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Cinquième série. ‘Pata koans dissertatifs.
La liberté.
Le travail et les échanges

De la liberté.

La liberté peut-elle être prouvée ? Sommes-nous responsables de notre manque de volonté ? Peut-on opposer le devoir à la liberté ? Exiger l’obéissance, est-ce nécessairement porter atteinte à la liberté ? Suis-je libre de penser ce que je veux ? La liberté se définit-elle comme un pouvoir de refuser ?

La liberté peut-elle être prouvée ?

Au sens vulgaire le concept de < liberté > désigne le pouvoir de se mouvoir ( liberté physique ), d’agir ( liberté civile ), de jouir de ses droits ( liberté politique ), de se conduire selon sa conscience ( liberté d’opinion ), de penser et de s’ exprimer… sans contrainte.
Quant à la liberté des philosophes, la < liberté rationnelle >, elle définit la capacité à juger et à agir en pleine conscience, conformément à l’exigence de vérité ou du bien.
Ce qui enveloppe le pouvoir de se déterminer rationnellement sans être contraint par une force extérieure.

< Prouver >, c’est vérifier le bien fondé d’une proposition, c’est attester la réalité d’un fait.

Prétendre < prouver la liberté > revient alors à réfuter les tenants du déterminisme et du fatalisme.
Débat académique…
-D’un côté on alléguera :
1 ) ( déterminisme théologique) l’incompatibilité de la liberté avec les attributs divins, la toute puissance de Dieu, la préscience du futur, etc…
2) ( déterminisme physique ) les principes de conservation du mouvement et de l’énergie,  » rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ».
Il y aurait dans l’univers une quantité donnée de mouvement et d’énergie et tous les changements observables s’expliqueraient par des déplacements dans la répartition de cette quantité. Tout phénomène ne serait ainsi que la conséquence nécessaire des changements antérieurs, banal effet de réorganisation ; en conséquence la nouveauté ainsi que la liberté effective seraient impossibles.
( Car l’inédit et la liberté supposent qu’un phénomène véritablement nouveau apparaisse, précédé par rien, et qui n’est pas la transformation d’une énergie ou d’un mouvement déjà présent.
La liberté authentique signifiant, selon cette veine, < création >. Thèse de Bergson )
Les deux premiers déterminismes supposent l’éternité et la solidarité du tout des phénomènes identiques à l’être universel lui même formant un prédéterminisme absolu dont la raison d’être, située à l’infini est inaccessible ( cf Renouvier, les dilemmes de la métaphysique pure )
Ainsi tout phénomène est issu d’antécédents, qui ont renfermé sa cause suffisante, et nul phénomène ne peut entrer dans la série sans être l’effet d’une telle cause suffisante.
3) ( déterminisme psychologique ) que tout acte prétendument libre a son origine dans un choix entre plusieurs motifs ; et que ces motifs déterminent l’acte au sens où c’est le motif le plus puissant qui entraîne la décision.

Le choix ne serait qu’apparent et, connaissant les motifs, il serait possible de prévoir l’acte avant même qu’il ne soit accompli.
Car l’individu est ici défini comme caractère et somme des influences qui s’exercent sur lui. En conséquence de quoi la décision et l’acte prétendus libres pourraient être prévus dès lors que seraient connues la personnalité psychologique et les circonstances de la délibération.
-D’un autre côté on contestera :
A ) les allégations des déterminisme théologique, métaphysiques ( Stoa, Spinoza, Hegel…) et les certitudes de la physique classique ( Laplace )
1) à la manière d’Epicure et de Lucrèce pour lesquels le < clinamen > a pour fonction de soustraire l’homme à toute solidarité aussi bien physique que politique ou encore mentale ce qui lui assure la capacité de se diriger selon certains préceptes de vie et d’obtenir le bonheur.
Clinamen ( déviation ) fortuit des particules et des faits de hasard, aptitude contingente à la libre décision du sage, accident parmi les accidents, délié de la chaîne des causes, de la volonté de Dieu ou encore de la fatalité.
Les petits écarts aléatoires des particules, le hasard des rencontres d’atomes, les insécables, soustraient ainsi le monde et le sage à la rigoureuse causalité des lois mécaniques.
2) en se fondant sur les conclusions de la science contemporaine remettant en cause le déterminisme absolu de Laplace.
Ainsi la < Théorie du chaos >, science de la complexité, s’efforce d’expliquer comment au sein des systèmes dynamiques, l’ordre émerge du désordre, comment des conséquences imprévisibles peuvent naître de règles simples.
L’ordre pouvant surgir spontanément de l’interaction de nombreuses entités simples.
La non linéarité, l’apériodicité, la turbulence, la dépendance sensitive aux conditions initiales, la complexité, l’interaction, l’émergence, l’instabilité, le hasard, la fractalité, l’incertitude, l’imprévisibilité … constituent désormais le vocabulaire de la représentation scientifique contemporaine de l’univers et des < systèmes dynamiques > qui ressortissent à la Théorie du chaos, la nouvelle image de la nature.
Ce vocabulaire nourrit la recherche scientifique comme la spéculation métaphysique sur les plans cosmologique, mathématique, physique, biologique, physiologique, psychologique, sociologique, économiques ( cf Poincaré, Lorenz, Smale, May, Feigenbaum, Mandelbrot, Stephen Jay Gould, Libchaber… ).
B ) les présupposés du déterminisme psychologique.
1 ) en alléguant à la manière de Biran ou encore de Lequier ( Recherche d’une première vérité ) le < sentiment de liberté > qui accompagnerait l’effort de choix et de décision.
2 ) en critiquant la thèse selon laquelle l’état de conscience actuel serait nécessité par les états précédents ( cf Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience )
Thèse supposant une interprétation associationniste de la vie mentale que l’on décompose en éléments psychiques à partir desquels on cherche à reconstruire l’acte pour en comprendre la possibilité. Acte réduit à un résultat, une combinaison, une somme d’éléments préalablement existants.
Or le mot de < liberté > possède selon Bergson un sens intermédiaire entre ceux qu’on accorde d’habitude aux deux termes de < liberté > et de < libre arbitre >.
Si être libre c’est d’une part être entièrement soi-même, agir en conformité avec soi -indépendance de la personne vis à vis de tout ce qui n’est pas elle-, ce n’est pas dépendre de soi même à la manière d’un effet lié à la cause qui le détermine nécessairement.
Cette liberté est néanmoins différente du libre-arbitre qui implique au sens habituel la possibilité des contraires.
La liberté est un rapport de soi à soi ; être libre c’est ne dépendre que de soi ; l’acte est libre quand le moi en est l’auteur et l’auteur est un être qui existe par soi. Et la liberté n’est pas un pouvoir -puissance intellectuelle de choix entre les possibles et les motifs-, mais une < manifestation d’être >.
Si dans la vie quotidienne l’acte quelconque est généralement déterminé par un motif, l’acte véritablement libre est rare, le moi se modifiant lui même donnant un sens aux motifs par la création de soi par soi qu’il opére.
La liberté est ainsi création et l’acte libre peut se comprendre par analogie avec l’invention et la genèse de l’oeuvre d’art.
L’acte libre est donc une contingence et une causalité psychique différente de celle par laquelle le physicien et le Freudien pensent la liaison nécessaire des phénomènes -création par l’acte lui-même de quelque chose qui n’existe pas dans les antécédents.
Partant le libre-arbitre est une illusion, au même titre que l’idée de prévisibilité des actions et la croyance en la causalité unique.
Dans cette perspective la liberté est indéfinissable; le sujet en aurait l’intuition quand il agit ; le sentiment de l’effort dans les expériences de l’ attention, du rappel et de la création serait incontestable et irréductible.

Pourtant alléguer un sentiment n’a pas de valeur logique et ne saurait en conséquence engager la conviction.
Dualité irréductible de la logique et de l’existence…
Et s’il est désormais possible d’affirmer -scientifiquement- la contingence, on ne saurait toutefois prouver la liberté bien qu’on puisse la constituer en pétition de principe -cas de Sartre.
A la rigueur, peut-être, l’éprouve-t-on…

Sommes-nous responsables de notre manque de volonté ?

< Être responsable >, c’est répondre de.., c’est pour la personne manifester une solidarité avec ses actes et s’en reconnaître l’auteur.
C’est, au regard de leur intention, en assumer le mérite et le démérite.
L’idée de responsabilité enveloppe donc l’idée de conscience et l’idée de liberté chez l’agent.
Cependant le concept de libre-arbitre est ambigu.
Pour que je sois responsable de mes fautes et punissable par un tribunal il faut admettre que dans la même situation j’aurais pu agir autrement.
Or le libre arbitre est-il autre chose qu’une croyance ?
Poser le libre arbitre, c’est nier le déterminisme et attribuer la conduite à un pur principe abstrait affirmant son hégémonie sur les désirs, les mobiles et les motifs de l’action -quand bien même il serait non pas tant un agir sans choix qu’un choix entre des motifs en balance.
D’un autre côté le libre arbitre peut-être posé comme affect, comme sentiment vécu ( J. lequier ) et comme expérience de l’effort ( Maine de Biran )
Mais est-il autre chose qu’un concept spéculatif, par exemple un simple postulat de la raison pratique ( Kant ) ?
En conséquence l’idée de responsabilité demeure -au moins sur le plan métaphysique-, une idée problématique.

< Vouloir >, c’est passer à l’acte. C’est agir individuellement et consciemment.
Ce qui implique classiquement la séquence : conception, délibération, décision et exécution.
Par ailleurs la volonté n’est pas seulement un principe abstrait pensé comme origine absolue de l’action. C’est une catégorie générale qui vaut pour la classe des volitions particulières.
Elle enveloppe désirs, mémoire, sentiments, croyances morales, etc.
D’où deux possibilités.

Soit que la volition aille en même sens que ce qui l’incline, soit qu’elle s’y oppose, adoptant dans les deux cas la stratégie de recherche des moyens les plus adaptés à la satisfaction des fins poursuivies par l’agent.

En conséquence manquer de volonté, ce serait : ou bien souffrir d’une inhibition affective empêchant l’action, ou bien l’incapacité à résister à l’impulsion, à la tendance, à la sollicitation.
Nous pourrions donc manquer de volonté…

Mais être déclaré psychologiquement et moralement < responsable > de ce manque, c’est non seulement se voir reproché une carence coupable mais surtout être métaphysiquement constitué en origine absolue de la conduite.
Allégation purement spéculative et performative.

Peut-on opposer le devoir à la liberté ?

On peut souscrire extérieurement et formellement aux lois, au Droit, aux us et coutumes :
Etre libre, c’est agir conformément au devoir.
Thèse du conformisme éthique ou du pharisaïsme. Thèse politique. La paix sociale est à ce prix.

On peut identifier le devoir et la liberté :
Etre libre, c’est faire son devoir. C’est agir par devoir, par respect de la Loi.
Conduite d’autonomie, rationnelle et dégagée de la tutelle des clercs comme de la force de la nature ( sensibilité, inclinations, penchants ).
Postulat de la Raison pratique. Thèse de Kant.

On peut nier l’idée même de la valeur du devoir :
Etre libre, c’est refuser tout devoir. Et publiquement.
Thèse libertaire. Ni dieu ni maître.

On peut, à l’écart, étudier l’univers de l’obligation éthique, adopter pour son particulier et en son for intérieur l’attitude qu’on jugera, selon les circonstances, opportune.
Etre libre, c’est alors pour le clandestin, silencieux, furtif : mimer. Figure de l’Anarque.

Exiger l’obéissance, est-ce nécessairement porter atteinte à la liberté ?

A qui obéit-on ?
A la nature, à autrui, ou encore à soi.
Trois concepts signifiant pour trois types de forces qui habituellement nous contraignent.

Pourquoi obéit-on ?
Par contrainte ou par choix.
-Dans le contexte de la contrainte il s’agit de la sanction d’un rapport de forces. Obéir, c’est se soumettre ou être soumis. La volonté est impuissante.
Dans ce cas les libertés physique et civile, la liberté de conscience sont niées. Demeure la liberté rationnelle au sens philosophique -si cette capacité est autre chose qu’un mot-, ou… l’endurante patience qui attend le renversement de ce rapport de forces.
Attitude politique ou ruse du ‘pataphysicien.
-Dans l’hypothèse du choix volontaire l’obéissance est à l’origine du contrat ( Hobbes, Locke, Rousseau, Rawls…) comme fondement de l’ordre politique et de l’échange sanctionné par le droit ; ainsi que de la relation morale comme expression du respect ( Kant )
-Etre libre, ce serait enfin pouvoir être soi ( Bergson, Gide ) ou être maître de soi ( Sénèque, Epictète, Descartes ) dans le commandement de soi à soi.
Ce qui vaut encore pour acceptation de la limite métaphysique enveloppée par le principe d’individuation et comme satisfaction intime que procure la volonté de se commander à soi en toute indépendance ( Nietzsche )

Suis-je libre de penser ce que je veux ?

Question métaphysique.

-Suis-je l’origine absolue, la cause première, l’inconditionné conditionnant, le suppôt, le sujet substantiel de mes pensées ? En ce cas, à la manière du Dieu de Descartes et du Pour Soi Sartrien, indéterminé, jouissant de la < liberté d’indifférence > ( aux mobiles et motifs de l’action ), je serais le créateur de mes représentations, de mes affects, de mes concepts… La contingence serait alors modalité ontologique de la pensée. A moins, hypothèse du rationalisme critique, que je sois le < sujet transcendantal >, < l’unité originairement synthétique de mes perceptions et de mes jugements >. Thèse de Kant. La nécessité rationnelle serait alors formalisation de mes pensées.

-Ou encore suis-je déterminé à penser ? Dans la servitude naturelle, psychologique et sociologique. Thèse de Spinoza, du sociologue, des marxistes et des Freudiens. La connaissance seule -idée adéquate de la nécessité-, pourrait alors me libérer de l’état d’aliénation psychosociologique et de sujétion intellectuelle qui serait le mien.

Mais ces différentes allégations ne reposent-elles pas sur un faux problème ? Conjecture ironique de l’esprit averti…

La liberté se définit-elle comme un pouvoir de refuser ?
la liberté se définit-elle comme un pouvoir de refuser ?
Alternative. Etre libre, ce serait refuser ou consentir.
-Se rebeller contre… ou accepter : l’ordre naturel -la force des choses-, l’ordre humain -l’intimation, l’injonction, l’impératif ; l’ordre surhumain -providence, prédestination, prémonition…
Ainsi :
-Le libertaire est partisan d’une liberté absolue pour l’individu à l’égard de tout gouvernement ou Etat, de toute église, de toute obédience. Il n’admet aucune autorité, excepté la sienne propre.
-Le libertin est l’affranchi ; de toute croyance religieuse ou politique. Volontiers provocateur et de moeurs plus ou moins publiquement déréglés.
-Le libre penseur se déclare indépendant de toute autorité religieuse dont il considère la croyance comme une superstition ; mais il proclame et lui substitue l’autorité de la Raison dont il se fait le chantre et le militant.
-Le libre esprit ne reconnaît pas d’autorité dont il nie même la possibilité ; et se divertit des croyances, des chimères, et autres superstitions…
-< Consentir >, c’est au contraire reconnaître sa dépendance jusque dans le capacité humaine de choix.
Thèse de la théologie classique ( saint Augustin, Bossuet, Arnauld ).
La liberté n’étant pas conçue comme une exception de la commune dépendance des choses au Créateur mais comme < une différente manière d’être rapporté à Dieu > ( Bossuet, Traité du Libre Arbitre,8 ).
Dans cette hypothèse notre volonté est mue par Dieu tout en restant libre, perméable à son action. Différence de plan entre la Cause première et la cause seconde de l’acte ( cf saint Thomas selon les Catholiques, Gomar, pour les Protestants )
L’action est toute de nous mais aussi toute de Dieu et la causalité divine, mystère incompréhensible ne s’exerce pas sur le même plan que la nôtre.
Elle n’interfère pas avec elle. Elle opère en nous à un niveau plus profond que le plus intime de nous.
Elle n’empêche ni ne restreint notre liberté, elle en est la source, comme elle est la source de tout ce qui est.
Thèse de Descartes :
< L’indépendance que nous expérimentons en nous, et qui suffit pour rendre nos actions louables ou blâmables, n’est pas incompatible avec une dépendance qui est d’autre nature, selon laquelle toutes choses sont sujettes à Dieu >
( Lettre à Elisabeth, 3.11.1645 ).
Consentir, c’est enfin cesser d’être indifférent dans la mesure où la volonté se laisse déterminer par la lumière de l’entendement alors que la volonté de Dieu, incompréhensible -au-dessus des axiomes mathématiques et du principe de contradiction-, n’étant déterminée par rien, est absolument indifférente ( à toutes espèces de motifs, de mobiles, de raisons )

A quitter le terrain du dogmatisme théologique pour rejoindre celui du rationalisme critique, < être libre > signifierait une capacité de choisir ou de ne pas choisir, autorisée ou non.
Reprise de l’hypothèse du Libre Arbitre.
-La liberté ne s’y définit toutefois qu’à la manière d’ un postulat -indémontrable- de la raison pratique ( Kant ) -un absolu, un inconditionné au sens d’une Idée de la raison spéculative, d’une Idée régulatrice des l’action.
L’hypothétique sujet transcendantal déterminant le choix…

Mais s’il n’est pas possible de prouver logiquement la liberté, en conséquence : qui refuse ? qui consent ?

Être libre, est-ce ne rencontrer aucun obstacle ?

-Sur le plan métaphysique < être libre > se dit d’un être qui se détermine lui-même par sa propre volonté, pour des raisons et des motifs qu’il choisit et indépendamment de toute contrainte extérieure comme de toute servitude passionnelle.
A l’exemple théologique du Dieu de Descartes < qui aurait pu faire que deux et deux ne fissent point quatre >.
-Sur le plan logique, la liberté accompagnerait < la connaissance de la nécessité >( Spinoza ) ou savoir des causes.

-Sur le plan moral, à distinguer du caprice, la liberté est ordinairement définie comme la capacité à se donner à soi-même la Loi ( < autonomie > de Kant )

-Sur le plan politique, < la liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent > ( Montesquieu ) ; liberté conditionnelle des citoyens soumis à une loi identique pour tous, qui n’exerce sur eux aucune contrainte non légale et qui respecte la dignité de leur personne.
Un peuple est dit libre s’il est souverain et, dégagé de toute tutelle, s’il jouit d’une indépendance pleine et entière.
La liberté civile est donc, de ce point de vue rationaliste, synonyme de soumission et/ou d’obéissance : à la < Loi >, aux lois, à la Communauté…
Obstacle qualifie au sens physique ce qui s’oppose, arrête.
Ou encore ce qui modifie l’inertie -la propriété qu’ont les corps de ne pouvoir modifier d’eux-mêmes l’état de mouvement ou de repos dans lequel ils se trouvent.

Quelle est l’importance de l’obstacle dans l’émergence, dans la genèse de la liberté ?
Ramené classiquement à son libre-arbitre ( liberum arbitrium ), le sujet est-il vraiment un pouvoir créateur dégagé de toute contrainte, se déterminant lui-même en tant que cause première, condition absolue, disposant de soi ?
N ‘est-il soumis à aucune conditionnalité tant subjective qu’objective ?
Peut-il se déterminer sans un quelque chose qu’il rencontre et qu’il manifeste parce que précisément ce quelque chose lui résiste ?
Maine de Biran a développé une philosophie de la liberté où l’effort, expérience de l’obstacle, constitue la condition de possibilité d’un moi prenant conscience du monde et de lui-même :
< L’effort emporte nécessairement avec lui la perception d’un rapport entre l’être qui meut ou qui veut mouvoir, et un obstacle quelconque qui s’oppose à son mouvement ; sans un sujet ou une volonté qui détermine le mouvement, sans un terme qui résiste, il n’y a point d’effort, et sans effort point de connaissance, point de perception d’aucune espèce. Si l’individu ne voulait pas ou n’était pas déterminé à commencer de se mouvoir, il ne connaîtrait rien. Si rien ne lui résistait, il ne connaîtrait rien non plus, il ne soupçonnerait aucune existence, il n’aurait pas même l’idée de la sienne propre >
Influence de l’habitude sur la liberté de penser, introduction
La dialectique de la volonté et de l’obstacle apparaît ainsi comme la condition d’émergence de la subjectivité, de l’objectivité, du sentiment de la liberté et de l’idée de la causalité.
Quand la résistance diminue progressivement au point de devenir insensible, le dernier terme de l’effort décroissant est l’évanouissement de la perception et de la connaissance.
Le monde disparaît ; la conscience s’abolit.
Cf le drame de Ionesco, Le roi se meurt.
Quand l’expérience de l’effort et de l’obstacle leur fait défaut, pour fuir l’ennui les hommes recherchent les contraintes…
L’art et le jeu en sont les manifestations.

En conséquence, si l’aliénation est un effet de contrainte subie, la liberté -morale, politique, juridique, intellectuelle, esthétique-, résiderait dans la contrainte consentie ou même choisie…

Paraphrases et dialogues 2.
 Descartes et Leibniz. : l’ évidence de la liberté. Malebranche : le motif et le consentement. Rousseau : la conscience de la liberté. Kant : la liberté, postulat de la raison pratique, autorise le blâme. Spinoza : l’illusion de la conscience et le préjugé de la liberté. Laplace : le déterminisme universel. Schopenhauer contre Kant : la pitié contre la liberté. Nietzsche : libre arbitre et volonté de puissance.

Descartes et Leibniz : l’évidence de la liberté.

  1. Descartes : -il est évident que nous avons une volonté libre.
    Elle peut donner son consentement ou ne pas la donner quand bon lui semble. Et cela peut nous être compté comme l’une de nos plus communes évidences.
    Car Dieu a fait trois merveilles : quelque chose à partir de rien, l’Homme-Dieu et le libre arbitre.
    La liberté est une notion primitive -ni plus ni moins que celle d’infini, avec laquelle elle se confond-, et comme toutes les notions primitives ( conscience de soi, Dieu, étendue, union de l’âme et du corps, temps ) elle répond à une donnée d’expérience.
  2. Leibniz : -votre raison n’a point de force. Il n’est pas vrai que nous puissions sentir véritablement notre indépendance. Nous n’apercevons pas toujours les causes, le plus souvent imperceptibles, dont notre résolution dépend.
    Ainsi une aiguille aimantéé qui toujours se tourne vers le nord croit tourner indépendamment de quelque autre cause. C’est qu’elle n’aperçoit pas les mouvements insensibles de la matière magnétique.

Malebranche : le motif et le consentement.
A : -nous avons le sentiment intérieur de notre liberté…
B :-prétendriez-vous soutenir que nous avons le sentiment intérieur d’un pouvoir de nous déterminer à vouloir quelque chose sans aucun motif physique ?
A : -certes non, ce pouvoir serait d’indifférence pure… et il paraît renfermer une contradiction manifeste.
B : -en effet ; il faut un motif, il faut sentir avant que de consentir.
A : -si souvent nous ne pensons pas au motif qui nous fait agir c’est que nous n’ y faisons pas réflexion surtout dans les choses sans conséquence.
B : -néanmoins il se trouve toujours quelque motif secret et confus dans nos moindres actions.
A : -ce qui mène certains à soutenir qu’ils ne sont pas libres…
B : -en effet ; s’examinant ils découvrent les motifs cachés et confus qui les font vouloir.
A : -certes ils ont été agis ; ils ont été mus. Cependant ils ont aussi agi par l’acte de leur consentement.
B : -mais avaient-ils ou n’avaient-ils pas le pouvoir de ne pas donner ce consentement dans le moment où ils l’ont donné ?
A : -ils avaient le sentiment intérieur de ce pouvoir dans le moment où ils en ont usé. Et ils n’auraient pas osé le nier si dans ce moment on les en eût interrogés.

Rousseau : la conscience de la liberté.
A: -ce n’est pas l’entendement qui fait parmi les animaux la distinction spécifique de l’homme. C’est sa qualité d’agent libre.
B: -qu’entendez-vous par là ?
A : -l’homme est un être naturel et il doit obéir à la nature. Cependant il reconnaît en lui une liberté d’aquiescer ou de résister. C’est surtout dans la conscience de cette liberté que se montre la spiritualité de son âme.
Et dans la puissance de vouloir et de choisir, dans le sentiment intime de cette puissance on ne trouve que des actes purement spirituels que les lois de la mécanique ne sauraient expliquer.

Kant : la liberté, postulat de la raison pratique, autorise le blâme.
B : – comment pouvons-nous juger autrui ?
A : -parce que son action ressortit à deux types de causalités : la causalité naturelle et la causalité de la raison.
B : -c’est-à-dire ?
A : -soit un mensonge. Effet d’un acte volontaire. Et qui a introduit le désordre dans l’harmonie sociale…
B : -continuez…
A : -il est possible de l’envisager selon deux points de vue.
L’envisager selon les raisons déterminantes qui l’ont engendré ; juger ensuite comment il peut être imputé avec toutes ses conséquences.
B : -je vois ; on considérera les sources de ce mensonge comme on recherche la série des causes déterminantes d’un effet naturel donné…
A : -en effet ; on dégagera le caractère empirique de cet homme. On évoquera sa mauvaise éducation, ses mauvaises fréquentations, la méchanceté d’un naturel insensible à la honte, les circonstances occasionnelles qui ont pu influer sur son acte.
B : -mais le mensonge ainsi expliqué ne sera-t-il pas de ce fait excusé ?
A : -certes non ! Bien que l’on croie que l’action soit déterminée par là, on en blâme pas moins son auteur. Et non pas à cause de son mauvais naturel et des circonstances qui ont influé sur lui..
B :-on suppose donc cette action, le mensonge, comme entièrement inconditionnée, comme si l’auteur commençait absolument avec elle une série de conséquences.
A : -oui ; le blâme se fonde sur une loi de la raison où l’on regarde l’acte comme une cause qui a pu et a dû déterminer autrement la conduite de l’homme indépendamment de toutes les conditions empiriques nommées.
B : -l’action est donc attribuée au caractère intelligible de l’auteur…
A : -et il est entièrement coupable à l’instant où il ment. Malgré toutes les conditions empiriques de l’action, la raison était pleinement libre et son acte doit être attribué à sa négligence.

Spinoza : l’illusion de la conscience et le préjugé de la liberté.

  1. Une chose est libre qui est et agit par la seule nécessité de sa nature.
  2. Une chose est contrainte, qui est déterminée par une autre à exister et à agir d’une façon déterminée.
  3. La liberté ne consiste pas dans un libre décret mais dans une libre nécessité.
  4. Toute chose singulière, par exemple une pierre, est nécessairement déterminée par une cause extérieure à exister et à agir d’une manière déterminée.
  5. Il en est de même de l’ivrogne, de l’enfant, du poltron, du bavard…
  6. La liberté humaine consiste donc en cela seul que les hommes ont conscience de leurs appétits mais ignorent les causes qui les déterminent.
    Ils croient agir par libre décret de leur âme et non se laisser contraindre.
  7. Les hommes ne se laissent pas facilement délivrer de ce préjugé.

Laplace : le déterminisme universel et l’ illusion de la liberté.

Le principe de raison suffisante enveloppe que les événements actuels ont avec les précédents une liaison fondée sur l’axiome qu’ une chose ne peut commencer d’être sans une cause qui la produise.

Et il faut un motif déterminant à la volonté la plus libre pour qu’elle puisse agir.

L’état présent de l’univers est l’ effet de son état antérieur et comme la cause de celui qui va suivre.
Et une intelligence qui pour un instant donné connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l’univers et ceux du plus léger atome.

Schopenhauer contre Kant : la pitié contre la liberté.
 Du point de vue kantien les deux problèmes de la liberté et de la moralité sont indissociables car si la liberté est la  » ratio essendi  » de la morale, la morale est la  » ratio cognoscendi  » de la liberté.

Or il faut substituer la pitié à la raison et disjoindre la liberté de la moralité.
Kant a certes ruiné définitivement la théologie spéculative et privé en conséquence l’éthique de son fondement traditionnel. Mais il est resté théologien.
Et ses concepts de loi, de commandement et de nécessité morale sont empruntés à la morale théologique.
Démonstration :

-le propre de l’action, positive ou négative, moralement bonne, est d’être dirigée en vue de l’avantage et du profit d’un autre;
-cependant, pour que mon action soit faite en vue d’un autre, il faut que le bien de cet autre soit pour moi et directement un motif, au même titre où mon bien à moi l’est d’ordinaire;
-toutefois, c’est supposer que par un moyen quelconque je suis identifié avec lui, que toute différence entre moi et autrui est effacée au moins jusqu’ à un certain point, car c’est sur cette différence que repose mon égoïsme;
-or c’est là le phénomène quotidien de la pitié.
Et l’hypothèse de la liberté de notre vouloir n’est qu’ une pure pétition de principe.

Nietzsche : libre arbitre et volonté.
A : -le libre arbitre est le sentiment de supériorité qu’on éprouve à l’égard d’un subalterne.
B : – ?…
A : -au fond de toute volonté il y a ceci : < je suis libre, c’est à lui d’obéir >.
B : – ?…
A : -la volonté n’est pas une chose simple. Elle n’a d’unité que son nom.
Ici réside le préjugé populaire et aussi… philosophique.
Toute volonté est d’abord pluralité de sentiments ; -l’état dont on veut sortir, l’état où l’on tend ; -une sensation musculaire qui entre machinalement en jeu sitôt que nous « voulons »; un  » penser  » -dans tout acte de volonté il y a un penser qui commande et qui ne peut être isoler du < vouloir > ; -un état affectif, l’ émotion de commander.
Vouloir c’ est commander en soi à quelque chose qui obéit et dont on se croit obéi.
Et s’il arrive que nous soyons à la fois celui qui obéit et qui commande, nous avons en obéissant l’impression de nous sentir contraints, poussés, pressés de résister, de nous mouvoir, impressions qui suivent immédiatement la volition.


Le travail et les échanges. La technique.

Le travail peut-il rendre libre ? Est-ce un devoir de travailler ? Travailler, est-ce perdre son temps ? Le travail a-t-il une valeur morale ? Le travail n’est-il que servitude ? Qu’est-ce qui peut donner un sens au travail ? Toute relation à autrui est-elle un échange ? Donner pour recevoir, est-ce le principe de tout échange ? Tout peut-il s’acheter ? L’oisiveté est-elle la mère de tous les vices ? Une période attribuée à < Julien Torma >.

Le travail peut-il rendre libre ?

Le < travail > est une activité spécifique, consciente et (in)volontaire de l’être humain par laquelle < il met en mouvement les forces dont son corps est doué (…) afin de s’assimiler des matières en leur donnant une forme utile à la vie > ( cf Ricardo / Marx )
Dans le but de satisfaire ses besoins.
Le travail est donc la marque de l’enchaînement de l’humain à son corps et aux nécessités naturelles.
Le procès de travail est d’autre part étroitement dépendant de la situation historique où il se déploie.
Les relations historiques et sociales du travail, les rapports de production -l’esclavage, le servage, le salariat, le Goulag, le Camp de travail forcé moderne-, sont autant de situations de conflits exprimant la < dialectique du Maître et de l’Esclave >, la contrainte de l’exploitation d’un côté, le ressentiment et la révolte de l’autre.
Le système libéral-social démocrate de marché quant à lui impose par la persuasion et le droit la division sociale et technique aux différents acteurs de la production.
Contraintes, domination et servitude accompagnent donc le procès de travail.
Et dans tous les cas le travail apparaît comme le lieu de la nécessité, de l’obligation, de la soumission et de la servilité.

< Liberté > s’entend au sens métaphysique et au sens juridique.
-Au sens juridique, la liberté du travail définit le droit reconnu par l’Etat et l’institution à exploiter la force de travail d’autrui contre rémunération ( le salaire ) ou -symétriquement- à être exploité dans des conditions déterminées par la loi, le contrat et les rapports de forces économiques et politiques.
-Au sens métaphysique, le travail libérerait du besoin et constituerait l’essence de l’homme.
Ainsi Hegel ( Phénoménologie de l’esprit ) suivant Kant, puis Sartre ( Critique de la raison dialectique ) en font-ils un stade essentiel de la formation de la conscience du sujet.
L’homme se réalise – au sens propre devient < sujet >, s’assujettit-, dans le travail -par où l’esclave prend conscience de soi, de ses capacités et de son pouvoir effectif sur un maître devenu lui même dépendant du savoir-faire de sa domesticité.
Le travail serait donc au fondement de l’anthropologie moderne… Et de l’idéologie travailliste à connotation calviniste ( selon Max Weber, Ethique protestante et développement du capitalisme ) qui naît avec la révolution industrielle et la pensée des théoriciens de l’économie politique, Adam Smith, David Ricardo, Jean B. Say…
Dans cette optique l’homme est stipulé < travailleur >, par nature et par raison : producteur, consommateur, actionnaire et libre échangiste.
Cette idéologie, utopie réalisée dans les faits, a été analysée par Heidegger ( Etude sur le Travailleur d’Ernst Jünger ) et rapportée -en tant que son dernier avatar- à l’histoire de la métaphysique occidentale et plus particulièrement aux concept de < volonté de puissance > ( cf Nietzsche ) d ‘< essence de la Technique > et d’ < exploitation de la nature >.
Selon cette interprétation, le travail serait le symptôme du < nihilisme > contemporain.
Quant à la < Technique >, l’expression ultime de la philosophie occidentale, elle serait caractérisée :
-par l’oubli de la question de l’être et du sacré ; elle acquiert un statut métaphysique et elle devient ainsi une < époque de l’histoire de l’être >.
-par l’affairement de l’espèce-humaine devenu < Sujet planétaire > s’appropriant par < l’arraisonnement > une nature dépoétisée, désenchantée, réinterprétée prosaïquement comme matière première et réduite à une simple source d’énergie.
L’idéologie travailliste est en outre critiquée :
-par les contestants d’obédience marxienne qui dénonce la violence sociale de l’exploitation du travailleur en grande partie spolié du produit de son travail ( théorie de la Plus-value ).
Et qui revendiquent soit < le juste salaire > ( socialisme réformiste ) par une répartition égalitaire universelle ( sectateurs contemporains de Pierre Bourdieu ), soit, plus radicalement, < l’abolition du salariat > ( socialisme révolutionnaire )
-par l’écologie fondamentaliste fétichisant la Nature, prétendument violée par un industrialisme effréné.
-par la critique de l’Ecole de Francfort et de la philosophie post-moderne hédoniste qui substitue au travail le plaisir et la jouissance ( H. Marcuse, Eros et civilisation, G. Deleuze, Anti-Oedipe ), voire le gaspillage et la dilapidation ( G. Bataille, La part maudite ) pour l’accomplissement de l’essence humaine indexée sur le < désir >.
*
A l’écart de ces visions il est possible de refuser tout autant le travaillisme réel et la morale sociale qui l’accompagne ( devoir, épargne, solidarité, recyclage, formation permanente, insertion citoyenne par le travail… ) que la problématique de la contestation.

Et de dénier toute signification autre que purement spéculative au concept d’essence de l’homme.
Ce concept n’étant qu’une fiction, la prétendue < Humanité > ne saurait en conséquence ni « se réaliser  » par ou contre le travail -pas plus qu’elle ne saurait être < aliénée > d’aucune façon.
Bien que l’activité sociale de production puisse abêtir, affaiblir, débiliter et démoraliser < les > hommes réels. Ce qui est assez généralement le cas.
< Le métier voute >, affirmait jadis Alain…
Au travail, le libre esprit substitue < le style de l’oisiveté > ( Cicéron, Kierkegaard, Sandomir ), < l’ouvrage > ( Paul Valéry ) et l’ < ouvroir > ( les ‘pataphysiciens ) qui, à défaut d’ être des « raisons de vivre », sont générateurs de modestes mais tangibles satisfactions.
L’Âge d’or n’est pas à venir.
Il est ici et maintenant dans l’indépendance conquise au jour le jour, dans la maîtrise du temps et l’activité choisie.

Est-ce un devoir de travailler ?

Question axiologique : celle de la < valeur > du travail.
Le travail crée des valeurs d’usages, des biens pour la consommation ; telle est sa vertu.
A-t-il de surcroît et en lui même une valeur ?

< Devoir > vaut pour obligation religieuse ( commandement divin ) et obligation morale ( solidarité sociale et refus du parasitisme )
La < valeur > ( le Bien, le Juste… ) est une idée de la raison spéculative qui fonde comme norme de la conduite des énoncés prescriptifs et des injonctions : il faut, tu dois…

Qui fixe les valeurs ? Les Dieux, Dieu… les Clercs.
-Les dieux grecs ne commandent aux hommes que des sacrifices.
Ils n’exigent nullement d’eux qu’ils « travaillent », conduite infâmante réservée à l’esclave.
-Le Dieu judéo-chrétien les chasse du < Paradis > – où le travail est inconnu-, et les condamne à gagner leur pain « à la sueur de leur front « .
Le travail est sanction, châtiment et obligation.
Le clerc protestant constitue l’activité laborieuse, le zèle, en commandement religieux aussi bien que social, comme condition du < salut > et création des richesses pour la gloire de Dieu.

Qui échappe au travail ? Le rentier, le parasite, le vagabond, le chômeur.
Plus rarement le poète…
Pour la parole cléricale ( Professeurs d’économie, Editorialistes, Politiciens, Syndicalistes… ) ou encore la compagnie des travailleurs sociaux, les prêtres républicains, la rente est méprisable, le parasitisme est condamnable, le vagabondage, à peine tolérable, le chômage est une  » plaie « , un « scandale » qu’il faut éradiquer.
Représentant la norme travailliste, leur but étant < le plein emploi >, ces oracles s’efforcent à ramener les  » égarés  » dans le giron de l’activité économique :
-production, négoce -neg/otium-, finance et loisir industriel de masse.
Au nom de la < solidarité sociale > et de la < dette intergénérationnelle >…

Le < droit naturel > au travail -par ailleurs inscrit dans les Constitutions contemporaines-, se double d’un < devoir de travailler >, tropisme psychologique inculqué aux jeunes générations dans les lieux de l’instruction publique par des maîtres formés à enseigner la morale < citoyenne >, la morale libérale-sociale-démocrate, l’éthique de responsabilité travailliste.

Travailler, est-ce perdre son temps ?

Pour la parole confessionnelle, celle notamment des Eglises réformées anglo-saxonnes, travailler, c’est contribuer à la gloire de Dieu.
Pour l’antienne républicaine, le travail -facteur d’intégration au conformisme social-, est le ciment de la société civile envisagée comme fin en soi et substitut de la Providence.
Pour le commun des mortels, travailler, c’est « gagner sa vie ». L’existant étant ainsi ramené à la banale nécessité d’assurer l’ordinaire.
Et pour la plupart, c’est payer cher le prosaïque fait d’exister ( cf Schopenhauer, Le monde comme Volonté et Représentation )
Il est donc légitime de se demander si le jeu mérite d’être joué…

Sauf, cas assez rare, à confondre activité choisie et nécessité lucrative, le travail apparaît bien souvent comme une perte de temps, un gaspillage existentiel de compétences et d’énergie sans autre contrepartie qu’un maigre revenu, une survie précaire et / ou une reconnaissance sociale dérisoire.
Une nécessité, une servitude, une charge, un fardeau.
Une exploitation légale subie, une mystification.
En attendant l’heure de < la retraite >, c’est-à-dire pour beaucoup… de l’épuisement physique, mental et moral, -la débacle précédant la mort…

Celui qui ne cultive pas le fétichisme des relations sociales et qui dédaigne le « travail » auquel il n’accorde aucune valeur particulière, peut préférer, pour préserver son quant-à-soi et autant que faire se peut, le retrait de la compétition sociale et l’activité choisie d’une oisiveté bien comprise…

Le travail n’est-il que servitude ?

La < servitude > définit un état de dépendance totale, sous l’effet d’une contrainte matérielle et / ou morale.
L’asservissement, l’assujettissement, l’esclavage, l’ilotisme… autant d’expressions de l’obéissance forcée de quiconque, « taillable et corvéable à merci », doit soumettre sa volonté à un tiers afin d’assurer son existence… et la sienne propre.
L’homme, comme tout autre être vivant, est domestique de la vie…
Il subit les contraintes du corps et du milieu naturel.
Mais il doit également se plier aux conditions matérielles, sociales et historiques de l’exploitation de la Terre.
Et cette servitude -indexée à la satisfaction des besoins et à la discipline de la division technique et sociale du travail-, se perpétue de génération en génération, au sein de rapports de production qui en définissent les modalités concrètes ( cf Karl Marx, Capital et Théories sur la Plus-value )
La mort seule, ou quelque catastrophe, met fin au processus ; processus que la procréation -dans l’ inconscience de ses conséquences-, ingénument, perpétue ( cf Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et représentation )
Stress, pénibilité, urgence, dépendance aux nouvelles technologies, flexibilité, disponibilité, précarité, harcèlement relationnel… on ne compte plus les effets délétères de la condition postmoderne du travail qui démentent cruellement les perpectives idylliques d’un Jean Fourastié au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale.
Le passage de la < civilisation industrielle > à une < société de services > -où la relation à autrui se substituerait à la relation aux choses et aux objets-, devait signifier l’amélioration définitive de l’existence du travailleur…

Perspectives largement partagées et relayées par le conformisme de certains milieux économiques et universitaires…
Mais démenties par les faits…

La recherche du profit maximum pour mieux satisfaire les exigences du < Marché > devenu idole, l’optimisation des < ressources humaines >, les nouvelles techniques de gestion, l’informatisation, la rationalisation et la surveillance des postes de travail semblent plutôt constituer pour beaucoup de serfs salariés à la rémunération dérisoire -les « collaborateurs »-, un néo-stakhanovisme, un nouvel enfer…
Productivité, Rentabilité, Solvabilité sont les enfants légitimes de l’ < Economie de marché >, terme euphémisé ( cf J.F. Galbraith, Les mensonges de l’économie, 2005 ) pour une exploitation planétaire débridée et vraisemblablement pérenne…
Loin d’être abolie par les sciences de la gestion et par la vertu de l’économie politique, la servitude a seulement changé de visage.
Elle est devenue plus… rationnelle.
Et la « gouvernance d’entreprise », nouveau despotisme célébré par la plupart des éditorialistes, règne sans partage sur des sociétés civiles marchandes aux mains d’oligarchies de financiers, de managers, de conseils d’administration, de mafias et de quelques  » Nobels « … dont la fonction est de donner une caution  » scientifique  » et morale à un processus dont on ne voit pas qu’il soit à la veille de s’interrompre…
Il est vrai toutefois que certains puisent dans cette condition une  » raison de vivre  » et que la < bête de labeur > ( cf Heidegger, L’essence de la Technique ) dispose désormais de < loisirs > et de < droits > pour… indéfiniment reconstituer sa force de travail…

Qu’est-ce qui peut donner un sens au travail ?

< Sens > signifie concept, direction, expressivité et valeur.

C’est toujours l’idéologue, l’homme du magistère, qui donne le sens : prêtre, philosophe, juriste, politique, économiste, syndicaliste, travailleur social, bénévole…
L’oracle ne tarit pas…
Quelques réponses :
-Le travail, éducateur, libérerait l’humanité de l’animalité en la détachant de la nature ( thèse de quelques philosophes idéalistes  » progressistes « : Condorcet, Kant, Hegel, Sartre, Kojève… ).
Il aurait pour vertu de dégager l’humain de l’ennui, du vice et du besoin ( Voltaire, Candide )
-Il permettrait dès cette vie la réalisation du salut individuel ( thèse des dévots de la Religion réformée, à l’instar de Calvin ).
-Il favoriserait le Progrès et l’Aventure humaine ( thèse des enthousiastes de la Science et des Techniques ).
-Il permettrait l’essor indéfini du chiffre d’affaire ( thèse des fanatiques de l’ Entreprise )
-Il serait le fondement de la < Liberté > selon… quelques sectes totalitaires ( Ecoles Socialistes, Propagande nazi, Goulags communistes, Variés Camps de Rééducation par le travail, Maisons de correction républicaines, Jésuitières, Instruction citoyenne libérale / sociale-démocrate, etc… )

Pour le sujet avisé, réservé et sceptique, ce ne sont pourtant là que visions et spéculations d’hommes de foi…
Mais… de très dangereuses spéculations car accréditées par des légions d’exaltés, d’ambitieux peu scrupuleux et de dupes sincères, tous désireux d’imposer à autrui leur affairement et leur zèle idéologique indiscret, militants harceleurs et volontiers persécuteurs.
Aussi, à cette interrogation, substitue-t-il, narquois, une autre question, plus judicieuse celle-ci :
< qu’est-ce qui peut ôter son sens au travail ? > ( Dämon Sir, De l’incertitude )
Question à laquelle il apporte, in petto, de bien scandaleuses réponses…

Toute relation à autrui est-elle un échange ?

L’échange -manière d’être-avec-autrui-, définit le fait de communiquer sur le mode de l’égalité et de la réciprocité.
On échange, des idées, des sentiments ; on échange aussi des produits, des services.
Echanger, c’est offrir ou recevoir une chose ou une valeur contre une autre considérée comme équivalente.
L’échange économique est caractéristique des relations intersubjectives propres aux sociétés démocratiques modernes d’après la vulgate du Tiers Testament contemporain : Développement économique, Démocratie, Droits de l’homme.
Il enveloppe :
-le contrat, relation abstraite entre les hommes ;
-l’égalité des partis, par delà les différences de conditions ;
-l’universalité ; l’achat et la vente, la transaction n’étant pas, théoriquement, indexés sur la qualité des personnes concernées ;
-la tolérance et le refus d’exclure tel ou tel de la relation marchande devenue emblématique des relations contemporaines entre les individus.

On conviendra que l’échange n’épuise pas le domaine des relations à autrui.
Le don, le troc, le potlach, le vol, le mensonge, le viol, les espèces du meurtre délibéré -depuis l’assassinat jusqu’au génocide-, constituent tout autant et à leur manière l’ordinaire des relations à autrui…
Donner, c’est céder un bien à quelqu’un selon la logique des sentiments.
Le don est l’expression de la gratuité et de la philanthropie.
La mère, la bonne fée domestique, le bénévole, l’ami tissent le lien social dans le contexte du désintéressement affirmé.
Question cynique et soupçonneuse : ce désintéressement supposé est-il bien réel ? ( cf La Rochefoucauld )
Est-il même possible ?

-Troquer, c’est échanger des biens sans la médiation de la monnaie, forme de la valeur, équivalent général des valeurs d’usages et moyen de circulation des marchandises.
Le potlach -pratique compétitive- désigne chez certaines peuplades archaïques le comportement des chefs ou des membres de la classe aristocratique consistant à offrir solennellement des richesses à un rival afin de le défier, de l’humilier ou de l’obliger.
A charge pour le donataire de pratiquer un contre-don sous peine de perdre tout prestige.
-voler, c’est s’approprier le bien d’autrui sans sa permission.
Le vol est de grande banalité.
-tromper, c’est induire l’autre en erreur en employant la ruse, le mensonge, l’artifice.
Il est un des leviers de la conduite politique.
-violer, c’est obtenir par force en souillant, en dégradant.
Le viol n’est pas rare.
-assassiner, c’est attenter avec préméditation à la vie de quelqu’un.
L’assassinat, fréquemment sordide et vulgaire, est assez banal.
Sans aller à ces formes extrêmes de la négation d’autrui, on n’oubliera pas le dédain ostentatoire, le mépris affiché, le snobisme, par vanité sociale et exigence de distinction ( cf les analyses de Veblen et certains romans de Jean Louis Curtis ).

L’ idéalisme philosophique quant à lui – du Personnalisme d’Emmanuel Mounier à l ‘Ethique communicationnelle d’Habermas-, prolongeant l’antienne moralisante du kantisme, diagnostique dans le < dialogue > le modèle d’une relation < authentique > par le respect et < l’ouverture à l’autre >…

Le ‘pataphysicien relève tous ces modes de relations à autrui, effectifs ou… chimériques ; il en prend acte ; il les étudie ; il en dégage pour lui-même les adéquates leçons.

Autres ‘pata koans sur la technique.

  1. Le progrès technique est-il la condition du bonheur ?
  2. La technique n’est-elle qu’outils et machines ?
  3. La technique peut-elle améliorer l’homme ?
  4. Que peuvent les techniques ?
  5. Y a-t-il de l’intelligence dans les techniques ?
  6. L’invention technique relève-t-elle de la raison ou de l’imagination ?
  7. les objets techniques nous imposent-ils une façon de penser ou seulement une manière de vivre ?

Paraphrase et dialogue ( Alain )
A : -Qu’est-ce que la technique ?
B : -Un genre de pensée qui s’exerce sur l’action même et s’instruit par de continuels essais et tâtonnements.
A : -Il y a deux manières de connaître : user d’un mécanisme, le toucher, le pratiquer de toutes les manières et dans toutes les conditions… ou s’instruire d’abord par la science.
B : -Je vois. La différence entre ces deux hommes, c’est que le succès seul compte pour le technicien. Il ne distingue pas l’essentiel de l’accidentel.
A : -Le paysan se moque de l’agronome ; il ne soupçonne même pas pourquoi l’engrais chimique n’a pas donné ce qu’on attendait. Mais par une longue pratique il a réglé toutes les actions de la culture sur de petites différences qu’il ne connaît pas mais dont il tient compte.
B : -le propre de cette pensée technicienne, c’est qu’elle essaie avec les mains au lieu de chercher par la réflexion.

L’oisiveté est-elle la mère de tous les vices ? cf ubu5
 Une période attribuée à < Julien Torma >, Ecrits
< L’oisiveté est la mère de tous les vices… Quelle gloire : On accouple oisif et honteux depuis des siècles. Ce lieu commun est responsable de la tristesse infecte qui règle fondamentalement les rapports sociaux. Le travail n’est guère admissible que comme amusement. Comme nécessité vitale il est exactement sur le même plan que la défécation… Et ceux qui le révèrent sont exactement semblables aux maniaques qui chieraient par dévotion et se flanqueraient des purges pour progresser en sainteté. L’oisif est le *… Le poète travaille encore trop. Et que de peine il donne aux autres et d’ennui ! Si les hommes sont aussi emmerdants, c’est parce qu’ils aiment le travail. C’est ce qui les amène à se détruire. Trouvant trop peu à faire, ils travaillent à une oeuvre qui détruit et finit par se détruire elle-même. Ainsi peuvent-ils s’enivrer à l’idée du travail qui s’annonce .>

paraphrases et dialogues
Hanna Arendt. La société à venir. 2. F. Nietzsche. Ennui, travail , jeu et lévitation.

Hanna Arendt, La Condition de l’homme moderne
A : -L’avènement de l’automatisation videra probablement les usines en quelques décennies.
B : -Elle libérera l’humanité de son fardeau les plus ancien, le fardeau du travail, l’asservissement à la nécessité.
A : -Mais cette société de travailleurs que l’on va délivrer de ses chaînes laborieuses, sait elle les activités plus enrichissantes pour lesquelles il vaudrait la peine de conquérir cette liberté ?
B : -C’est peu probable. Dans la future société égalitaire, il n’y aura plus de classes, plus d’aristocratie politique ou spirituelle susceptible de provoquer une restauration des autres facultés humaines.
A : -Les politiques, présidents, rois, premiers ministres, ne voient dans leurs fonctions que des emplois nécessaires à la vie sociale.
Quant aux intellectuels, seuls demeurent quelques solitaires pour considérer leur création comme des oeuvres et non comme des moyens de gagner leur vie.
B : -Donc ce qui se présente à nous, c’est une société de travailleurs sans travail…
A : -Peut-on rien imaginer de pire ?

Frédéric Nietzsche : Ennui, travail et jeu, lévitation.
A : -Le besoin nous contraint au travail dont le produit apaise le besoin : le réveil toujours nouveau des besoins nous habitue au travail. Mais dans les pauses où les besoins sont apaisés et, pour ainsi dire, endormis, l’ennui vient nous surprendre.
B : -Qu’est-ce à dire ?
A : -C’est l’habitude du travail en général qui se fait à présent sentir comme un besoin nouveau, adventice.
B : -Pour échapper à l’ennui, l’homme travaille au-delà de la mesure de ses autres besoins…
A : -Ou il invente le jeu, le travail qui ne doit apaiser aucun autre besoin que celui du travail en général.
B : -Celui qui est saoul de jeu et qui n’a point de raison de travailler, celui-ci est pris parfois du désir d’un troisième état, qui serait au jeu ce que planer est à danser, ce que danser est à marcher, d’un mouvement bienheureux et paisible.
A : -C’est la vision de bonheur des artistes, des philosophes… et des ‘pataphysiciens…