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‘Pata koans. Sixième série (suite)
La connaissance scientifique.
la théorie et les lois de la nature 1.
Alfred Jarry Gestes et opinions du docteur Faustroll, 2, 9
( exercice d’idéalisme appliqué )
*
L’univers est-il intelligible ?
les lois de la nature 2.
déterminisme, indéterminisme,
hasard, ordre, désordre, émergence, complexité,
inintelligibilité de l’univers…
20.08.2003 

La science et la rationalité scientifique.

La connaissance scientifique ( croyance, mathématique, réalité, loi, théorie ) la science est-elle une croyance justifiée ? n’ y a-t-il de science que de ce qui est mathématisable ? le développement des sciences est-il recherche du savoir ou de la puissance ? la science est-elle en mesure de dicter des conclusions morales ? qu’est-ce qu’une loi de la nature ? quelles sont la nature et la valeur des théories physiques ? la physique nous procure-t-elle la connaissance du monde en soi ?

La science est-elle une croyance justifiée ?

La < croyance >, -assentiment de l’esprit sans fondement rationnel, attitude de simple adhésion à une opinion, à une proposition, à un dogme, -est une connaissance généralement injustifiée.

La connaissance dite < scientifique > est caractérisée par un ensemble d’actes de la vie psychique ; elle définit également le savoir en sa totalité -à un certain moment de son histoire- résultant de ces actes (l’encyclopédie)
Elle est assentiment aux connaissances dites < rationnelles > obtenues par démonstration, par observation, par hypothèses posées, par vérification expérimentale.
L'< esprit scientifique > se déclare en rupture avec la sphère psychologique de la croyance spontanée, de l’évidence immédiate propre à < l’expérience errante >( cf Alain, Eléments de philosophie ) :
-Il considère que tous les phénomènes observables se ramènent à des lois ;
-il rejette toute superstition, toute magie, toute considération gnostique ou oraculaire ;
-il n’admet d’autres certitudes que celles de la démonstration rationnelle -logique mathématique-, et de la vérification expérimentale.
En ce sens la science est « croyance justifiée » en la vérité des < propositions rationnelles > ( Cf Russell, Signification et Vérité )

La connaissance scientifique est néanmoins source de croyances… injustifiées et peut, en elle-même, devenir un acte de foi, un savoir dogmatique, un credo.
Il y a une religion de la « Science ».
Il est fréquent d’entendre accréditées les thèses d’après lesquelles :

la science procure effectivement le savoir donc la puissance ( thème politique )

la science est l’unique fondement des valeurs ( thème moral )

la science, seule, permet la connaissance du réel ( thème métaphysique )
Le positivisme scientiste, unilatéraliste et réducteur ( cf A. Comte, Ecole de Vienne ), considère que la science est capable de résoudre la plupart des problèmes que l'< humanité > peut se poser dans les domaines les plus divers, connaissance, morale, vie sociale, politique.
De ce point de vue la science n’est en aucun cas une croyance justifiée.
Elle est un moyen de puissance, de domination, un auxiliaire administratif de contrôle, de simple police voire de terreur ( cf Michel Foucault, Surveiller et punir )

N’y a-t-il de science que de ce qui est mathématisable ?

C’est Descartes qui, suivant Galilée, a établi la mathématisation des sciences comme méthode générale de la connaissance, ( Mathesis universalis ) :
< Il doit y avoir quelque science générale, expliquant tout ce que l’on peut chercher touchant l’ordre et la mesure sans application à une matière particulière > ( Règles pour la direction de l’esprit, 4 )
Dessein repris, élargi et développé par Leibniz.

Mais, passage des lois qualitatives aux lois quantitatives, modèle de toute connaissance à prétention rationnelle, la mathématisation se double d’une interprétation métaphysique de l’univers compris comme d’ essence géométrique dans le fil du pythagorisme platonicien :
< Le livre de l’univers est écrit dans la langue mathématique : ses caractères sont des triangles, des cercles et d’autres figures géométriques, sans l’intermédiaire desquels, il est impossible d’en comprendre humainement un seul mot > ( Galilée ) Instrument et fondement des sciences, la mathématique devient elle même … métaphysique -comme interprétation de l’Être-, un moment de l’ histoire de la métaphysique occidentale ( cf Martin Heidegger, Holzwege )

Le développement des sciences est-il recherche du savoir ou de la puissance ?
Quels sont les intérêts, les motifs et les mobiles de l’activité scientifique ?
Ils sont multiples, variés et fort mêlés :
-la recherche libre et désintéressée ; exemple de la contemplation aristotélicienne définie comme bonheur et fin du sage ;
-le prosélytisme anticlérical désireux de vaincre toutes les superstitions ;
-le progressisme politique ( cf Lénine : < le socialisme c’est la révolution plus l’électricité > ) ;
-le profit d’entreprise, l’affairisme ;
-la volonté de puissance ( cf Nietzsche ), notamment des Etats nationaux, l’impérialisme ;
-le pragmatisme utilitariste centré sur la recherche des moyens du bonheur ( cf Stuart Mill ou encore Comte : < En résumé, science d’où prévoyance ; prévoyance d’où action… > ) ;
-sans oublier la < curiosité > du ‘pataphysicien…
Enfin, s’il n’est pas possible de séparer le mouvement des sciences de la culture où elles s’insèrent, ce progrès s’effectue polémiquement :

Par la réduction de multiples < obstacles > idéologiques et psychologiques.
Gaston Bachelard ( La formation de l’esprit scientifique ) en a analysé quelques uns :
-la séduction du pittoresque et les pièges des expériences curieuses et amusantes ;
-le préjugé substantialiste ( attribuer une valeur explicative à certaines qualités immédiatement visibles : penser le pouvoir de l’électricité d’attirer les corps légers à partir de l’image familière de la colle ;
-la séduction de certains mots répercutant la force de séduction d’une image : exemple de l’éponge abusivement évoquée pour expliquer le phénomène de la dissolution du sel dans l’eau ) ;
-etc…

Par refontes périodiques et récurrentes des hypothèses et théories unificatrices d’un domaine de connaissance.
Exemple de ‘évolution du concept de < lumière >:
théorie corpusculaire ( Descartes ), théorie ondulatoire ( Fresnel ), mécanique ondulatoire contemporaine.

La science est-elle en mesure de dicter des conclusions morales ?
La connaissance scientifique peut-elle être prescriptive ?

  1. Elle est descriptive, comme phénoménologie quantitative des phénomènes.
    Elle est méthodologiquement normative en rejetant tout ce qui échappe à la mesure, à l’observation, à l’expérimentation, à la preuve.
    Elle se prétend < modèle de rationalité >.
    En conséquence, d’après ses attendus :
    -est déclaré < vrai > ce qui est vérifiable et vérifié ;
    -est stipulé < idéologique > ce qui est < irréfutable > au sens de Karl Popper ( c’est-à-dire invérifiable en tant qu’il se soustrait à la vérification ) ;
    -relève de la croyance et de l’opinion -donc de la seule psychologie- la certitude subjective.
    La science étudie < ce qui est > mais non < ce qui doit être >…
    Si ce < doit-être> a un sens…
  2. Quand la science ou plutôt le scientifique prétend déborder le domaine de la connaissance et dicter à autrui des conclusions morales il donne -à l’instar de tout moraliste- par la persuasion ou par la force, des émotions et des intuitions personnelles pour des valeurs universelles ( cf Russell, Science et religion )
    Le scientisme n’est qu’une variété parmi d’autres de despotisme, instrument de la vanité et de la volonté de puissance de quelques uns.
    Comme tel il ne peut que susciter l’extrême méfiance du ‘pataphysicien.

Qu’est-ce qu’une loi de la nature ?

  1. Loi, lex, legalis, est en premier lieu un terme de droit et de morale.
    Il vaut pour règle impérative, liée à un pouvoir de coercition, prescrite par une autorité souveraine, dans une société donnée ( < Pacte sans sabre n’est que palabre >, Hobbes, Léviathan )
    Toute loi positive est fixée par les hommes.
    Précepte dicté à l’homme par sa < conscience > (impératif catégorique de Kant, « immortelle et céleste voix  » selon Rousseau) ou par la < Révélation > (tradition monothéiste, Moïse, Jésus de Nazareth, Mahomet)
  2. Par extension aux phénomènes naturels, le légalisme universel, depuis Cicéron et les Stoïciens, visionnaire et maximaliste, définit la loi comme règle inhérente à la nature de toutes choses.
    Ainsi Montesquieu :
    < Les lois, dans la signification la plus étendue, sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses ; et dans ce sens, tous les êtres ont leurs lois ; la divinité a ses lois, le monde matériel a ses lois ; les intelligences supérieures à l’homme ont leurs lois, l’homme a ses lois. > ( cf Esprit des lois )
  3. Une loi de la nature est dit < scientifique > quand elle pose un rapport invariable entre deux ou plusieurs phénomènes ( < nécessaire > selon le rationalisme, < constant > selon l’empirisme )

    Le ‘pataphysicien, a/poly/nomique, anarque, nullement nihiliste, reconnaît et respecte formellement conformément au principe d’équivalence toutes les lois positives des ordres moraux, juridiques et religieux.
    Mais… à distance, il les tient pour ce qu’elles sont et non pour ce qu’elles prétendent être…
    Ni plus ni moins.

Qu’en est-il des < lois de la nature ? >
(En suivant Louis Rougier, Traité de la connaissance)

  1. Les invariants du flux des apparences sensibles.
  2. La source des lois physiques comme descriptions symboliques approchées du réel : les routines de l’expérience.
  3. La nature logique des lois physiques.
  4. La complication et le devenir des lois physiques, fonctions de la finesse des jauges de la connaissance.
  5. L’expression mathématique des lois physiques.

Les invariants du flux des apparences sensibles.
Les sciences du réel, descriptives, rassemblent et classent des faits d’expérience. Stade perceptif.
Elles élaborent ensuite les faits recueillis en concepts scientifiques.
Elles morcellent le continu sensible en objets, systèmes physiques, champs, états, phases, événements. Elles en abstraient par comparaison les propriétés communes et découvrent leurs relations.
Le scientifique constate certaines routines dans l’ordonnance de ses perceptions ; il découvre que toute variation qualitative est liée à un effet quantitatif concomitant, de sorte qu’il est possible de repérer les différents degrés d’intensité d’une qualité par les différents états d’une grandeur qui sert à la mesurer.
Il découvre dans le flux des apparences sensibles :
-des invariants statistiques (corpuscules, corps élémentaires, corps composés, systèmes physiques, organismes, individus, groupements, etc.) ;
-des invariants topologiques (ordre constant de coexistence et de succession) ;
-des invariants causals rapports constants d’antécédents et de conséquents) ;
-des invariants fonctionnels (rapports constants de dépendance fonctionnelle) ;
-des invariants statistiques ( corrélations, fréquences, probabilités )
Il leur donne -dans un langage empreint d’anthropomorphisme- le nom de lois physiques, ou < lois naturelles >

La source des lois physiques comme descriptions symboliques approchées du réel : les routines de l’expérience.
Les  » lois de la nature  » révélées ou construites dépendent de l’étendue du champ expérimental auquel on s’est limité, des variables choisies, de la finesse des mesures retenues, de la technique mathématique d’une époque.
-Or rien ne garantit que les phénomènes naturels soient réguliers et continus : régularité et continuité peuvent être des illusions statistiques à notre échelle provenant de la grossièreté de nos méthodes d’investigation ( exemple de la compressibilité isotherme des gas ( volume/pression ): Mariotte / Boyle, Dulong / Arago, Regnault / Andrews, Van der Waals )
Ce qui est vrai de la loi de Mariotte peut être généralisé à toutes les lois tenues pour absolues en raison de leur simplicité, loi de Kepler, de Newton, la loi de la constance de la masse dans un corps en mouvement, la loi de Prout.
Ces lois sont modifiées à partir d’observation plus poussées et des mesures plus exactes.
-L’expression donnée aux lois de la nature dépend aussi de la technique mathématique d’une époque.
Ainsi jusqu’à la fin du 19° siècle ne retient-on parmi toutes les relations analytiques pouvant être suggérées par les données de l’expérience que celles qui conduisaient à des équations différentielles, intégrales ou fonctionnelles, que l’on savait intégrer, ce qui est l’exception.
On a ainsi admis que les phénomènes périodiques pouvaient toujours être représentés par des équations différentielles linéaires. Or l’étude des oscillations de structure non-linéaire en Mécanique céleste et en radio-diffusion a mené à admettre que tel était bien le cas général dans la nature. Des forces extérieures infimes peuvent engendrer des effets d’une grande amplitude ou intensité (effet papillon). Au voisinage de certaines fréquences critiques, les phénomènes dégénèrent brusquement et obéissent à de toutes autres lois.
Sur tous ces points cf Thomas Gleick, La théorie du chaos.
Ce qu’on appelle < loi de la nature > n’est donc que la description symbolique approchée d’une certaine routine de l’expérience concernant une classe limitée de phénomènes dans un champ expérimental restreint.
Cette description est choisie pour des raisons de commodité ; elle n’est utilisable que dans les limites expérimentées et à l’échelle des mesures effectuées. C’est un schème commode pour classer les observations.
Elle n’est donc pas l’expression adéquate d’une < loi naturelle objective >.

Nature logique des lois physiques. L’image physique du monde.

Une loi générale n’est pas directement vérifiable, en tant que telle.
La nature ne connaît que des événements singuliers qui seuls peuvent faire l’objet d’une vérification reposant sur la concordance entre les perceptions attendues et les perceptions éprouvées.
Une loi physique n’est pas une proposition empirique ; c’est un schème, une matrice, une fonction propositionnelle permettant de construire des propositions singulières qui, elles seules, peuvent être vérifiées ou infirmées.
Une loi ne peut être confirmée que par la vérification des propositions singulières qu’on en tire.
En conséquence affirmer que < les phénomènes naturels obéissent à des lois >, est un énoncé incorrect.
La Physique abandonne l’image d’un monde soumis à des lois simples et rigides imposées à la nature du dehors par la décision d’un sage législateur.

Le monde est composé d’événements appréhendés individuellement ou collectivement :

-sous le premier aspect, à l’échelle microphysique, ils semblent n’être soumis à aucun déterminisme;
-sous le second aspect, ils obéissent dans leur ensemble à une régularité statistique, d’autant plus stricte que leur nombre est plus élevé ;
-entre ces deux pôles, on discerne des suites d’événements orientés sous l’action d’une cause déterminante, des liaisons qui font correspondre biunivoquement des séries d’événements, des suites ordonnées de phases et d’états qui règlent l’évolution d’un système physique, biologique, social.
On rencontre enfin des phénomènes rebelles à toute discipline quelconque.
Ces régularités -routines de l’expériences- prennent des expressions mathématiques différentes suivant qu’il s’agit de lois de conservation, de liaisons fonctionnelles, de lois d’évolution, de régulations statistiques.
Une même loi peut être exprimée , soit sous une forme infinitésimale au moyen d’une équation différentielle ; soit sous une forme finie, algébrique, trigonométrique, exponentielle, si la relation infinitésimale est intégrable.

Du point de vue historique, on rencontre :
-les lois statiques, seules connues des Grecs, énoncé d’un simple résultat d’observation (mesure, rapport, proportion) sans que la loi comporte aucune opération à effectuer;
-les lois de type galiléen énonçant une relation entre deux et plusieurs variables dont l’une est arbitraire et qui s’expriment mathématiquement par une fonction ;
-les lois du type newtonien exprimant une relation de l’état d’un système à l’instant t et son état à l’instant t+dt;
-les lois de type laplacien s’exprimant par une équation aux dérivées partielles du second ordre de type elliptique;
-les lois de type einsteinien, englobant les précédentes, mais dont l’expression mathématique est indépendante du système de référence.
Les lois statistiques forment une espèce à part.

La complication et le devenir des lois physiques, fonctions de la finesse des jauges de la connaissance (incertitude et entropie de Hartley)

Les lois physiques sont la symbolisation commode d’une routine de l’expérience, observée à l’aide d’instruments d’une certaine précision, dans un champ expérimental délimité, isolé artificiellement de son contexte naturel.

Elles ne sont jamais rigoureuses. Elles résultent d’un découpage, d’un choix parmi le flux incessant des phénomènes. Elles ne tiennent pas compte du reste du monde qui se manifeste toujours sous forme d’écarts imprévus.
Ainsi en Mécanique céleste, les éclipses manquent en général les rendez-vous fixés par les observatoires de plusieurs dizaines de secondes…
Les lois physiques peuvent dégénérer ou s’évanouir avec une observation plus fine, dans un cadre plus étendu, car elles s’appliquent toutes à des systèmes isolés résultant d’une abstraction de la démarche scientifique et ne se rencontrant nulle part dans la nature.
Soit à considérer la mesure d’une grandeur, la question qui s’y réfère ne peut être formulée qu’après qu’a été assignée à la mesure une < jauge > déterminée qui indique comment doit être découpée la grandeur de référence servant à la mesure ( en hartleys )
Le progrès de la connaissance peut être indexée sur le nombre des jauges autorisées par la technique d’une époque.
(Ordre 10 au 17° siècle, 13/14 au 19° siècle, ordre 18 au 20° siècle).
La trame de l’Univers est donc fonction de la jauge propre à l’expérimentation. Et les images historiques successives de l’univers ignorent les facteurs dont les perturbations demeurent inférieures au grain de la jauge employée.
Plus l’ordre est élevé plus la forme des lois se complique puisqu’elle tient compte de nouveaux facteurs intercurrents. D’où l’amplification du « volume  » de la science:
-pour des jauges de l’ordre de 30, le champ de gravitation terrestre sera modifié par une auto passant dans une rue; et le fait pour un observateur d’approcher un mètre-étalon, provoquera du fait de la chaleur de son corps, une dilatation dont il faudra tenir compte.
-avec une jauge =100, tous les phénomènes terrestres seraient influencés par la chute d’un corps sur Sirius… les lois classiques n’apparaitont plus que comme des cas limites répondant à des conditions théoriques très simplifiées, supposant des systèmes isolés n’existant nulle part dans la nature.
La limite de la connaissance sera atteinte quand le grain de jauge sera réduit aux dimensions des phénomènes élémentaires. La notion d’une meilleure jauge n’aura plus de sens, on ne pourra plus espérer d’information supplémentaire, le < savoir > aura atteint sa limite expérimentale et théorique.
Telle est l’importance de l’évolution de la précision des mesures pour l’établissement des  » lois de la nature ».


Exercice d’idéalisme appliqué :
Alfred Jarry, Gestes et opinions du docteur Faustroll, 2, 9.

Faustroll plus petit que Faustroll
A William Crookes
< D’autres fous répètaient sans cesse qu’un était en même temps plus grand et plus petit que lui-même, et publiaient nombre d’absurdités semblables, comme d’utiles découvertes. >
Le Talisman d’Oromane
Le docteur Faustroll ( si l’on nous permet de parler d’expérience personnelle ) se voulut un jour plus petit que soi-même, et résolut d’aller explorer l’un des éléments, afin d’examiner quelles perturbations cette différence apporterait dans leurs rapports réciproques.
Il choisit ce corps ordinairement liquide, incolore, incompressible et horizontal en petite quantité ; de surface courbe, de profondeur bleue et de bords animés d’un mouvement de va-et-vient quand il est étendu ; qu’Aristote dit, comme la terre de nature grave ; ennemi du feu et renaissant de lui, quand il est décomposé, avec explosion ; qui se vaporise à cent degrés, qu’il détermine, et solidifié, flotte sur soi-même, l’eau, quoi ! Et s’étend réduit, comme paradigme de petitesse, à la taille classique du ciron, il voyagea le long de la feuille d’un chou, inattentifs aux cirons collègues et aux aspects agrandis de tout, jusqu’à ce qu’il rencontre l’Eau.

Ce fut une boule, haute deux fois comme lui, à travers la transparence de laquelle les parois de l’univers lui parurent faites gigantesques et sa propre image, obscurément reflétée par le tain des feuilles, haussée à la stature qu’il avait quittée. Il heurta la sphère d’un coup léger, comme on frappe à une porte : l’oeil désorbité de malléable verre < s’accommoda > comme un oeil vivant, se fit presbyte, se rallongea selon son diamètre horizontal jusqu’à l’ovoïde myopie, repoussa en cette élastique inertie Faustroll et refut sphère.
Le docteur roula à petits pas, non sans grand peine, le globe de cristal jusqu’à un globe voisin, glissant sur les rails des nervures du chou ; rapprochées, les deux sphères s’aspirèrent mutuellement jusqu’à s’en effiler, et le nouveau globe, de double volume, libra placidement devant Faustroll.
De bout de sa bottine, le docteur crossa l’aspect inattendu de l’élément : une explosion, formidable d’éclats et de son, retentit, après la projection à la ronde de nouvelles et minuscules sphères, à la dureté sèche de diamant, qui roulèrent ça et là le long de la verte arène, chacune entraînant sous soi l’image du point tangent de l’univers qu’elle déformait selon la projection de la sphère et dont elle agrandissait le fabuleux centre.

Au-dessous de tout, la chlorophylle, comme un banc de poissons verts, suivait ses courants connus dans les canaux souterrains du chou…


L’expression mathématique des lois physiques.
Les lois de la nature sont exprimées sous forme mathématique.
L’expression des lois physiques fait intervenir diverses grandeurs: longueur, temps, masse, travail, quantité de chaleur, flux lumineux, intensité du courant électrique…
Ces grandeurs sont exprimées dans un certain système d’unités de mesure. Chaque grandeur a une mesure différente dès que l’on change le système d’unités.
Mais le rapport entre ces grandeurs, en quoi consiste proprement la loi, doit être indépendant du changement de l’unité de mesure (par ex : système anglais, système métrique français).

Quelles sont la nature et la valeur des théories physiques ?
En suivant Louis Rougier ( Traité de la connaissance )
Les théories physiques sont-elles en mesure de nous faire connaître < la nature des choses > ?
-Les Scolastiques, suivant Aristote, s’efforçaient de comprendre le monde en termes de substances, d’accidents et de modes.
Monde conçu comme un ensemble de substances isolées, existant par elles-mêmes et se suffisant en soi, monde de supports sans rapports.
-Les physiciens jusqu’au 20° siècle donnèrent une image du monde à l’aide des notions de masses matérielles et de charges electriques en mouvement dans l’espace euclidien, pour la matière ; à l’aide des idées d’ondes se propageant dans un milieu élastique ou diélectrique, d’ether, pour le rayonnement.
Ces notions substantialistes on été ensuite refondues en faisceaux de rapports mathématiques.
Ainsi des concepts / fonctions de masse, d’onde, d’espace-temps :
-la masse a perdu son caractère absolu et substantiel : la quantité de matière possédée par un corps donné et représentée par un coefficient constant.
La mécanique relativiste la constitue en quantité variable et relative, fonction de la vitesse, de l’état de repos ou de mouvement de l’observateur qui la mesure ; elle la décompose en plusieurs espèces de masses, toutes fonction de la vitesse, et l’inertie d’un corps dépend désormais de la répartition de toutes les autres masses de l’Univers et de leurs distances mutuelles.
-l’onde ne représente plus un phénomène physique s’accomplissant dans une certaine région de l’espace. C’est un intermédiaire de calcul, une fonction complexe à l’aide de laquelle il est possible de construire certaines combinaisons entre des grandeurs qui seules sont réelles.
-l’ether lumineux a été éliminé. Les champs sont considérés comme existant par eux-mêmes et non comme la déformation par pression, tension ou torsion d’un milieu substantiel hypothétique.
Le champ étant défini par sa structure mathématique fait de quadrivecteurs dans l’espace-temps
-l’espace et le temps ne sont plus des catégories primitives inamovibles.

Elles ne sont plus considérés comme :
-des dieux ; ainsi du Temps mazdéiste de Zervani.
-des substances créées, avec Descartes ;
-des attributs absolus d’une substance infinie à la manière de Spinoza, de Newton, de Clarke ;
-des formes de notre sensibilité, cadres vides a priori imposés à tous les phénomènes ( Kant )
-l’ensemble des relations de position des corps les uns par rapport aux autres ; et comme l’ensemble des séquences causales qui permettent de distinguer le passé et l’avenir ( Leibniz )
La Relativité amalgame l’espace et le temps dans la notion plus compréhensible d’univers, dont la structure est définie par un ensemble d’équations temporelles.
*
Les philosophes s’efforcèrent à penser le monde comme un système de supports, de monades, de substances individuelles, d’objets isolés et pris en soi, sans réactions mutuelles.
Les physiciens modernes pensent le monde comme un système de rapports sans supports, ou, de rapports qui définissent tout le contenu des termes qu’ils unissent.
Ces termes qui n’existent qu’en fonction des rapports qui les unissent sont des fonctions de fonctions.
D’où une  » image  » nouvelle du monde, pure structure mathématique, qui se substitue à :
-la nature plastique et colorée des Ioniens;
-la hiérarchie qualitative des formes substantielles d’Aristote ;
-la vision du monde cinématique de Descartes ;
-l’image du monde des actions à distance de Newton ;
-…

Ainsi :
< Tout ce qui est objectif est dépourvu de toute qualité et n’est que relation pure… la seule réalité objective, ce sont les rapports entre des choses… > H. Poincaré, La valeur de la Science.
On voit donc par là que la science construit tout autant son objet qu’elle le découvre…

La science nous permet-elle la connaissance du monde en soi ?

  1. < Le monde en soi > désigne le monde extérieur subsistant en dehors de toute représentation. Monde < nouménal > de Kant, par opposition au monde phénoménal, expérimental, objectif.
  2. < En quoi consiste le monde en soi ? > est une question philosophique traditionnelle, mais scientifiquement vide de sens.
    Car un < monde en soi >, -toute connaissance étant de représentation ( sensorielle, intuitive, symbolique )-, est par nature… inconnaissable.
    Le monde en dehors de la représentation est par définition exclu de la connaissance.
  3. Le monde extérieur n’est en effet révélé que par l’immersion d’êtres doués de conscience aidés des appareils sensoriels prolongés, amplifiés, affinés par l’homme, que sont les instruments d’observation et de mesure.
    Ces appareils sensoriels différant d’une espèce animale l’autre, l’imagerie du monde procurée est à chaque fois spécifique.
    De surcroît, chaque individu d’une même espèce ne pouvant s’évader du cercle de ses sensations, sa représentation du monde est subjective.
  4. Le seul élément d’objectivité pour les animaux et les humains est la structure de l’imagerie sensorielle commune au monde extérieur et au monde sensible.
    Structure qui loin d »appartenir au chimérique  » monde en soi  » n’est que la structure du monde extérieur après l’insertion de … celui qui l’observe et l’expérimente.
    C’est l’action de l’expérimentateur qui fait apparaître le système étudié dans un état qui n’est défini qu’a postériori.
    Etat fixé par l’acte qui permet d’en prendre connaissance.
    < Non seulement la science ne nous fait pas connaître la nature des choses ; mais rien n’est capable de nous la faire connaître et si quelque dieu la connaissait, il ne pourrait trouver des mots pour l’exprimer. Non seulement nous ne pouvons trouver la réponse, mais si on nous la donnait nous n’y pourrions rien comprendre. Je me demande même si nous comprenons bien la question. >
    H. Poincaré, La valeur de la Science.
  5. L’acte de connaître ayant pour effet de modifier la structure du monde extérieur, chercher à savoir si un système se trouve par lui-même dans un état déterminé est donc une question scientifiquement dépourvue de sens.
    Mais une attitude existentielle fort expressive…


L’univers est-il intelligible ou le mythe de l’intelligibilité de l’univers.

< Ainsi que Kant l’a montré, la Métaphysique est bien la science impossible des choses en soi qui ne peuvent être connues mais seulement pensées.
L’âme, dieu, le monde sont les objets imaginaires de cette… intarissable, plaisante et divertissante logorrhée
>.
Pervenche d’Arcis, lettre à Solange, juillet 2001.
*
< -Dieu joue-t-il aux dés ? ( Albert Einstein )
-il n’y a ni dieux, ni dieu, ni dés… il n’y a que des combinaisons
.>
Codicille au Second Testament de Sandomir.


En suivant Louis Rougier, Traité de la connaissance, Gauthier-Villars.
Conversation…

A : -L’univers est-il intelligible ?
B : -Qu’entendez-vous par là ?
A : -Peut-on le comprendre, l’expliquer…
B : -Plusieurs voies ont effectivement été empruntées pour fonder cette croyance…
-Pythagore et ses plus proches sectateurs prétendent rendre compte de la rationalité du monde en termes de nombre, de proportions, de structures, en termes de jugement de relation ;
-Platon et Aristote ont généré la tradition de ceux qui pensent l’intelligibilité du monde en termes de substances, de propres, d’accidents, en termes de jugements prédicatifs ;
-les gnostiques, les mystiques, les cabalistes, les théosophes… proposent des fantaisies symbolistes, des vaticinations allégoriques, des gnoses divines révélées aux initiés…
La science moderne post-galiléenne, quant à elle, a décliné trois types d’explication de l’univers :
-elle en a donné une représentation < mécanique >;
-elle l’a ramené à la sagesse d’un Créateur par la postulation des causes finales ( principe de moindre action );
-elle l’a indexé à la < simplicité des lois de la nature >… ou encore au < principe de raison suffisante > et à la < légalité > des phénomènes.
A : -Ces ambitieuses tentatives sont-elles satisfaisantes ?
B : -Il se peut que l’inintelligibilité du monde soit irréductible et qu’elle… s’accroisse avec le progrès de nos connaissances…
A : -Hypothèse paradoxale et bien ‘pataphysique…
Mais si ce projet est vain, quelle est l’origine de la croyance en la rationalité de l’univers ?
B : -L’anthropomorphisme, tout banalement…
A : -Deux problèmes se présentent donc : le premier, de type épistémologique ; le second, de nature plus psychologique.
B : -Envisageons-les dans cet ordre…

Le mythe de l’intelligibilité de l’univers ( historique )
1.1.
A : -Jusqu’au début du 20° siècle la science « comprend » l’univers en expliquant son « mécanisme ».
Elle en donne une représentation figurative dans l’espace euclidien à trois dimensions et le temps continu, universel et absolu.
B : -Représentation cinématique ( Descartes, Hertz ) ; cinétique ( les atomistes, Gassendi) ; mécanique ( Newton, Laplace ).
A : -Il s’agit toujours d’ « expliquer le monde  » par des agencements ou des chocs de corps solides individualisables en mouvement, par des vibrations de milieux élastiques, par des poussées ou des tractions exercées entre des centres de force, semblables à celles qu’exercent des ressorts.
L’explication de « l’intelligibilité de la nature » s’effectue ainsi à l’aide de modèles qu’il est possible de dessiner, de schématiser, de sculpter.
B : -Mais c’est l’impossibilité de donner une interprétation mécanique de la théorie électromagnétique de la lumière qui a remis en cause cette … vision de la nature. Einstein montra que le groupe de Galilée qui conserve la forme des équations de la Mécanique classique est incompatible avec le groupe de Lorentz qui conserve la forme des équations de Maxwell.
A : -L’interprétation de l’expérience de Michelson-Morley le mena à abandonner les cadres de l’espace euclidien et du temps newtonien pour un continuum à quatre dimensions où les différents groupes d’observateurs, animés les uns par rapport aux autres de mouvements de translation uniforme, pratiquent des coupes à temps donné qui constituent leur espace propre.
B : -D’autre part l’identification du champ gravifique à un champ métrique et l’hypothèse d’une répartition uniforme des galaxies dans l’Univers imposent que l’espace soit sphérique, identique à la surface à trois dimensions d’une hypersphère à quatre dimensions.
A : -Or il n’est pas possible de se représenter un espace à quatre dimensions. On ne peut se figurer la courbure de l’espace que par analogie avec celle des surfaces à deux dimensions.
La physique einsteinienne nous interdit pratiquement la faculté de visualiser…
B : -De plus avec la mécanique quantique il nous faut renoncer à la représentation des phénomènes corpusculaires dans le cadre de l’espace-temps. Les éléments ultimes de ce que nous nommons à l’échelle macroscopique la matière, n’ont ni position définie, ni vitesse définie ; ils perdent toute individualité.
L’espace et le temps sont des apparences statistiques qui émergent au niveau macroscopique par le jeu des moyennes.
A : -Le monde a perdu son intelligibilité au sens où l’entendaient les physiciens classiques.
B : -La physique moderne abandonne enfin l’explication des phénomènes à l’aide de modèles spatio-temporels pour la ramener à un formalisme mathématique dont les principes sont de plus en plus généraux et abstraits.

Ainsi :
-la théorie de Lorentz explique physiquement la contraction des corps en mouvement par l’équilibre nouveau exigé par les courants électriques engendrés par des charges en mouvement;
-Einstein la déduit de deux principes généraux, la constance de la vitesse de la lumière et la covariance des lois naturelles ;
-la mécanique de Heisenberg rompt avec la tentative de représentation spatio-temporelle en développant un formalisme abstrait relié aux grandeurs spectroscopiques directement observables.

  1. 2.
    A : -Un deuxième type d’explication de l’univers consiste à renoncer à en saisir le mécanisme caché et à déduire ses lois les plus générales de la sagesse d’un Législateur…
    B : -Leibniz, Maupertuis et le principe de Moindre Action…
    A : -C’est cela… Principe dont la signification théologique originaire a été discutée par Euler, Lagrange et Laplace…
    B : -Reprenons.
    Dans son Discours de Métaphysique, Leibniz affirme qu’en théorie les mathématiciens peuvent toujours exprimer par une équation le comportement des phénomènes naturels, cette rationalité mathématique étant porteuse d’une intention.
    Le monde créé est susceptible d’une représentation mathématique manifestant le dessein de réaliser le maximum d’effets compossibles par le minimum de moyens.
    A : -L’oeuvre de la création apparaît alors comme la solution d’un problème de maximum et de minimum.
    B : -Echo baroque de la lointaine définition de la Droite par Euclide comme plus courte distance entre deux points… de la remarque d’Hiéron d’Alexandrie constatant que la lumière, lorsqu’elle se réfléchit sur un miroir, emprunte le chemin le plus court pour aller au miroir et en revenir…
    A : -… que Fermat pour son particulier interprête au 17° siècle comme le chemin le plus rapide ou principe du moindre temps appliqué à la réfraction de la lumière.
    B : -Maupertuis reprend le principe d’inertie énoncé par Galilée d’après lequel un corps en mouvement sur lequel n’agit aucune force peut être référé à un système d’axes tel qu’il décrive une ligne droite d’un mouvement uniforme. Si des forces s’exercent sur lui comme la gravitation, elles l’attirent < au dehors de sa trajectoire rectiligne > et son chemin n’est dès lors ni le plus court ni le plus rapide.
    Sous l’influence de Leibniz, Maupertuis remarque que, dans cette hypothèse même, le chemin parcouru doit faire preuve d’une perfection digne de l’esprit divin.
    Il postule une quantité, < l’action >, produit d’une quantité de mouvement par le temps, telle qu’elle se révèle toujours minima…
    A : -… dans un Mémoire présenté à l’Académie des Sciences, 15 avril 1744 sous le titre Accord des différentes lois de la Nature qui avaient jusqu’ici paru incompatibles… et qui a pour conclusion :
    < Je connais la répugnance que plusieurs mathématiciens ont pour les causes finales appliquées à la physique… On ne peut douter néanmoins que toutes choses ne soient réglées par un Être supérieur, qui, pendant qu’il a imprimé à la matière des forces qui dénotent sa puissance, l’a destinée a exécuter des effets qui marquent sa sagesse. >
    B : -La théologie fonde donc la physique… et donne à la nature son intelligibilité.
    Maupertuis considérait son principe de moindre action de nature métaphysique ; il déclarait l’avoir découvert a priori ; il prétendait en déduire toutes les lois de la mécanique.
    Cette affirmation fut successivement appréciée et dicutée par :

-Euler : < Puisque tous les effets de la nature suivent quelque loi de maximum et de minimum, il n’est pas douteux que les courbes décrites par les projectiles sous l’influence de forces quelconques jouissent de quelque propriétés de maximum et de minimum. Il paraît moins facile de définir a priori, par des principes métaphysiques, quelle est cette propriété >. ( Intervention à l’Académie de Berlin, 1731 )
-Lagrange : < Cette propriété que M. Euler n’avait reconnue que dans le mouvement des corps isolés, je l’ai étendue depuis aux mouvements des corps qui agissent les uns sur les autres d’une manière quelconque, et il en est résulté ce nouveau principe général, que la somme des produits des masses par les intégrales des vitesses multipliées par les éléments des espaces parcourus est constamment un maximum et un minimum. > ( Mécanique analytique, 1788 )
-Laplace : < Le principe de la moindre action ne doit donc pas être érigé en cause finale ; et, loin d’avoir donné naissance aux lois du mouvement, il n’a pas même contribué à leur découverte, sans laquelle on disputerait encore sur ce qu’il faut entendre par la moindre action de la nature. > ( Exposé du Système du monde )
A : -La valeur du principe de moindre action -simple moyen mnémotechnique propre à synthétiser par une formule unique un ensemble de lois découvertes empiriquement-, est donc essentiellement heuristique.
B : -Ce qu’indiquait plus récemment J.L. Destouches : < … les principes du minimum jouent un rôle important parce qu’ils ont permis des raisonnement d’analogie extrêmement fructueux… L’essentiel est que les lois soient stables, c’est-à-dire qu’une faible variation des conditions initiales ne provoque que de faibles variations dans les conséquences. > ( Méthodologie, Notions géométriques, 1953 ).

1.3.
A : -Il y aurait un plan rationnel dans l’ < Univers >…
Il se ramènerait à la simplicité des lois de la nature…
B : -Séduisante et fallacieuse… vision… car :
-Sur quoi a porté cette économie des < voies les plus simples > choisies par la < Nature > ou le < Créateur >?
La quantité de mouvement selon Descartes ; l’économie de temps, selon Fermat ; la moindre contrainte, selon Leibniz ; la moindre action, selon Maupertuis ?
-Puis : qu’en est-il réellement de cette prétendue < simplicité des lois > ?

  1. Le principe de moindre action n’a été découvert qu’a postériori. Il ne vaut que pour les corps macroscopiques, animés de faible vitesse. Il ne s’applique pas aux phénomènes biologiques.
    Il existe un nombre considérable de lois simples mais leur domaine d’application est restreint.
    Quantité de lois ne paraissent simples qu’en première approximation : loi du pendule qui relie la période T du mouvement avec la longueur l du balancier et g l’accélération de la gravitation ; l’équation des gazs ; le rapport de la température à la résistance des conducteurs ; la loi des oscillateurs anharmoniques…
    -La loi de Mariotte, -à température constante, le produit du volume par la pression est constant-, est une loi apparemment simple qu’il fallut abandonner dès lors que les mesures furent plus précises par la loi plus complexe de Van der Waals, elle-même susceptible de correction au voisinage des points critiques de liquéfaction ou de dissolution.
    -La loi galiléenne de composition des vitesses a été réélaborée par Einstein afin d’être mise en accord avec le groupe de Lorentz imposé par des expériences irréalisables à l’époque baroque.
    -Pour les grandes distances, la loi d’attraction de Newton n’est qu’approchée. Rendre compte de la déviation des trajectoires elliptiques que les planètes décrivent autour du soleil suppose qu’on lui substitue la loi de gravitation d’Einstein.
    Elle ne détermine plus le champ de gravitation par une seule fonction des coordonnées de l’espace et du temps mais elle en fait intervenir dix règlant l influence du champ de gravitation sur sur les trois dimensions spatiales, l’influence du champ sur la marche des horloges, l’inclinaison relative en chaque point de références les uns sur les autres, s’éliminant quand ces axes forment entre eux des angles droits…
    Des mathématiques de plus en plus compliquées sont nées de l’étude du comportement des phénomènes dans un domaine d’observation de plus en plus étendu. Elles ont accompagné des techniques expérimentales de plus en plus affinées.
  2. La thèse de la simplicité des lois n’est qu’une notion toute relative.
    Elle dépend de plusieurs facteurs :
    -une même loi revêt une forme compliquée ou simple.

-une même loi peut revêtir des degrés de complication divers suivant le choix des variables choisies ( exemple de la réduction des trois lois de Kepler par Newton par l’élimination de la variable temps ).
-la simplicité d’une loi dérive souvent de l’algorithme adopté pour sa transcription symbolique ( l’emploi des lignes trigonométriques pour le repérage des angles, substitué à des mesures en degré, a contribué à la simplification des formules ; le calcul vectoriel, le calcul tensoriel, le calcul matriciel, l’algèbre de Dirac ont simplifié les calculs obtenus par les méthodes analytiques ordinaires ).
Cependant la simplicité relative d’un symbolisme ne nous dit rien sur la simplicité ontologique du donné auquel il s’applique, la nature ignorant nos systèmes de mesure, nos axes de référence, et les algorithmes employés.
Une théorie peut être mathématiquement plus compliquée et physiquement plus simple ( cf Einstein Infeld, L’évolution des idées en physique ).

  1. D’où la question de savoir s’il existe des lois naturelles relativement simples… en dehors de des procédés de symbolisation.
    Plus une expérience est poussée, plus il est difficile d’en accorder les résultats avec une forme simple.
    Dans l’hypothèse de la signification objective de la simplicité de certaines lois naturelles, demeure la question de la source : Dessein préétabli, nature des choses ou effet du hasard ?
    -De l’indéterminisme fondamental des phénomènes élémentaires peut surgir le déterminisme des résultantes statistiques macroscopiques ( De Broglie, Max Born,Von Neumann ).
    -Du désordre à l’échelle moléculaire peut naître l’ordre à une échelle supérieur ( Gibbs, Boltzmann ).
    -D’un chaos à l’échelle quantique, où le temps perd ses propriétés topologiques et métriques, peuvent résulter des séquences d’événements orientés selon le second principe de la Thermodynamique que nous percevons ( Hans Reichenbach, Thomas Gleick et la théorie contemporaine du chaos ).
    Hypothèse tychiste de Charles Sanders Peirce pour qui, les lois pouvant émerger < de la chance pure, de l’irrégularité et de l’indétermination >, l’univers est soumis à un processus perpétuel d’évolution entre deux limites jamais atteintes, entre un état voisin du chaos et un état voisin du Cosmos parfait ( Collected Pappers, 1 )

Pour résumer :
-les lois de la nature ne sont pas des prescriptions impératives imposées par un législateur à la nature.
-ce sont des constructions mentales dont le but est de simplifier le donné sensible de façon à le maîtriser par la pensée et pour l’action.
-elles dépendent de l’étendue du champ expérimental, de la finesse des instruments, du choix des variables, de la technique mathématique d’une époque.
Elles supposent :
-que le donné sensible se prête en première approximation à être morcelé en systèmes isolés, détachés d’un contexte inexhaustif par sa complexité ;
-qu’on puisse dans les applications pratiques négliger les facteurs interrécurrents, les influences accidentelles, qui viennent perturber les phénomènes étudiés.
-ce sont des formules approchées pouvant être considérées comme les premiers termes du développement en série d’une fonction inconnue représentant la marche du phénomène.
-cette fonction est généralement une fonction transcendante intégrale d’une équation différentielle ou aux dérivées partielles.
-l’illusion des physiciens et des métaphysiciens classiques fut -eu égard à la « grossièreté » de leurs méthodes d’investigation-, de tenir les premiers termes de ce développement en série comme l’expression rigoureuse de la marche des phénomènes.
Ce pour quoi il ont accrédité l’idée de « la simplicité des lois de la nature ».
-cette simplicité s’évanouit quand croît la finesse de jauge de la connaissance.

1.4. ( déterminisme, indéterminisme, causalité, légalité )
A : -Dernière hypothèse… L’intelligibilité de l’univers serait définie par le principe de raison suffisante et la légalité des phénomènes…
B : -On postule que monde obéit aux principes régulateurs de la raison humaine… les deux principes de causalité -énoncé sous la forme du principe de raison suffisante-, et de légalité -fondement de la capacité à prévoir ou principe du déterminisme…
A : -Il n’y a pas d’effet sans cause… toute chose a une raison d’être… un phénomène est déterminé dans la mesure où il peut être prévu par l’homme de science ou une intelligence supérieure omnisciente à la manière du démon de Laplace…
B : -Ce qui suppose deux conditions : que les mêmes causes transportées dans l’espace et le temps produisent les mêmes effets ; que des causes à peu près semblables soient suivies d’effets à peu près semblables.
 A : -Principe de Curie … la dissymétrie seule est créatrice et les effets ne peuvent pas être plus dissymétriques que les causes…
B : -Ce qui est sans compter avec l’indéterminisme…
Ainsi…
-En hydrodynamique l’écoulement d’un fluide, soumis à des lois déterministes locales et instantanées, peut manifester une turbulence dont la symétrie est plus forte que celle de ses causes, contrairement au principe de Curie, et n’autorisant que la prévision statistique.
-Rutherford et Soddy découvrent en 1903 la désintégration « spontanée » des substances radioactives suivant une loi exponentielle, ce qui implique que parmi les atomes de même espèce, un certains nombre explosent sans raison suffisante pour qu’ils soient eux concernés plutôt que d’autres.
-Einstein montre en 1917 que rendre compte du rayonnement thermique ordinaire suppose que les atomes sautent spontanément d’un de leurs états possibles à un autre, ce qui semble incompatible avec un déterminisme rigoureux.
A : -Genre de processus naturel qui régit toute la microphysique.
B : -Le quantum d’action introduit une complémentarité inconnue en physique classique entre l’aspect géométrique et l’aspect dynamique des systèmes. Il interdit une connaissance simultanée de ces deux aspects. L’impossibilité de se figurer les phénomènes dans l’espace et le temps s’impose comme un fait incompréhensible à notre raison.
La connaissance de la position et de la vitesse, nécessaire pour déterminer le comportement d’une particule, nous est interdite à jamais. Ce qui est connaissable c’est une simple probabilité.
Les lois de la physique quantique loin de révéler un plan de l’Univers de type Leibnizien -respectant les principes de contradiction, du meilleur et de raison suffisante-, et que la science aurait pour but de déchiffrer, semblent montrer que la nature, thèse ‘pataphysique, est le domaine de la contingence et du hasard.
Ce qui faisait dire à J. von Neumann :

< En ce qui concerne les phénomènes macroscopiques, il n’y a pas et il ne peut pas y avoir d’expérience qui permettent d’affirmer que ces phénomènes obéissent à la loi de causalité ; en effet la succession, causale en apparence, des phénomènes macroscopiques (…) n’a certainement pas d’autre origine que la loi des grands nombres, indépendamment du caractère causal ou acausal des lois régissant les processus élémentaires, c’est-à-dire des véritables lois de la nature. > ( Fondements mathématiques de la physique quantique )

A : -Si nous passons à la cosmologie et à l’astrophysique…
1.5. L’intelligibilité du monde s’accroit-elle avec nos connaissances ?
B : -Il y a beau temps que l’ espèce humaine si satisfaite, si orgueilleuse est destituée de son rang de … reine de la Création…
Quelques citations :

  • < Notre terre n’est plus dans l’immensité qu’un grain de sable emporté dans un tourbillon ; le pullulement de notre espèce est la multiplication d’animalcules infinitésimaux, la prolifération d’une poussière vivante et son apparition sur notre planète est un incident fortuit comme le serait sa disparition dans l’évolution totale du Cosmos. > Franz Cumont, Perpetua Lux.
  • < Nous sommes dans un Univers fantastique où presque rien ne nous prouve que notre existence ait un sens. > Fred Hoyle, La nature de l’Univers.
  • < La Nature semble s’être consacrée à une vaste évolution de mondes en feu, un poème épique de milliards d’années. En ce qui concerne l’homme, il semble de mauvais goût de rappeler sans cesse à la nature sa seule petite inadvertance. Par une anicroche insignifiante du mécanisme -sans conséquence sérieuse dans le développement de l’Univers-, quelques blocs de matière de dimensions défectueuses se sont formés accidentellement. Ceux-ci échappent à la protection purifiante de la chaleur intense et à l’action également efficace du froid absolu de l’espace. L’Homme est l’un des tristes résultats de ce défaut accidentel de précautions antiseptiques. > Arthur Eddington, Les nouveaux sentiers de la science.
    A : -Nous en revenons au mot de Pascal : < Qu’est-ce que l’homme dans la nature ? Un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant, un milieu entre rien et tout. Il est infiniment éloigné de ces deux extrêmes, et son être n’est pas moins distinct du néant d’où il est tiré que de l’infini où il est englouti .>

B : -Comment expliquer à partir de la physico-chimie l’apparition du seul fait de la conscience ?
Comment expliquer que la pensée puisse commander à nos mouvements en déclenchant un influx nerveux produisant dans nos muscles une libération d’énergie ?
A : -Autre expression de l’inintelligible, le contournement du principe de Carnot-Clausius d’après lequel les systèmes physiques tendent vers un maximum de désordre alors que se manifestent des facteurs d’ordre créant des structures stables discontinues qui possèdent une certaine autonomie : particules élémentaires, atomes, molécules, étoiles, amas, galaxies, métagalaxies ; gènes, virus, phages, cellules, organismes pluricellulaires ; familles, clans, tribus, cités, nations, fédérations, organismes internationaux…
B : -Le principe d’émergence semble « la loi  » de la nature… Tout se comporte comme si la combinaison était créatrice, génératrice de complexité, d’anti-chaos…
Les nouveaux phénomènes semblent appartenir à un autre ordre que celui dont ils émergent ; le groupement, le mélange désordonné des objets appartenant à l’échelon inférieur d’un Univers stratifié faisant surgir des propriétés nouvelles, inattendues, à l’échelon supérieur.
A : -Enigme des mutations brusques, des sauts quantiques, des émergences… le passage d’un ordre de phénomènes à un autre exigeant un changement de logique et de méthode…
Où réside donc l’intelligibilité du monde pour la Science contemporaine ?
B :-Dans la flexibilité de notre appareil mental apte à créer des formes mathématiques susceptible de coordonner les données fournies par nos appareils de mesure.
*
A : – reste la deuxième question : celle de…

… l ‘origine de la croyance en la rationalité de l’Univers…

B : -… et du « dessein préconçu « …
Que nous révèle l’expérience ?…
A : -Nos perceptions sensibles obéissent à certaines routines, certaines régularités, certaines séquences.
B : -Une loi naturelle n’est que la description symbolique d’un simple enchaînement de phénomènes, d’une suite d’impressions sensibles..
A : -L’esprit humain a la capacité d’élaborer par abstraction et par convention des symboles qui lui permettent de résumer les routines de la perception dans la sténographie mentale de formules mathématiques qu’il appelle « lois scientifiques « .
B :- Et de la même manière qu’il projette inconsciemment hors de lui ses perceptions sensibles, en oubliant qu’elles sont conditionnées par ses organes des sens, il projette ces formules mathématiques hors de lui, en les interprétant comme des < règles de la raison immanente à l’univers > ou < imposées au monde des phénomènes par un législateur omniscient >.
A : -Il transforme ainsi une sténographie apte à décrire sous une forme abrégée les routines de l’expérience, les régularités rencontrées dans le cours de ses perceptions, en une…  » explication « .
Il projette dans les phénomènes les produits des propre raison et… s’émerveille de ce que les lois mathématiques règlent de vastes ensembles de phénomènes alors qu’il s’agit de formules approchées qui décrivent des suites d’impressions sensibles…
B :- Ce que nous appelons raison chez un homme ou à une époque n’est donc que la somme des habitudes mentales stabilisée.
A la théorie de la < raison une et indivise > il faut substituer l’étude historique des structures mentales.
Et à chaque époque son image de la raison : pour les Platoniciens tout ce qu’on ne peut construire à l’aide de la règle et du compas était inintelligible ; pour la plupart des physiciens du 18° siècle les lois de la nature devaient s’exprimer à l’aide d’équations différentielles linéaires…
Nous projetons hors de nous les formules mathématiques que nous avons forgées et nous les interprétons de surcroît d’une manière anthropomorphique, en leur conférant une intention qu’elles n’ont pas.
Enfin l’exigence de simplicité se perd dès lors que la technique expérimentale permet de découvrir sous les structures apparentes de l’expérience usuelles des micro-structures de plus en plus fines.
L’apparente simplicité des structures phénoménales à notre échelle émerge par compensation de la complexité des micro-structures. ( Sur ce point cf B . Mandelbrot et la géométrie des univers fractals ).
A : -Comme le déterminisme statistique à notre échelle émerge de l’indéterminisme des phénomènes élémentaires.

B : -Et la notion anthropomorphique de < lois simples > -censées régir les phénomènes-, comparables aux lois civiles d’une cité promulguées par un < sage législateur >, s’évanouit avec le progrès des techniques expérimentales permettant de saisir des structures de plus en plus fines.

A : –La notion d’intelligibilité de l’univers a-t-elle alors un sens ?
B : -Résumons :

  1. Quelle que soit l’échelle de grandeur considérée, la nature se présente comme un flux d’images sensorielles étrangères à l’exigence d’intelligibilité réclamée par l’esprit humain.
  2. L’expérience nous révèle des séquences, des structures topologiques et métriques, des régularités fonctionnelles et statistiques, des corrélations, auxquelles il est possible d’appliquer des classifications et des formes mathématiques.
    < Il semble probable qu’un mathématicien suffisamment habile serait capable de faire entrer un monde, n’importe quel monde, dans le cadre de lois générales. S’il en est ainsi le caractère mathématique de la physique moderne constitue, non un fait concernant le monde, mais tout simplement une preuve de l’habileté du physicien. > ( B. Russell, L’Esprit scientifique )
  3. Ces séquences, ces invariants statiques, fonctionnels, statistiques, ont les mêmes propriétés logiques que les rapports mathématiques qui permettent de les exprimer.
    L’univers physique et le monde de notre perception sensible ont en commun la même structure -ce qui n’implique aucune identité de nature.
  4. Rationaliser tel ou tel canton de l’univers c’est donc parvenir à symboliser les structures que nous découvrons, à representer par l’analyse combinatoire que nous nommons logique leurs combinaisons et leurs transformations.
    Cette structure est la seule connaissance communicable commune aux deux mondes.
    Quant à l’univers physique, il semble selon Bertrand Russell ( L’Esprit scientifique ) n’ être composé que < d’événements qui sont brefs, petits et produits par le hasard >, et fonction de l’échelle de grandeur où ils sont observés.

En manière de conclusion…
Le monde en lui-même demeure ineffable, intraduisible, indescriptible et incommunicable.
Et, contrairement à l’adage à l’usage des Grands Commençants, la ‘pataphysique n’est pas la … < connaissance > du particulier.
Ainsi :
< Quand il dit que la pataphysique est l’envers de la physique, -je le suis en soupçonnant déjà quelque chose. Quand pour expliquer cette première traduction il avance : < la connaissance du particulier et de l’irréductible >, je le vois venir avec le mot connaissance qui commence comme connerie.
Si on en est encore à croire que quoi que ce soit peut être connu, il n’y a pas de pataphysique.
Quant à moi, que l’opaque soit opaque, ça ne me dérange pas. L’ignorance ne me trouble ni ne m’angoisse. Je trouve ça très drôle et satisfaisant. Ceux qui cherchent en gémissant m’ont l’air peu aérés.
>
< Julien Torma > à Jean Monmort.

  1. 08.2003.