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vers accueil vers ouvroir-de-pataphysique

sarcasme, Tristan Bastit

Table :
‘patakoans dissertatifs
De la pensée. de l’explication. du jugement. du jugement et de la vérité. du jugement, de l’opinion et de l’idée. de la démonstration. de l’interprétation.
2001 /2006

< … Il s’imagine qu’il est tout. Il croit que son être est tout l’être. Il faut lui faire sortir cela de la tête > Eugène Ionesco, Le roi se meurt


DE LA PENSEE misère de la pensée ? comment apprendre à penser ? de la méditation. doit-on penser avec rigueur ? penser, est-ce dire non ? pour bien penser, faut-il ne rien aimer ? (2)

Misère de la pensée ? conte patagon.
Un homme faisait le bilan d’une vie de recherche et d’étude.
-jeune j’ai dévolu mon existence à l’ Ascience, rappelait-il mélancolique. Je lui ai consacré toutes mes forces. Mais pour quels résultats ?
Il s’en ouvrit à son ami.
-voyons! fit celui-ci surpris de sa plainte, n’as tu pas beaucoup vécu ?
-beaucoup vécu !… cesse de railler!
-réfléchis. Tu as douté, affirmé et nié, tu as senti, imaginé ; tu as jugé et raisonné, tu as formé des concepts et des fonctions… tu as analysé ; tu n’as cessé d’ inventer… Bref, tu as vécu.
-j’ai pourtant le sentiment d’être passé à côté de l’essentiel… de la vraie vie… Ce ne sont là que conduites mentales.
-aurais-tu la nostalgie de l’inconscience ou le regret de la brute ?

comment apprendre à penser ? conte bref.
Un novice vient consulter un Patagon. Il désire, lui dit-il, apprendre à penser.
-que dois-je faire pour progresser dans cette voie ?
Alors l’autre dans un sourire :
-évacuer toutes tes pensées.

de la méditation. dialogue bref.
A : -qu’est-ce que la méditation ?
B : -la réflexion silencieuse et méthodique portant sur un objet.
A: -Quoi! ce ne serait-que cela ? une simple discipline réflexive et définitionnelle… Et la transcendance ?… et l’éveil ?…
B : -quel gogo tu fais… à quoi t’attends-tu donc ? à des révélations ?

doit-on penser avec rigueur ? dialogue bref.
A : -doit-on penser avec rigueur ?
B : -avec rigueur, laisse donc cela aux puritains et aux pénitents ; mais en toute rigueur, certainement.

penser, est-ce dire non ? dialogue taoïste.
-est-il vrai comme certains l’affirment que la négation seule est le signe d’ une réflexion authentique ?
-nier, n’est-ce pas encore affirmer ?
-penser, ce sera donc toujours consentir ?
-qui sait ?…

pour bien penser, faut-il ne rien aimer ? ( 2 ) dialogue bref.
A : -l’affectivité est-elle un obstacle à la pensée ?
B : – comment un esclave pourrait-il jamais penser ?


DE L’EXPLICATION expliquer l’explication. une ou plusieurs manières d’expliquer. qu’est-ce qu’un triangle ? de la chute des corps.

expliquer l’explication. dialogue italien.
-qu’est-ce qu’expliquer? demande Pierrot à Arlequin.
-question de logique… Interroge donc Colombine, répond matois le comédien.
-que veux-tu dire par là ?
-qu’il s’agit d’une affaire de confection…
-je ne vois pas le lien de la couture et de la logique…
-et pourtant… Expliquer, selon l’étymologie c’est déployer… c’est dévoiler l’ intelligible causalité, le pourquoi comme disent les rationalistes ; ou l’ordre de coexistence et de succession des phénomènes, leur comment, ainsi que le prétendent les empiristes…
Conséquent préformé dans l’antécédent ou simple juxtaposition factuelle… voilà les termes de l’alternative.
-quelle que soit la solution adoptée, expliquer ce serait donc toujours une façon de… déplier ?
-en effet… A les suivre et pour parvenir à ce qu’ils nomment l’intelligible, au sens, de la jupe plissée à la jupe droite il faudra sans doute remonter…
-mais alors, qu’y a-t-il sous la jupe ?

une ou plusieurs manières d’expliquer ? conte patagon.
Un Patagon résolut d’ aller assister à certaine conférence.
Un philosophe de la tendance la plus rationaliste y paradait lâchant sans vergogne la litanie de ses certitudes.
La Raison était identique, une et entière en chacun des hommes qu’elle habitait.
Il y avait des vérités naturelles nécessaires et indépendantes de l’ esprit humain.
La connaissance les dévoilait.
Et pour parvenir à l’ intelligence des choses, il suffisait de suivre une universelle méthode fondée sur les règles de la logique formelle et la démarche expérimentale.
Il n’y avait donc qu’un seul type d’ explication juge de la droite pensée.
Telle était la Vulgate.
Amusé le Patagon objecta les mythes des Zûnis, la Genèse du Pentateuque, la cosmogonie du Rig-Véda, le Timée de Platon, la Physique d’Aristote, les systèmes des Gnostiques, Basilide et Valentin, les Ennéades de Plotin, le Sepher ha Zohar de la Kabbale, le Système du monde de Laplace, l’Encyclopédie des sciences de la nature de Hegel, l’Evolution créatrice de Bergson, les spéculations de Whitehead…
Il fit remarquer qu’on y pouvait distinguer plusieurs types d’explication bien marqués : l’anthropomorphique, l’animiste ou le théologique ; l’ontologique ou le métaphysique ; le symbolique, le magique ou le mystique ; le positif ou le scientifique.
Sans compter les modes mixtes qui étaient légions…
Et pourtant toutes ces pataphysiques à majuscule prétendaient révéler également l’Origine du Monde et les Lois générales de l’ Univers…

qu’ est-ce qu’ un triangle ? dialogue des morts.

Aux Enfers, des initiés de différentes écoles disputent de l’essence et des propriétés du triangle.
-il y a deux méthodes pour parvenir à définir la nature du triangle, commence le positiviste : celle d’Euclide et celle de Kant.
La première consiste à partir d’un système de notions et de propositions premières pour en déduire par définition la notion du triangle et par démonstration l’ensemble de ses propriétés.
Méthode formelle et déductive qui ne fait appel ni à l’intuition ni à l’expérience. Elle procure une certitude apodictique car elle montre la nécessité logique des résultats qu’elle établit.
La deuxième est purement intuitive: elle consiste à construire des figures géométriques et à constater de visu l’évidence sensible d’un certain résultat. Le résultat est constaté sans qu’on en établisse la nécessité. L’évidence n’est qu’ assertorique. Elle montre sans établir le pourquoi de ce quelle montre.
-formalisme ou intuitionnisme… Je vais les mettre d’accord ! intervient alors le métaphysicien. Connaître le triangle, c’est avoir la vision directe de son essence.
-et où réside cette essence ? questionne goguenard le positiviste.
-soit dans un monde séparé, soit dans l’intellect divin, répond l’ontologiste. < Les vérités pures sont connues dans la lumière éternelle >, affirmait Duns Scot. Et cette connaissance universelle appartient au théologien. La méthode théologique est supérieure à l’euclidienne car elle permet de saisir l’essence des choses dans la lumière surnaturelle.
-je connais la chanson. C’est là la méthode de Descartes qui fonde les principes de la dynamique non sur des preuves expérimentales mais sur les perfections de Dieu, ajoute le scientiste. Et c’est là aussi la voie de Spinoza, la connaissance intuitive ou connaissance du troisième genre qui prétend percevoir chaque chose dans son essence particulière et dans sa simultanéité.
Que d’ illusions…
-votre rationalisme vous égare, intervient alors le mystique.
-que veux-tu dire ?
La connaissance d’ une chose se ramène à celle des propriétés qu’elle symbolise et à celle des correspondances subtiles, des rapports occultes qui la relient à d’autres parties de l’univers et qui lui confèrent sa valeur de signe.

-je reconnais là la voie de Goethe et la portée de sa théorie des couleurs qu’il met en relation avec la géométrie, l’interrompt l’ontologiste : < le triangle est en grand honneur chez les mystiques ; par ce schéma on croit pouvoir expliquer bien des choses, entre autres les couleurs, en sorte que par redoublement et entrecroisement, on parvient au vieil hexagone mystérieux >
-ainsi selon toi, reprend le positiviste, connaître l’essence du triangle, c’est découvrir les sympathies secrètes, les mystérieuses affinités qui en font la figure schématisant une série de phénomènes appartenant à des ordres variés… Et c’est l’analogie qui fonde ces associations.
-mais qu’ est-ce donc là sinon l’intuition pythagoricienne qui associe aux grandeurs des valeurs psychologiques, esthétiques et morales ? ajoute le Patagon jusqu’ ci réservé.
-certainement. Mais de quoi souris-tu, toi qui gardais le silence? demande agacé le mystique. Serais-tu aveugle aux harmonies de l’univers ? Il paraît pourtant que certains pataphysiciens y sont sensibles…
Que proposes-tu donc ?
-rien…. qu’aurais-je à ajouter à vos nobles propos… Je remarque tout au plus que ce que vous appelez explication est de fait toujours déduite d’ une grammaire plus ou moins avouée qui en fixe et limite le sens, la valeur et la portée… Cependant ne vous méprenez pas… la diversité des types d’ explications ne me donne aucune humeur.
Elle me réjouirait plutôt…
-la ‘pataphysique est un éclectisme assez vulgaire et sans ambition !
-… il est vrai… Elle est par excellence l’éclectisme…
Métalangage, elle n’a aucune prétention à l’intelligibilité explicative…
Quant aux prétendues « harmonies de l’univers »… deux concepts, une relation et… trois idoles…
Bref, la sempiternelle confusion du réel et du sens, de la logique et de l’ existence.

de la chute des corps. dialogue des morts.
Aux Enfers. D’autres initiés s’entretiennent de questions de physique.
le Péripatéticien : -la cause efficiente d’un phénomène doit être en même temps sa cause finale. Et la seule explication recevable en physique est l’ontologique. La chute des corps s’explique par la propension naturelle de tous les corps à réaliser leur entéléchie. Ainsi un corps lourd possède une forme substantielle telle qu’il se dirige spontanément d’un mouvement naturel vers le centre de l’univers puisque ce centre est le lieu où il peut réaliser la perfection de sa forme.
le Positiviste : -… et non par l’attraction exercée par le centre de l’ univers ?… étonnante explication…
le Néo-Platonicien : -vous vous égarez. Tout compatit et conspire ; tout convient dans l’univers. Toutes choses s’accordent selon des correspondances sympathiques qui lient les phénomènes ; et le Cosmos est un être animé où une amoureuse tendance attire les corps les uns vers les autres.
Ainsi l’action de la lune sur les marées est due à ces tendances sympathiques qui attirent le semblable vers le semblable.
Telle est la magie des choses.
le Positiviste : -aimable érotique et régression animiste…
le Bergsonien : -non ! expression maladroite de la vraie méthode… Expliquer, c’est appréhender l’absolu. Tel est le chemin.
les autres Prétendants à l’intelligibilité : -et comment cela ?
le Bergsonien : -par l’ intuition philosophique… cette sympathie intellectuelle par laquelle on se transporte à l’intérieur d’un objet pour coïncider avec ce qu’il a d’unique et d’inexprimable. Connaître la chute d’un corps, c’est moins rapporter son mouvement à des axes de référence liés à la Terre, connaissance toute relative puisqu’elle suppose que je me place en dehors de l’objet lui même, que, par un effort intellectuel, s’installer au coeur du mobile, se substituer à sa place, épouser son mouvement.
C’est cette sympathie révélatrice qui est la véritable intelligence des choses.
le Positiviste : -tout cela est pur animisme, pure explication anthropomorphique. Vouloir s’installer au coeur des comètes !… et pourquoi pas des poux !…
Tous en choeur : -et toi le Patagon qu’ en penses-tu?

le Patagon : -je ne pense pas. J’accueille… Autant de types d’explication, autant d’indiscutables cohérences … Animisme, ontologie, magie, mysticisme, positivisme… miroir aux alouettes…
Mais poursuivez… Soyez certains que je me divertis à vos certitudes …


DU JUGEMENT qu’est ce qu’un jugement vrai. qu’est-ce que juger ? d’où viennent nos erreurs ? mélancolie d’un Philosophe. de la critique et de la belle âme. juger en toute connaissance de cause. le testament d’Orphée.

qu’est-ce qu’ un jugement vrai ? dialogue bref.
-qu’est-ce qu’un jugement vrai ?
-l’affirmation qui concorde avec la réalité.
-ainsi ce serait comme la ressemblance du portrait au modèle ?
-l’affirmation vraie serait en effet celle qui copierait la réalité…
-pourtant le réel désigne tel événement particulier, singulier et changeant et l’expression de nos affirmations possède habituellement une portée générale…
De quoi une généralité pourrait-elle être la copie ?

qu’est-ce que juger? dialogue bref.
-qu’est-ce que juger?
-c’est consentir et affirmer.
-peux-tu préciser…
-c’est prendre conscience du rapport entre des événements, des choses ou des idées et c’est poser ensuite la vérité de ce rapport.
-mais si l’affirmation vraie, toujours générale, ne peut reproduire la réalité, toujours singulière, votre jugement n’est que conventionnelle ou arbitraire transposition…
-sans doute… et les mot de fiction ou de feinte seraient effectivement plus appropriés.
-on ne saurait alors accéder au réel sans passer par l’abstraction ? et le jugement de vérité ne serait ainsi qu’une manière de fiction vraie ?
-le beau monstre logique…

D’où viennent nos erreurs ? le désarroi d’Emile. dialogue pédagogique.
le tuteur : -d’où viennnent nos erreurs ?
l’enfant :- c’est une question bien ardue…
le tuteur : -partons d’un exemple… que vois tu ici et maintenant ?
l’enfant : -un bâton à moitié plongé dans l’eau. Et qui est brisé.
le tuteur: – est-il effectivement brisé ?
l’enfant : -que veux-tu dire ?… Evidemment !
le tuteur : -tu en es sûr ? ne confondrais-tu pas la réalité et tes sensations ?
l’enfant : -je ne comprends pas…
le tuteur :- tu affirmes deux choses… premièrement que tu vois un bâton brisé et tu ajoutes ensuite que le bâton est brisé…
l’ enfant : -j’ ai saisi… mais d’où vient mon erreur ?
le tuteur : -c’est que tu ne juges plus par inspection mais par induction ; tu affirmes ce que tu ne sens pas.
l’ enfant : -pourtant je ne cesse de le voir brisé… ma sensation est réelle.
le tuteur : -certainement. Et elle le restera… même si tu saisis la raison de cette apparence…

mélancolie d’ un Philosophe. conte patagon.
Un penseur s’attristait.
L’état d’éternel mineur était devenu naturel aux hommes et pour la plupart d’ entre eux la dépendance était comme une seconde nature.
Ils s’y complaisaient, s’y ébattaient, s’y vautraient.
La faute en incombait aux institutions et aux préjugés qui dévoraient la Raison.
Il urgeait donc de rendre à l’humanité l’usage de ses dispositions naturelles…
Par l’Enseignement et la Philosophie, elle détournerait la tête de Sottise, elle s’arracherait à Minorité et avancerait d’un pas assuré sur le chemin de Connaissance.
Ainsi méditait le Philosophe…
Tandis qu’une seconde voix, insinuante et perfide comme celle du Malin, lui suggérait une chanson toute différente :
< -tu te leurres mon ami, la minorité… ils s’y complaisent certes mais … pour d’ autres raisons. Le jugement, ils s’en moquent ; au vrai ils préfèrent le charme du vague et de la confusion, la saveur de leurs illusions ; et à la science la satisfaction de leurs intérêts. L’unique jugement qu’ils tolèrent, n’est-ce pas celui qui a cours dans les prétoires : celui qui apaise le ressentiment et autorise la vengeance ?… >

de la critique et de la belle âme. conte patagon.
Un philosophe, idéaliste et belle âme, en critiques se répandait.
Nature inquiète et brouillonne, réformiste et suffisant,
Imprécateur, il jugeait…
Rien ni personne n’échappait à son courroux.
Il ne voyait en tout que défaut.
La vanité s’étalait partout.
Du bien-fondé de sa colère persuadé et de ses connaissances imbu,
Du haut de sa morale, il vitupérait : l’époque, l’Etat, l’individu.
Enfin tout l’ordre du monde.
Jusqu’au jour où, fulgurante révélation,
A l’universel désordre il lui fallut se résoudre.
Et alors il se tut.

juger en toute connaissance de cause. dialogue bref.
A : -Il faut juger. Nous n’avons pas le choix. Mais comment faire ?
B : -d’après les causes… en toute connaissance de cause.
A : -cela fait problème… connaît-on les causes ou par les causes ?
Et d’ailleurs qu’est-ce qu’une cause ?
B : -ce qui produit l’effet et se prolonge en lui… l’agent responsable, ou une chose qui en amène une autre…
A : -cela est vite dit… l’agent responsable n’est qu’un concept théologique, celui d’une origine absolue, d’un inconditionné… Quant à l’autre mode de la causalité, pourrai-je jamais épuiser le réseau des séries dont la chose en question est l’effet actuel ?
B : -comment juger alors ?
A : -tu le vois bien : en toute ignorance de cause…

le testament d’Orphée. réminiscence de Jean Cocteau.
Sentence des Puissances de la nuit :
-vous êtes condamnés… à la peine de vivre… et astreints à la plus sinistre besogne à laquelle on puisse enchaîner les hommes.
-?…
-juger les autres…


DU JUGEMENT ET DE LA VERITE. Pourquoi avons-nous du mal à reconnaître la vérité ? Note : être vérace, est-ce être véridique ? Ne doit-on tenir pour vrai que ce qui est scientifiquement prouvé ? La vérité est-elle contraignante ou libératrice ? Qu’ est-ce que prouver ? La vérité peut-elle être relative ? Est-ce par amour de la vérité que l’homme recherche le savoir ? A-t-on le droit de se taire quand on connaît la vérité ? Faut-il chercher la vérité à tout prix ? La vérité dépend-elle de nous ? La vérité est-elle précaire ? Faut-il préférer le bonheur à la vérité ?

Pourquoi avons-nous du mal à reconnaître la vérité ?
Problème de psychologie de la connaissance.
On demande quelles sont les causes objectives et quelle est l’origine de l’ incapacité à la reconnaissance du vrai.
Reconnaître, c’est percevoir ; c’est aussi admettre ou consentir. Deux lignes de faits donc.
Etablir la vérité des propositions est une tâche souvent difficile. Signe d’une maîtrise certaine des démarches logiques et expérimentales.
Saisir les preuves établies par d’autres suppose l’intelligence de la démonstration, de la vérification des conjectures et de la production des faits significatifs.
Admettre le bien fondé de la proposition exige de surcroît des vertus d’ objectivité, de distanciation, un oubli du narcissisme subjectif.
L’affectivité entre en jeu. Le réel représenté peut contredire voire contrarier nos désirs, nos projets, humilier notre vanité et défaire nos prétentions.
D’où la mauvaise foi. L’incapacité à admettre une proposition exprime souvent le refus à consentir à un réel insatisfaisant.
J’ai vu, je sais mais je refuse ce que je vois et ce que je sais. Moment de la révolte contre le vrai.
Les raisons de l’affectivité, démenties par les raisons de la raison ne peuvent admettre la représentation pertinente et la proposition qui l’exprime.
On saisit ici la contradiction de la logique et de l’existence.
Il n’y a donc paradoxe que pour le rationaliste pour lequel l’évidence du vrai doit toujours s’imposer à celui qui en fait l’expérience mentale.
Mais au jugement du’ pataphysicien le paradoxe s’évanouit avec la dissipation du mirage rationaliste.

Note : être vérace, est-ce être véridique ?
La véracité qualifie le caractère de qui n’est pas trompeur et dont l’intention est de dire le vrai.
La véracité est un concept qui ne s’applique qu’aux personnes et éventuellement, en théologie de la connaissance -ainsi chez Descartes-, à Dieu, dont la nature et la volonté ne sauraient nous tromper.
La véridicité qualifie la conformité de l’assertion à la vérité et ne s’applique selon l’usage qu’aux choses.
Un récit ou un témoignage seront dits « véridiques ».
Le terme désigne enfin la sûreté d’une faculté. Ainsi de la mémoire.
On remarquera l’hétérogénéité des deux concepts. L’un relève de la psychologie de la connaissance, l’autre de la logique.
La véracité n’est donc pas un critère de vérité ou encore de véridicité, excepté pour le mystique selon qui Dieu ne saurait être trompeur au motif de son essence lui interdisant l’erreur ( expression du néant ) et de sa bonté -laquelle constitue le fondement de la vérité.

Ne doit-on tenir pour vrai que ce qui est scientifiquement prouvé ?

Pour le logicien ( Russell, Rougier… ), le vrai est un terme de métalangage.
Les choses du monde ne sont ni vraies ni fausses pas plus qu’elles ne sont absurdes ou équivoques… elle sont ; et indépendamment de tout jugement d’attribution.
Ce sont nos jugement sur les choses et leurs expressions linguistiques, les propositions, qui peuvent être dits vrais ou faux, exacts ou inexacts.

Pour le scientifique, la vérité n’est pas donnée, elle est établie. Elle est l’effet d’ une activité de probation.
Il y a trois manières d’établir la vérité :
-la démonstration ( rationalité logique )
-la vérification ( rationalité expérimentale )
-la production des faits dans les circonstances d’une instruction ( rationalité de l’investigation juridique )
Et l’imagination et l’intuition sont mises au service de l’entendement.

Pour le poète -qui substitue l’image au concept, la métaphore au raisonnement, l’analogie à la causalité-, le Beau est le signe du Vrai.
Ainsi selon le Platonicien ( Banquet, Phèdre, Alcibiade Majeur ), il y a convergence des Transcendantaux ( Être, Vrai, Beau, Bien.. ) et la Beauté est inductrice de certitude.

Pour le mystique chrétien, la Vérité aperçue est manifestation de la Grâce.

Pour Roméo, les raisons du Coeur sont le coeur de sa raison affective. Et l’ évidence des signes témoigne de la magie opérative de l’ amour.

Quant au ‘pataphysicien, le problème qui le retient n’est pas tant de distinguer les critères du vrai que d’analyser l’origine et la valeur de l’ idée de vérité ( besoin, idéal, norme… fantasme )

La vérité est-elle contraignante ou libératrice ?

Fausse alternative problématique portant sur les effets de la perception du vrai.
Admettre le vrai :
-c’est consentir au réel et à sa représentation adéquate.
C’est accepter un état de fait. Ce n’est ni se soumettre ni s’abandonner.
Et la perception de la vérité nous libère de l’ignorance et de notre attachement à l’ignorance.
De surcroît, le réel, sans dessein, « stupide » parce qu’ asensé, peut être relativement, ici et maintenant, amendé, transformé.
Thèse rationaliste.
-c’est pouvoir jouer avec l’idéologie, l’utopie, la chimère…
Et récuser la thèse rationaliste pour laquelle la perfectibilité humaine devrait avec l’éducation, la méthode et le temps, terrasser l’erreur, dissiper l’illusion et vaincre le « démon de la perversité ».
Thèse ‘pataphysicienne.

Qu est ce que prouver ?
Question définitionnelle qui relève de la phénoménotechnique et de la psychologie de la connaissance.

La preuve désigne ce qui amène et oblige l’ ntelligence ou la raison à admettre la vérité d’une proposition ou la réalité d’ un fait.
Démonstration logico-mathématique, vérifications expérimentales et découverte des indices concluants sont les procédés de la preuve.
Prouver, c’est donc par un travail concerté de l’intuition, de l’imagination et de l’entendement la capacité à établir la vérité d’ une proposition.

Pourquoi prouver ?
Question soupçonneuse, question généalogique ( Nietzsche )…
-Pour mettre un terme à l’état d’incertitude.
-Par besoin et souci pragmatique, utilité.
-Par désir de connaissance.
-Par vanité intellectuelle, histrionisme et volonté de puissance.
-Comme levier de la reconnaissance sociale.
Le libre esprit ne refuse pourtant ni les paradoxes ni les propositions indémontrables ou encore invérifiables.
Situations intellectuelles qui lui procurent une certaine satisfaction esthétique.
Le Beau et l’Agréable se subordonnent alors le Vrai.

La vérité peut-elle être relative ?
Est relatif ce qui n’est pas absolu.
Est absolu ce qui ne dépend que de soi pour exister ; en ce sens Dieu seul ( concept théologique ) pourrait être dit absolu.
Et encore… puisqu’ il ne laisserait pas néanmoins de dépendre de lui même…
La vérité étant vérité des propositions est doublement dépendante et donc doublement relative : -aux états de choses dont la proposition n’est que la « représentation », le double, le simulacre symbolique; -aux démarches de l’ intelligence et à la situation existentielle de celui ou de ceux qui l’établissent.
Quant à la validité de la loi, elle enveloppe le délicat problème de la valeur et du fondement de l’ induction.
-Ainsi ne quitte-t-on pas le terrain de l’anthropologie.
Toute vérité est d’expérience. Elle n’ est… qu’ humaine vérité.
Ni exhaustive -tout être étant relation de relations-, ni définitive, elle est fonction de l’échelle d’observation.
Et il ne saurait y avoir de vérité achevée, absolue.
Excepté pour le mystique…

Est-ce par amour de la vérité que l’homme recherche le savoir ?

Si l’on fait de la vérité une valeur ( la Vérité ), il faut répondre par l’affirmative.
Thèse spiritualiste (Malebranche) ou religieuse (saint Augustin)
Exister alors, c’est vivre dans la lumière de la Vérité.

Ordinairement la recherche de la vérité est l’effet d’un besoin et traduit une attitude pragmatique.
Un problème se pose ; des hypothèses sont avancées ; elles sont examinées ; certaines sont rejetées et l’une d’entre elles est acceptée au motif de la preuve concluante.
La vérité ne possède plus alors qu’une valeur instrumentale. Elle est le passage obligé vers la connaissance, la maîtrise pratique du monde, la réussite. C’ est un moyen.
Détaché et sans parti pris, l’esprit avisé relève les deux attitudes et en distingue le sens, la fécondité, la portée et la valeur.

A-t-on le droit de se taire quand on connaît la vérité ?
Problème d’éthique, de morale de la connaissance.
Je peux dissimuler la vérité. Je peux l’étouffer ; je puis au contraire la manifester, la rendre publique et par exemple l’enseigner.
Dois-je en toutes circonstances exprimer le vrai ?
-Thèse religieuse chrétienne : je dois rendre témoignage à la Vérité. Impératif de charité.
-Thèse kantienne : oui ; faute de quoi ce serait manquer au devoir de respect de la dignité de la Personne.
-Thèse utilitariste : non si la conséquence doit en être la souffrance infligée à celui ou à celle à qui je l’ exprime.
-Thèse pragmatique et politique ( Machiavel / Gracian / Talleyrand ) : la vérité est un moyen, une arme comme une autre dans la concurrence vitale.
Dissimuler est le propre de l’action politique avisée et responsable.

La raison d’Etat, le secret de la confession, le secret médical, l’amitié complice enfin, sont autant d’occasions de « réserver » la vérité…

Faut-il chercher la vérité à tout prix ?
Autre problème de morale de la connaissance.
Le puritanisme axiologique ( le kantisme ), le mysticisme, le scientisme ( principe de Gabor : < tout ce qu’ on peut faire on doit le faire > ) et…
la magistrature font de la recherche de la vérité un devoir moral, une vocation religieuse, une obligation déontologique.
Harcèlement ?… convergence de persécuteurs ?…
Nulle limite à l impératif moral de Véracité, à la Vision extatique, à la Recherche, à l’Enquête…
Comme quoi, selon le libre esprit, les  » bonnes intentions » peuvent constituer la sainte Connaissance… en un redoutable enfer.

la vérité dépend-elle de nous ?

La vérité -terme de métalangage- est, au sens du positivisme, un caractère des jugements et des propositions qui les expriment, les assertions.
Elle est le supposé fondement de l’accord entre les esprits.
-La vérité logico-mathématique satisfait à l’exigence de cohérence interne du discours mathématique et réside dans la déduction logique à partir d’axiomes posés conventionnellement.
-La vérité expérimentale, l’exactitude, est la  » correspondance » symbolique de l’hypothèse ou de la théorie avec le donné expérimental.
Etablie par le travail de la preuve, elle est fonction de l’activité de la connaissance scientifique, conduite intellectuelle et attitude existentielle.

Les < Vérités éternelles > ou < vérités de raison > sont des principes qui constituent des lois absolues de l’être et de la raison, immuables et éternelles.
Elles proviennent du < libre décret de Dieu > qui les a établies de toute éternité en tant que Souverain Législateur.
Thèse du rationalisme classique selon Descartes et Bossuet reprenant l’antienne de saint Augustin et du Thomisme pour lesquels c’est dans l’entendement divin que se trouve la vérité d’une manière propre et première ; dans l’entendement humain d’une manière propre et secondaire ; dans les choses d’une manière impropre et secondaire.

La vérité est dévoilement (a-letheia) de l’être à l’être-là -l’existant / l’homme- qui « réside dans la vérité « (cf Heidegger)
Ainsi, selon les théologiens et les philosophes, la vérité serait fonction de la Méthode, de Dieu ou de l’Être.
Elle est < pro-venance >.
Elle serait soit relative, soit l’absolu simplement manifesté.

Toutefois, quelles que soient leurs options respectives, théologiens et philosophes s’accordent, pour parvenir au vrai, sur le nécessaire respect de certaines vertus logiques et éthiques : effort, discipline de l’attention, bonne volonté, docilité, sincérité, respect des règles de la méthode, du travail de la preuve, de la démonstration, de la vérification… constituent une psychologie et une morale de la connaissance auxquelles l’esprit doit se plier à la manière d’un impératif catégorique. (cf Descartes, Malebranche, Port-Royal, Kant)
Car l’erreur et l’illusion dépendent de l’opinion, des préjugés et des paradigmes dominants de l’époque (cf Thomas Kuhn)…

La < vérité > apparaît donc dans sa propre histoire et successivement comme norme logique et valeur morale, idée spéculative, critère du jugement et de la proposition pertinente, fusion mystique du vrai et du réel.
Mais toujours comme satisfaction de l’exigence de certitude et de l’efficacité pratique qui en sont l’origine.
Et quelle que soit l’interprétation du < sujet supposé savoir >, le < nous > en question : individu empirique, sujet transcendantal kantien ou husserlien, communauté scientifique…
Car si le mensonge, pour certains, ne laisse pas d’avoir un certain charme, le vrai est habituellement moins apprécié pour lui-même que pour son utilité (cf Nietzsche)
La < vérité >, assujettie à l’angoisse et au besoin, est donc bien la marque de l’humaine dépendance.

La vérité est-elle précaire ?

Une chose est dite précaire quand elle est peu ou pas assurée, quand ses fondements sont instables, quand sa pérennité est incertaine.
La vérité est un critère logique.
Il exprime une relation de correspondance et d’exactitude entre une représentation et son objet, entre un concept, une proposition, une loi, une théorie et un domaine du réel dénoté.
L’universel changement qui affecte l’être et la pensée étant admis, cette relation peut-elle s’inscrire dans la durée ?
-S’agissant des vérités scientifiques, rationnelles et établies par la méthode expérimentale, les conclusions semblent incontestables dès lors qu’elles ont été vérifiées.
On remarquera toutefois que la science est révisionniste dans son esprit.
La connaissance humaine est un savoir potentiellement indéfini, en continuelle évolution où la refonte des modèles explicatifs, des concepts et des lois n’est pas rare ( cf Gaston Bachelard, La philosophie du non )
-La vérité judiciaire se fonde sur la preuve matérielle ou du moins sur un faisceau de présomptions à haute probabilité.
Elle est néanmoins soumise aux aléas de l’instruction et à l’arbitraire interprétatif des différentes parties présentes à l’audience.
Quand bien même elle se prétendrait réglée par l’impératif d’équité.
-Les vérités religieuses, politiques, idéologiques sont incontestables, irréfutables ( Cf Popper ) n’étant pas vérifiables.
L’autorité et le nombre de ceux qui les accréditent leur assurent une légitimité apparente.
Contingentes bien que dogmatiques, traduisant le besoin de permanence et de certitude, relatives elles n’expriment pourtant que les préjugés, les conventions, les goûts, les coutumes, les moeurs, le sentiment de la vie d’une époque et d’un groupe humain déterminé.

Les critères kantiens d’universalité et de nécessité censés fonder intemporellement la proposition vraie paraissent à tout le moins discutables.
Le jugement de vérité, toujours exprimé « ici et maintenant » par un sujet, n’étant jamais qu’un événement ( cf Antisthène ), est fonction du changement et de l’histoire : < Le temps passe et la vérité s’envole avec… > ( Anonyme )
Comme telle, la vérité apparaît ainsi soumise à l’irréductible et impitoyable précarité ( sur ce point cf les analyses d’Alexandre Kojève, Introduction à la lecture de Hegel )

Faut-il préférer le bonheur à la vérité ?
Problème d’éthique de la connaissance.
Alternative et conflit de valeurs :
la recherche du bonheur -le parfait contentement de notre état- doit-il se subordonner l’exigence du vrai ?
Ou à l’inverse, la vérité doit-elle primer en toutes circonstances et quelles que soient les conséquences existentielles qu’il nous faut supporter ?
Il y a un puritanisme de la connaissance à laquelle il faudrait sacrifier plaisir, amitié, succès, notoriété…
La morale rationaliste, le Socratisme, le Kantisme, le Scientisme de Gaston Bachelard posent la véracité et la véridicité comme des impératifs catégoriques et méthodologiques incontournables
L’utilitariste anglo-saxon ( Jérémie Bentham, John Stuart Mill ), plus tempéré, compassionnel, oblige de proportionner le devoir de vérité au < bien-être > de l’individu et de la société. Le vrai doit céder devant la souffrance que sa manifestation peut occasionner.
Le mystique chrétien, de son côté, définit le salut, la béatitude, par l’adhésion à la < Vérité révélée > dans l’abîme de laquelle il aspire à s’abandonner.
Il existe symétriquement un hédonisme vital qui ne se soucie guère de distinger la vérité de l’erreur ou de l’illusion dès lors que le voluptueux s’épanouit dans la jouissance.
Quant à l’esthète ( J.K. Huysmans, Maurice Barrès ), il cultive le faux et l’artifice en toute connaissance de cause.
Le pragmatisme politique machiavélien enfin s’accommode fort bien du mensonge et de la démagogie.

Mais dans l’hypothèse nietzschéenne d’après laquelle le vrai ne serait qu’une fiction utile et la connaissance humaine une < falsification du réel >, le problème s’évanouit, le vivant ne pouvant se développer que dans le mensonge ou l’illusion. Par delà le bien et le mal.
Au grand dam des moralistes de la connaissance…

DU JUGEMENT, DE l’OPINION ET DE L’IDEE. Qu’est-ce que juger ? Pour juger faut-il seulement apprendre à raisonner ? N’ y a-t-il de liberté que du jugement ? Faut-il fixer des limites à l’ esprit critique ? Faut-il être spécialiste d’un domaine pour en juger ?
Une idée peut-elle être neuve ? Y a-t-il une force des idées ? Peut-on accéder à la réalité sans passer par l’ abstraction ? Apprendre, est-ce seulement s’ informer ?
Que peut une preuve contre un préjugé ? Y a-t-il de bons préjugés ? La diversité des opinions rend elle vaine la recherche de la vérité ? Toutes les opinions sont-elles tolérables ? L’opinion a-t-elle nécessairement tort ?

Qu’est-ce que juger ?
Une conduite mentale. Une attitude existentielle et propositionnelle. Un acte de la pensée.
Une prise de conscience du rapport entre les choses ou les idées suivie d’une assertion par laquelle est posée la vérité de ce rapport.
Le jugement est donc fonction de représentation et de volonté. Il constitue l’ unité de la vie intellectuelle ( cf J. Lagneau )
Alors que l’idée est un jugement condensé, le raisonnement est une suite de jugements.
Le jugement de réalité énonce des existences : je pense donc je suis ; des faits d’expériences : les paysages de reconstitution ont été peints par Félix Vallotton.
Le jugement de valeur est un jugement d’appréciation qui énonce ce que les choses valent aux yeux d’une conscience ou ce qui doit être du point de vue soit de la validité logique, soit du jugement de goût, soit de la morale : ce raisonnement est absurde ; ce ballet est beau ; cet acte est scandaleux.
Tels sont les faits envisagés du point de vue des catégories de la psychologie de la connaissance.
Bien que certains de ces concepts fassent problème -ainsi on ne sait pas exactement ce qu’il faut entendre par < sujet > entendu comme support de la pensée ou < volonté > comprise comme source idéale / transcendantale de l’ acte – , on voit que le libre esprit ne saurait y déroger.
Sauf à se taire… Attitude élégante mais délicate car suspecte.
Il lui faut donc feindre d’en accréditer l’effectivité, la signification et la valeur.

Pour juger, faut-il seulement apprendre à raisonner ? Le raisonnement est l’expression développée de la pensée par où elle se réalise dans l’unité des jugements successifs.
C’est un discours, une opération par laquelle ces jugements sont enchaînés en vue d’aboutir à une conclusion qui établit la vérité, la fausseté ou la probabilité des propositions initiales.
Le raisonnement est l’outil de la pensée logique.
Le syllogisme est, quant à lui, déduction médiate et formelle, telle que deux propositions étant posées, les prémisses, une troisième en est tirée, la conclusion, qui y est logiquement impliquée.
Raisonner syllogistiquement, c’est découvrir le moyen terme.
Car le syllogisme suppose une question.
Ainsi : -Madeleine, qui est nonne, est-elle pucelle ?
Toute nonne ( moyen terme ) est pucelle ( grand terme );
or Madeleine ( petit terme ) est nonne,
donc Madeleine est pucelle.

Mais la pensée raisonnée ne se réduit pas à la maîtrise de la logique. Elle est aussi d’expérience.
Le jugement est une conduite mentale qui enveloppe un ensemble de capacités psychologiques telles que l’attention au monde, la présence d’esprit, l’intuition sensible, la discrimination perceptive, le doute, l’entendement, l’imagination et enfin la volonté.
Il faut dominer la matière aussi bien que mesurer la mise en forme de son jugement.
Pour bien juger, il faut donc… apprendre à vivre.

N’y a-t-il de liberté que du jugement ?
Notre monde vécu est monde mental.
Et l’existence se ramène à la pensée, conscience entendue au sens le plus large:
être affecté ( passions privées, opinions collectives ), être attentif, douter, discriminer, affirmer, nier, sentir, percevoir, imaginer, vouloir…
Le jugement est représentation d’un rapport et assertion posant la vérité, la fausseté ou la probabilité de ce rapport.
Etre libre, c’est juridiquement jouir de libertés et de droits, être autorisé à… ; métaphysiquement, c’est n’être pas contraint ; c’est être soi. Et c’est aussi être maître de soi.
Le mot de liberté désigne enfin l’aptitude à l’autodétermination.
Toute décision supposant choix, doute, délibération, le jugement est accomplissement de cette capacité, actualisation d’ une puissance, jeu par où se définit entre autres l’existence de tout homme et notamment celle du ‘pataphysicien, l’homme de la feinte, de la < représentation > et de la comédie ; ce joueur au second degré.
< Je pense, je suis > ; je suis… à chaque fois que je pense… certes.
Mais < qui > pense ? voilà ( l’irréductible ) question…
Je suis donc liberté en acte à chaque fois que je juge, que je juge ce que je juge et que je juge que je juge…
Quoique néanmoins je n’aie jamais la < connaissance > du référent désigné par le pronom personnel sujet de la proposition et de la représentation.

Faut-il fixer des limites à l’esprit critique ?
Dans son sens philosophique, l’esprit critique -à distinguer de l’esprit de dénigrement- désigne l’attitude de quiconque n’admet aucune affirmation sans en avoir reconnu préalablement la légitimité.
Il est donc principe d’incrédulité.
Kant a constitué le < criticisme > en analyse du < pouvoir de la raison en général considérée par rapport à toutes les connaissances auxquelles elles peut s’élever indépendamment de toute expérience > ( Critique de la raison pure, Préface, Edi.1 )
Le criticisme fait de la critique de la connaissance la condition préalable de l’enquête philosophique.
Fixer des limites à l’esprit critique est le rêve du dogmatique, du sectaire, du clerc, de l’homme de parti et de parti pris :
-limiter le vagabondage, le dévergondage intellectuel ; sédentariser la pensée ; contrôler les flux de la rêverie, de l’imagination créatrice, de l’utopie et de la chimère…
-imposer des interdits et des tabous au nom de l’ < ordre >, de la < raison pratique >, de la < paix civile >… au nom de la < Société > et de < Dieu >…
Saintes idoles…
-Prescrire, interdire, proscrire ; surveiller et punir… telle est la voie < sacrée >.
S’ils tolèrent au nom du < sérieux > la critique < constructive >, s’ ils emploient volontiers l’ironie, ils méprisent cependant le scepticisme, déclaré futile et vain.
Ils condamnent évidemment la pensée dégagée … d’esprit plus luciférien.
Si toutefois ils en saisissent la portée…

Faut-il être spécialiste d’un domaine pour en juger ?
La question enveloppe deux interrogations : -de quoi juge-t-on ? et d’où juge-t-on ?
On ne peut juger que de matières dont on saisit la nature et la valeur. Ce qui suppose des éléments de réflexion, des connaissances.
Faute de quoi on ne sait pas de quoi on juge.
Le spécialiste prétend au monopole du discours légitime. Habilitation, qualification. Il discrédite l’amateur et recuse le dilettante.
Au motif que seul il maîtriserait la totalité du champ d’investigation en question.
Mais juger valablement d’un domaine suppose-t-il qu’on en embrasse la totalité ou qu’on puisse de l’extérieur en critiquer le sens et la portée ?
Ainsi, l’expert est-il le plus apte à juger réflexivement des matières dont il est le spécialiste ?
Virtuosité, érudition, connaissance encyclopédique ne sont souvent que langages privés de métalangage, sans aucune implication réflexive ( recherche des fondements ) ou généalogique ( investigation relative aux sources et à l’origine )

Une idée peut-elle être neuve ? Qu’est-ce qu’une idée ?
Une représentation, l’effet d’un effort mental, un terme, le signe d’une classe de particuliers empiriques obtenue par abstraction.
Une généralité empirique qui se forme par l’habitude du fait des similitudes constantes à tous les individus d’une espèce ou d’une classe donnée (Bergson)
L’idée est un jugement condensé ( J. Lagneau )
C’est aussi l’hypothèse qui provoque l’expérience ( Cl. Bernard )

D’ où vient l’ idée ?
-De mon expérience interne ; du monde extérieur ; de mon imagination créatrice.
Ainsi je sens par évidence immédiate que je suis ; que je pense ; que mes pensées se succèdent ; que je suis lié à un corps; que je puis vouloir et ceci indéfiniment.
Mais, notait déjà Descartes, je ne sais pas < quel > je suis moi qui suis pourtant certain que je suis…
-L’expérience du monde extérieur suscite d’ autre part un flux ininterrompu de représentations que je puis ramener à l’unité de diverses formes conceptuelles pour les constituer en matière de plusieurs sciences.
-Je puis enfin imaginer des êtres fantastiques, des chimères ainsi que des licornes, des constitutions idéales ou encore un ou plusieurs dieux…
Et tous les ouvrages de l’art.
-Quant aux idées spéculatives ( ainsi les < idées > de Platon ), elles sont des concepts de la raison auxquels nul objet qui leur corresponde ne peut être donné dans les sens ( Kant )
Ainsi les idées de moi-substance, de monde comme totalité des phénomènes, de Dieu.
Une idée sera dite neuve : -si, inédite, inouïe, la relation qu’elle exprime est établie pour la première fois en raison de l’originalité de la pensée, de la sensibilité, de l’intuition, de l’imagination, de l’échelle d’observation de qui la compose.
-à chaque rappel ou réitération ; car elle n’existe qu’à chaque fois où elle se présente à mon attention dans toute son évidence et quand je la figure par un symbole verbal, un signe mathématique ou une image poétique.
Et il faut affirmer que le monde, ce monde, notre monde, n’est à strictement parler qu’un monde d’ idées -effets de notre représentation ( cf Berkeley, Schopenhauer )
Car l’univers vécu est chose mentale ; et nul ne peut sortir de soi, c’est-à-dire de ses idées, de ses représentations ( cf Alfred Jarry )
-du fait que ce monde représenté peut être renouvelé et enrichi indéfiniment… par l’invention et la création dans tous les domaines où la fonction symbolique est en jeu.

Y a-t-il une force des idées ? Représentation abstraite et générale, relation conçue, une idée est dite vraie ( exacte ), fausse, probable.
On peut évoquer sa fécondité, sa portée, son efficacité.
< Toute l’initiative expérimentale est dans l’idée, affirme Claude Bernard, car c’est elle qui provoque l’expérience. La raison ou le raisonnement ne servent qu’à déduire les conséquences de cette idée et à les soumettre à l’expérience. Une idée anticipée ou hypothèse est donc le point de départ de tout raisonnement expérimental >
Cette idée  » a priori » ou idée « préconçue » -à distinguer du préjugé-, est donc la vie même de l’esprit.
L’Idée de la raison spéculative, l’ < Idée transcendantale > est par contre < concept nécessaire de la raison auquel nul objet qui lui correspond ne peut être donné dans les sens > ( Kant, Critique de la raison pure ) Elle est donc inconnaissable ; ainsi les idées de Dieu, d’âme ou de monde, l’univers simplement « pensé » comme totalité des phénomènes.
Ces < Idées > ont néanmoins une valeur heuristique dans la mesure ou elles sucitent la recherche et le progrès des sciences.

Mais les idées ont aussi pour caractère de n’être pas seulement des représentations ; elles incitent à l’action.
Elles n’expriment pas seulement un discernement, elles enveloppent une préférence ; toute force psychique est vouloir ( cf Alfred Fouillée et son concept d’ « idée-force » ) Quelles sont en effet les forces qui meuvent les hommes ?
Les intérêts, les passions et… les idées.
Les mobiles et les motifs de l’action sont toujours plus ou moins représentés.
Or il s’agit là d’entités mentales, d’idées.
En conséquence, et quelle que soit leur portée, ce sont bien les idées qui mènent et gouvernent le monde.

Spontanées ou réfléchies, individuelles ou collectives, rationnelles ou de simple opinion, mythiques, utopiques ou fantastiques, véritables < nourritures psychiques > ( R. Ruyer ), elles convainquent, séduisent, alarment, intoxiquent…
Et si l’humanité peut changer de vision, il semble qu’elle ne puisse se passer de vision.

Peut-on accéder à la réalité sans passer par l’ abstraction ?
Le < réel > est réel… représenté, conçu ou imaginé.
En tant que tel, en soi, il nous est extérieur, étranger.
Et notre propre corps même, cette réalité la plus proche, n’existe pour nous que parce qu’il est ressenti, senti, exploré, imaginé, figuré, conceptualisé.
D’où les trois approches classiques :
< Je suis un corps > ( Lucrèce, matérialisme ), < j’ habite un corps > ( Merleau-Ponty, phénoménologie ), < j’ai un corps > ( Descartes, dualisme spiritualiste ) .
Notre connaissance est connaissance médiate et la chose, toute chose, sont extérieures à la représentation que nous en avons.
Irréductiblement.
L’effusion même n’est pas fusion.
Ceci vaut pour l’amant, le poète surréaliste, le drogué, le prophète inspiré … quoi qu’ils en aient…
L’expérience < mystique > qui prétend dépasser le concept et l’image -afin de saisir le « réel » par le vide des conditionnalités et l’intuition pure ( A. Huxley, Les portes de la perception )-, ne serait elle qu’un leurre ?

Apprendre, est-ce seulement s’informer ? Apprendre, c’est comprendre afin d’assimiler. C’est une conduite d’acquisition ( marche, propreté, savoir-faire, métier… ) C’est saisir les relations entre les choses par les idées.
Ce qui suppose, au-delà du réflexe conditionnel ( dressage ), le comportement intelligent ( effort mental, attention, représentation, habitude, mémoire, figuration et symbolisation, abstraction, groupements, sériations ( cf Piaget )
Apprendre, c’est donner forme, tout autant que recevoir, s’informer.
C’est dépasser le donné de l’information.
C’est douter, discriminer, analyser, apprécier. C’est juger. Apprendre, c’est donc comprendre les limites de l’information / déformation, en dégager les sources, en soupçonner les prétentions et les faux-semblants, voire s’ en jouer.

Que peut une preuve contre un préjugé ? Un préjugé est un assentiment donné à une proposition sans les preuves.
Une opinion admise avec l illusion d’un jugement préalable réfléchi.
La généralisation spontanée de l’expérience personnelle, l’humeur et la rumeur, l’opinion, constituent son prétendu fondement alors qu’elles n’en constituent que l’origine.
Consensuel, le préjugé sécurise et permet l’intégration au groupe, à la communauté ( cf Herder ) Telle est sa fonction.
Et il est légitime de se demander si la < bêtise > au sens de G. Flaubert, ne serait pas le ciment « spirituel » et habituel des communautés ( ethniques, politiques, religieuses et autres.. )

La preuve est l’ épreuve, la vérification d’ une hypothèse.
S’agissant d’un préjugé, la preuve peut en montrer la vanité mais il n’ est pas en son pouvoir de le dissiper.
La logique propre au jugement de connaissance est distincte de la logique affective.
La preuve peut obliger l’ intelligence à admettre par démonstration ou vérification la vérité, l’exactitude d’une thèse ; elle ne peut contraindre les passions à se rendre à l’autorité de ses raisons.
Et le pédagogisme rationaliste est illusoire car la raison est ici impuissante et vaine ( cf Hume )
D’ où sa frustration, son dépit, son harcèlement, et aussi sa hargne persécutrice.

Y a-t-il de bons préjugés ? Substituant la canonique à la dialectique ( Platon), la connaissance des choses sensibles à la spéculation relative aux Idées, Epicure analyse la valeur de la prénotion ( prolepsis ), anticipation ( catalepsis ), opinion juste, ou conception générale, effet de répétition et souvenir d’expériences passées.
Ainsi, prononcer le terme < homme >, c’est penser immédiatement à son image, en vertu de l’anticipation, qui provient des sensations passées et extérieures.
Le préjugé, au sens de prénotion, est donc, dans ce contexte, source de la connaisance.

Plus généralement un < bon > préjugé est un préjugé utile.
A noter que la plupart des convictions ne sont en fait que de simples préjugés, opinions non critiques et non réfléchies par qui les exprime.
-L’efficacité, mais non la vérité, constitue sa valeur de référence.
En ce sens, les préjugés qui maintiennent la sécurité d’esprit, le confort intellectuel, l’ordre moral, la paix des familles et des nations, la cohérence des groupes et le bonheur des troupeaux appelés < communautés > sont assurément de « bons » préjugés… Voir Herder, Une autre philosophie de l’histoire ….
Et enfermer autrui dans le piège et le labyrinthe du « bon préjugé « , n’est-ce pas la finalité avouée de … toute « éducation bien comprise  » ?…

La diversité des opinions rend elle vaine la recherche de la vérité ? L’ opinion est une croyance ou une prise de position allant de la simple impression à la ferme affirmation et sans examen critique.
L’opinion publique est la pensée sociale dominante sur les questions politiques, économiques, sociales, religieuses, éthiques, philosophiques, etc. La vérité ne concerne que les jugements de connaissance. La preuve réalise le consensus par la démonstration et la vérification, par la production des faits.
Consensus contourné cependant par l’ignorance, l’ illusion, la mauvaise foi ou encore la sottise.

Dans le domaine de la connaissance, la vérité est, après examen, destruction des opinions.
Et il n’est rien de plus exclusif et de plus intolérant que la proposition vraie.
Dans les domaines axiologiques relevant du plausible, la vérité est impossible à établir.
Il n’y a pas de vérité dans le monde de la politique, du droit, en morale, en religion, en art, en philosophie, en économie.
Il n’ y a que des préférences, des imaginations et des émotions, des goûts et des aversions.
On n’y rencontre ni démonstration, ni vérification mais uniquement des stipulations et / ou la cohérence des argumentations.
C’est donc perdre son temps que de prétendre fonder ou disqualifier en vérité une opinion.

Toutes les opinions sont-elles tolérables ? Tolérer désigne étymologiquement une vertu : la capacité à endurer. Au sens convenu la tolérance consiste :
-à laisser à chacun la possibilité d’exprimer des opinions qu’on ne partage pas ;-à ne pas défendre ses opinions par la violence ; -à soustraire la prétention à la vérité du débat idéologique portant sur des matières politiques, éthiques, juridiques, économiques, religieuses… Toutefois le jugement de connaissance n’admet pas la tolérance. Il corrige les erreurs.
Cependant que le jugement de valeur concerne tous les autres domaines axiologiques dominés par la relativité et l’équivalence des opinions dans les débats où… seules la force, l’autorité ou le nombre peuvent trancher et tranchent effectivement.
Au grand dam des chantres de la tolérance…

L’opinion a-t-elle nécessairement tort ?
L’opinion, prise de position par le sujet allant de l’impression à la ferme affirmation, est habituellement définie comme la manifestation d’une croyance non soumise à un examen critique effectif, comme le < fait de tenir quelque chose pour vrai, avec la conscience d’une insuffisance subjective aussi bien qu’objective de ce jugement > ( Kant, Logique )
Est-il de sa nature de ne pouvoir échapper au reproche de n’être pas fondée ou de ne l’être qu’insuffisamment ? D’avoir la « raison » contre soi ?
Fait elle injure à la vérité ? Dans l’hypothèse où elle serait prétention de connaissance alors qu’elle n’est que simple conjecture ou imprécise approximation, elle fait l’unanimité contre elle ( Platon, Descartes, Spinoza, Malebranche, Kant, Bachelard, Alain… ) :
-elle est soumise à l’étroitesse de la sensibilité humaine ( Malebranche, Recherche de la vérité )
-elle est la proie irréfléchie des < puissances trompeuses > de l’imagination incontrôlée et de l’illusion ( Pascal, Pensées )
-elle est le véhicule précritique des rumeurs ( Montaigne, Essais )
-elle définit son objet d’une manière non pertinente, ne raisonne que sur des cas particuliers et ses inductions sont hasardeuses ( John Stuart Mill, Logique )

Connaissance  » du premier genre  » ( Spinoza, Court Traité ), « connaissance errante » ( Alain, Eléments de philosophie ), elle est extérieure à la preuve.
Ainsi constitue-t-elle un « obstacle épistémologique » ( Bachelard, Rationalisme appliqué ) à la connaissance < rationnelle >.
-quant à < l’opinion droite > définie par Platon dans le Ménon, elle n’est qu’une façon de se tenir irrationnellement, comme par hasard ou par simple habileté, dans la vérité.

Dans le domaine de la vie pratique, étrangère à la nécessité logique, au raisonnement démonstratif, là où règne la contingence, l’urgence et l’esprit d’a propos, sa valeur pragmatique d’adaptation est par contre reconnue comme un inévitable pis aller mais aussi comme un atout ( probabilité du < sens commun > selon Aristote, Ethique à Nicomaque, < Morale provisoire > de Descartes, Discours de la méthode… )

Dans le domaine spéculatif, monde des idéologies confessionnelles ou politiques, l’opinion, invérifiable par l’expérience -et donc par là même irréfutable-, règne sans partage… La rhétorique se substitue à la logique.
Il en est de même des disputes de pure dialectique où elle prospère, alimentant les interminables querelles des métaphysiciens ( cf Kant, Critique de la raison pure ) Ainsi : < Le monde a-t-il ou non un commencement dans le temps et des limites dans l’espace ? >

Dans la sphère publique enfin, elle fonde paradoxalement la démocratie représentative et participative -notamment par la pratique du débat- avec la caution philosophique idéaliste et post-kantienne de < l’éthique communicationnelle > ( cf Habermas… ).
C’est ainsi que règne, toute puissante, < l’opinion publique > idole fétichisée, qui, à défaut de présenter des raisons, a, de fait… toujours raison.
Alors que certains, résolument réfractaires, n’y voient que le despotisme des minorités et des majorités …

Toute vérité est-elle démontrable ?
Démontrer, c’est montrer, faire voir.
La démonstration suppose la vérité déjà connue au point de vue psychologique mais non reconnue comme vérité au point de vue logique.
Démontrer, en logique formelle, c’est passer de propositions admises à une proposition qui en résulte nécessairement. Démonstration est synonyme de déduction. En arithmétique, en géométrie et en analyse, c’est construire un raisonnement qui procède par substitution de grandeurs égales ou équivalentes.
Pourquoi démontre-t-on ?
Pour stabiliser l’esprit. Pour mettre fin au doute.
La < vérité > est un terme de logique, un terme de métalangage.
On parlera de vérité d’une proposition à propos de sa cohérence ou de sa relation à un état de choses, un donné.
Une proposition est déclarée vraie -c’est-à-dire s’impose à l’assentiment-, au terme :
-d’un procès de démonstration : vérité formelle, établie au sein des systèmes hypothético-déductifs, parmi lesquels les mathématiques et leurs théorèmes.
Un langage formel comprend un vocabulaire de base formé des termes à partir desquels seront constitués les autres par définition; des règles de formation qui permettent de combiner ces termes de façon à constituer des énoncés autorisés (propositions); des règles de transformation qui permettent de tirer de certaines propositions de nouvelles propositions équivalentes ( cf Tarski / Hilbert )
-d’un procès de vérification, dans le domaine des sciences de la nature, à savoir : a) d’une conjecture relative à un évènement, à un objet physique, un comportement ; ( Les sciences du réel, à la différence des systèmes formels, sont constituées de propositions dotées de contenu. Certains de leurs termes sont placés en correspondance directement ou indirectement avec un donné distinct d’eux, objet physique, événement, comportement… Les propositions où ces termes interviennent ont pour but de les décrire, de les expliquer ou de les prédire d’après des règles sémantiques qui constituent la définition empirique desdits termes )
b) d’une loi, relative à une classe de phénomènes étudiés dans des circonstances bien déterminées ;
c) d’une théorie, dans le contexte d’un effort de synthèse explicative embrassant l’ensemble d’une question.
-d’un procès d’instruction, dans le cadre d’une enquête judiciaire, par production et / ou reconstitution des faits sur la base d’ indices et du relevé critique des témoignages.

Au sens strict, seules les propositions de la première espèce -les vérités de définition- peuvent être dites < démontrables >.
L’un des ressorts de la preuve -ce qui engage l’assentiment- est donc la < démonstration >, c’est-à-dire la déduction formelle qui consiste à passer de propositions admises à une proposition qui en résulte nécessairement.
< Preuve est un terme du langage courant et il évoque un contexte psychologique et social : la preuve s’attaque à un doute et à une objection réelle ; elle a pour objet de faire partager une conviction. Démonstration est un terme du vocabulaire scientifique, et il évoque le processus de la pensée hypothético-déductive, qui cherche à savoir, non pas ce qui est, mais ce qui serait si certaines conditions qui constituent les données du problème se trouvaient réalisées. De plus si toutes les démonstrations peuvent être appelées preuves, toutes les preuves ne constituent pas des démonstrations. Dans certains cas, pour prouver, on se contente de produire un fait qui met fin au doute : nous avons là une preuve qui n’est pas une démonstration > Paul Foulquié, Traité élémentaire de philosophie

Des < vérités non démontrables > seraient des énoncés ou des propositions déclarées < vraies > bien que ne relevant pas de la rationalité logique, expérimentale ou argumentative.
Ainsi évoque-t-on parfois les < vérités de la foi >, les croyances, les < vérités du coeur >, les affects, ou encore les < convictions >.

-les < vérités de la foi > sont les illuminations mystiques ou les dogmes religieux stipulés indiscutables par les prêtres.
Ainsi la < vision en Dieu >, la < béatitude > ou encore le dogme de < la Trinité >… Elles ne relèvent ni de la démonstration ni de la vérification ; elles traduisent l’expérience effusionnelle d’un < mystère incompréhensible >, parascientifique, un au-delà / en-deçà de la raison.
Un dogme ne se démontre pas, il se pose. Il n’a d’autre justification, d’autre fondement que celle de l’autorité qui l’a posé et imposé.
La valeur d’objectivité des < vérités de la foi > est récusée par la science dont elles débordent le langage intersubjectif.
-les < vérités de coeur > sont les données immédiates de l’affectivité, les émotions, les passions et les sentiments.
Irrationnelles, elles s’imposent au sujet qui les éprouve dans un climat d’évidence pour lui-même incontestable.
-les < convictions > sont le plus souvent de simples opinions renforcées par l’habitude présentant une apparence de plausibilité aux yeux de qui les partage sans véritable examen critique. Ce n’est pourtant que par un abus de langage que des expériences aussi distinctes de la vérité rationnelle sont ramenées à l’unité d’un concept commun.
Peut-on en effet donner des opinions, des émotions, des dogmes ou des visions pour des évidences dont la valeur de vérité serait assurée ?
Alors qu’il s’agit d’expériences privées dont il est impossible objectivement -indépendamment de la sincérité et de la bonne foi de celui qui les allègue- de définir la validité.

Il convient donc de distinguer les domaines respectifs du logique, du psychologique, du rhétorique et du spéculatif.
Et de constater que l’ < évidence >, concept obscur, est moins un critère logique de < vérité > qu’un indice psychologique de < certitude >.
( Sur ce point, cf l’opposition de Leibniz à Descartes )
La < vérité >, attribut qualifiant la proposition démontrable et/ou démontrée, énoncé logico-mathématique, n’est donc ni < réalité >, ni < émotion >, ni < dogme >, ni < opinion >, ni < Vision >.
Etablie, elle est un effet de symbolisation et d’un calcul, d’une < fiction rationnelle >.


 DE L’INTERPRETATION

Interpréter, expliquer, comprendre
Notions unies en série par un même désir : la recherche de < l’intelligibilité >.
Un texte, un propos, une attitude, un rêve, un signe, une succession de phénomènes naturels, d’événements insolites…
Il s’agit de réduire l’absurde, d’éclaircir l’équivocité, de conquérir le sens.

  1. < Expliquer >, c’est connaître les lois de coexistence ou de succession des phénomènes, leur < comment > ( d’après l’école empiriste ) ou déterminer les causes des phénomènes, leur raison suffisante, leur < pourquoi > ( d’après l’école rationaliste ).
    Les sciences explicatives sont les sciences de la nature qui ont pour objet les êtres et les relations n’exprimant ni intention ni signification : la formation d’une étoile, la pesanteur, la dérive des continents, une éruption volcanique, la disparition catastrophique d’une espèce, l’érosion éolienne, l’émergence de l’homme, une grippe…
  2. < Comprendre >, c’est par contre relever des significations intentionnelles.
    C’est prétendre saisir le sens vrai, conforme à l’intention première.
    La compréhension est fondée sur les idées de dessein, de fin, de projet ( cf Dilthey ). Elle concerne plus proprement le monde des relations et des sciences humaines.
    -Comprendre serait « l’autre face de l’action « ( cf Max Scheler, Hanna Arendt, H.G. Gadamer,Vérité et méthode, Paul Ricoeur )
    La « compréhension » de l’objet d’étude -conduite humaine ou Ecriture sainte-, précéderait (cercle herméneutique) l’investigation historique et philosophique. Elle nécessiterait des capacités d’analyse mais aussi un « coeur intelligent »…
    -Avant d’être un concept psychologique puis méthodologique, la < compréhension > est une notion théologique spiritualiste, voire mystique, issue de la tradition religieuse chrétienne.
    Notion prise à saint Augustin à propos du problème de l’intuition des  » vérités éternelles « : < il faut comprendre pour croire et croire pour comprendre >.
    Ainsi l’homme ne serait pas maître du s/ Sens dont il dépend ; sa tâche serait de tenter d’élucider ce s/Sens…
    Mais d’où provient cette mystérieuse faculté de compréhension ? serait-ce un don ? un talent, une disposition naturelle ? un effet de la grâce efficace ?…
  3. < Interpréter >, c’est < dévoiler le sens de… > , c’est < donner un sens à… >, expliquer, commenter, traduire, jouer, incarner un personnage, une oeuvre musicale.
    3.1. Le passage de la compréhension à l’interprétation est fonction de < l’équivocité > et de < l’ambiguité > de l’objet à expliquer.
    < Ambigu > se dit de la proposition amphibologique ; celle qui suscite l’incertitude en raison de sa construction ou du choix de certains mots :
    les magistrats jugent les enfants coupables ( les enfants qui sont coupables ou que les enfants sont coupables ? ).
    < Equivoque > se dit de toute expression qui possède ou semble recéler deux sens également valables et dont en conséquence la signification n’est pas certaine ou fixée.
    Ainsi le < chien > signifie à la fois l’animal et la constellation.
    Un mot, un sourire, un geste peuvent traduire l’accord ou la malice.
    L’interprétation s’efforce de clarifier ces significations à la fois intentionnelles et embrouillées.
    L’équivocité appelle donc l’interprétation de quiconque ne se satisfait pas de l’obscurité ou de la confusion.
    Cependant l’équivocité peut-elle toujours être dépassée ?
    Un poème, par exemple, doit conserver quelque ambiguité ; faute de quoi il n’est que message, banal vecteur d’informations.
    Il est entrelacement d’images.
    L’ < image > -au point de vue rhétorique- désigne une classe de procédés où un objet est représenté par un autre objet qui rend le premier plus facile à saisir.
    L’image peut être une comparaison ( rapprochement des deux objets ), une métaphore ( fusion des deux termes de la comparaison ) Développée, elle devient symbole, allégorie, apologue, parabole… Les Symbolistes suggèrent moins en conservant une certaine logique de la pensée qu’en utilisant le mot pour ce qu’il enveloppe de latences, en l’harmonisant avec d’autres mots afin de créer une symphonie d’évocations à résonances multiples ( Mallarmé, Rimbaud ) Les Surréalistes selon Aragon ( Le Paysan de Paris ) méprisent le monde insatisfaisant de la raison et lui substituent celui, plus réel, de l’inconscient d’où l’image -entendue dans sa signification seconde comme sentiment du concret par l’évocation de la couleur, de la forme, du mouvement etc.-, jaillit.
    Plus généralement ambiguïté et équivocité, espèces de la polysémie, ne sont-elles pas des attributs propres au < sens > ?
    On identifie habituellement le sens -effet d’une conduite d’orientation- avec tout ce qu’enveloppe le langage :
    -l’indication ou la désignation (rapport de la proposition avec l’état de chose extérieur (cf la référence selon G. Frege);
    -la manifestation (relation de la proposition avec le sujet qui l’exprime);
    -la signification (rapport des moyens d’expression avec les concepts généraux);

-< l’exprimé pur >, irréductible aux autres dimensions de la proposition ( selon Deleuze, Logique du sens ) et générateur d’équivocité.
L’interprétation n’est-elle pas elle-même source d’équivocité ?
-Maladroite, elle peut n’être que leurre ; du faux sens au non sens, par le contresens.
-Désir de comprendre, elle peut devenir obstacle, écran à la compréhension.
Projection de significations réductrices, elle finit par recouvrir l’objet à interpréter.
-D’un autre côté, l’interprétation est toujours plurielle. Elle n’est jamais décodage élémentaire d’un message.

L’interprétation serait le propre de < l’animal interprétant > ( Hans Georg Gadamer, Vérité et méthode ). Elle aurait une portée ontologique, la compréhension étant l’attitude propre à l’existant.
Nous appartiendrions à nos préjugés et au langage comme à une réalité qui nous précède et nous strie. Et qui orienterait l’exercice du jugement.
Héritiers, nous serions marqués par ces structures, par ces traditions.
En conséquence de quoi la tâche première du philosophe serait moins de se défaire de ses préjugés qu’à les approfondir.
La vérité relèverait tout autant d’une entreprise herméneutique que de la recherche scientifique. La notion de sens, quant à elle, fait problème. Elle connote une dimension d'< intention >.
-Un vol d’ oiseaux a-t-il vraiment une signification à la manière d’un texte signifiant ? Conjecture de l’augure…
-Un rêve est-il réellement interprétable ? ou n’est-il qu’occasion, prétexte, pour une grammaire interprétative réductrice, par exemple freudienne ou religieuse, une clef des songes, d’affirmer sa pertinence ?
D’où le problème : quel est alors le critère du recours justifié à l’interprétation ?
Qu’est-ce qui relève de cette technique ou n’en relève pas ?

Car si interpréter c’est dégager un sens, c’est aussi donner un sens.
L’interprétation est en effet toujours plus ou moins anticipation et invention.
Ainsi la < traduction > est recherche d’équivalences pertinentes mais aussi stratégie de débordement des difficultés à produire ces équivalences.
-< Traduire, trahir >, dit l’adage…
Une partition musicale, un texte dramatique s’enrichissent et / ou s’appauvrissent des interprétations des acteurs et des partis pris de la mise en scène, de la tradition et des rénovateurs, des commentaires des critiques, de la réception du public.
Le s/Sens préexiste-t-il à l’interprétation à la manière d’une < chose cachée > à < découvrir > ? Ou se construit-il indéfiniment dans un processus de reprises variées -à la manière d’un thème nourri de ses broderies et de ses variations
Répondre positivement ne revient-il pas à le constituer en chose-en-soi, en idole en fétiche ?

Sur l’herméneutique et l’exégèse : Chez les oracles ( UBU 76 ) ; Spinoza, Traité des Autorités théologiques et politiques.
juin 2004