de chimères, de visions ;
    -parce qu’elle génère des erreurs sur les hommes : < On juge sur l’extérieur, sur la mine, non sur le mérite > La Bruyère, Caractères ;
    -parce qu’ elle fonde les impostures sociales : c’est l’instrument des juges ( La Fontaine ), des médecins ( cf Pascal et Molière ), des prêtres et des théologiens ( Spinoza ), des politiques ( Machiavel ) pour mieux mystifier et assurer leur pouvoir ;
    -comme ressort de la publicité et de la propagande, elle suscite préjugés, phobies et guerres…
    *
  23. A la suite du Romantisme et du Symbolisme littéraire et artistique, les surréalistes ont valorisé -souvent avec emphase- l’imagination créatrice.
    -La fantaisie, l’exotisme, la féérie, le fantastique, le théâtre, le roman, la poésie, le rêve sont moyens d’évasion ou de révélation.
    -Elle est censée contribuer au bonheur par la possession virtuelle de plaisirs et de voluptés ordinairement inaccessibles.
    -Principe d’action, elle donne un idéal.
    -Elle enrichit la sensibilité.
    De son côté, Gaston Bachelard a réhabilité philosophiquement dans plusieurs de ses ouvrages l’imagination entendue comme < fonction de l’irréel > , ouverte, évasive, source de création chez l’artiste mais aussi chez le savant, le technicien, le penseur…
    *
  24. La ‘pataphysique analytique prend acte du bien-fondé des critiques rationalistes ; la ‘pataphysique opératoire reconnaît toutefois la valeur de l’imagination entendue comme < puissance combinatoire >.
     » Philosophie du départ « , elle apprécie les fictions, l’ élaboration des < univers supplémentaires > sources de divertissement permettant d’échapper à la banalité du réel et à l’ennui socialisé des représentations convenues.
    Mais quant à expliquer l’énigmatique mécanisme de la genèse des images, elle ne peut qu’avouer son embarras…
    La théorie kantienne des facultés -et plus particulièrement la thèse d’une supposée < subjectivité transcendantale >- aussi précise et puissante soit-elle, alimente sa perplexité ; tandis qu’elle s’interroge sur la pertinence réelle des constructions structuralistes systématiques et universalisantes ( C.G. Jung, Georges Dumézil, Gilbert Durand ).
    Elle les considère comme… d’élégantes et savantes » solutions imaginaires ».
    Tout en s’appuyant sur le concept de < fonction symbolique > ( E. Benvéniste ), elle retient l’hypothèse dynamique du < chaos déterministe > où, indépendamment des facteurs physiologiques, psychologiques et socio-culturels, interviennent les paramètres -pour elle décisifs- de la contingence et du hasard.


C. théologique : le signe ou l’image; iconoclastes et iconodules.
Pour Léon 3, l’empereur de Byzance, l’image n’est qu’un signe dégradé…
Un matin de 736 il dépêche un fonctionnaire pour briser l’effigie d’un Christ en majesté qui se trouvait à la porte de son palais. Il hurle : < je veux un signe, pas une image >. Expliquant son geste sacrilège au pape Grégoire 2, il affirme qu’il est impie et idolâtre de représenter Dieu par < une image aphone et sans vie >.
Anecdote exemplaire qu’il faudrait remettre en perspective.
La querelle < pour ou contre les images > est récurrente. Elle concerna d’autres civilisations, d’autres religions, les Juifs, les Musulmans, les Païens et -à en rester au domaine des discussions esthétiques- jusqu’aux contemporains partisans sectaires de la Figuration/ Non- Figuration…
Ainsi ce qui sépare encore théologiquement les catholiques des protestants, c’est notamment la question du statut des sacrements et de l’image :
Est-elle ou non une < théophanie >?

pata koans
Imaginer, est-ce seulement nier la réalité ?
L’imagination est-elle le refuge de la liberté ?
Faut-il préférer le réel à l’imaginaire ?
Qu’est-ce qu’un objet imaginaire ?
Que peut le vrai contre l’image ?
La connaissance s’interdit-elle tout recours à l’imagination ?
L’invention technique relève-t-elle de la raison ou de l’imagination ?
La recherche de l’objectivité exclut-elle l’appel à l’imagination ?
L’imagination peut-elle s’affranchir de toute contrainte ?
Imaginer, est-ce inventer ?
Imaginer, est-ce seulement combiner ?
Peut-on définir l’imagination comme une  » folie originale et exemplaire  » ?
De quoi l’image est-elle l’image ?
L’image n’est-elle qu’un simulacre ?
L ‘image est-elle connaissance ?
L’image doit-elle nécessairement valoir comme signe ?


REFERENCES ET CITATIONS
Sur l’image.
A. Psychologie.

(…)

  1. < Nous appellerons images des choses, les affections du corps humain dont les idées nous représentent les choses extérieures comme nous étant présentes, même si elles ne reproduisent pas les figures des choses >. Spinoza, Ethique, 2, Prop.17.
  2. < Quand je place cinq points l’un après l’autre, c’est là une image du nombre cinq… L’image est un produit de la faculté empirique de l’imagination productive > Kant, Analytique transcendantale.
  3. < L’image peut être reproduite ( comme rappel d’une intuition empirique passée ), ou produite ( telle l’invention plastique ); elle peut être volontaire ou involontaire ( comme le fantasme du rêve ) ; quoiqu’il en soit, en tant que formation, l’image, ne peut tirer sa matière que des sens. > Rudolf Eisler, Kant-Lexikon.
  4. < On pourra employer divers termes pour l’expliquer, dire qu’elle est un arrière-goût, un écho, un simulacre, un fantôme, une image de la sensation primitive ; peu importe : toutes ces comparaisons signifient qu’après une sensation provoquée par le dehors et non spontanée, nous trouvons en nous un second événement correspondant, non provoqué par le dehors, spontané, semblable à cette même sensation, quoique moins fort, accompagné des mêmes émotions, agréable ou déplaisant à un degré moindre, suivi des mêmes jugements, et non de tous. La sensation se répète, quoique moins distincte, moins énergique et privée de plusieurs de ses alentours. > Taine, De l’intelligence, 2, 1, 1.
  5. < Rien de plus légitime que l’emploi du mot image pour signifier la représentation purement interne d’un objet antérieurement perçu… Ce qui me paraît abus de langage chez M. Taine, c’est d’avoir parlé de l’image d’une sensation. Y a-t-il même en nous reproduction, sous quelque nom que ce soit, de sensations isolées ? Nous pouvons, peut-être et à grand peine, réveiller en nous une ancienne sensation de saveur ou d’odeur ; de son, plus facilement, quand nous nous chantons tout bas un air à nous-mêmes ; de couleur, sans forme colorée, comme un éclair peut-être, mais bien rarement ; de chaud, de froid, de dureté, etc., peut-être aussi mais faiblement. Nous ne cessons au contraire de nous représenter intérieurement, et nous nous représentons souvent avec une extrême vivacité des objets visibles, et là, le mot image, s’applique parfaitement. > J. Lachelier, Communication à A. Lalande.

  6. < … il n’y a point d’images, il n’y a que des objets imaginaires >. Alain, Eléments de philosophie.
    < Beaucoup ont, comme ils disent, dans leur mémoire, l’image du Panthéon, et la font aisément paraître, à ce qu’il semble. Je leur demande alors de bien vouloir compter les colonnes qui portent le fronton. > Alain, Système des beaux-Arts.
  7. < L’image est un acte qui vise dans sa corporéité un objet absent ou inexistant à travers un contenu physique ou psychique qui ne se donne pas en propre, mais à titre de représentant analogique de l’objet visé. > J. P. Sartre, L’imaginaire.
    B. Métaphysique de l’Image, spéculation.
  8. L’archétype.
    < … nous attachons la vie propre des images aux archétypes dont la psychanalyse a montré l’activité. Les images imaginées sont des sublimations des archétypes plutôt que des reproductions de la réalité. Et comme la sublimation est le dynamisme le plus normal du psychisme, nous pourrons montrer que les images sortent du propre fonds humain. Nous dirons donc avec Novalis : < De l’imagination productrice doivent être déduites toutes les facultés, toutes les activités du monde intérieur et du monde extérieur. > Comment mieux dire que l’image a une double réalité : une réalité psychique et une réalité physique. C ‘est par l’image que l’être imaginant et l’être imaginé sont au plus proche. Le psychisme humain se formule primitivement en images. En citant cette pensée de Novalis, pensée qui est une dominante de l’idéalisme magique, Spenlé rappelle que Novalis souhaitait que Fichte eût fondé une  » Fantastique transcendantale ». Alors l’imagination aurait sa métaphysique. > G. Bachelard, La terre et les rêveries de la volonté.
  9. L’image-mouvement.
    < Que se passe-t-il dans cet univers acentré où tout réagi sur tout ?… en des points quelconques du plan apparaît un intervalle, un écart entre l’action et la réaction. … Pour Bergson, l’écart, l’intervalle, va suffire à définir un type d’images parmi les autres, mais très particulier : des images ou matières vivantes…. c’est là que des systèmes clos, des tableaux vont pouvoir se constituer. Les êtres vivants < se laisseront traverser en quelque sorte par celles d’entre les actions extérieures qui leur sont indifférentes ; les autres, isolées, deviendront perceptions par leur isolement même… >. C’est une opération qui consiste exactement en un cadrage. .. On appellera précisément perception, l’image réfléchie par une image vivante. > G. Deleuze, L’image-mouvement, L’image -mouvement et ses trois variétés, passim.
    Sur l’imagination.
    définitions.
    Psychologie de la connaissance.
  10. < L’imagination n’est rien d’autre qu’une sensation en voie de dégradation. > T. Hobbes, Léviathan.
  11. < Elle ( l’imagination ) n’est autre chose qu’une certaine application de la faculté qui connaît au corps qui lui est intimement présent, et partant qui existe… … Je remarque premièrement la différence qui est entre l’imagination et la pure intellection ou conception. Par exemple, lorsque j’imagine un triangle, je ne le conçois pas seulemnt comme une figure composée et comprise de trois lignes mais outre cela je considère ces trois lignes comme présentes par la force et l’application intérieure de mon esprit (… ) cette particulière contention d’esprit dont j’ai besoin pour imaginer montre (… ) la différence qui est entre l’imagination et l’intellection ou conception pure. > R. Descartes, Méditations métaphysiques, 6.
  12. < L’imagination ne consiste que dans la force qu’a l’âme de se former des images des objets, en les imprimant pour ainsi dire, dans les fibres de son cerveau. > N. Malebranche, Recherche de la vérité.
  13. < L’imagination est le pouvoir de se représenter dans l’intuition un objet même en son absence. > E. Kant, Analytique transcendantale.
  14. < L’imagination (…) comme faculté des intuitions hors de la présence de l’objet, est, ou bien productive, c’est-à-dire faculté de présentation originaire de l’objet (…) ; ou bien reproductive, c’est-à-dire faculté de présentation dérivée (…) qui ramène dans l’esprit une intuition empirique qu’on a eue auparavant. > E. Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique.
  15. Schématisme.
    6.1. < Le schème n’est toujours par lui-même qu’un produit de l’imagination, mais comme la synthèse de l’imagination n ‘a pour but aucune intuition particulière, mais seulement l’unité dans la détermination de la sensibilité, il faut bien distinguer le schème de l’image. Ainsi, quand je dispose 5 points les uns à la suite des autres : …., c’est là une image du nombre 5. Au contraire, quand je ne fais que penser à un nombre en général qui peut-être 5 ou 100, cette pensée est la représentation d’une méthode pour représenter une multitude ( par exemple 1000 ) dans une image, conformémént à un certain concept, plutôt que cette image même, qu’il me serait difficile, dans le dernier cas, de parcourir des yeux, et de comparer au concept. Or, c’est cette représentation d’un procédé général de l’imagination pour procurer à un concept son image, que j’appelle le schème de ce concept. Le schème du triangle ne peut jamais exister ailleurs que dans la pensée et il signifie une règle de la synthèse de l’imagination, relativement à des figures pures dans l’espace ; un objet de l’expérience ou une image de cet objet atteint bien moins encore le concept empirique, mais celui-ci se rapporte toujours immédiatement au schème de l’imagination comme à une règle qui sert à déterminer notre intuition conformément à un certain concept général. Le concept de chien signifie une règle d’après laquelle mon imagination peut exprimer en général la figure d’un quadrupède, sans être astreinte à quelque chose de particulier que m’offre l’expérience, ou mieux, à quelque image possible que je puisse représenter in concreto… > E. Kant. Analytique transcendantale.
  16. < Les représentations que nous nous procurons grâce à l’attention sont mises en mouvement par le jeu intérieur de l’imagination dont l’activité consiste à partir de l’intuition d’un objet qui est lié ou qui fut lié au premier d’une manière quelconque ; il n’est pas nécessaire que l’objet auquel l’imagination attache l’image d’un autre soit actuellement présent ; il peut ne l’être que dans la représentation. > G. W. Hegel, Propédeutique philosophique, Introduction, 5.
  17. < Je suppose que nous ne voyons que ce que nous connaissons ; notre oeil s’exerce sans cesse à manier des formes innombrables ; l’image, dans sa majeure partie n’est pas une impression des sens, mais un produit de l’imagination. Les sens ne fournissent que de menus motifs que nous développons ensuite (…) Notre  » monde extérieur  » est un produit de l’imagination qui utilise pour ses constructions d’anciennes créations devenues des activités habituelles et apprises. Les couleurs, les sons sont des fantaisies, qui loin de correspondre exactement au phénomène mécanique réel, ne correspondent qu’à notre état individuel. > Nietzsche.
  18. < Imaginer, c’est toujours penser un objet et se représenter son action possible sur tous nos sens. > Alain, Eléments de philosophie.
    Les quatre types d’imagination.
    < … Toutefois il n’est pas mauvais de distinguer trois espèces d’imagination. D’abord l’imagination réglée, qui ne se trompe que par trop d’audace, mais toujours selon une méthode et sous le contrôle de l’expérience ; telles sont les réflexions d’un policier sur des empreintes ou sur un peu de poussière ; telle est l’erreur du chasseur qui tue son chien. L’autre imagination qui se détourne des choses et ferme les yeux, attentive surtout au mouvement de la vie et aux faibles impressions qui en résultent, pourrait être appelée la fantaisie. Elle ne se mêle point aux choses, comme fait la réglée ; le réveil est brusque alors et total, au lieu que dans l’imagination réglée le réveil est de chaque instant. Enfin l’imagination passionnée se définirait surtout par les mouvements convulsifs et la vocifération. Il existe aussi une imagination réglée, mais en un autre sens, et qui participe des trois, c’est l’imagination poétique… Considérons ici comment le poète cherche l’inspiration, tantôt percevant les choses, mais sans géométrie, tantôt somnolant, tantôt gesticulant et vociférant. D’autres poésies, comme architecture et peinture, prennent plus à l’objet, d’autres, comme la danse et la musique, prennent toute leur matière dans le corps même du sujet… > Alain, Eléments de philosophie.
    Imagination et affectivité.
  19. < Fortis imaginatio generat casum ( Une imagination forte produit l’événement), disent les clercs. Je suis de ceux qui sentent très grand effort ( force ) de l’imagination. Chacun en est heurté mais aucuns en sont renversés. Son impression me perce. Et mon art est de lui échapper non pas de lui résister… > Montaigne, Essais, 1, 21.
  20. < Imagination. – Pouvoir d’être ému par les choses ou les personnes sans qu’elles soient présentes et sur la seule pensée de ce qui a pu arriver. > Alain, Les Arts et les Dieux.
    < C’est mon étonnement qui grossit l’image ; c’est la secousse même de la surprise qui me dispose à un effort inusité. > Alain, Vigiles de l’esprit.
    < La situation de l’esprit humain est telle qu’elle exprime d’abord et toujours les changements et vicissitudes du corps humain, et qu’il n’enchaîne d’abord que selon le mouvement des humeurs, ce qui est imaginer. Mais, secondement, l’esprit humain exprime aussi la nature des choses, pourvu qu’il se délivre, autant que cela se peut, de cet empêchement qui résulte des affections du corps humain, et c’est entendre. > Alain, Idées.
    < Le solide de l’imagination, c’est ce discours à soi qui ne s’arrête guère, cette mimique, ces actions contenues, si bien senties, ce mouvement du sang, ce souffle qui chante et murmure aux oreilles, toutes impressions de soi sur soi, et qui, dans le sommeil, l’emportent aisément sur les faibles actions venues des choses. Et, parce que nos mouvements les changent, nos discours et nos émotions règlent seuls nos pensées. > Alain, Vigiles de l’esprit.
    Esthétique et Métaphysique.
  21. < L’âme ( Geist) , en un sens esthétique, désigne le principe vivifiant de l’esprit. Ce par quoi ce principe anime l’esprit, la matière qu’il applique à cet effet, est ce qui donne d’une manière finale un élan aux facultés de l’esprit, c’est-à-dire les incite à un jeu, qui se maintient lui-même et qui même augmente les forces qui y conviennent. Or je soutiens que ce principe n’est pas autre chose que la faculté de présentation des Idées esthétiques ; par l’expression Idée esthétique j’entends cette représentation de l’imagination qui donne beaucoup à penser, sans qu’aucune pensée déterminée, c’est-à-dire de concept, puisse lui être adéquate et que par conséquent aucune langue ne peut exprimer complètement ni rendre intelligible. – On voit aisément qu’une telle Idée est la contrepartie ( le pendant ) d’une Idée de la raison, qui tout à l’inverse est un concept, auquel aucune intuition ( représentation de l’imagination ) ne peut être adéquate… > E. Kant, Critique du Jugement, § 49, Des facultés de l’esprit qui constituent le génie.
  22. < La forme supérieure de l’imagination, celle qui crée, est au service non point d’états fortuits et de déterminations sensibles mais des idées et de la vérité de l’Esprit, absolument parlant. > G.W. Hegel, Encyclopédie philosophique, 154.

  23. < C’est parce qu’on ne peut feindre des images que l’on fait des oeuvres. > Alain, Vingt leçons sur les Beaux-Arts.
    < La loi suprême de l’invention, c’est que l’on invente qu’en travaillant. > Alain, Système des Beaux-Arts.
    < L’homme d’imagination est peut-être un homme qui ne sait pas se contenter de ce qui est informe, un homme qui veut savoir ce qu’il imagine. > Alain, Vingt leçons sur les Beaux-Arts.
    ( les images poétiques ) < Elles visent toujours à produire quelque changement d’attitude et d’affection dans le corps humain, ce qui est la seule manière de faire paraître comme présent un objet absent. > Alain, Les Idées et les Ages.
  24. < Nous allons (… ) établir une thèse qui affirme le caractère primitif, le caractère psychiquement fondamental de l’imagination créatrice. Autrement dit, pour nous, l’image perçue et l’image créée sont deux instances psychiques très différentes et il faudrait un mot spécial pour désigner l’image imaginée. Tout ce qu’on a dit dans les manuels sur l’imagination reproductrice doit être mis au compte de la mémoire. L’imagination créatrice a de toutes autres fonctions que celles de l’imagination reproductrice. A elle appartient cette fonction de l’irréel qui est psychiquement aussi utile que la fonction du réel si souvent évoquée par les psychologues pour caractériser l’adaptation d’un esprit à une réalité estampillée par les valeurs sociales. Précisément cette fonction de l’irréel retrouvera des valeurs de solitude. > G. Bachelard, La terre et les rêveries de la volonté.
    Valeur
  25. Puissance trompeuse, chimère, divagation.
  26. < Imagination. – ‘est cette partie décevante dans l’homme, cette maîtresse d’erreur et de fausseté, et d’autant plus fourbe qu’elle ne l’est pas toujours ; car elle serait règle infaillible de vérité, si elle l’était infaillible du mensonge. Mais, étant le plus souvent fausse, elle ne donne aucune marque de sa qualité, marquant du même caractère le vrai et le faux… … Cette superbe puissance, ennemie de la raison, qui se plaît à la contrôler et à la dominer, pour montrer combien elle peut en toutes choses, a établi dans l’homme une seconde nature. Elle a ses heureux, ses malheureux, ses sains, ses malades, ses riches, ses pauvres ; elle fait croire, douter, nier la raison ; elle suspend les sens, elle les fait sentir ; elle a ses fous et ses sages : et rien ne nous dépite davantage que de voir qu’elle remplit ses hôtes d’une satisfaction autrement pleine et entière que la raison… … Qui dispense la réputation ? qui donne le respect et la vénération aux personnes, aux ouvrages, aux lois, aux grands, sinon cette faculté imageante ?… … Qui ne voudrait suivre que la raison serait fou au jugement du commun des hommes. Il faut juger au jugement de la plus grande partie du monde. Il faut, puisqu’il lui a plu, travailler tout le jour pour des biens reconnus comme imaginaires, et quand le sommeil nous a délassé des fatigues de notre raison, il faut incontinent se lever en sursaut pour aller courir après les fumées et essuyer les impressions de cette maîtresse du monde… … Nos magistrats ont bien connu ce mystère. Leurs robes rouges, leurs hermines dont ils s’emmaillottent en chats fourrés, les palais où ils jugent, les fleurs de lys, tout cet appareil auguste était fort nécessaire; et si les médecins n’avaient des soutanes et des mules et que les docteurs n’eussent des bonnets carrés et des robes trop amples de quatre parties, jamais ils n’auraient dupé le monde qui ne peut résister à cette montre si authentique. S’ils avaient la véritable justice et si les médecins avaient le vrai art de guérir, ils n’auraient que faire de bonnets carrés ; la majesté de ces sciences serait assez vénérable d’elle-même. Mais n’ayant que des sciences imaginaires, il faut qu’ils prennent ces vains instruments qui frappent l’imagination à laquelle ils ont affaire ; et par là en effet ils s’attirent le respect. Les seuls gens de guerre ne sont pas déguisés de la sorte, parce qu’en effet leur part est plus essentielle, ils s’établissent par la force, les autres, par la grimace… … L’imagination dispose de tout. Elle fait la beauté, la justice et le bonheur, qui est le tout du monde… > B. Pascal, Pensées 82, passim.

  27. 2.1. < Car, si l’on entend ce mot selon l’usage, l’imagination n’est pas seulement, ni même principalement, un pouvoir contemplatif de l’esprit, mais surtout l’erreur et le désordre entrant dans l’esprit en même temps que le tumulte dans le corps. > Alain, Système des Beaux-Arts.
    2.2. < Désordre dans le corps, erreur dans l’esprit, l’un nourrissant l’autre, voilà le réel de l’imagination. > Alain, Système des Beaux-Arts.
    2.3. Imagination perception et jugement.
    < En définissant l’imagination comme une perception fausse on met l’accent sur ce qui importe peut-être le plus. Car on serait tenté de considérer l’imagination comme un jeu intérieur, et de la pensée avec elle-même, jeu libre et sans objet réel. Ainsi on laisserait échapper ce qui importe le plus, à savoir le rapport de l’imagination aux états et au mouvement de notre corps. Le pouvoir d’imaginer doit être considéré dans la perception d’abord, lorsque, d’après des données nettement saisies, nous nous risquons à deviner beaucoup. Et il est assez clair que la perception ne se distingue alors de l’imagination que par une liaison de toutes nos expériences et de toutes nos anticipations. Mais dans la perception la plus rigoureuse l’imagination circule toujours ; à chaque instant elle se trompe et elle est éliminée par une enquête prompte, par un petit changement de l’observateur, par un jugement ferme enfin. Le prix de ce jugement ferme qui exorcise apparaît surtout dans le jeu des passions par exemple la nuit, quand la peur nous guette. Et même dans le grand jour, les dieux courent d’arbre en arbre. Cela se comprend bien ; nous sommes si lestes à juger, et sur de si faibles indices, que notre perception vraie est une lutte continuelle contre des erreurs voltigeantes. On voit qu’il ne faut pas chercher bien loin la source de nos rêveries. > Alain, Eléments de philosophie.
  28. Eloge.
  29. L’imagination ou la source d’une fiction utile : la croyance en l’existence continue des corps.
    < Il est certes évident que, puisque dans la vie courante, nous admettons que nos perceptions sont nos seuls objets et que nous croyons en même temps à l’existence continue de la matière, nous devons expliquer l’origine de cette croyance en fonction de cette supposition. Or, d’après cette supposition, c’est une erreur de penser que l’un quelconque de nos objets ou de nos perceptions soit identiquement le même après une interruption ; par suite l’opinion qu’ils sont identiques ne peut jamais provenir de la raison, elle doit provenir de l’imagination. L’imagination est attirée dans une telle opinion par l’effet de la ressemblance de certaines perceptions : car, trouvons-nous, ce sont seulement nos perceptions semblables que nous avons tendance à supposer identiques. Cette tendance à conférer l’identité à nos perceptions semblables produit la fiction d’une existence continue ; car cette fiction, aussi bien que l’identité, est réellement fausse, de l’aveu de tous les philosophes, et elle n’a d’autre effet que de remédier à l’interruption de nos perceptions, seule circonstance contraire à leur identité. En dernier lieu, cette tendance cause la croyance au moyen des impressions présentes de la mémoire ; car, sans le souvenir des impressions précédentes, manifestement nous ne pourrions jamais croire à l’existence continue des corps > David Hume, Traité de la nature humaine.
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  30. L’imaginaire.
    < … On veut toujours que l’imagination soit la faculté de former des images. Or elle est plutôt la faculté de déformer les images fournies par la perception, elle est surtout la faculté de nous libérer des images premières, de changer les images. S’ il n’y a pas changement d’images, union inattendue des images, il n’y a pas imagination. Il n’y a pas d’action imaginante. Si une image présente ne fait pas penser à une image absente, si une image occasionnelle ne détermine pas une prodigalité d’images aberrantes, une explosion d’images, il n’y a pas imagination. Il y a perception, souvenir d’une perception, mémoire familière, habitude des couleurs et des formes. Le vocable fondamental qui correspond à l’imagination, ce n’est pas image, c’est imaginaire. La valeur d’une image se mesure à l’étendue de son auréole imaginaire. Grâce à l’imaginaire, l’imagination nest essentiellement ouverte, évasive. Elle est dans le psychisme humain l’expérience même de l’ouverture, l’expérience même de la nouveauté. Plus que toute autre puissance, elle spécifie le psychisme humain. Comme le proclame Blake : < l’imagination n’est pas un état, c’est l’existence humaine elle-même.> Gaston Bachelard, L’air et les songes.
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  31. L’image, coeur de la poésie.
    < … Qu’est-ce que l’aurore ? Sujet poétique, éminemment. Non, pas plus que la nuit elle-même. L’aurore est le prélude au surgissement du soleil à l’horizon. C’est tout. Encore qu’elle constitue un des spectacles les plus émouvants que puisse offrir la nature, selon le lieu d’où l’on en est témoin, elle reste un phénomène d’ordre physique quotidien à la contemplation duquel très peu d’hommes d’ailleurs se soucient de sacrifier le moindre instant de leur sommeil. Mais quand le poète a dit : l’aurore aux doigts de rose, là est intervenue la poésie. Là est la clef de toute l’opération poétique. La poésie est uniquement une opération de l’esprit du poète exprimant les accords de son être sensible au contact de la réalité. Entre le rose des doigts et les couleurs d’une aurore tout entière, il y a de la distance et de la marge, d’autant plus qu’aucune forme n’intervient comme soutien. Toutefois, rien ne nous empêche de voir aussi le soleil surgissant comme une main ou un éclatement de pétales de rose. Rien ne nous empêche car le propre d’une image, juste, grande et forte est de permettre et de susciter, de supporter tous les rapports que chacun y pourra découvrir et ajouter de sa propre source. Elle est elle-même source, nourrice de sources, pour ceux qui, bien entendu, ont de leur propre fonds quelque chose à ajouter…. … quand Baudelaire écrit : < Entends ma chère, entends la douce nuit qui marche >, l’acte poétique est scellé. Et comment ? Par l’absurde et l’irrationnel. Précisément, parce que la nuit ne marche pas…
    Mais alors, d’où vient que ce soit seulement cette anomalie de l’absurde qui lui donne la vie ? La justesse. Il n’y a pas d’autre vérité en art, pas plus d’ailleurs qu’en tout autre chose, peut-être, que la justesse. > Pierre Reverdy, Circonstances de la poésie.
    < … Cependant s’il y a dans la poésie quelque chose qui change constamment… il y a aussi quelque chose de constant et qui ne change pas -le mécanisme mystérieux par lequel l’esprit aboutit à l’image. La faculté de saisir, en des objets absolument indépendants l’un de l’autre, séparés de nature et que, dans le sensible, rien ne semblerait devoir jamais rapprocher, des éléments assez justement concordants dans l’esprit pour qu’un troisième terme soit créé qui constitue cette nouvelle réalité intellectuelle propre à satisfaire la sensibilité, qui, seule,n’eût même pas été capable de la discerner -eh bien, cette faculté primitive, c’est elle qu’il faut éclairer pour dégager ce qu’on entend par poésie, fonction ou sentiment poétique. > Pierre Reverdy, La fonction poétique.
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    < Chère imagination, ce que j’aime surtout en toi, c’est que tu ne pardonnes pas >. André Breton, Premier Manifeste du Surréalisme.
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    août 2006
reflets, Escher