ubu312

vers accueil

vers ouvroir-de-pataphysique

leibniz revisité ou le labyrinthe de patasophie

traduction/divertissement

< Pauvre fou ! Seras-tu ingénu au point de croire que nous te cachons hypocritement le plus grand et le plus important des secrets ? Je t’assure que celui qui parviendra à expliquer selon le sens ordinaire et littéral des mots ce qu’écrivent les ‘pataphilosophes, il se trouvera dégagé des méandres d’un Labyrinthe d’où il ne pourra certes pas s’enfuir, bien qu’il possède le fil d’ariane qui le guide pour s’en virtuellement évader >
La Sibylle pataphysique,
Eclats
**
Notice relative au Labyrinthe de Patasophie.
 1. Circonstances de la publication.
Le Labyrinthe de Patasophie est une manière de synthèse de quelques études attribuées à Béranger l’Aquatintien, Vidame des Rèmes, esprit original et des plus choisis parmi les Maîtres de la ‘Pataphilosophie.
L’ouvrage dans un premier temps rédigé en latin se présente comme un essai de traduction ‘pataphysique de la Monadologie de G.W. Leibniz,. Il fut composé en 19.., à l’ occasion d’ un séjour de l’Optimate dans les Terres d’Ardennes lors de l’investiture de leur diocésain Episcope.
Très ( trop ? ) conscient de la valeur du Texte qui lui fut alors confié, le Vicaire de Meuse ensevelit le Manuscrit dans le coffre blindé d’une banque hélvétique à Lausanne où il avait ouvert un compte à numéros. Et à la manière de Fafner, le wagnérien dragon veillant jalousement sur son trésor, il n’en accordait la lecture et même l’accès qu’aux Optimates de la Fraternité de Patagonie soucieux d’ en prendre connaissance.
< Il conserve l’ ouvrage, écrivait Ragnar O ‘Pata à Jeanne de La Tysse, comme les prêtres de Naples gardent le sang de saint Janvier. Il le fait admirer puis il le referme dans la salle des Coffres !… >
Le Labyrinthe de Patasophie ne fut pas publié du vivant de l’Episcope. Patadelphe le Patagon l’exposa en langue vulgaire et quelques exemplaires circulèrent sous le manteau alimentant les rumeurs et favorisant l’inévitable apparition de faux et de souterrains apocryphes.
Soucieuse de couper court aux fantaisies, conjectures et autres supputations, souhaitant restituer dans son authenticité la pensée de l’Optimate, la Commission des Sources, des Publications et des Faux s’est donc résolue à porter à la connaissance de la Fraternité de Patagonie ces quelques Pages dont la notoriété et la qualité ‘pataphysique sont administrativement attestées.
**

  1. Analyse.
    Le Labyrinthe de Patasophie ne saurait servir d’introduction à l’ étude de la ‘Pataphysique. Il suppose au contraire un lecteur déjà versé dans les matières de la ‘Patasophie. A un tel lecteur il suggère l’absence de point de vue idéal où il faudrait se placer pour voir l’ubunivers pataphysique sous son jour manifeste et dans sa diversité.
    Donner un résumé de cette vaste synthèse serait une entreprise injustifiée.
    Il est toutefois possible d’en indiquer le cadre et les lignes génératrices exprimées dans le style -il est vrai-, assez elliptique de l’ensemble.
    Et pour ce faire il semble judicieux de recourir à la langue plus accessible des communes ontologies et épistémologies du 20 siècle ( ainsi d’ après Russell / Serres / Atlan / Deleuze / Prigogine et Stengers… ).
    L’ubunivers en sa syntaxe :
  2. Les Mondes accessibles à la perception humaine offrent une apparence de multiplicité dénuée d’une quelconque harmonie.
    Nul < Englobant >, nul < Premier fondement >, point de < Finalité intégratrice >… seule demeure aujourd’hui comme hier la dispersion.
    L’ idée de Cosmos – Idée spéculative, vision poétique ou simple hallucination-, n’a donc aucun référent empirique.
  3. Les Singuliers et Particuliers ou coalescences éphémères, les Singuparticuliers, dérivent, comme suspendus, soumis aux aléas de la communication, à la dialectique de la continuité et de la discontinuité.
    3.1. L’échange est la matrice qui définit continuellement l’émergence locale de topologies, champs, réseaux, systèmes précaires mettant en correspondance ici et maintenant choses, états de choses, mélanges de choses et relations entre les choses.
    Sur le plan d’immanence la circulation est le grand ordinaire.
    3.2. Au sein de l’ubunivers des relations et des échanges, sous l’effet d’ incompréhensibles quoique fort explicables accidents, la circulation généralisée suscite ainsi des tourbillons locaux -vortex, ordres éphémères d’information, de stabilité aléatoire, d’équilibre momentané.
    La discontinuité génératrice de désordre et d’instabilité permet ainsi l’ émergence de structures, d’organisations, de réseaux. L’accidentel est facteur d’innovation. La complexité est fonction de l’écart, du clinamen.
  4. Pour comprendre ces réseaux tels qu’ils ne sont pas, il faut alors s’efforcer d’en discerner les détails et accepter de s’égarer ainsi que de se perdre dans leur hétérogénéité.
  5. C’est pourquoi il n’ est pas en notre pouvoir de parvenir à un Point de vue supérieur, à un point de vue aussi voisin que possible de celui du Dieu des philosophes ou du Démiurge des gnoses et autres littératures religieuses.
    Et l’occultisme, naïve croyance à une < réalité suprasensible secrète > mais accessible aux pratiques de l’alchimie et de l’astrologie comme au bric à brac de l’ésotérisme, aux vaticinations du spiritisme ou encore de la théosophie, n’est que chimère et nostalgie du Sens.
    Il est désir et vision d’Unité, de Totalité, de Systématicité, de Rationalité et d’ Intelligibilité… grandiloquents concepts d’un Plan et d’un Secret, cosmique Complot pour hallucinés.
    Telles sont les catégories de la conscience opérative superstitieuse et inquiète.
  6. De leur côté les ubunivers particuliers, sociaux-économiques, financiers, politiques, juridiques, éthiques… n’échappent pas aux implications de la logique de l’émergence inductrice des cycles, des circuits et des passages.
    Embrayeuse de mobilités, d’informations et d’architectures variées, d ‘antichaos, elle remet continûment et simultanément en question la stabilité des réseaux, l’ équilibre des organisations institutionnelles et administratives, la pérennité du gouvernement des hommes et de l’administration des choses ainsi que la logique des hiérarchies.
    Elle est intrinsèquement, en permanence et en impermanence, puissance révolutionnaire.
    **
    Le Labyrinthe de Patasophie dévoile cette incompréhensible et irréductible contingence et sa portée, de même qu’ il révèle le caractère éminemment ‘pataphysique des virtualités notionnelles patasophiques, les fictions conceptuelles, qui s’ efforcent d’ en rendre compte.
    Trois moments composent le mouvement d’exposition du texte :
  7. -Les Particuliers et Singularités ou encore selon la terminologie de l’ Episcope, l’ ontologie de la < Singuparticularité > ( du § 1 au § 36 )
  8. -Le Sans-nom ( du § 37 au § 48 )
  9. -L’Ubunivers concu dans sa cause qui est le Sans-nom ( du § 49 au § 90 )
    On notera la démarche d’abord ascendante, qui va des Particuliers / Singuliers au Sans-nom ; puis descendante, allant du Sans-nom aux Particuliers / Singuliers.
    La méthode employée est donc successivement régressive et progressive.

  1. Du Singuparticulier.
    1.1. Sa nature.
    1.1.1. Du point de vue interne.
  2. Le Singuparticulier, dont nous parlons ici, n’est autre chose qu’une coalescence complexe qui entre dans la composition des composés ; complexe c’est-à-dire entité fonctionnelle de variables.
    1.2. Du point de vue externe. ( § 1.2. § 1.7. )
  3. Et il faut qu’il y ait des Singuparticuliers, puisqu’ il y a des composés; car le composé n’est autre chose qu’un amas ou agrégat de Singuparticuliers.
  4. Or là où il n’y a point de parties, il n’y a ni étendue ni figure, ni divisibilité possible; et ces Singuparticuliers sont les véritables mais passagers éléments de la nature et en un mot les vrais atomes des choses, états de choses, choses et mélanges de choses.
  5. La dissolution est leur horizon, et il n’y a rien de plus concevable que la contingence par où un simple Singuparticulier puisse périr naturellement.
  6. Par la même raison il en est une par laquelle le simple Singuparticulier peut commencer naturellement, puisqu’il est lui aussi formé par composition.
  7. Ainsi on peut dire que les Singuparticuliers ne sauraient commencer par création ; c’est-à-dire ils ne sauraient commencer que par composition et finir que par décomposition, en même manière que ce qui est composé commence ou finit par parties. Ils naissent du croisement de séries causales rationnellement dépendantes ( causalité ) ou indépendantes ( hasard / absence de finalité ) les unes des autres.
  8. Il est aisé d’expliquer comment un Singuparticulier peut être altéré ou changé en son intérieur par quelque autre entité, puisqu’on peut transposer, concevoir en lui tout mouvement interne qui peut être excité, dirigé, augmenté ou diminué, comme cela se peut dans les composés où il y a du changement entre les parties.
    Les Singuparticuliers ne sont que portes et fenêtres par lesquelles quelque chose ne cesse d’entrer ou sortir. Soumis à la tutelle objective des attracteurs les flux d’information se distribuent parmi eux et en eux en réseaux, connexions, interférences. Ils communiquent, s’ entre-expriment et se traduisent incessamment.
    Ainsi, à reprendre le langage archaïsant des Scolastiques, substances et accidents pénètrent constamment du dehors dans tout Singuparticulier.
    1.3. Du point de vue interne. ( § 8. § 17. )
  9. Cependant il faut que les Singuparticuliers présentent certaines qualités, autrement ce ne serait pas même des êtres. Et si les simples ne différaient point par leurs qualités il n’y aurait point de moyen de s’apercevoir d’aucun changement dans les choses, puisque ce qui est dans le composé ne peut venir que des ingrédients simples ; et les Singuparticuliers étant complexes de qualités sont distinguables les uns des autres, puisque aussi bien ils diffèrent en quantité; et, par conséquent, le vide étant supposé, chaque lieu reçoit toujours par le mouvement autre chose que l’équivalent de ce qu’il recélait.
    Et un état des choses est ainsi discernable d’ un autre.
  10. Il faut également que chaque Singuparticulier soit différent de chaque autre ; car il n’y a jamais dans la nature deux êtres qui soient parfaitement l’un comme l’autre, et où il ne soit possible de trouver une différence interne ou fondée sur une dénomination intrinsèque.
  11. Je prends aussi pour accordé que tout Singuparticulier est sujet au changement et même que ce changement est constitutif dans chacun.
  12. Il s’ensuit de ce que nous venons de dire, que les changements naturels des Singuparticuliers viennent tout autant de connexions internes que de causes externes influant dans son intérieur. Réseaux, champs, interférences, traduction communiquent ces métamorphoses aux Singuparticuliers distribués sur le plan d’immanence à la manière des notes réparties sur les portées d’un nombre indéfini de partitions.
  13. Mais on constate aussi, qu’outre le principe du changement il y a une expression de ce qui change, qui fait pour ainsi dire la spécification et la variété des êtres.
  14. Cette expression enveloppe une multitude dans l’unité ou dans le simple; car tout changement naturel se faisant brusquement ou par degrés, quelque chose change et quelque chose reste, et par conséquent il y a dans le simple une pluralité d’ affections et de rapports dans la mesure où il a des parties.
  15. L’état passager qui enveloppe et représente une multitude dans l’unité ou dans le Singuparticulier n’est autre chose que ce qu’on appelle la perception, qu’on doit distinguer de l’aperception ou conscience réfléchie, comme il paraîtra dans la suite ; et c’est en quoi les freudiens ont fort manqué, ayant compté pour représentations les soi-disant perceptions dont on ne s’aperçoit pas. C’est aussi ce qui nous permet d’affirmer que les seuls esprits sont les Singuliers, et qu’il n’ y a point de conscience réfléchie des bêtes ; ce qui nous fait poser la thèse d’ un mode mental entièrement séparé et confirme les esprits avisés dans l’opinion de l’annihilation inéluctable des Singularités.
  16. L’action des connexions internes, qui fait le changement ou le passage d’une perception à une autre, peut être appelée effort : il est vrai que l’effort ne saurait toujours parvenir entièrement à toute la perception où il tend, mais il en obtient toujours quelque chose, et parvient à des perceptions nouvelles.
  17. Nous expérimentons en nous-mêmes une multitude de représentations dans la Singularité, lorsque nous trouvons que la moindre pensée dont nous nous apercevons, enveloppe une variété dans l’objet. Ainsi, tous ceux qui reconnaissent que le psychisme est une fonction complexe, doivent reconnaître cette multitude dans le Singuparticulier.
  18. On doit constater d’ailleurs que la perception, et ce qui en dépend, est en partie inexplicable par des raisons mécaniques, c’est-à-dire par les figures et par les mouvements ; et, feignant qu’il y ait une machine dont la structure fasse penser, sentir, avoir perception, on pourra la concevoir agrandie en conservant les mêmes proportions, en sorte qu’on y puisse entrer comme dans un moulin. Et cela posé on ne trouvera, en le visitant au dedans, que des pièces qui se poussent les unes les autres, et jamais de quoi expliquer une perception. Ainsi, c’est dans le psychisme du Singuparticulier dans sa totalité qu’il la faut chercher. Aussi peut-on trouver les perceptions et leurs changements dans le Singuparticulier. C’est en cela que peuvent consister toutes les actions internes des Singuparticuliers.
  19. Les Singuparticuliers : Leurs degrés de perfection. ( § 18. § 37. )
    2.1.
  20. On ne pourra donner -à user du vocabulaire de la tradition-, le nom d’entéléchies aux Singuparticuliers empiriques, car ils ont en eux une certaine imperfection, une insuffisance qui ne peut les rendre sources absolue de leurs actions internes et qui les constitue pour ainsi dire en échangeurs corporels et incorporels.
  21. Si nous voulons appeler Psychisme tout ce qui a perceptions et appétits dans le sens général que je viens d’expliquer, toutes les coalescences ou Singuparticuliers composant le monde vivant pourraient être appelées Psychismes ; mais, comme le sentiment est quelque chose de distinct qu’une simple perception, je consens que le nom général de Psychisme suffise aux Singuparticuliers ne possédant que cela, et qu’on appelle Entendements seulement ceux dont la perception est plus distincte et accompagnée de réflexion.
  22. Car nous expérimentons en nous-mêmes un état où nous ne nous souvenons de rien et n’avons aucune perception distinguée, comme lorsque nous tombons en défaillance ou quand nous sommes accablés d’un profond sommeil sans aucun songe. Dans cet état l’Entendement ne diffère point sensiblement du simple Psychisme; mais comme cet état n’est point durable et qu’il s’en dégage, il est quelque chose de plus.
  23. Et il ne s’ensuit point qu’alors la coalescence vivante soit sans aucune sensation. Cela ne se peut pas même, par les raisons susdites; car elle ne saurait périr, elle ne saurait aussi subsister sans quelque affection, qui n’est autre chose que sa sensation ; mais quand il y a une grande multitude de petites informations où il n’y a rien de distingué, on est étourdi; comme quand on tourne continuellement d’un même sens plusieurs fois de suite, où il vient un vertige qui nous peut faire évanouir et qui ne nous laisse rien distinguer. Et la mort peut donner cet état pour un temps aux animaux.
  24. Et comme tout présent état d’une coalescence vivante est parfois une suite de son état précédent, tellement, que le présent y est quelquefois gros de l’avenir ;
  25. Donc puisque, réveillé de l’étourdissement, on s’aperçoit de ses représentations, il arrive qu’on en ait eu immédiatement auparavant, quoiqu’ on ne s’en soit point aperçu; car une représentation peut provenir naturellement d’une autre représentation, comme un mouvement naît naturellement d’un mouvement.
    Les états psychiques n’ont donc pas leur raison suffisante dans l’ état précédent et il convient souvent de recourir à des connexions extérieures pour expliquer ce qui se passe dans le Psychisme.
  26. L’on voit par là que si nous n’avions rien de distingué, et pour ainsi dire de relevé et d’un plus haut goût dans nos perceptions, nous serions toujours dans l’étourdissement. Et c’est l’état des Psychismes rudimentaires.
  27. Aussi voyons-nous que le déterministe chaos de l’évolution a donné des perceptions relevées aux animaux, par les soins qu’il a pris de leur fournir des organes qui ramassent plusieurs rayons de lumière ou plusieurs ondulations de l’air pour les faire avoir plus d’efficace par leur union. II y a quelque chose d’approchant dans l’odeur, dans le goût et dans l’attouchement, et peut-être dans quantité d’autres sens qui nous sont inconnus. Et j’expliquerai tantôt comment ce qui se passe dans le psychisme représente ce qui se fait dans les organes.
  28. La mémoire fournit une espèce de consécution aux psychismes, qui imite l’ Entendement mais qui en doit être distinguée. C’est que nous voyons que les animaux ayant la perception de quelque chose qui les frappe, et dont ils ont eu perception semblable auparavant, s’attendent, par la représentation de leur mémoire, à ce qui y a été joint dans cette perception précédente, et sont portés à des sentiments semblables à ceux qu’ils avaient pris alors. Par exemple, quand on montre le bâton aux chiens, ils se souviennent de la douleur qu’ il leur a causée et crient et fuient.
  29. Et l’ imagination forte qui les frappe et meut, vient certes ou de la grandeur ou de la multitude des perceptions précédentes mais aussi de la puissance propre au psychisme qui fonctionne pour lui même. Ce que n’ont point aperçu les Freudiens. Cependant souvent une impression forte fait tout d’un coup l’effet d’ une longue habitude ou de beaucoup de perceptions médiocres réitérées.
  30. Les hommes agissent comme les bêtes, en tant que les consécutions de leurs perceptions ne se font que par le principe de la mémoire. Nous sommes empiriques dans la quasi- totalité de nos actions. Par exemple, quand on s’attend qu’ il y aura jour demain, on agit par routine, parce que cela s’ est toujours fait ainsi jusqu’ ici. Mais l’astronome en juge par pronostic ou loi fonctionnelle et statistique.
  31. Néanmoins la connaissance de soi-disant vérités nécessaires et éternelles est une prétention qui nous distinguerait des simples animaux et nous ferait avoir l’illusion de la Science, en nous élevant à la Vision de nous-mêmes et de Dieu; et c’est ce qu’on appelle en nous délire spéculatif et parfois hallucinatoire ou vésanie.
  32. Ce n’est que par la connaissance des vérités empiriques et de leurs symboles que nous nous élevons aux actes réflexifs et de métalangages, qui nous font penser à la fiction de ce qui s’appelle moi. Et c’est ainsi qu’en pensant à nous, nous pensons aux pataconcepts de devenir, de fonction, de composé, d’ interférence, de réseau, de matière / énergie et finalement de Sans-nom, en concevant que ce qui est borné en nous, est en lui sans bornes. Et ces actes réflexifs fournissent les objets principaux de nos raisonnements.
  33. Nos raisonnements sont fondés sur deux grands principes, celui de la contradiction, en vertu duquel nous jugeons faux ce qui en enveloppe, et vrai ce qui est opposé ou contradictoire au faux.
  34. Et celui de la raison insuffisante, en vertu duquel nous considérons que tout fait se peut trouver vrai ou existant, toute énonciation véritable, sans qu’il y ait une raison suffisante pourquoi il en soit ainsi et non pas autrement.
  35. II y a aussi deux sortes de proposition dites vraies, celle du raisonnement logique et celle qui porte sur les faits. Les vérités de logique sont contingentes car déduites des conventions choisies par le logicien et leur opposé est impossible ; et les vérités de fait sont elles aussi contingentes et leur opposé est possible. Quand une vérité est logique, on en peut trouver la preuve par l’analyse, la résolvant en vérités plus simples, jusqu’ à ce qu’on vienne aux primitives.
  36. C’est ainsi que chez les mathématiciens les théorèmes sont ramenés par l’analyse aux définitions, axiomes et demandes.
  37. Et il y a enfin des idées simples dont on donne la définition; il y a aussi des axiomes et demandes ou en un mot des principes primitifs, qui ne sauraient être prouvés et n’en ont point besoin aussi, et ce sont les énonciations identiques, dont l’opposé contient une contradiction expresse.
  38. Mais la raison insuffisante se trouve dans les vérités contingentes ou de fait, c’est-à-dire dans la suite des réseaux des Singuparticuliers, où la résolution en propositions particulières peut aller à un détail borné, nonobstant la variété immense des choses de la nature et la division des coalescences apparemment indéfinie. Il y a un nombre déterminé de figures et de mouvements présents et passés qui entrent dans la connexion efficiente de mon écriture présente, et il y a une quantité définie de petites inclinations et dispositions de mon psychisme présents et passées qui entrent comme connexion finale dans mes intentions.
  39. Et comme tout ce détail enveloppe d’autres contingents antérieurs ou plus détaillés, dont chacun a encore besoin d’une analyse semblable pour l’expliquer, on n’en est certes que plus avancé, et il n’ est point de raison suffisante ou dernière qui soit hors de la suite ou séries de ce détail des contingences, quelque indéfini qu’il pourrait être.
    *
     2. Le Sans-nom. ( § 38. § 48. ) 
    2.1. Son existence ( § 37. § 45.)
  40. Et c’est ainsi qu’aucune dernière raison des choses ne peut être dans une soi-disant substance nécessaire, où le détail des changements affectant et constituant le Singuparticulier serait éminemment, comme dans la source. Et nous appelons Sans-nom l’inconcevable et pour nous autres inépuisable marge, ce qui échappe à toute espèce d’investigation et de dénomination.
  41. Or, ce plan d’immanence aux bords indéfinis étant une raison insuffisante de tout ce détail lequel aussi est habituellement lié localement, il n’ y a au regard de notre inconnaissance qu’un Sans-nom, et ce Sans-nom suffit.
  42. Mais on ne peut juger aussi que ce Sans-Nom soit unique, universel et nécessaire, n’ayant rien hors de lui qui en soit indépendant, et étant une suite simple de l’être actuel, soit capable ou incapable de limites, contenir et ne pas contenir tout autant de réalités qu’il est possible.
  43. D’où il s’ensuit que le Sans-nom n’est ni parfait ni imparfait ; la perfection et l’ imperfection se disant des Singuparticuliers et n’étant autre chose que la grandeur de la réalité positive prise précisément, en prenant en compte les limites ou bornes dans les choses qui en ont. Et là où il n’ y a pas de bornes empiriquement constatables ni la perfection ni l’ imperfection n’ont de réalité et de sens.
  44. Il s’ ensuit aussi que les Singuparticuliers ont leurs (im)perfections de la dépendance du Sans-nom, et qu’ils tirent également leurs (im)perfections de leur nature propre, incapable d’être sans bornes, car c’ est en cela que, distribués sur le plan d’immanence, ils sont liés en réseaux, connexions, interférences et ondes de communications au Sans-nom.
  45. Il est vrai aussi que le Sans-nom est le milieu des existences et coexistences mais certes pas celui de soi-disant essences, en tant que réelles ou de ce qu’ il y aurait de réel dans la possibilité et l’actuel : c’est parce que la stupidité du Sans-nom vaut pour Ascience sempiternelle, et qu’ avec lui il n’ y a rien de réel que les Singuparticuliers actuels.
  46. Ainsi il n est aucunement nécessaire qu’il y ait une quelconque réalité dans de soi-disant essences ou possibilités, ou bien dans de soi-disant vérités éternelles, et que cette réalité soit fondée en quelque chose d’existant et d’ actuel, et par conséquent dans l’existence d ‘un être supposé nécessaire, dans lequel l’essence renfermerait l’existence ou dans lequel il suffirait d’ être possible pour être actuel.
  47. Ainsi le Sans-nom a cette proprieté de paraître contingent, étant possible puisqu’il est. Nous ne pouvons le prouver en le déduisant de la réalité de supposées vérités éternelles. Mais nous le constatons a posteriori, puisque des êtres contingents existent, lesquels ont leur origine actuelle et de raison insuffisante dans cet être contingent qu’est le Sans-nom et qui n’a pas la moindre raison de son existence en lui-même.
    2.2. Sa nature ( § 46. § 48. )
  48. Cependant il ne faut point s’imaginer, avec quelques-uns, qu’ il y aurait des vérités éternelles, qu’elles seraient dépendantes d’un Dieu, seraient ou non arbitraires et dépendraient ou non de sa volonté, comme Descartes paraît l’avoir pris, et puis Leibniz. Il n’est de véritable que les vérités contingentes dont le principe est la convenance entre les particuliers où le choix du meilleur n’est qu’un fantasme de philosophe chrétien.
  49. Ainsi, le Sans-nom seul est le plan d’ immanence primitif et originaire, dont tous les Singuparticuliers sont comme des expressions, et y apparaissent, pour ainsi dire, par des fulgurations discontinues, de moment à moment, bornées par la réceptivité dudit Singuparticulier auquel il est habituel d’être limité.
  50. II y a dans le Sans-nom qui est le milieu de tout le contingent, ni puissance ni impuissance, ni connaissance ni inconnaissance, mais seule enfin l’inertie, qui supporte les changements, les réseaux et les connexions ou productions selon le critère du convenable. Et c’est ce qui ne répond aucunement à ce qui, dans les Singuparticuliers existants, fait le sujet ou la base, la faculté perceptive et la faculté appétitive ( désir ). Dans le Sans-nom ces attributs sont absents, et les Singuparticuliers empiriques n’ en sont pas des imitations quel que soit le niveau de leur perfection.
    *
     3. L’ubunivers conçu dans ses connexions.
    3.1. Nature de l’ubunivers en général. Le chaos universel et le tragique ( § 49. § 60. )
  51. Le Singuparticulier est dit agir au dehors en tant qu’il a de la perfection, et pâtir d’un autre en tant qu’ il a de l’imperfection. Ainsi l’on attribue l’action au Singuparticulier en tant qu’ il a des perceptions distinctes et la passion en tant qu’ il en a de confuses.
  52. Et un Singuparticulier est plus puissant qu’un autre en ce qu’on trouve en lui ce qui provoque ce qui se passe dans l’autre, et c’est par là qu’on dit qu’il agit sur l’autre.
  53. Mais dans les Singuliers, ce n’est que l’influence concrète d’un Singuparticulier sur l’autre qui a son effet sans l’intervention supposé d’un Dieu, en tant que dans les idées de ce Dieu un particulier demanderait qu’en réglant les autres dès le commencement des choses, il ait regard à lui. Car puisqu’un Singuparticulier empirique peut avoir une influence physique sur l’intérieur de l’autre, ce n’est que par ce moyen que l’un peut avoir de la dépendance de l’autre.
  54. Et c’ est par là qu’entre les Singuparticuliers les actions et passions sont parallèles. Car aucun Dieu, comparant deux particuliers, ne trouve en chacun des raisons qui l’obligent à y accommoder l’autre. Et par conséquent ce qui est actif à certains égards, est passif suivant un autre point de considération : actif en tant que ce qu’ on connaît distinctement en lui sert parfois à expliquer ce qui se passe dans un autre, et passif en tant que la source de ce qui se passe en lui se trouve aussi quelquefois dans ce qui se connaît distinctement dans un autre.
  55. Or, comme il y a une infinité d’univers possibles sur le plan d’immanence, et qu’à notre (in)connaissance il n’ en existe qu’un seul, il faut qu’il y ait un hasard suffisant à l’oeuvre dans le Sans-nom qui le détermine à l’un plutôt qu’à l’autre.
  56. Et ce hasard ne peut se trouver que dans la convenance, dans les degrés de réalité que ces mondes contiennent, chaque possible prétendant à l’existence à mesure de la puissance qu’il enveloppe.
  57. Et c’ est ce qui constitue l’origine de l’ existence du réel que le hasard impose sur le plan d’ immanence.
  58. Or cette liaison ou cet accommodement des Singuparticuliers à plusieurs fait que chaque particulier a des rapports qui expriment certains autres, et qu’ il est par conséquent comme un miroir vivant de son ubunivers local ou proche.
  59. Et comme une même ville regardée de différents côtés paraît tout autre et est comme multipliée perspectivement, il arrive de même que par la multitude indéfinie des Singuparticuliers, il y a comme autant de différents ubunivers qui ne sont pourtant que les perspectives de plusieurs selon les différents points de vue de chaque Singuparticulier.
  60. Et c’est un moyen d’obtenir autant de variété qu’il est possible, mais avec le plus grand désordre qui se puisse, c’est-à-dire c’est un moyen d’ obtenir autant de connexions et de réseaux qu’il se peut.
  61. Aussi est-ce ce fait, que j’ose dire avéré, qui manifeste la vertu du hasard ; c’est ce que les hermétiques contestèrent, lorsque dans leur Dictionnaire, article Rose-Croix, ils y firent des objections où même ils affirmèrent que je donnais trop au hasard, et plus qu’ il n’est possible. Mais ils ne purent alléguer aucune raison pourquoi ce chaos ubuniversel, qui fait que tout Singuparticulier exprime exactement quelques autres par les rapports qu’ il y a, fût impossible.
  62. On voit d’ailleurs dans ce que je viens de rapporter, les raisons a postériori pourquoi les choses ne sauraient aller autrement: parce que le hasard, sans régler le soi-disant Tout, a eu égard à chaque partie, et particulièrement à chaque particulier, dont la nature étant représentative, tout la borne à ne représenter qu’une partie des choses; il est vrai que cette représentation n’est que confuse dans le détail de l’ubunivers lointain et ne peut être distincte que dans une petite partie des choses, c’est-à-dire dans celles qui sont ou les plus prochaines ou les plus grandes par rapport à chacun des particuliers; autrement chaque Singuparticulier serait une divinité. C’est dans l’objet et dans la modification de la connaissance de l’objet que les Singuparticuliers sont bornés. Ils vont tous confusément à l’indéfini, mais ils sont limités et distingués par les degrés des perceptions distinctes.
    3.2. La constitution et la hiérarchie des êtres empiriques.
    3.2.1.Les éléments des êtres en général. (§ 61. § 62.)
  63. Et les composés symbolisent en cela avec les simples. Car comme le vide est omniprésent, ce qui rend la matière / énergie liée et déliée, et comme dans le vide tout mouvement fait quelque effet sur les corps distants à mesure de la distance, de sorte que chaque corps est affecté non seulement par ceux qui le touchent, et se ressent en quelque façon de tout ce qui leur arrive, mais aussi par leur moyen se ressent de ceux qui touchent les premiers dont il est touché immédiatement: il s’ensuit que cette communication va à quelque distance locale et limitée. Et par conséquent tout corps se ressent de tout ce qui se fait dans son univers proche ou champ ou espace / temps local, tellement qu’ aucun ne peut voir tout, et ne saurait lire dans chacun ce qui se fait partout, et même ce qui s’est fait ou se fera, en remarquant dans le présent ce qui est éloigné tant selon les temps que selon les lieux. Et un Singuparticulier ne peut lire en lui-même que ce qui y est représenté distinctement; Il ne saurait développer tout d’un coup ses replis bien qu’ils soient définis.
  64. Ainsi chaque Singulier représente son ubunivers local, et représente plus distinctement le corps qui lui est affecté particulièrement et dont il fait le psychisme : et comme ce corps exprime une partie de l’ubunivers par la connexion de la matière/ énergie dans l’espace / temps, le psychisme représente aussi l’ubunivers en représentant ce corps qui lui appartient d’une manière particulière.
    3.2. 2. La hiérarchie des êtres. ( § 63. § 90. )
  65. Le corps appartenant à un Singulier qui en est le psychisme constitue avec ce psychisme ce qu’ on peut appeler un vivant ou encore ce qu’on appelle un animal. Or, ce corps d’un vivant ou d’un animal est toujours organique. Et comme tout Singulier étant un miroir de l’ubunivers local à sa mode, et comme il existe de l’ordre dans l’ubunivers local, il y a aussi de l’ordre dans le représentant, c’est-à-dire dans les perceptions du psychisme, et par conséquent dans le corps, suivant lequel le réseau de l’ubunivers proche y est représenté.
  66. Ainsi, chaque corps organique d’un vivant est une espèce de machine ou un automate naturel distinct de tous les automates artificiels.
  67. Et le chaos déterministe a pu pratiquer cet artifice remarquable, parce que chaque portion de la matière n’est pas seulement divisible, comme Démocrite l’ a reconnu, mais encore sous-divisée actuellement, chaque partie en parties, dont chacune a quelque caractère propre; autrement il serait impossible que chaque portion de la matière pût exprimer l’ubunivers local.
  68. Par où l’on voit qu’il y a un monde de créatures, de vivants, d’animaux, de psychismes et d’Entendements sur le plan d’immanence du Sans-Nom.
  69. Selon la Vision poétique de l’Hermétisme rosi-crucien chaque portion de la matière peut être conçue comme un jardin plein de plantes et comme un étang plein de poissons. Mais chaque rameau de la plante, chaque membre de l’animal, chaque goutte de ses humeurs est encore un tel jardin ou un tel étang.
  70. Et selon cette même Vision quoique la terre et l’air interceptés entre les plantes du jardin, ou l’eau interceptée entre les poissons de l’étang, ne soit point plante ni poisson, ils en contiennent pourtant encore, mais le plus souvent d’une subtilité à nous imperceptible.
  71. Ainsi il n’ y aurait rien d’inculte, de stérile, de mort dans l’univers, point de chaos, point de confusion qu’en apparence; à peu près comme il en paraîtrait dans un étang à une distance dans laquelle on verrait un mouvement confus et un grouillement pour ainsi dire de poissons de l’étang sans discerner les poissons mêmes.
  72. Et chaque corps vivant aurait une entéléchie dominante qui serait l’âme dans l’animal; mais les membres de ce corps vivant seraient pleins d’autres vivants, plantes, animaux, dont chacun aurait encore son entéléchie ou son âme dominante.
  73. Mais il faut affirmer avec quelques-uns qui contredisent cette pensée, les ‘pataphysiciens, que chaque psychisme a une masse ou portion de la matière propre, qu’il est affecté à elle, et qu’il possède par conséquent d’autres vivants inférieurs destinés à son service. Car tous les corps et les psychismes, ainsi que les Entendements sont dans un flux perpétuel comme des rivières, et des parties y entrent et en sortent continuellement.
  74. Ainsi le psychisme change de corps peu à peu et par degrés ou soudainement, de sorte qu’ il est parfois dépouillé tout d’ un coup de tous ses organes, et il y a souvent métamorphose dans les animaux, mais jamais métempsychose ni transmigration des psychismes.
  75. C’est ce qui fait aussi qu’il a génération entière et mort parfaite prise à la rigueur, consistant dans la séparation du psychisme. Et ce que nous appelons générations sont des émergences, puis des développements et des accroissements, comme ce que nous appelons morts sont des diminutions graduelles ou des arrêts brutaux et des catastrophes.
  76. et 75.
    N. B. Ces articles du Manuscrit, altérés, sont illisibles. Il n’a pas été possible à la Commission d’en restituer avec précision le sens exact.
    ( … )
  77. Mais ce n’ était que la moitié de la vérité: j ai donc jugé que si l’animal commence naturellement, il finit aussi naturellement; et qu’il y a génération, destruction entière et mort prise à la rigueur. Et ces raisonnements sont faits a posteriori et tirés des expériences, à l’exclusion de toute espèce de vaticinations spéculatives s’ accordant avec de soi-disant principes déduits a priori.
  78. Ainsi on peut dire que non seulement le psychisme, miroir d’un ubunivers local destructible, est destructible, mais encore l’animal même, car sa machine périt et prend des dépouilles organiques.
  79. Ces principes m’ont donné moyen d’expliquer naturellement l’union ou encore la conformité du psychisme et du corps organique. Le psychisme suit ses propres lois et le corps aussi les siennes, et ils se rencontrent inexplicablement sans qu’il soit utile d’invoquer une harmonie préétablie entre les substances et bien qu’ils soient à leur manière des représentations d’un même ubunivers local.
  80. Les psychismes agissent selon le principe de finalité par désirs, souhaits, intentions, fins et moyens. Les corps agissent selon les lois du mouvement. Et les deux niveaux de l’existant, sont tantôt harmoniques et tantôt disharmoniques voire contraires entre eux.
  81. Sandomir a reconnu que les psychismes peuvent donner du mouvement aux corps parce qu’il n’y a pas toujours la même quantité de force dans la matière. Il a postulé que le psychisme pouvait changer la direction du corps auquel il est lié. C’est parce qu il savait dès en son temps le fait de nature de l’intervention d’une capacité psychique intentionnelle dans les phénomènes de la matière. S’ il ne l’avait remarquée, il serait tombé dans le système leibnizien de l’ harmonie préétablie.
  82. Ce système fait que les corps agissent comme si, par impossible, il n’y avait point d’âmes, et que les âmes agissent comme s’il n’y avait point de corps, et que tous deux agissent comme si l’un influait sur l’autre.
  83. Quant aux esprits ou Entendements, quoique je trouve qu’il y a dans le fond la même chose dans tous les vivants et animaux, savoir, que l’animal et le psychisme naissent au monde et finissent dans le monde, – il y a pourtant cela de particulier dans les animaux raisonnables, que leurs petits animaux spermatiques, tant qu’ils ne sont que cela, n’ont aucun psychisme ordinaire ou sensitif, mais dès que ceux que le hasard appelle à l’existence parviennent par une actuelle conception à la nature humaine, leurs psychismes sensitifs sont élevées au degré de la capacité raisonnable quoique sans aucune prérogative.
  84. Entre autres différences qu’ il y a entre les psychismes ordinaires et les Entendements, dont j’ ai déjà marqué une partie, il y a encore celle-ci, que les psychismes en général sont comme des miroirs vivants ou images de l’ubunivers local, mais que les Entendements sont encore comme images et des expressions du Sans-nom même, incapables de connaître le système de l’ ubunivers mais cependant aptes à en imiter quelque chose par des échantillons architectoniques, chaque Entendement étant comme un petit Père Ubu dans son département.
  85. C’est ce qui fait que les Entendements sont capables d’entrer dans une manière de société avec le Sans-nom, et que le hasard est à leur égard, non seulement ce qu’un inventeur est à sa machine (comme Dieu le serait par rapport aux autres créatures), mais encore ce qu’un prince est à ses sujets et même un père à ses orphelins.
  86. D’où il est aisé de conclure que l’idée de l’ assemblage de tous les Entendements existants ne saurait être qu’une utopie – celle de la leibnizienne Cité de Dieu-, c’ est-à-dire la plus parfaite fiction littéraire qui soit possible sous le plus parfait des genres de la pataphysique opérative: la philosophie spéculative.
  87. Cette cité de Dieu, cette monarchie véritablement universelle serait un monde moral dans le monde naturel, et ce qu’ il y aurait de plus élevé et de plus divin dans les ouvrages de Dieu et c’est en lui que consisterait véritablement la gloire de Dieu, puisqu’il n’y en aurait point, si sa grandeur et sa bonté n’étaient pas connues et admirées par les esprits; c’est aussi par rapport à cette cité divine, qu’il aurait proprement de la bonté, au lieu que sa sagesse et sa puissance se montreraient partout.
  88. Mais comme nous avons réfuté ci-dessus l’idée d’ une harmonie parfaite entre deux règnes naturels, l’un des causes efficientes, l’autre des finales, nous devons récuser ici encore l’hypothèse fantastique d’ une autre harmonie entre le règne physique de la nature et le règne moral de la grâce, c’est-à-dire, entre un Dieu considéré comme architecte de la machine de l’ubunivers, et ce même Dieu considéré comme monarque de la cité divine des esprits.
    Car sur le plan d’immanence du Sans-nom il n y a que chaos, hasard et réseaux éphémères, ilots d’ordres locaux et instables voués à la catastrophe et au naufrage.
    Et en Ubuland, la limite, la douleur, la souffrance, la mort et le mal, les espèces du tragique, sont ainsi le grand ordinaire.
  89. Ce chaos fait que les choses conduisent au naufrage par les voies mêmes de la nature, et que ce globe, par exemple, doit être détruit et réparé par les voies naturelles. Et ceci sans raison et sans pardon.
    Point de salut et point de récompense tant pour les Psychismes que pour les Entendements.
  90. On peut dire encore que hasard comme architecte contente en tout hasard comme législateur, et qu’ainsi les fautes ne portent point leur peine avec elles par le désordre de la nature et en vertu même de la structure mécanique des choses, et que de même les belles actions ne s’attirent aucune récompenses par des voies machinales par rapport aux corps, quoique cela arrive parfois sur le champ.
  91. Enfin, sous cette anarchie parfaite, il n’y aura point de récompense aux bonnes actions, point de châtiment aux mauvaises, et rien ou presque rien ne doit réussir au bien des niais, c’est-à-dire de ceux qui ne sont point mécontents dans ce pitoyable état, qui se fient à la prétendue Providence après avoir fait leur devoir, et qui aiment et imitent comme il faut l’Auteur fantastique de tout bien, se plaisant dans la considération de ce qu’ils comprennent comme ses perfections suivant la nature du pur amour véritable, qui ferait prendre plaisir à la félicité de ce qu’on aime.
    C’est ce qui fait travailler les ‘pataphysiciens à tout ce qui paraît conforme au Vide effectif et se contenter cependant de ce que le hasard fait arriver effectivement par ses caprices avérés, inconséquents et décisifs, en reconnaissant, que si nous pouvions entendre assez le désordre de l’ubunivers, nous trouverions qu’il surpasse toutes les anticipations des plus fous, et qu’il est impossible de le rendre pire qu’il est, non seulement en lui même, mais encore pour nous-mêmes en particulier, si nous sommes détachés comme il faut du fantasme de la Divine Providence.
    Et c’ est ce qui peut seul faire notre lévitation.
    25.01.2001