ubu4bis2

vers accueil vers ouvroir-de-pataphysique

Le droit, la justice
‘pata koans dissertatifs 
*
Pascal et l’essence de la justice
texte
*
Friedrich A. Hayek et le mirage de la justice sociale
texte
2001 /2006…

LE DROIT, LA JUSTICE. Dans quel but les hommes se donnent-ils des lois ? Aristote : le juste commun et le juste particulier. Pourquoi écrit-on les lois ? Le droit peut-il garantir la liberté ? La punition est-elle la forme légale de la vengeance ? Faut-il parfois désobéir aux lois ? Peut-on en appeler à la conscience contre la loi ? Est-ce la même chose de faire respecter le droit par la force et fonder le droit sur la force ? Peut-on discerner dans les changements du droit un progrès vers la justice ? Que pensez-vous de l’adage : < Que la justice s’accomplisse, le monde dût-il s’effondrer ? ( Fiat Justitia, pereat mundus ). Qu’est-ce qu’un homme juste ?
Pascal et le fondement ontologique de l’injustice : l’attachement ( La morale et la doctrine, Pensées, 471-396 )
Pascal : Texte. La Justice et la raison des effets.

Justice des Anciens et des Modernes ( Homère et Kant )


Dans quel but les hommes se donnent-ils les lois ? Les hommes se donnent ou, plus fréquemment… reçoivent les lois.
Des princes, des prêtres, des philosophes, des juristes, de la coutume…
La < loi > positive est une règle impérative associée à un pouvoir de contrainte. Elle est prescrite par une autorité souveraine dans une société donnée. La loi < naturelle > est présentée comme < inhérente à la nature des choses >. Elle est censée exprimer un < ordre transcendant > : l’ordre de l’être, la nature du cosmos, l’harmonie inscrite dans le monde ( cf le Socrate du Gorgias de Platon ; Aristote, Ethique à Nicomaque, 5, 10. Rhétorique, 1.13 ; Démosthène, second Aristogiton ; le < Logos > de la philosophie stoïcienne, source du cosmopolitisme juridique, Cicéron ). Ou avoir été donnée aux hommes par une autorité divine :
-le < Dieu > mosaïque ; -le < Dieu > chrétien ( droit canon ) source surnaturelle de la doctrine du < droit naturel > et de l’universalisme juridique ( Grotius, Locke, Pufendorf… ) Dans cette perspective, la < Justice > est norme du droit. Et la transgression de la loi apparaît alors plus ou moins comme un… sacrilège. Ainsi :
< Il existe une loi vraie, c’est la droite raison, conforme à la nature, répandue dans tous les êtres, toujours d’accord avec elle-même, non sujette à périr, qui nous appelle impérieusement à remplir notre fonction, nous interdit la fraude ou nous en détourne… Cette loi n’est pas autre à Athènes, autre à Rome, autre aujourd’hui, autre demain, c’est une seule et même loi éternelle et immuable, qui régit toutes les nations ; et en tout temps, il y a pour l’enseigner et la prescrire à tous un dieu unique : conception, délibération, mise en vigueur de la loi lui appartiennent également… > Cicéron, De la république, 3, 22.
La loi naturelle est estimée antérieure et supérieure en droit et dignité à la loi positive établie par les hommes : < Avant qu’il y eût des lois faites, il y avait des rapports de justice possible >, écrit Montesquieu, Esprit des lois, 1.1.

Or, paradoxe ou équivoque sémantique propre à l’idée de < nature > et origine de bien des confusions, le < droit naturel > n’est pas, d’après les philosophes spiritualistes et idéalistes, un droit existant < naturellement >, ou empiriquement, puisqu’il est évident que l’expérience ne traduit habituellement que… l’ordinaire des rapports de force !
Evidence relevée notamment par Spinoza, Traité théologico-politique.
( Contrairement au lieu commun de la sophistique, aux thèses soutenues par Antiphon et par Lycophron, Politique, 3. 9, ou attribuées à Thrasymaque et à Calliclès dans Platon, République1 / Gorgias, pour lesquels les prescriptions de la loi positive sont contraires à la justice naturelle, basée sur la force. Dans cette perspective l’injustice est effectivement la loi de la nature, et la justice le résultat d’un contrat passé entre les hommes ).
Il est pourtant défini par les auteurs chrétiens spiritualistes ( Bossuet ) et l’idéalisme philosophique ( Kant, Hegel… ) comme la < vraie nature > du droit .
Ce n’est pas en effet la < nature > mais < la raison > qui, selon cette tradition, institue le droit et la loi.
Le < droit naturel > ou droit idéal, droit… en Idée, en tant qu’il est conforme à l’autonomie et au respect de la Personne, est stipulé par ces philosophes seul < fondement rationnel > du droit : < … Qu’est-ce que le droit ? seule la raison peut répondre, car elle est l’unique fondement de toute législation possible… Le droit est l’ensemble des conditions sous lesquelles la libre faculté d’agir de chacun peut s’accorder avec la libre faculté d’agir des autres, conformément à une loi universelle de liberté > ( Kant, Doctrine du droit )
La < raison > est ainsi censée corriger la < nature > au nom de la < vraie > nature qui n’est autre que… la < raison >.
Et c’est au nom de ce < droit naturel / rationnel > que sont contestés les < excès > du droit positif et les carences des différents systèmes juridiques institués dans les diverses sociétés.

Dans quel but les hommes se donnent-ils des lois ?
La loi < positive > est :
a) prétention à corriger la spontanéité, la brutalité naturelle, à empêcher les rapports de force interindividuels, la violence.
Elle protège les contrats, règle et garantit les échanges, sanctionne les abus, répare les dommages et les torts.
b) formalisation factuelle de la coutume, ajustement des codes aux moeurs ; elle suit alors l’évolution des us, des pratiques et des goûts ; elle contribue à l’ordre et à la paix sociale.
c) effet de la production par les juristes, à la demande du corps social ( ou à leur instigation, pour paraître, pour affirmer leur propre prééminence… ), de textes, de constitutions, de chartes, de règlements…
d) règle imposée par telle individualité ou tel groupe afin d’asseoir son pouvoir sur la Cité, l’Urbs, la Commune, la Société civile, la Communauté internationale…

Substitution de < l’état du droit > à la violence afin de < corriger la nature >, clarification de ce qui est permis et de ce qui est défendu, adaptation du droit au fait, sanction d’un rapport de forces ou simple caprice établissant des autorisations, des interdits et des contraintes, tels sont les buts ordinaires pour lesquels les hommes se donnent ou reçoivent les lois.
Sans oublier la licence que donne à certains la < loi > pour exercer légitimement leur malveillance, harceler et persécuter en toute légalité…
*
N.B. Sur une fiction utile : On remarquera le rôle normatif joué ici par le concept si équivoque et si problématique de < nature >.

Note. Aristote, le juste commun ( koinos ) et le juste particulier ( idios )

  1. Ethique à Nicomaque, 5.10.
    < La justice naturelle elle-même est de deux espèces, l’une naturelle et l’autre légale. Est naturelle celle qui a partout la même force et ne dépend pas de telle ou telle opinion ; légale, celle qui à l’origine peut-être indifféremment ceci ou cela, mais qui, une fois établie, s’impose : par exemple, que la rançon d’un prisonnier est d’une mine, ou qu’on sacrifie une chèvre et non deux moutons, et en outre toutes les dispositions législatives portant sur des cas particuliers, comme par exemple le sacrifice en l’honneur de Brasidas et les prescriptions prises sous forme de décrets. Certains sont d’avis que toutes les prescriptions juridiques appartiennent à cette dernière catégorie, parce que, disent-ils, ce qui est naturel est immuable et a partout la même force ( comme c’est le cas pour le feu qui brûle également ici et en Perse ), tandis que le droit est visiblement sujet à variations. Mais dire que le droit est essentiellement variable n’est pas exact d’une façon absolue, mais seulement en un sens déterminé. Certes, chez les dieux, pareille assertion n’est peut-être pas vraie du tout ; dans notre monde du moins, bien qu’il existe aussi une certaine justice naturelle, tout dans ce domaine est cependant passible de changement ; néanmoins on peut distinguer ce qui est naturel et ce qui n’est pas naturel. Et parmi les choses qui ont la possibilité d’être autrement qu’elles ne sont, il est facile de voir quelles sortes de choses sont naturelles et quelles sont celles qui ne le sont pas mais reposent sur la loi et la convention, tout en étant les unes et les autres sujettes au changement. Et dans les autres domaines, la même distinction s’appliquera : par exemple, bien que par nature la main droite soit supérieure à la main gauche, il est cependant toujours possible de se rendre ambidextre. Et parmi les règles de droit, celles qui dépendent de la convention et de l’utilité sont semblables aux unités de mesure : en effet, les mesures de capacité pour le vin et le blé ne sont pas partout égales, mais sont plus grandes là ou l’on achète, et plus petites là où l’on vend. Pareillement les règles du droit qui ne sont pas fondées sur la nature mais sur la volonté de l’homme, ne sont pas partout les mêmes, puisque la forme du gouvernement elle-même ne l’est pas, alors que cependant il n’y a qu’une seule forme de gouvernement qui soit partout naturellement la meilleure. >
  2. Rhétorique, 1, 13, 2.
    < … La loi particulière est celle que chaque collection d’hommes détermine par rapport à ses membres, et ces sortes de loi se divisent en : loi non écrite et loi écrite. La loi commune est celle qui existe conformément à la nature. En effet, il y a un juste et un injuste, communs de par la nature, que tout le monde reconnaît par une espèce de divination, lors même qu’il n’y a aucune communication, ni convention mutuelle.
    C’est ainsi que l’on voit l’Antigone de Sophocle déclarer qu’il est juste d’ensevelir Polynice, dont l’inhumation a été interdite, alléguant que cette inhumation est juste, comme étant conforme à la nature.
    Ce devoir ne date pas d’aujourd’hui ni d’hier, mais il est en vigueur de toute éternité, et personne ne sait d’où il vient.
    Sophocle, Antigone, v.450.
    Pareillement Empédocle, dans les vers suivants, s’explique sur ce point qu’il ne faut pas tuer l’être animé ; car ce meurtre ne peut-être juste pour certains et injuste pour certains autres.
    Mais cette loi générale s’étend partout le vaste éther et aussi par la terre immense>

pourquoi écrit-on les lois ? Reçue des dieux ( cf les Tragiques grecs ) ou de Dieu ( cf tradition abrahamique des trois religions du Livre ), expression de l’ordre du monde ( Sophocle, Platon, Aristote, Démosthène, Cicéron ), la < Loi naturelle > est ressentie comme manifestation du < sacré >.
On l’inscrit sur les parchemins, on la grave dans la pierre, on la porte, on l’adore…
L’Epiphanie de la < Parole > amène les hommes au fétichisme du < Texte >.
Code Hammourabi, Tables mosaïques, Lois vénérées par le Socrate du Criton en sa célèbre platonicienne prosopopée…
Et jusqu’au frisson mystique :
< Le ciel étoilé au dessus de ma tête et la loi morale dans mon coeur >, épitaphe inscrite sur la tombe de Kant…

La loi positive, établie par les hommes qui édictent le < juste > et l’ < injuste >, est loi écrite.
-Pour des raisons de commodité pratique, afin de permettre à l’occasion des jugements de justice une référence indiscutable dégagée de l’arbitraire des interprétations contingentes.
-Pour susciter la déférence, le respect, voire la crainte… de quiconque ne se satisfait pas de règles dont l’origine peut sembler arbitraire, qui peuvent paraître dénuées de fondement et qui, pour ce motif, peuvent être et sont effectivement contestées.
Alors qu’à l’opposé, il en est d’autres pour lesquels le < Code > vaut comme une bible…

L’agnostique, le sceptique relèvent les difficultés soulevées par la théorie du < droit naturel > et la fragilité de la loi positive.
La < loi naturelle > -stipulation théologique à prétention universelle ( saint Paul, Thomas d’Aquin )- est tirée de textes dont le sens, la valeur et la portée sont soumis à interprétation, sujets à polémique et donc à caution ( cf les problèmes soulevés par l’exégèse critique de la Bible ).

L'< ordre du monde >, l'< harmonie du Cosmos > ( Platon, Cicéron ) et la nécessité de l’intégration de l’homme dans la cité comprise comme image de cette harmonie ne sont que de pures spéculations.
Parce qu’elles sont conventionnelles, changeantes, diverses et mutables, relatives à l’époque, aux circonstances et au sentiment de la vie de ceux qui les établissent, il n’existe pas de critères objectifs, de métalangage incontestable permettant de justifier les lois positives.
L'< ordre juridique > ( cf Kelsen, Doctrine pure du droit ), c’est-à-dire la < hiérarchie des normes > – principes, lois, décrets, et autres règlements- est, de fait, dépourvu de fondement. Incontournable puisque nécessaire à la bonne marche des sociétés, il est malgré tout… injustifiable.
C’est là le talon d’Achille du < positivisme juridique > pourtant si soucieux de < scientificité > et soutenu par la plupart des juristes.
Les lois ne sont de fait que des < ordres de contrainte >.
Elles sont écrites dans le but de renforcer l’ordre et le conformisme social, de décourager la désobéissance civile… la sécurité du citoyen étant assurée, ainsi que l’affirmait Montesquieu, par la < bonté des lois criminelles > ( Esprit des lois, 12, 2 ).
Mais au sens propre, il n’y a pas de < phénomènes juridiques >, il n’y a qu’une < interprétation juridique des phénomènes > ( Nietzsche ) dont la force est la seule caution, la crédulité et la crainte des prétendus « sujets de droit » les conditions de réception.
Quoiqu’en pensent les prêtres, la plupart des philosophes, des magistrats et des juristes… Les hommes de lois et de la < Loi >.
( C’est pourquoi les positivistes assoient leur < système de normes > ( Kelsen ) sur l’hypothèse d’un prétendu < contrat social > qui n’a jamais existé ; ou d’une < norme fondamentale > tout aussi irréelle ; ou… sur l’intervention de la force publique -bien réelle celle-ci…
Mais si le droit n’a pour origine que la volonté des hommes, pourquoi seraient-ils tenus de la respecter ? )
Quant à l’idée de < droit naturel > -au sens kantien de < droit de la raison >-, le libre esprit conteste sa pertinence et la considère comme une fiction, une pure et simple superstition ( Cf Max Stirner, l’Unique et sa propriété, Sandomir, Testament )
Il n’ y a pas d’écriture sainte…

Le droit peut-il garantir la liberté ? < Droit > est le substantif de l’adjectif latin directus, droit, ce qui est conforme à une règle, regula.
Sur quelle règle la liberté peut-elle être fondée ?
-< Dans l’état de nature, état de guerre de chacun contre chacun, tous les hommes ont un droit sur toutes choses et même sur le corps des autres >, écrit Hobbes, Léviathan, 14.
Le destin des individus dépend des rapports de force et la justice n’est que le droit du plus fort ( cf Platon République 1, intervention de Thrasymaque ).
Dans le même sens < le droit naturel de chaque homme est donc déterminé non par la saine raison, mais par le désir et la puissance >, prolonge Spinoza reprenant Machiavel: < A supposer donc qu’un individu, considéré comme soumis au seul règne de la nature, juge la possession d’un certain bien avantageuse pour lui, peu importe qu’il se guide sur la seule raison ou qu’il soit emporté par la violence de ses sentiments. Il peut convoiter ce bien d’un souverain droit de nature et s’en emparer de quelque manière que ce soit, par la force, par la ruse ou les prières, en un mot par le procédé qui lui paraîtra le plus aisé. Il peut en conséquence, aussi traiter en ennemi quiconque voudrait l’empêcher de réaliser son dessein… la loi d’institution naturelle sous laquelle tous les hommes naissent et, pour la plupart, vivent, n’interdit aucune action, à l’exception de celles que nul ne désirerait ni ne pourrait accomplir. Elle ne répugne ni aux luttes, ni aux haines, ni à la colère, ni aux tromperies, ni absolument à quoi que ce soit, susceptible d’être suggéré par la convoitise >
Et encore : < Par droit ou loi d’institution naturelle, je désigne tout simplement les règles de la nature de chaque type réel, suivant lesquelles nous concevons chacun d’entre eux comme naturellement déterminé à exister et à agir d’une certaine manière. Par exemple, les poissons sont déterminés, par leur nature, à nager et les plus gros à manger les petits ; en conséquence, les poissons sont maîtres de l’eau, et les plus gros mangent les petits, d’après un droit naturel souverain > Spinoza, Traité des Autorités théologiques et politiques Ch. 16.

-Dans < l’état civil >, par contre, l’obligation juridique se subordonne la liberté naturelle.
Et le droit positif garantit < les libertés civiles > en protégeant l’individu devenu < citoyen > de toute la puissance incitative, dissuasive et répressive de l’Etat.
L’obligation juridique contraint en effet les hommes à se modeler extérieurement aux exigences des lois.
Les sociétés modernes affirment < l’ état de droit >, exigent de leurs membres qu’ils conforment leurs relations à autrui à un ordre juridique déterminé -le système des lois- sous peine de sanction.
La contrainte s’exerce par des institutions d’après des procédures elles-mêmes réglées par le droit. Elle peut s’adjoindre -et elle s’adjoint habituellement- l’appoint de l’éducation.
Ici la < loi > détermine et lie ; loi et droit diffèrent toutefois comme l’obligation et la liberté ( l’autorisation ).
Le < droit > consiste dans la < liberté autorisée > de faire une chose ou de s’en abstenir, de l’exiger, de la posséder. Le sujet, au sens juridique, a le droit de… a un droit à… a un droit sur…

L’idéalisme philosophique ( Grotius, Locke, Montesquieu… Kant, Doctrine du droit ) postule que la < raison > est l’unique < fondement > de toute législation positive possible. Selon cette vision le < droit naturel > -expression de la < nature rationnelle > de l’homme- < fonde > les rapports égalitaires des < personnes > entre elles. Il affirme le caractère sacré de la liberté de conscience, des droits de l’individu à la sécurité et à la propriété.
En conséquence, toute action sera déclarée juste -conforme au droit- qui peut être conciliée avec la liberté de l’individu.
Ainsi le fondement de tout droit est-il pour Kant le droit inné < droit unique, originaire, que chacun possède par cela seul qu’il est homme >, c’est-à-dire la liberté naturelle inhérente à chaque homme et inviolable.
Le < principe de liberté > est ainsi le principe supérieur du droit.

Certains toutefois contestent cette… métaphysique du droit .
D’autres récusent le républicain < pacte social > d’association ( Hobbes, Locke, Rousseau… ) imposé ou ne l’acceptent que formellement, extérieurement.
Ils refusent d’abandonner leur liberté naturelle ( au sens empirique du terme ) pour des droits civils octroyés qu’ils jugent n’être pas à la hauteur du sacrifice à consentir pour… la paix et la sécurité, dans la < dépendance sociétaire >.
( D’où la suite d’égalités : Droit ( positif ou naturel/rationnel ) =institution / superstition=mystification=persécution… )
Seules l’ intelligence, la résolution, les capacités, l’expérience constituent les ressources de ces < réfractaires >. Dans leur for intérieur… hors la loi dans l’état de droit, il leur faut compter sur leurs propres forces. A leurs risques et périls… Mais alors, leur liberté -qui se moque du droit- n’est plus un < droit >. Elle est leur < propriété >.
Attitude esthétique réfractaire et anomique théorisée par Max Stirner ( l’Unique et sa propriété ) et Ernst Jünger ( l’Anarque, Eumeswil )

La punition est-elle la forme légale de la vengeance ? Punir, c’est frapper d’une peine, c’est infliger une sanction.
Le droit pénal définit la hiérarchie des peines indexées à l’importance des contraventions, des délits et des crimes, aux innombrables manquements, négligences < coupables > et autres infractions à la loi.

La peine afflictive est-elle une vengeance ?
Venger, c’est rendre à quelqu’un l’offense qu’il a occasionnée en le châtiant ; se venger, c’est réparer une offense en punissant son auteur.
Dans son esprit, l’institution judiciaire ne venge pas ; elle < sévit > : elle intervient pour réparer les dommages et les torts causés aux plaignants, pour faire respecter la loi, afin de défendre les intérêts généraux de < la Société > dont le fondement contractuel a été bafoué par l’infraction, l’acte délictueux.
Elle exerce un < ministère public > dont à l’audience l’Avocat général est -dans ses réquisitions- le Représentant.
Formellement, la condamnation a pour fin de réprimer la transgression pour l’exemple, de corriger la faute, et, par l’expiation, de < redresser > le coupable qu’on tient pour amendable.
Psychologiquement, extorquer publiquement l’aveu, éveiller la honte, provoquer le remords, susciter le repentir, répondre à l’attente du plaignant en lui donnant le < sens > espéré par les réponses à ses questions… tels sont les buts avoués de la procédure, du jugement et de la punition légale.
-Plaignant qui par ailleurs jouit de la délectation procurée par un dédommagement… en affects.
Car que demande la victime ? Elle demande < réparation > : on lui a fait tort ; elle a souffert ; elle exige la contrepartie de la souffrance éprouvée en équivalent-douleur infligé au coupable.
La punition -châtiment corporel, amputation des biens, annulation de la liberté de déplacement, incarcération …- signifie mutilation de l’intégrité physique et morale du condamné.
Et la < peine > infligée, la souffrance réparatrice accompagne pour la victime la délivrance d’un insupportable fardeau.
Le prétoire est le lieu de la circulation d’affects spécifiques souvent dissimulés où l’équivalent-douleur -ainsi qu’ une monnaie vivante- permet l’échange, la circulation et la satisfaction des fantasmes entre les différentes parties.
L’univers de la justice présente ainsi une modalité… libidinale.

Telle est la logique du soulagement, du désir satisfait… par le plaisir que procure, au terme de la procédure, le jugement -avec le bénéfice et la caution de la légalité.

La vengeance ( justice-dette ) est la logique des sociétés archaïques réglée par la < loi du talion >.
Le christianisme commande le < pardon > qu’il substitue à la peine.
Attitude mystique qui outrepasse le droit.
La métaphysique rationaliste ( Kant, Hegel ) prétend par la punition rappeler le délinquant à la < dignité de ses devoirs > ( Hegel, Propédeutique philosophique, Philosophie du droit )
Loin d’être une vengeance masquée, elle lui ferait paradoxalement < honneur > en le ramenant dans la < communauté humaine >, la < société du droit >.
Alors que Montesquieu ( Esprit des lois, 12, 2. ), considérant que < la liberté politique consiste dans la sûreté ou dans l’opinion qu’a de sa sûreté le citoyen >, assignait à la < bonté des lois criminelles > le fondement de cette liberté.
Tandis que le soupçon nietzschéen / torméen ne décèle dans la punition légale qu’une stratégie de < culpabilisation > et d’injection de la < mauvaise conscience > par où l’homme social, < la bête de troupeau >, se protège notamment des < grandes individualités >, des < êtres d’exception > qui le menacent et qui l’effraient ( cf dans ce sens les thèses de Calliclès dans Platon, Gorgias, les analyses de Sade, de Stirner, de Darien )

Faut-il parfois désobéir aux lois ? La loi est effet de < l’ordre juridique > ( Kelsen, Doctrine pure du droit ) Elle est contrainte, elle est normative, impérative, prescriptive.
Désobéir, c’est refuser d’écouter ( ob-audire ).
La < désobéissance > est synonyme d’ < infraction >.
L’institution sévit, sanctionne et punit. En toute légalité, ici synonyme de < légitimité >.
Les lois peuvent être élevées à une dignité quasi mystique ( cf Platon, Criton, Prosopopée des Lois d’Athènes ) qui interdit de les transgresser.
Dans cette hypothèse, le < Souverain > -quel que soit le régime politique- peut aller jusqu’à demander au citoyen de lui sacrifier sa vie ( ainsi Rousseau, Contrat social, 2, 4. )…

Pourquoi désobéit-on aux lois ?

-selon la théologie chrétienne, par orgueil ; ainsi Lucifer, le « porteur de lumière  » déchu après sa révolte contre Dieu…
-par ignorance, bien que, selon l’adage, nul ne soit : < censé ignorer la loi > ;
-par forfanterie ;
-par idéologie. On prétend substituer un ordre légal stipulé plus < juste > en référence à une utopie déclarée plus rationnelle que l’ordre établi formalisé par le droit ( attitude du  » demi-habile » selon Pascal ) ;
-parce qu’elles sont jugées en elles-mêmes mal conçues, défectueuses, inadéquates, obsolètes, contestables voire < illégitimes > bien que se présentant comme < légales >.
Le pouvoir qui les impose est déclaré incompétent… ou corrompu, arbitraire ou frivole…
On entre alors dans la problématique de la < désobéissance civile > réfléchie par John Locke ( cf Premier et Second Traités… ), justifiée par Hobbes dès lors que l’arbitraire du Souverain contredit absolument le < droit naturel > des sujets ( cf Léviathan )
Le < droit naturel > se fait ainsi juge du < droit positif >. Il en est appelé à la < conscience > contre la loi.
D’où la justification d’un < droit de révolte >.

Le mysticisme religieux entre parfois en conflit avec la loi et son soutien politique. La loi de César n’est point celle de < Dieu >… L’impératif de < charité > se subordonne alors la légalité ; l’ordre spirituel, l’ordre temporel… Pascal, mystique et critique, jugeant que la loi positive est en fait « injustifiable » puisque sans fondement -et que la force seule en est la source-, conseillait de déférer aux < grandeurs d’établissement >, tout en conservant < la pensée de derrière >. C’est-à-dire la conscience de l’irréductible… irrationalité des lois humaines, toujours conventionnelles, effets de la crédulité, de la coutume, de la force et / ou de l’arbitraire. Par prudence… Car :
< … ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste >
( La justice et la raison des effets, Pensées, 5, 298-103)

Le libre esprit ne peut que cautionner cette attitude de simple bon sens.
L’homme peut changer les lois, il semble qu’il ne puisse cependant… se passer de lois.
Vérité qu’il convient de ne jamais oublier quand on souhaite faire son chemin dans le monde…

Peut-on en appeler à la conscience contre la loi ?

Est-ce la même chose de faire respecter le droit par la force et fonder le droit sur la force ? Problème technique ( recherche d’une solution pratique ) et question philosophique ( recherche du fondement ). Deux investigations distinctes. La loi étant contrainte sur les corps et les esprits, assurer l’ordre politique et social suppose presque nécessairement pour le < Souverain >, quel qu’il soit, la nécessité de s’assurer le concours de la force.
Police, Magistrature, Propagande, Education, instruction civique… sont donc convoquées à cette fin.

< Fonder le droit sur la force > est une réponse assez banale à la question académique de la légitimité du Pouvoir, de la loi et de la justice.
Ainsi Rousseau critiquait-il cette thèse, habituellement qualifiée par la < belle âme > ( Hegel ) de réalisme cynique, au motif que la force est une puissance physique et qu’aucune moralité ne pourrait résulter de ses effets ( Contrat social, 1, 3 ).

Argument auquel Pascal avait néanmoins, indirectement et comme par avance, répondu, arguant que le droit a toujours pour < origine > une < usurpation > introduite sans < raison > -donc sans fondement- mais devenue avec le temps < coutumière > donc …. « raisonnable » et assez généralement acceptée par la passivité et la crédulité des populations :
< Montaigne a tort : la coutume ne doit être suivie que parce qu’elle est coutume, et non parce qu’elle soit raisonnable ou juste ; mais le peuple la suit par cette seule raison qu’il la croit juste… > Pensées, La Justice ou la raison des effets, 325-525, passim.
Vérité qu’il convient de cacher aux peuples -qui ne doivent évidemment pas connaître la réalité de l’ < usurpation > -… n’étant < pas susceptibles de cette doctrine > :
< Il serait donc bon qu’on obéît aux lois et aux coutumes parce qu’elles sont lois ; qu’il (le peuple ) sût qu’il n’y en a aucune vraie et juste à introduire, que nous n’y connaisssons rien, et qu’ainsi il faut seulement suivre les reçues : par ce moyen on ne les quitterait jamais. Mais le peuple n’est pas susceptible de cette doctrine ; et ainsi, comme il croit que la vérité se peut prouver, et qu’elle est dans les lois et les coutumes, il les croit, et prend leur antiquité comme une preuve de leur vérité ( et non de leur seule autorité sans vérité ). Ainsi il y obéit ; mais il est sujet à se révolter dès qu’on lui montre qu’elles ne valent rien ; ce qui se peut faire voir de toutes, en les regardant d’un certain côté. > Pensées, 325-525, passim.
En résumé, la < Justice > étant en quelque sorte… inaccessible,  » hors » la loi, la loi n’a ni fondement ni justification mais seulement une double origine ( du côté des Pouvoirs : l’usurpation, la force ; du côté des Dupes : la coutume et l’imagination ).
La perspicacité de Pascal substituait ainsi la généalogie à la métaphysique, la démystification au fétichisme et à la crédulité.

Peut-on discerner dans les changements du droit un progrès vers la justice ?

< Justice > signifie vertu et institution.
Elle est également notion, devenue Idée de la raison pure pratique, valeur ( cf la Doctrine du droit d’Emmanuel Kant )

Les variations du droit positif manifestent les changements qui affectent les moeurs, le sentiment de la vie, les coutumes des peuples et des nations dont il est la traduction. En tant que tel, il est une expression de la < culture > ainsi que l’enseignaient le fondateur de l’école allemande du droit historique Friedrich von Savigny et Ostwald Spengler, Déclin de l’Occident.
En conséquence, on ne saurait parler d’un < progrès > du droit positif, excepté dans un sens purement technique affectant la rédaction des codes, des réglements et des constitutions ou encore la précision et la rigueur de la procédure.
Ainsi pour Marx aussi bien que pour Nietzsche, le droit n’est qu’un < fait contingent >, une façon d’appréhender et de formaliser les relations sociales.

A l’opposé, le droit naturel / rationnel, prétendument universel, absolument… spéculatif, est caractérisé par son a/temporalité.
-Il affirme le < fondement absolu > et pose que les droits < naturels >, liberté de conscience, de circulation, de propriété… n’ont pas à être fondés. Antérieurs à toute loi, ils seraient pour ainsi dire consubstantiels à l’individu ( cf Pufendorf, Barbeyrac, Burlamaqui )
La juridiction positive ne peut donc les contredire sauf à être déclarée injuste ; mais elle doit elle-même être fondée. Le droit positif, l’autorité civile et les lois promulguées doivent ainsi trouver leur légitimité dans le droit naturel-rationnel.
Théologique ou philosophique, le droit prétend juger de la pertinence des lois en les ramenant à la Norme qui en serait < le Juge >, la Justice.
Ainsi du < Tribunal de la raison > selon Hegel, Philosophie du droit dont la doctrine se proposait de suivre < l’Odyssée de l’Esprit > parmi ses incarnations historiques successives…
< Histoire du monde, tribunal du monde >, répétaient, enthousiastes, ses disciples -et jusqu’à Kojève…
Mais existe-t-il quelque chose comme < un monde > ? Quelle est la pertinence du concept spéculatif d’ < histoire universelle > ?
Et quel statut concret assigner à la < raison > juchée sur son perchoir ?
Problème classique affectant la valeur de tout métalangage : < de quoi > parle-t-on, < qui > en parle ? et < d’où > parle-t-on de ce dont on parle ?

Que pensez-vous de l’adage : < Que la justice s’accomplisse, le monde dût il s’effondrer > ? ( Fiat Justitia, pereat mundus )

Négation de la prescription ( délai au delà duquel l’action publique s’éteint en matière de poursuites et de sanctions pénales ) habituellement justifiée par :
-des considérations techniques ( l’impossibilité de réunir des témoins fiables ou disparus, effacement des éléments de preuve… );
-des considérations politiques, assurer la paix civile en évitant de raviver les passions, de réchauffer les vieux conflits, les vieilles haines.

Mais aussi maxime de Prophète, de Visionnaire, d’Idéologue, de Puritain…Unilatéralisme réducteur et despotisme judiciaire qui subordonnent la marche du monde, l’histoire des hommes, et jusqu’au sacrifice, à une norme, une Idée devenue idole qui confère sens, réalité et valeur à toute existence, à … l'< humanité >.
Mysticisme justicialiste, inquisiteur voire persécuteur… dont il n’est pas interdit de penser qu’il relève du simple dérangement mental.
Dis-moi qui tu adores, je te dirais qui tu… hais.

Qu’est-ce qu’un homme juste ?
Pascal et le fondement ontologique de l’injustice : l’impossible attachement.
( La morale et la doctrine, Pensées, 471-396 )
Question socratique…
-Dans son utopie politique, la République, Platon caractérise la < justice > comme l’équilibre en l’homme des vertus de l’intelligence, du courage et de la tempérance.
La cité juste est celle des < hommes justes >.
A l’opposé, la démocratie et la tyrannie sont définies par l’intempérance et les passions mal gouvernées.
-Théologiquement, est dit < juste > celui dont les actes et les paroles ne contreviennent pas aux Commandements divins ( Loi mosaïque, coranique ) ou à l’impératif de l’ < amour du Prochain >, celui qui a reçu la < justification de la grâce > ( Christianisme )
-D’une manière moins spéculative, séculière, est déclaré ordinairement < juste > celui qui observe le droit.
Un < homme juste > en est un dont la conduite est réglée par la loi, loi naturelle -< équitable > en toutes circonstances conformément à la justice idéale-, ou loi positive en usage.
Car la < justice > est à la fois une notion -une idée régulatrice, un idéal-, et une vertu.
Si elle est selon Proudhon < le respect spontanément éprouvé et réciproquement garanti de la dignité humaine, en quelque personne et en quelque circonstance qu’elle se trouve comprise, et à quelque risque que nous impose sa défense >, elle est également et plus prosaïquement une institution, < l’appareil judiciaire >.
Et il faut supposer chez ceux et celles dont la fonction est de < rendre la justice >, les magistrats, qu’ils soient eux-mêmes des < hommes justes >, vertueux, intégres, irréprochables, disponibles et compétents…

Exigence déontologique et obligation éthique.
< Juger son prochain > est en effet, on le concédera, une mission fort délicate, tout autant qu’une bien lourde responsabilité… que certains n’hésitent pas à assumer…
Cependant que l’exercice de la justice n’est pas sans rencontrer quelques difficultés… en particulier l’ épineux problème du < sujet / référent > des procès et des audiences : < qui > juge-t-on ?…

Difficultés que Pascal, avec son sens du paradoxe, n’avait pas manqué de relever… en pointant l’inévitable < tromperie > qui minerait les relations humaines et notamment les promesses et les engagements :
< Il est injuste qu’on s’attache, quoiqu’on le fasse avec plaisir et volontairement. Je tromperais ceux à qui je ferais naître ce désir, car je ne suis la fin de personne et n’ai de quoi les satisfaire. Ne suis-je pas prêt à mourir ? Et ainsi l’objet de leur attachement mourra. Donc comme je serais coupable de faire croire une fausseté, quoique je la persuadasse doucement, qu’on la crût avec plaisir, et qu’en cela on me fît plaisir, de même, je suis coupable si je me fais aimer, et si j’attire les gens à s’attacher à moi…. >
La morale et la doctrine, Pensées, 471-396.

Page qui ne manquera pas de surprendre l’esprit naïf, le positiviste et l’homme < de bonne volonté >…
En substance : on ne peut s’attacher ni exiger d’autrui qu’il s’attache à un être mortel…
Un homme < juste > serait donc, selon Pascal, un homme… délibérément dégagé de tout lien, délié de toute promesse car conscient de la finitude de toute créature et au fait de < l’illusion ontologique > de la permanence de la substance, source de toute affection et de tout jugement !
Promesse qu’en effet, pas plus qu’un autre et en toute rigueur, il ne saurait tenir.
Car il n’y aurait jamais < rien > à < tenir >, au motif d’un réel -moi-même ou autrui-, contingent, inconsistant, instable, précaire, aléatoire, imprévisible, vulnérable, enfin mortel et sur lequel nul ne saurait faire fond :
< Un homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants, si je passe par là, puis-je dire qu’il s’est mis là pour me voir ? Non ; car il ne pense pas à moi en particulier ; mais celui qui aime quelqu’un à cause de sa beauté, l’aime-t-il ? Non : car la petite vérole, qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu’il ne l’aimera plus. Et si on m’aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m’aime-t-on moi ? Non, car je puis perdre ces qualités sans me perdre moi-même. Où est donc ce moi, s’il n’est ni dans le corps ni dans l’âme ? et comment aimer le corps ou l’âme, sinon pour ces qualités, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu’elles sont périssables ? car aimerait-on la substance de l’âme d’une personne abstraitement et quelques qualités qui y fussent ? Cela ne se peut et serait injuste. On n’ aime donc jamais personne mais seulement des qualités. > ( 323-688 )
Ainsi rien n’ < étant > véritablement ou ne possédant d’essence ou de < nature >, < rien > ne serait à posséder, < rien > ne pourrait être engagé.
Et il n’y aurait donc de relation partagée que dans le fantasme et l’aveuglement…
Tout nous échappe… et l’ < attachement > est impossible, faute d’objet, sinon par mensonge délibéré, ce qui serait une < injustice > faite à autrui, ou par illusion, ce qui serait une sottise.

Il n’y aurait donc pas de manière plus raisonnable de définir la < justice > que par l’ effort de se < détacher > des affections d’autrui, et, inversement, de prétention plus insensée et aussi plus < injuste > que de chercher à l’aimer ou à en être aimé.
Evidence qui ne peut guère séduire les peuples…
En conséquence, pour les mêmes raisons, l’ < homme juste > selon Pascal, ne peut que s’abstenir, de la prétention exorbitante de < juger autrui > !

Projet pourtant aussi banal qu’insensé, traduisant le désir les hommes d’assurer la paix civile et de réguler par la loi leurs relations sociales.
Mais projet reposant toutefois sur une manière d’illusion collective, illusion ontologique, dont l’institution judiciaire serait, sans même le savoir, le théâtre et le vecteur…
Car on ne saurait ni jurer ni… juger de < rien >…
*
-Dans le même ordre d’idées, cf Proust et ses analyses de la jalousie.


Pascal, la justice et la raison des effets < … Sur quoi la fondera-t-il, l’économie du monde qu’il veut gouverner ? Sera-ce sur le caprice de chaque particulier ? quelle confusion ! Sera-ce sur la justice ? il l’ignore. Certainement, s’il la connaissait, il n’aurait pas établi cette maxime, la plus générale de toutes celles qui sont parmi les hommes, que chacun suive les moeurs de son pays ; l’éclat de la véritable équité aurait assujetti tous les peuples, et les législateurs n’auraient pas pris pour modèle, au lieu de cette justice constante, les fantaisies et les caprices des Perses et Allemands. On la verrait planter par tous les Etats du monde et dans tous les temps, au lieu qu’on ne voit rien de juste ou d’injuste qui ne change de qualité en changeant de climat. Trois degrés d’élévation du pôle renversent toute la jurisprudence ; un méridien décide de la vérité ; en peu d’années de possession, les lois fondamentales changent ; le droit a ses époques, l’entrée de Saturne au Lion nous marque l’origine d’un tel crime. Plaisante justice qu’une rivière borne ! Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà. Ils confessent que la justice n’est pas dans ces coutumes, qu’elle réside dans les lois naturelles, connues en tout pays. Certainement ils le soutiendraient opiniâtrement, si la témérité du hasard qui a semé les lois humaines en avait rencontré au moins une qui fût universelle ; mais la plaisanterie est telle, que le caprice des hommes s’est si bien diversifié, qu’il n’y en a point. Le larcin, l’inceste, le meurtre des enfants et des pères, tout a eu sa place entre les actions vertueuses. Se peut-il rien de plus plaisant, qu’un homme qui ait droit de me tuer parce qu’il demeure au-delà de l’eau, et que son prince a une querelle contre le mien, quoique je n’en aie aucune avec lui ? Il y a sans doute des lois naturelles ; mais cette belle raison corrompue a tout corrompue : < Il n’y a plus rien qui soit nôtre; ce que j’appelle nôtre est oeuvre de convention > (Montaigne/Cicéron) ; < C’est en vertu des senatus-consultes et des plébiscites qu’on commet des crimes > (Sénèque) ; < Autrefois nous souffrions de nos vices, aujourd’hui nous souffrons de nos lois > (Tacite).
De cette confusion arrive que l’un dit que l’essence de la justice est l’autorité du législateur, l’autre la commodité du Souverain, l’autre la coutume présente ; et c’est le plus sûr : rien, suivant la seule raison, n’est juste de soi, tout branle avec le temps. La coutume fait toute l’équité, par cette seule raison qu’elle est reçue ; c’est le fondement mystique de son autorité. Qui la ramène à son principe l’anéantit . Rien n’est si fautif que ces lois qui redressent les fautes ; qui leur obéit parce qu’elles sont justes, obéit à la justice qu’il imagine, mais non pas à l’essence de la loi ; elle est toute ramassée en soi ; elle est loi et rien d’avantage. Qui voudra en examiner le motif le trouvera si faible et si léger, que, s’il n’est accoutumé à contempler les prodiges de l’imagination humaine, il admirera qu’un siècle ait tant acquis de pompe et de révérence. L’art de fronder, bouleverser les Etats, est d’ébranler les coutumes établies, en sondant jusque dans leur source, pour marquer leur défaut d’autorité et de justice. < Il faut, dit-on, recourir aux lois fondamentales et primitives de l’Etat, qu’une coutume injuste a abolies.> C’est un jeu sûr pour tout perdre ; rien ne sera juste à cette balance. Cependant le peuple prête aisément l’oreille à ces discours. Ils secouent le joug dès qu’ils le reconnaissent ; et les grands en profitent à sa ruine, et à celle de ces curieux examinateurs des coutumes reçues. Mais, par un défaut contraire, les hommes croient quelquefois pouvoir faire avec justice tout ce qui n’est pas sans exemple. C’est pourquoi le plus sage des législateurs disait que, pour le bien des hommes, il faut souvent les piper ; et un autre, bien politique : < Comme il ignore la vérité qui délivre, il lui est bon d’être trompé. > (Montaigne). Il ne faut pas qu’il sente la vérité de l’usurpation ; elle a été introduite autrefois sans raison, elle est devenue raisonnable ; il faut la faire regarder comme authentique, éternelle et en cacher le commencement, si l’on ne veut qu’elle ne prenne bientôt fin. >
Pensées, 5. 294.

Pascal, penseur chétien, penseur mystique, penseur du Politique…

Homme de foi, il ne reprend aucune des superstitions ordinaires que se partagent les philosophes.
Lucide, il ne confère aucune intelligibilité aux idées de justice, de loi, de tradition, de progrès.
L’idée de < droit naturel > n’a aucun fondement.
Pascal rejoint ainsi Machiavel et Montaigne.

Il n’ y a pas de justice rationnelle ni de pouvoir légitime. Tout se résout à la force et aux rapports de force. La politique se ramène au pouvoir et à la lutte pour le pouvoir.
La force est première, l’imagination est seconde, comme simulacre et simple appoint d’une mystification.
Le tout fait la farce…
Et en politique, il ne s’agit aucunement d’avoir < raison > mais seulement de posséder la force.
Reste que la loi et la coutume sont néanmoins nécessaires à l’ordre social.
Pourtant le peuple ne se peut passer du mirage de la justice alors que la justice est le mirage même…
L’erreur serait donc de prétendre à le désabuser.

La < Justice > ? la force qui se soutient par l’imagination et la coutume, dans l’illusion, la chose du monde la mieux partagée.
Mais la justice est néanmoins… une réalité qui se résoud aux textes, à la procédure, à la jurisprudence ; et il n’ y a de droit que… positif.
Cependant que l’espoir d’un meilleur régime possible, d’une cité idéale et de « bonnes lois » est nécessairement vain.
Car, dans cette perspective marquée par le Jansénisme, le < péché > est originel…


Friedrich Hajek et le mirage de la justice sociale. Droit, législation et liberté, 1976.
< Affirmer que dans une société d’hommes libres ( en tant que distincte de toute forme d’organisation contraignante) le concept de justice sociale est strictement vide et dénué de sens, paraîtra tout à fait incroyable à la plupart des gens. Ne sommes-nous pas tous constamment gênés de voir combien la vie traite injustement les diverses personnes, comment les méritants souffrent et les déméritants prospèrent ? N’avons-nous pas tous le sentiment de quelque chose de convenable, n’éprouvons-nous pas de la satisfaction, quand nous reconnaissons qu’une récompense est appropriée à l’effort fourni et au sacrifice consenti ? (… ) Nos récriminations à propos de résultats du marché dits injustes n’affirment pas vraiment que quelqu’un a été injuste ; et il n’y a pas de réponse à la question : qui donc a été injuste ? La société est simplement devenue la nouvelle divinité à qui adresser nos plaintes et réclamer réparation si elle ne répond pas aux espoirs qu’elle a suscités. Il n’y a ni individu, ni groupe d’individus coopérant ensemble, à l’encontre de qui le plaignant aurait titre à demander justice, et il n’y a pas de règle de juste conduite imaginable qui, en même temps procurerait un ordre opérationnel et éliminerait de telles déceptions. (… ) La < justice sociale > ne peut avoir de signification que dans une économie dirigée ou commandée ( par exemple une armée) où les individus se voient commander ce qu’ils ont à faire ; et n’importe quelle variante de < justice sociale > ne pourrait être réalisée que dans un tel système dirigé du centre >


Questions…
Faut-il plaindre ceux dont les mérites ou les efforts ne sont pas récompensés ?
Ce qui n’est pas mérité peut-il ne pas être injuste ?
Le marché est-il injuste ?
Faut-il choisir entre la justice sociale et la liberté politique ?
Le concept de < justice sociale > est-il vide de sens ?
 
Octobre 2005