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‘pata/koans
Paradoxes ‘pataphysiques, par Adonis Colgue
Cy n’entrez pas hypocrites, bigots, Vieulx matagoz, marmiteux borsouflez, Torcoulx, badaulx plus que n’ estoient les Gotz Ny Ostrogotz, precurseurs des magotz, Haires, cagotz, caffars empantouflez, Gueux mitouflez, frapars escorniflez, Befflez, enflez, fagoteurs de tabus Tirez ailleurs pour vendre vos abus.
Rabelais, Inscription sur la grande porte de Theleme
TABLE Introduction, 1. de la ‘pataphilosophie ‘Patakoans première série 2. Du réel. 3. De l’irréel. 4. Des mots. 5. Du réalisme nominal. 6. du sens et du non sens. 7. Chez le logicien. 8. Philon aux enfers. 9. sens, clairvoyance et dépression. |
INTRODUCTION
< tu n’es pas même cela…>
La Sibylle pataphysicienne, Eclats
Il existe une vision populaire de la ‘pataphysique.
Elle se fonde sur la croyance en la pertinence de l’idée de < salut > Elle ramène la ‘pataphysique à une manière de < sagesse>, à une quelconque < patasophique prudence > voire à une < sotériologie >…
Formalisme et Superstition guettent alors le ‘pataphysicien dans sa brève et terrestre navigation.
Ce qu’on peut juger regrettable…
Sous leur forme la plus significative ‘pataphysique et ‘pataphilosophie ne sont pourtant… que jeux ; jeux auxquels se réduisent l’existence et la pensée en dehors de toute espèce de < sérieux >, d’ < utilité >, de < valorisation > ou même d’ < efficacité >.
Jeux de mots, faits de langage dont les règles, il est vrai, supposent pour être assimilées une bonne dose de patience, de la rigueur, et une certaine pratique… mais aucune sorte d’initiation ! … le roi est nu et l’empirisme radical est la règle… à la portée de tous…
Point de guide spirituel donc… mais des mots, des mots, des mots…
< Faire tourner la machine >… voilà à quoi se résoud le propos.
Afin de familiariser à l’ < Ascience > le curieux ou l’internaute de rencontre qui se serait égaré sur cette page, nous proposerons un certain nombre d’ exercices susceptibles d’éclairer la manière ‘pataphysique, cette voie singulière propre à envisager des problèmes qui relèvent ordinairement de la solennelle et docte préoccupation… < philosophique >.
Dans la mesure du possible ces exercices devraient suivre l’ordre du tableau des questions plus académiquement et scolairement offertes à la sagacité et à la perspicacité des Escholiers.
En dehors de tout souci d’exhaustivité, cela va sans dire.
Il ne s’ agit que d’un < divertissement > dépourvu d’enjeu et extérieur à tout pathos pascalien.
Une façon comme une autre de… passer et d’effacer le temps. Ces exercices seront d’ailleurs assez proches dans leur esprit de ce que certaine tradition orientale nomme < Koan >.
Un < koan > est un casse-tête théorique présenté le plus souvent sous la forme d’ un très court récit ou d’un dialogue. Il porte sur une interrogation spéculative. Sa fonction est de dévoiler à l’Apprenti le non-sens enveloppé par la question posée.
Question qui s’avère ainsi n’être le plus souvent que la position d’un < faux> ou d’un < pseudo-problème >
Ce qui d’ailleurs n’obère en rien son intérêt… le charme du < faux > étant souvent plus excitant voire même plus heuristique que l’ < évidence > ou prétendue telle procurée par le contenu de < vérité > d’une pseudo réponse.
Mais alors que selon cet exotique « enseignement » à perspective édifiante le but de l’ exercice est en dernier ressort l’ < illumination >, c’est-à-dire la capacité à percevoir tout banalement le < particulier >, la réalité immédiate -en dehors, il est vrai, de toute croyance et d’idéologie-, l’ objet de la discipline ‘pataphilosophique est quelque peu différent.
Et bien plus modeste…
L’ < ontologie > n’étant selon elle qu’ un < embrayeur de fictions > parmi d’ autres… et notamment de la fiction du < particulier >…
Le fameux < Tu es cela… >.
Au moyen des ‘patakoans, le ‘pataphilosophe s’efforce de < faire apparaitre > le cercle des apories, des embarras, des difficultés enveloppées dans les interrogations suggérées …
Non pas pour les répudier en vue d’ une quelconque et grandiloquente < libération spirituelle > mais afin d’en tirer la satisfaction intellectuelle d’ un relatif et approximatif < éclaircissement >.
Si possible.
Sans pose, sans extase, transe ou ravissement… mais avec la délectation procurée par la recherche… pour le plaisir qu’elle procure et le sentiment de < l’effort > qui l’accompagne.
Car ‘pataphysique oblige…
Substituant < l’applaudissement > à la < probation > la ‘pataphilosophie obéit au genre « dialectique » au sens où le Pseudo-Sandomir paraphrasant le Stagirite définit :
< … une méthode qui nous mette en mesure d’argumenter sur tout problème posé, en partant de prémisses plausibles, et de permettre quand nous soutenons un argument de le balancer en affirmant successivenent son ou ses contraires >
( Atopiques, 23 a 14 Troisième Commentaire )
Expérimentation idéologique, inventaire de propositions, elle ne prétend à aucun « progrès », à aucune synthèse dialectique.
La circularité est bien < la pierre de touche de la vérité > mais en un tout autre sens que celui allégué jadis par Hegel…
Celui d’une impasse indéfiniment reconduite …
<Que nul n’entre ici s’il prétend avancer…
Une lampe qui n’est point obscure éclaire mal…>
Dämon Sir, De la liberté du ‘pataphysicien ( L.3. ch6. v44. v85 )
A la manière de quelques koans zen
1.-Qu’est-ce que la ‘pataphysique ?…
-C’est cela.
-Que doit faire un homme s’ il ne la maîtrise pas ?…
-Qu’ il s’en débarrasse !…
-De quoi peut-il se défaire puisqu’il ne la possède pas ?…
-Qu’ il la conserve donc !…
- -Montrez-moi le chemin du salut.
-Qui t’a perdu ?…
-Personne…
-Quelle salut cherches-tu donc ?… - -Qu’est-ce que la pataphysique ?…
-Qu’est-ce qui n’ est pas la pataphysique ?… - -Si vous rencontrez la ‘pataphysique, éconduisez-la !…
- -Quel est le devoir d’un ‘pataphysicien ? …
-Être détaché de tous les devoirs ! … - -Comment atteindre à la ‘pataphysique lévitation ?
-En n’ayant pas de liens qui vous enchaînent…
-Quels sont les liens qui nous enchaînent ?…
-Le désir d’atteindre la ‘pataphysique lévitation !.. - Je suis entré en ‘pataphysique en me laissant dehors…
- Les pataphysiciens empêcheront la ‘pataphysique d’advenir.
- Ubu est l’ombre du ‘pataphysicien. Tel ‘pataphysicien, telle ombre d’Ubu.
- Un ‘pataphysicien ne saurait éclairer dix pataniais. Ce sont eux qui feront de lui un onzième pataniais.
- Ubu dit : < L’univers ne peut me contenir. Mais l’Ascience du ‘pataphysicien me contient >
- J’ai demandé à Ubu : < qui es-tu? > Il m ‘ a répondu : < toi >.
- Quiconque se fie à Ubu, Ubu lui suffira.
- Que le dés-espoir te comble, c’est le plus grand bien de tous les maux.
première série
De la ‘pataphilosophie ( Du ‘pataphilosophe, impressions rapsodiques pour un portrait )
Question 1: Le ‘pataphilosophe a-t-il quelque chose à apporter au savant ?
‘patakoan : Apport éventuel de la ‘pataphilosophie à la science ou … Ascience. Que veut le savant ? à quoi prétend-il ?
Objectifs : Il vise à la connaissance rationnelle et à la maîtrise du réel, à la prévoyance. Il rompt avec le sens commun, le mythe, la poésie, la religion.
Esprit scientifique : souci de la démonstration et de la preuve expérimentale fondant la certitude. Rejet de la superstition, du principe d’autorité, de l’ évidence transcendantale et de l’apriori. Prétention à ramener les phénomènes observables à des relations constantes, à des lois. Il interprète quantitativement le donné phénoménal. Le jugement de fait exclut le jugement de valeur.
Démarche : établissement des faits et des lois. Application du principe de causalité. Inférences et inductions. Passage à l’interprétation théorique, synthétique et synoptique. Constitution de systèmes de connaissances méthodiquement liées ( théories ).
Mobiles et motifs : la recherche est provoquée par la passion du savoir, par des intérêts économiques, politiques et stratégiques. Technoscience et capitalisme. Mais aussi ludiques et pragmatiques, par exemple soins et confort.
Que veut le ‘pataphilosophe ?
Il ne génère aucune connaissance. Il considère la science comme une forme de vie et un jeu de langage. Il lui donne acte de la valeur représentative de ses représentations symboliques, de ses fonctions, de ses théorèmes et de ses lois, de ses modèles explicatifs. Il reconnaît sa portée pragmatique.
A la différence du philosophe, il ne cherche pas à la fonder. Il accepte ses résultats et en tire pour lui même un bénéfice pratique.
Il considère avec grand intérêt mais aussi avec précaution ses éventuelles exaltations théoriques ; par exemple ses envolées cosmologiques, ou ses divagations eugénistes voire transhumanistes.
Le ‘pataphilosophe étudie et décrit les coups de sonde de la métaphysique.
Mais à la différence du savant positiviste et militant qui prétend les réfuter au nom de la Raison, -et dont il n’est à l’occasion de ce différend aucunement l’ auxiliaire-, il les considère comme des solutions imaginaires. Et inévitables.
Aussi irréductibles que ces dispositions d’esprit que sont l’animisme, le fétichisme, le polythéisme, le monothéisme.
Bien loin de les déplorer, il en jouit esthétiquement, les assimilant à des fictions souvent artistiques, à de la patascientifique littérature le plus souvent adroitement agencée. Il relève par contre et sans commentaire le fait irréductible de l’inconnaissable et du tragique, c’est à dire de l’horreur inhérente à la condition du vivant. Il conteste la pertinence des critères d’ universalité et de nécessité appliquée à la loi et à la théorie et les envisage comme des reliquats de superstitions confessionnelles ( la Loi devenue la loi ). Il sourit du scientisme, dogmatisme élevant la science au rang de panacée apte à la résolution des supposés problèmes existentiels de l’humanité ( confusion des jugements de valeur et des jugements de fait ). Il affirme l’Ascience, qu’il distingue de la Docte ignorance ( Théologie négative et justification du fidéisme et du mysticisme) Il décline les jugements de valeur. Il accepte toutefois les jugements d’appréciation subjectifs. Il reconnaît la pertinence des jugements de fait et des propositions descriptives. Il prête attention aux performatives. Il se déclare incapable de se prononcer au sujet de la nature du réel, incompréhensible bien qu’explicable, a-sensé, inviolable, voilé. Un savant ‘pataphysicien ? Pourquoi pas… par exemple un médecin. Il perçoit les vertus comme les limites de son art. Sa philanthropie est une affaire de goût. Sa technique est pragmatique. Son progrès est indéfini. L’infini lui échappe. Mais il le sait. Le ‘pataphilosophe semble donc ne rien apporter au savant. Toutefois il peut s’ en faire un complice face au pesant despotisme des puissances cléricales, y compris… scientifiques.
Il y a ainsi un usage ‘pataphysique de la physique.
Question 2 : Un ‘pataphilosophe est-il nécessairement un homme de son temps ?
‘patakoan: dépendance ou indépendance existentielle et intellectuelle du ‘pataphysicien.
Toute existence est relationnelle…
Exister, c’est être, être à, être avec, être parmi, être avec autrui.
C’est partager espace, temps, coutumes, institutions, opinions, hallucinations et valeurs. C’est toujours déjà être imprégné des préoccupations et des soucis propre à l’humanité d’une époque, d’une culture.
Telle est l’irréductible donnée. Et le solipsisme est moins un mythe que l’effet d’ une erreur d’analyse.
Le ‘pataphilosophe est donc pour partie nécessairement contemporain.
Son existence spécifique peut-elle cependant se déduire de cette banale factualité ?
Topique de la ‘pataphilosophie : le ‘pataphilosophe est détaché ; son lieu géométrique est la tangente. C’est un voyeux. Curieux de tout, passionné de rien ; sa connaissance se ramène à un inventaire traduisant un goût et une méthode.
Immergé dans son époque, il n’en partage ni les idéaux ni les valeurs.
Il les étudie, les explore, les représente, les évalue. Naturaliste de la chose anthropologique, il ne s’y engage qu’en enchérissant et n’y participe qu’en toute lucidité à la manière d’un jeu susceptible de lui donner de l’agrément.
Seule fin qu’il lui reconnaisse.
Autant que faire se peut il fuit les importuns et les situations qui menacent son autonomie.
Lorsque le jeu commence à lui être à charge, il songe à s’en définitivement retirer.
Homme d’un temps donné, le ‘pataphilosophe n’appartient pourtant qu’à lui même.
Et encore.
Question 3 : à quoi sert le ‘pataphilosophe ?
‘Patakoan : Finalité et / ou fonction de la ‘pataphilosophie.
Evidemment à rien!
Le ‘pataphysicien n’est pas un fonctionnaire de l’existence. Encore moins un domestique.
Telle est sa fierté. N’être au service de rien ni de personne.
Quant à la ‘pataphilosophie, elle est sa propre fin. Elle n’a fondé sa cause sur rien.
La question n’est donc pas de savoir si elle recèle ou non une utilité mais plutôt de préciser l’intérêt qu’ on lui peut conférer. Jeu, divertissement, passe-temps : activité ludique. Certes. Mais aussi analyse réflexive, phénoménologique et généalogique, voire sémiologique de l’expérience humaine sous ses différents aspects et selon les divers ordres axiologiques.
Elle satisfait en premier lieu la curiosité, cette… étrange faiblesse du ‘pataphysicien.
De surcroît, elle est susceptible de lui éviter quelques désagréments par l’ anticipation des inévitables événements fâcheux qu’il ne manquera pas -capitaine au long cours-, de rencontrer dans la durée de son faustrollien périple.
En ce sens il y a bien une instrumentalité de la ‘pataphilosophie et il faut lui accorder une incontestable valeur d’usage.
Toutefois la ‘pataphilosophie n’est utile qu’ au ‘pataphilosophe.
Celui qui en accepte les attendus et les attitudes de détachement et d’ irresponsabilité.
Si la ‘pataphilosophie n’est asservie à aucune fonction, à aucune < Fin >, un but peut donc néanmoins lui être attribuée.
question 4 : Le ‘pataphilosophe doit-il aller contre le sens commun ?
‘patakoan : vocation polémique de la ‘pataphilosophie ?
Le ‘pataphilosophe emprunte toutes les avenues. Nul sens interdit ne saurait entraver sa déambulation. Chemineau mais non pélerin, vagabond dépourvu d’ itinéraire, il récuse le sens unique, le bon sens, et poursuit ainsi qu’une girouette son errance, dans tous les sens.
Car tous les chemins de la pataphysique mènent à la ‘pataphysique.
Aussi fera-t-il son miel des circonstances, des occasions, des opportunités qui se présentent.
A lui la présence d’esprit et le sang froid de l’adaptation au kairos. Il n’a d’ailleurs pas le choix. Devant comme tout un chacun assumer la contrainte de la contingence.
Il se gardera d’affecter le dédain à l’égard du sens commun.
Pose de Dandy inexpert.
Rompre des lances, tournoyer, débattre, contredire, perdre le peu de temps dont il dispose à amender, réformer, améliorer, ces attitudes lui paraissent naïves et de surcroît vaines. Aussi accompagne-t-il ordinairement le train du monde en se couvrant du masque d’un conformisme extérieur qui lui assure tranquillité et sécurité.
Paraître commun sonne pour lui comme un impératif hypothétique. Toutefois il ne s’interdit pas le plaisir de la moquerie et, narquois, la satisfaction de dégonfler quelques baudruches si l’ occasion s’ en présente. Il arrive que l’arrogance des clercs, la fatuité des experts, la morgue des puissants l’indisposent et l’humeur qu’ il en conçoit l’amène parfois à… simuler l’ impatience.
Mais dans la mesure où à Guignol, ce jeu d’ essences, les rôles sont fixés, -et où seuls changent les manipulateurs du Castelet-, la charge ne saurait excéder la portée et le ton de l’ironie.
Face aux conflictuels spectacles de marionnettes qui s’ offrent à lui, y a-t-il attitudes plus décisives que celles du sourire,
du silence et de l’indifférence ?
Question 5 : Y a-t-il une place pour le ‘pataphilosophe dans une société qui accorde toute sa confiance à la raison techno-scientifique et à l’essor économique ?
‘Patakoan : situation existentielle du ‘pataphilosophe du 21° siècle.
La Société n’ est qu’une abstraction.
Personne ne l’a jamais rencontrée sauf évidemment les amateurs de preuve ontologique. Ce n’ est qu’ un concept de sociologue. N’existent en fait que des « sociétaires ». Comme ils sont tous mus par des idées, des intérêts et des sentiments, c’est à dire par des représentations, le chaos déterministe qu’ils constituent et dont ils sont constitués génère nécessairement un certain nombre d’hallucinations collectives moyennes et statistiques constituant ce qu’ on nomme ordinairement un < sens commun >.
Un Credo.
De fait chaque « époque » est caractérisée par un ton, une coloration, un système de valeurs dominantes traduisant une préoccupation hégémonique qui semble emporter l’ adhésion collective. Pour l’ heure, le souci économiste et technoscientifique est quasi obsessionnel. Le ‘pataphilosophe ne peut qu’en prendre acte.
Quant à la place assignable à la ‘pataphilosophie dans un tel contexte, pourquoi pas celle-ci plutôt qu’une autre. L’humanité peut changer d’ hallucination, elle ne peut se passer d’hallucination.
Le ‘pataphilosophe se met donc docilement à son école pour mieux « chevaucher le tigre « .
Quand on prétend se maintenir en pleine mer, il vaut mieux en effet apprendre à nager.
Il pratique donc toutes les nages, et, empruntant les multiples caps autorisés par la rose des vents, manquant à la place, il avancera tel un nomade d’île en île, d’archipel en archipel au gré des courants mais en toute lucidité à l’instar du héros d’Homère oublieux de sa patiente Pénélope.
Question 6 : pour ‘pataphilosopher faut-il commencer par douter de tout ?
‘patakoan : l’exercice du doute est-il la démarche inaugurale nécessaire à l’ investigation ‘pataphilosophique ?
Distinguons doute méthodique de type cartésien, doute sceptique, doute scientifique et doute ‘pataphysique ( proche de celui du sens commun )
-le doute sceptique, radical et définitif, établit l’impossibilité d’affirmer et de nier quoi que ce soit. Ses raisons sont de type logique, ainsi du diallèle, un des cinq modes de suspension du jugement : ce qui doit confirmer la chose en question a besoin d être prouvé par la chose en question. Ainsi ne pouvant se fonder ni sur l’un ni sur l’autre pour prouver l’un et l’autre, le sceptique doit s’ abstenir de juger de l’ un et de l’autre.
Ephectique, apathique, zététique.
-le doute cartésien. Méthode philosophique qui s’applique systématiquement à tout ce qui n’ est pas certain d’une certitude absolue. Cette méthode est subordonnée au projet de fonder la certitude de façon inébranlable. Elle est hyperbolique et métaphysique dans la mesure ou elle pose comme faux ce qui est simplement douteux et comme trompeur ce qui a pu tromper quelquefois.
-Le doute scientifique ou mise en question des observations et des théories en vue de les soumettre au contrôle expérimental. A distinguer de la falsifiabilité.
-le doute ‘pataphilosophique désigne l’état d’ incertitude ou d’expectative touchant moins la réalité d’une chose, d’un événement, que les expressions de la symbolisation humaine qui prétendent en rendre raison. Il se traduit par la suspension du jugement à prétention de Vérité.
Mais il ne se condamne cependant pas pour autant au silence.
On voit : -qu’ à la différence du doute scientifique qui ne dispense pas le savant d’accréditer la valeur de la science, le doute ‘pataphilosophique -s’ il reconnaît la portée représentative des concepts, des modèles et des lois-, pose un point d’ interrogation devant la prétention scientifique à la connaissance du réel au sens d’un dévoilement ontologique.
Il reconduit de surcroît le questionnement traditionnel relatif au fondement de l’induction.
-qu’à la différence du doute cartésien -qui fonde la certitude sur l’ évidence de la conscience de soi dans l’expérience du cogito-, le ‘pataphilosophe interroge la valeur de l’évidence intuitive établie comme critère adéquat et fondement de la vérité.
La distinction de l’état de veille et de l’état de rêve peut-elle d’autre part être garantie par la caution d’une puissance transcendantale non trompeuse ? Son existence est au moins sujette à discussion.
-qu’en accord avec le doute sceptique le ‘pataphilosophe met l’accent sur la distinction de l’ordre du réel et de l’ordre du discours. Pourtant, s’il dénie au discours l’effective portée ontologique, il admet toutefois contre le scepticisme la valeur pragmatique des conventions du discours. En conséquence, s’il joue le jeu de l’expression sans être dupe de sa signification, comme de sa valeur et de sa portée, il ne partage ni les conclusions du dogmatisme cartésien, ni celles du dogmatisme scientiste, ni le parti pris de mutisme raisonné du sceptique.
Reconnaissant la vertu de l’ < expectative > en matière spéculative, le ‘pataphilosophe ne se condamne pourtant pas au silence.
Et il jouira des vertus de la parole comme des autres moyens d’expression en acceptant les inévitables ambigüités de la mise en signes, les irréductibles quiproquos du dialogue.
Car l’ambigüité des mots peut être heureuse. Et selon les divers sens du mot.
Si le doute accompagne le ‘pataphilosophe comme l’ombre la figure au grand soleil de l’existence, il ne saurait donc constituer un fardeau pour la perception et l’ élaboration de ces mondes parallèles que représentent les oeuvres de ses congénères et les siennes propres.
Question 7 : Le ‘pataphilosophe recherche-t-il la vérité ou le sens ?
‘patakoan : portée logique ou spéculative de la pataphilosophie ?
Le ‘pataphilosophe ne recherche rien.
Il ne cesse de trouver à la manière du philosophe hégélien mais sans souci d’ intelligibilité.
Spéculations, visions, élucubrations, idéologies, divagations, hallucinations, fictions, la matière ne manque pas et il y a de quoi faire.
Il affirme la vanité du principe de raison suffisante.
La ‘pataphilosophie n’ est qu’un métalangage, un discours sur… une manière de prendre connaissance de… Elle est miroir, pure surface accueillante aux reflets.
Ainsi que le mallarméen septuor.
Elle n’est aucunement gagnée par le fétichisme du Sens et de la Vérité. Ces succédanés de « Dieu ». Toutefois, si elle ne nourrit aucun ressentiment envers ces deux catégories logiques, elle les reçoit comme critères pragmatiques favorisant l’adaptation au commun réel.
Elle apprécie les expressions bien formées, l’exactitude des termes employés, la rigueur des enchaînements. Le négligé l’indispose et les sophismes trop faciles lui donne de la mélancolie.
De ce point de vue, le grammairien, le logicien, l’expérimentateur, le poète à contraintes lui sont comme des complices naturels.
Question 8 : Y a-il des problèmes ‘pataphilosophiques résolus ?
‘patakoan : clôture / ouverture du champ ‘pataphilosophique.
Il n’ y a rien à résoudre car au sens strict : y a-t-il des problèmes ‘pataphilosophiques ?
Il y a des énigmes logiques, des problèmes de mathématiques, des questions scientifiques, des interrogations spéculatives. Le ‘pataphilosophe n’a pas compétence particulière pour juger des trois premièrs types de difficulté. Bien qu’il puisse selon ses aptitudes prendre un réel intérêt à tel ou tel type de recherche.
Par contre, le ‘pataphilosophe se heurte comme quiconque aux problèmes de nature et de valeur.
Métaphysique et axiologie sont ainsi au rendez-vous. Et circonscrivent le périmètre d’ investigations habituellement propres au discours poétique, religieux et philosophique. S’il n’y a pas de ‘problèmes spécifiques à la ‘pataphilosophie -qui n’ est qu’ un métalangage-, il existe cependant une ‘pataphilosophie des types de problèmes dont le ‘pataphilosophe établit le recensement et à la pseudo-solution desquels il peut -à ce titre- apporter sa contribution.
Ses personnelles… divagations.
Par jeu. Selon son goût, le temps dont il dispose et sa formation.
Il n’y a que des ‘pata koans.
Question 9 : La tâche du ‘pataphilosophe est-elle de dénoncer les illusions dont les hommes vivent ?
‘patakoan : fonction polémique de la ‘pataphilosophie ?
L’éloge et le blâme sont étrangers à la ‘pataphilosophie.
Au genre épidictique, elle substitue la déférence et le sourire.
Son style est celui d’ une politesse glacée.
A distance… Le ‘pataphilosophe est-il libre penseur ou libre esprit ?
Au patronage de Voltaire et de Bayle, il donne sa préférence au Héros de Molière, à Dom Juan. La ‘pataphilosophie n’est que le répertoire ou le guide des transcendantales illusions.
L’annuaire inépuisable des égarements et des égarés.
Des Visions.
Jeu de miroirs, mise en abîme, dénombrement, cartographie.
Elle ne critique pas, elle relève. Elle mesure.
Avec Instructions nautiques, compas, sextant, boussole et règle Cras. Imitative et ludique, féérique, comédienne et malicieuse, la ‘pataphysique opérative est d’un autre côté élaboration d’illusions sensorielles, poétiques, transcendantes et spéculatives.
Elle met la main à la pâte. La ‘pataphilosophie en prend acte.
Dénonce-t-on ce qui constitue son pain quotidien ?
(15.05.2000)
DU REEL : Il y a. L’incontournable. Inintelligibilité. L’être et le néant. Au musée. Dialogue du sage taoïste et du ‘pataphilosophe. Misère de la métaphysique. De l’existence. Du rien. Rabelais ‘pataphilosophe. Nécessité ou contingence.
Il y a. On rapporte qu’à l’occasion d’un voyage, Hegel, philosophe ordinairement plus disert, eut ce mot devant la chaîne des glaciers alpins :
< C’est ainsi…>
Les quelques élèves qui l’avaient accompagné n’en crurent pas leurs oreilles.
L’Incontournable. Un homme conçut un jour l’impérieux et soudain projet de prétendre s’échapper.
Il interrogea les scientifiques qui lui indiquèrent l’infinité et la monotonie des univers inaccessibles. Déçu, il s’adressa aux poètes qui ne lui révélèrent que la matière de leurs visions. De ses propres rêves il ne put se libérer. Il tenta alors l’ approche des stupéfiants, des drogues et de l’ivresse. Il faillit devenir fou. Rageur, il s’engagea dans la littérature potentielle. Il bâtit des architectures imaginaires. Mais ces fictions n’étaient qu’autres prisons de formes et de concepts avant de devenir geôles pour les songes de ceux qu’il avait ensorcelés.
A la fin, il se suicida.
Et il retourna à la terre.
Inintelligibilité. Un enthousiaste, pataniais plein d’espérances et qui n’avait rien lu, s’était mis en quête de Fondement. Il avait coutume d’accabler ses maîtres de questions aussi pressantes qu’impertinentes. Un jour un de ses professeurs, excédé, l’envoya acheter quelque oignon.
Croyant à une mauvaise plaisanterie l’étudiant tout d’ abord interloqué s’ exécuta de mauvaise grâce.
Il revint néanmoins le légume à la main.
Sans piper mot son professeur entreprit alors de décoller délicatement et une à une les minces couches de peau sous le regard de l’ élève ébahi.
L’être et le néant. Un contradicteur insolent s’avisa de confondre Martin H. sur un plateau de télévision afin de le mieux ridiculiser. Goguenard il lui demanda quelle était la différence de l’être et du néant.
Après avoir réfléchi quelques instants, le Grand Forestier sortit de sa poche un morceau de craie à l’usage de ses cours. Il le cassa une première fois et il présenta les deux moitiés à l’imprudent rustique fort surpris.
Il recommença plusieurs fois l’opération.
Puis, ayant salué son hôte et le public médusés, à pas lents, il sortit.
Au Musée. Un enfant pria son père de le conduire à la Pinacothèque.
Il découvrit les Primitifs, l’Ecole italienne, les Flamands. Il s’extasia devant les gravures de Dürer.
A la fin de la visite il demanda : < -Nous avons vu tous les tableaux, nous sommes entrés dans toutes les salles, mais le musée, lui, où est-il ? >
Dialogue du sage taoïste et du ‘pataphilosophe. A : -prétendre saisir l’être, c’est ne rencontrer que le vide. B : -prétendre rencontrer le vide, c’est mettre la main sur l’être.
Misère de la métaphysique. A la première lune du printemps, les Mages métaphysiciens se réunirent en congrès pour discuter de la nature du réel. Il fallait mettre la main sur l’Origine, la Substance et la Cause.
Le premier invoqua la Matière et l’Eternité. Le second la Vie et l’Evolution; un troisième, l’Esprit et la Création.
La discussion commença et ne manqua pas de s’envenimer.
Vint ensuite pour leurs disciples respectifs le moment des commentaires, l’ ivresse naïve des joutes, le plaisir d’affûter et d’entrechoquer les thèses.
Or, il arriva qu’un adolescent malicieux, égaré dans la controverse et qui avait pu observer le détail des disputes, s’avança vers les protagonistes du tournoi, un paquet de cigarettes à la main. Qu’il leur tendit.
Puis, sans un mot, il leur présenta la flamme de son briquet.
Polémiques et bavardages cessèrent. Le silence se fit.
Mais une gêne s’ installa.
-Je vois bien, dit l’ un des maîtres devenu soudain curieusement timide, que nous ne produisons que de la fumée.
De l’existence. Pierrot demanda un jour à Colombine ce que c’était qu’exister.
<-Quelle drôle de question, s’étonna la charmante enfant. Tu respires, tu marches, tu joues, tu m’aimes… n’ est ce point suffisant ? >
Il apparaissait que non.
Alors Pierrot alla s’adresser au Docte. Qui lui fit avaler toutes sortes de couleuvres, maints concepts et plusieurs espèces de doctrines.
< Essence et néant, nécessité et contingence, singulier et universel, qualité et quantité, substance, accidents, force et grandeur… >, il apprit à égrener le rosaire des philosophes.
Quand, bien plus tard, il revint de la Montagne Sainte-Guenièvre vers sa bien aimée, amaigri, pâle, tout chassieux et pituiteux, tout débandé mais fort savant, fier, ayant réussi à éviter les pièges des examens et les chausses-trapes des concours, capable de disserter sur tout et sur rien, Colombine, effrayée de sa mine, faillit ne point le reconnaître.
Secoué de tics, il respirait avec peine, son dos s’ était courbé, sa démarche était hésitante. Et il était comme envoûté et tout auréolé d’une Idée fixe.
Il fut incapable de lui faire l’amour. Mais il lui tint un grand discours sur l’ Amour.
Colombine pleura.
< -Le savoir de l’existence, l’ empire morne des idées, l’aura rongé >, pensa-t-elle en séchant ses larmes.
Alors, avec tout le dévouement et la patience de la femme aimante, elle s’ efforça de le persuader.
A son école il se défit peu à peu des notions, des thèses et des systèmes. Il retrouva progressivement le goût des choses.
Et la métaphysique le quitta bientôt telle un mauvais rêve.
Du Rien ( en suivant Emmanuel Kant ) : Quatre Maîtres férus de criticisme et de ‘pataphysique s’étaient donné rendez-vous pour disputer de la réalité du Rien.
-Le premier argua qu’aux notions de tout, de plusieurs et d’un est opposée celle qui supprime tout, c’est-à-dire celle d’aucun.
-Le second prit la parole et affirma que si la réalité est quelque chose, la négation n’est rien, rien d’autre que le concept du manque d’un objet, comme l’ombre ou le chaud.
-Le troisième indiqua que la forme de la représentation, privée de substance, l’espace/temps, n’était que la simple condition de la connaissance mais ne fournissait aucun savoir effectif d’un objet quelconque.
-Le quatrième boucla le cercle des embarras kantiens en définissant le rien comme l’objet d’un concept qui se contredit lui même. Le rien désignant l’ impossible comme une figure composée de deux côtés et qui serait rectiligne.
< -Résumons reprit le premier. Il n’y a rien en tant qu’ on a : -un concept vide sans objet : savoir un être de raison tel une Idée transcendantale. -l’ objet vide d’un concept : une simple privation, la représentation du manque d’un objet. -une intuition vide sans objet : ou encore un être d’imagination, sans rien qui soit intuitionné. -un objet vide sans concept : soit une pure négativité >
A sa suite, le second sage se risqua à une tentative d’explicitation :
< L’être de raison se distingue de l’ impossibilité en ce qu’il ne peut être compté parmi les possibilités; car il est une simple fiction; tandis que le second est opposé à la possibilité, le concept se détruisant lui même. Tous deux sont des concepts vides. Par contre la privation et l’intuition pure sont des données vides pour des concepts. En l’ absence de quelque chose ils ne sont donc aucun objet > < Vous avez dit : il n’y a rien ? >, ironisa le quatrième sage.
< Et cependant quelle inflation verbale ! >, s’exclaffa le second.
< En vérité ce rien ne laisse pas d’ être quelque chose >, ajouta amusé le troisième.
< Quelle assemblée de vieux singes nous faisons ! >, conclurent-ils en riant.
Rabelais ‘pataphilosophe. Un élève insolent amateur de contrepets répondit un jour à l’ examinateur qui lui demandait de préciser son sentiment sur une maxime morale de Rousseau :
< C’est une belle thèse >
Le Maître le considéra fort étonné et fronça le sourcil. Après un moment, rompant l’entretien, il engagea l’imprudent déconfit à quitter la salle.
Quelques jours après l’ interrogation l’étudiant eut la surprise de découvrir son nom porté sur la liste des candidats reçus à l’ examen.
Nécessité ou contingence ?
Pierrot : -Le monde est-il radicalement contingent ou dépend-il de quelque nécessité ?
Arlequin : -Quelle question ! Toutefois j’ ai le souvenir d’un court dialogue qui alimentera tes désarrois.
Sans les apaiser bien entendu.
Pierrot : -Je te remercie de ta sollicitude.
Arlequin : -Ouvrons le Livre des Antinomies.
A : -Pour que quelque chose existe qui n’est que possible, il faut quelque chose qui la rende nécessaire et qu’on ne peut trouver dans le monde, car il serait alors immédiatement nécessaire.
< le monde implique quelque chose qui, soit comme sa partie , soit comme sa cause, est un être absolument nécessaire >, écrit le Philosophe.
B : – Certes, mais ce qui est est nécessaire en tant que conséquence de ce qui précèdait. Et rien ne peut avoir sa raison d’être qu’hors de soi. Un être nécessaire n’a donc nulle part de raison d’être.
< Il n’ existe nulle part aucun être absolument nécessaire, ni dans le monde, ni hors du monde, comme en étant la cause >, ajoute le même Philosophe.
A : -Sans craindre la contradiction.
B : -Votre thèse sent son dogmatique. Pour moi je ne sortirai point du domaine des expériences possibles.
A : -Comme la vôtre révèle son empiriste. Rien ne m’empêchera de postuler une thèse qui permet une compréhension globale et complète du monde.
B : -C’est en effet la vertu de la spéculation. Avec cet attrait non négligeable qu’ étant invérifiable elle est aussi et surtout incontestable.
A : -Sauf à tomber vous même dans l’illusion que vous dénoncez et me reprochez.
B : -C’ est à dire le fait de vous rejoindre dans la passion dogmatique.
Certes. Aussi n’attendez pas de moi que je m’aventure sur ce terrain. Et soyez satisfait. Etant de nature pacifique, je laisserai le champ libre à toutes les suppositions intellectuelles et à toutes les croyances.
A : -Vous êtes la sagesse même.
Pierrot : –Le Livre des Antinomies serait-il un piège ?
Arlequin : -Naïf, tu en doutais ?
( 25.05.2000 )
DE l’IREEL : La nuit du silence. Profondeur de la ‘pataphysique. L’autodafé du . suite. Le passage. Qui suis-je ? Le moi. L’inutile répétition. L’illusion des Zélus. Dialogue des morts. Le vide du lieu. Le vide du temps.
La nuit du silence. Deux cavaliers de l’aurore, un ‘pataphilosophe accompagné d’un tout jeune homme, conversent, au pas, rênes longues. Leur entretien porte sur les paradoxes, les dilemmes et autres visions de l’hyperphysique.
Enfin, lassés d’avoir agité tant de subtilités, ils se taisent.
-quelle paix, murmure l’adolescent.
Et, après un temps :
-j’écoute et pourtant je n’entends rien.
-ne dis pas < je n’ entends rien >, reprend son compagnon, dis simplement : quel silence.
Profondeur de la ‘pataphysique. Ce ‘patakoan issu d’une antique tradition et attribué sous cette forme à Dämon Sir le Simple dit ceci : un curieux demande à un ‘pataphilosophe quelle est la profondeur de la ‘pataphysique.
-celle d’une mare, répond derechef le Patagon sans sourciller.
-qui peut alors évoluer dans cette mare ?
-la lune.
L’autodafé du Chevalier. Un Chevalier des Sables, érudit et grand lecteur, décida de se défaire de ses livres. Il hésita longuement entre les vendre et les donner. Puis, réflexion faite, il les brûla… L’holocauste au Rien accompli il se retira en son particulier et prit soin désormais de ses roses.
Un soir Ubu lui apparut…
Le Chevalier ne manifesta aucune hésitation quand l’Ombre lui demanda la raison de son geste.
-Maintenant que j’ai vu et que je sais, répondit-il, mon jardin me suffit.
Le passage. Un homme cherchait une voie. Il arriva qu’entré dans une bibliothèque il se fit apporter un fort volume. Et richement travaillé. Il le déposa sur un pupitre et en commença la lecture.
Face à lui un archiviste absorbé par une cote à demi effacée s’efforçait d’en clarifier la destination.
Soudain, son attention alertée par un événement insolite, le savant releva la tête. Il lui semblait que le corps du lecteur rapetissait rapidement. Effectivement, celui-ci disparut bientôt dans le livre et s’égara parmi les lettres brodées d’or et les méandres d’initiales serties de couleurs.
L’érudit ne s’ étonna point, ne dit rien.
Il attendit.
Un peu de temps s’écoula. Puis, émergeant des pages du manuscrit, le lecteur réapparut.
Il regarda l’ archiviste d’ un air complice.
Ils n’ avaient pas rêvé.
La réalité ne serait elle qu’hallucination partagée ?
L’inutile répétition. Au petit matin, Roméo quitte Juliette après une nouvelle nuit d’amour. Tout dépité. Sur la place de Vérone il rencontre Mercutio.
Qui le plaisante sur sa mine défaite.
-tu te trompes, mon ami, l’interrompt Roméo… plus je la prends, moins je la possède.
Qui suis-je ? Un célèbre conte patagon relate la scène suivante : un ‘pataphilosophe interroge successivement plusieurs novices en leur posant cette unique question : qui suis-je ?
-vous êtes le Maître, répond le premier.
-sors d’ici, ordonne alors le patagon, le bâton à la main.
-vous êtes le Grand Initié, avance plus hésitant le second.
-Au fouet ! Qu’Ubu te saisisse avec son croc à merdre et t’empale ! s’écrit le ‘pataphysicien en simulant la colère.
-vous n’êtes peut-être personne, hasarde timidement le troisième.
-ah ! voici la première parole sensée que j’ attendais.
Le moi. -qu’ est ce que le moi ? demanda un jour un escholier à son professeur.
Le professeur ne répondit pas.
Après un temps de silence, l’escholier répéta la question.
Le professeur ne répondait toujours pas.
Alors l’ apprenti impatient demanda raison de son silence à son maître.
-je me suis tu. Ne t’ ai-je point répondu ?
Le sourire d’ Ubu. Un curieux s’enquit un jour des matières de ‘pataphilosophie.
-qu’enseignez-vous donc ? demanda-t-il au ‘pataphysicien.
-rien. Je n’ enseigne rien. Mais sois certain que si tu t’ adresses à moi tu en auras pour ton argent.
-je ne comprends pas.
-passe donc au Voiturin à Phynance; tu seras plus savant et tu comprendras.
L’illusion des Zélus.
Un rassemblement de Zélus en mal de reconnaissance et survivants de plusieurs déluges s’étaient mis en tête de dominer le monde.
Et plus particulièrement les Zubus.
Insinuants, obstinés et infiltrés, ils conquirent la Machine à gloire.
Ils placèrent à sa tête quelques dociles et serviles compagnons de route, naïfs ou opportunistes tartufes dont ils inspiraient discrètement les initiatives et les propos.
Aussi vaniteux que savants, arrogants et couards, vigilants, fomenteurs de cabales, bavards, volontiers calomniateurs et sans pitié pour leurs adversaires, ils s’y célébraient, s’y fêtaient, se caressant, se citant, s’entrelardant.
Ils n’avaient de cesse de pousser leur avantage.
< Tout pour nous, rien pour les autres >, telle était la fière devise de cette communauté des Saints des Premiers Jours à la prétention universelle.
Or, il arriva qu’un matin, dans le vide d’ un temple ordinairement déserté par leur dieu, des ténèbres une voix insolente s’ éleva dans un grand éclat de rire.
<-Dévots Zélus, sachez que je vous ai trompés et que votre Odyssée n’était pour moi que divertissement et jeu ! Car un dieu sans divertissement est un dieu plein de misère >
Stupéfaits et accablés par cette intervention de l’idole ordinairement muette, ils se couvrirent la tête de cendres, et se confondirent en pleurs, maints gémissements et autres lamentations.
Ainsi, durant tous ces siècles, ils n’avaient été que les acteurs bernés de la farce divine!
Un dieu ‘pataphysicien !
Ils se tournèrent alors vers leurs Gourous navrés mais tout comme eux ivres de ressentiment.
< -croissez et multipliez, conseillèrent d’une même voix les prêtres, vengez-vous et faites payer cher aux Zubus, nouveaux substituts souffre-douleurs, votre déconvenue >
Ce que bien entendu ils ne manquèrent pas de faire…
Dialogue des morts. Aux Enfers. Descartes et Epicure s’entretiennent sur les rives de l’Achéron afin de passer leur interminable ennui.
-lorsque je dors, mes idées se forment en moi sans l’intermédiaire des objets qu’ils représentent, affirme le premier.
-quand je suis éveillé, des objets se forment en moi sans l’intermédiaire d’ idées qui les représenteraient, lui répond le second.
-vous vous égarez, intervient alors un défunt patagon tout juste descendu de la barque de Charon, il n’ y a ni objets ni idées.
-qu’ y a-t-il alors ? questionnent les deux philosophes fort surpris.
-un je-ne-sais-quoi, des fantasmes et des mots.
Un peu plus en amont l’âme de Schopenhauer s’entretient avec celle de Cournot.
-connaître, c’est informer l’objet et non s’informer, dit la premiere. Et il n’ y a que des idées.
-vraiment ? vous m’ étonnez, conteste la seconde.
La vision consciente aurait selon vous la vertu de créer de l’ordre objectif en même temps que de l information ? Ne serait-ce point là de la pure magie ? Et les noms posséderaient-ils le merveilleux pouvoir de faire apparaître les choses ?
-c’est pourtant l’ esprit seul qui met l’univers en ordre, rien qu’en le connaissant.
Et tout n’est que représentation.
-certes l’absolu nous échappe mais la pensée ne crée pas le monde extérieur. Et il y a comme une espèce d’harmonie entre l’ ordre de réception de nos facultés et l’ordre inhérent aux choses représentées. Il importe de bien distinguer ce qui tient à la nature des objets conçus et ce qui dépend de la constitution de l’intelligence qui les conçoit.
L’ idéalisme n’est donc pas l’irréalisme.
-affirmais-je autre chose ?
le vide du lieu. Cet autre ‘patakoan est attribué à Dämon Sir:
Un néophyte inquiet demande à un ‘pataphilosophe :
-où sommes-nous ?
-nous sommes là.
-où là ?
-ici.
-comment ici ?
-alors ailleurs !
Le vide du temps. Une transposition propose le dialogue suivant :
-Quand sommes nous ?
-nous sommes maintenant.
-Comment maintenant ?
-Hier !
-mais vous venez de dire < maintenant > !?
-alors demain !
( 30.05.2000)
DES MOTS. Le démon de la perversité. La langue ubuniverselle. Les mots et les choses. Le sous-entendu. Pourquoi se tait-on ?
Parole, paroles, Parole, parabole. Peut-on tout dire ? Ceci est d’un autre ordre.
le démon de la perversité. Dialogue.
Sur la Montagne Sainte-Guenièvre Pierrot interroge Trissotin le Docte.
Il lui demande quelles sont les fonctions du langage.
-désigner, signifier, exprimer, communiquer, informer, révéler… répond sans hésiter le savant.
-tout cela est fort juste, intervient alors Arlequin. Cependant vous oubliez -me semble-t-il, l’essentiel.
-c’est-à-dire ? s’étonne Pierrot.
-voyons, poursuit le malicieux comédien. C’est pourtant évident.
Les mots n’ont-ils pas été donnés aux hommes… pour dissimuler leurs pensées?
La Langue ubuniverselle. ‘patafable.
< Il faut dire : La Fontaine, je boirai de ton eau >
Dämon Sir, De la liberté du ‘pataphysicien
Des savants, kantiens fous mais de bonne volonté,
Entreprirent certain jour la Réforme.
Les hommes se haïssaient, se trompaient, se blessaient.
Il pressait d’établir d’autres normes.
Rencontres, séminaires, colloques et congrès,
On mit donc tout en oeuvre pour régler le projet
D’un idiome irènique aussi bien qu’éternel
Qui devrait assurer la paix perpétuelle.
On traqua le patois, on chassa les dialectes,
Qui tous indisposaient l’intolérante secte.
Il fallait épuiser les langues naturelles.
Après quelques années d’effort et la tutelle
Des pédants de la Langue et de l’Universel,
Grammairiens compétents, moralistes avérés,
Le règne de l’Esprit était réalisé.
Un seul sens, un seul goût, une seule pensée,
L’Egalité enfin, une Espèce homogène,
Tels furent donc les bienfaits de l’ Uniformité.
De s’installer pourtant l’ennui ne manqua pas.
Mais faute de pouvoir s’entre-dévorer,
Les hommes assagis, veules, moralisés,
De sottise abrutis, conformistes, étêtés,
Dans la morne Utopie périrent, dégénérés.
Les mots et les choses. ‘pataconte.
Trois philosophes se réunirent un soir.
Ils avaient tout benoîtement convoqué la Réalité dans le dessein de la connaître.
Mais comment faire ? telle était la question.
Plus intriguée que convaincue, la Dame se présenta.
Le dialogue s’engagea :
-Les mots nous donnent la vérité des choses, affirma Cratyle. Ils en sont l’ image, la transposition, l’analogique et symbolique écho.
-Erreur ! rétorqua Hermogène. Les mots ne sont que signes et conventions, artifices de l’ intelligence. Et votre propos n’est qu’ illusoire et religieuse poésie >
Alors Socrate prit la parole : < -Vous vous égarez tous deux. Les mots vrais sont concepts, les reflets des Idées, la matière et la forme des Formes >
A cet instant la Réalité offensée ôta ses voiles et disparut dans son éblouissante et transparente nudité.
Le sous-entendu. ‘patafable.
Un philosophe célèbre et gros de vanité
Donnait une conférence.
Appareil critique, index, références,
Gloses et commentaires, érudition,
Rien ne manquait à la leçon.
Cependant, lassés de tant de science
Les auditeurs bâillaient.
Imperturbable, l’orateur néanmoins poursuivait.
Il n’en avait nullement conscience.
-Quel pensum ! lâcha un patagon navré.
Il est vrai. Ainsi que dit l’ adage : le secret d’ être ennuyeux… c’ est de tout dire.
Pourquoi se tait-on? Conte ‘patagon.
Ce soir là quelques disciples étaient réunis autour de leur Maître et s’entretenaient des vertus de Silence.
Le premier le ramena à la simple ignorance. On se tait parce qu’on a rien à dire.
Le second en fit l’arme de la dissimulation. On se tait pour se protéger, séduire et mieux tromper.
Le troisième le renvoya à la mystique. Il fallait dépasser les mots pour parvenir à la Docte Ignorance, à l’intuition du Principe.
Le quatrième enfin, insistant sur l’impuissance des signes et la vanité de la pensée, fit l’éloge du scepticisme.
Fort satisfaits d’ eux-mêmes après avoir agité tant de mots ils se turent.
Une hirondelle passa.
Cependant que le Maître, impavide et silencieux,
Restait de marbre.
Parole, paroles, Parole, parabole.
Dans un dialogue de la Commedia dell’arte, on peut lire cet échange :
-qu’ est ce que la parole ? demande Pierrot à Colombine.
-ce que tu tiens, répond la jeune fille. Parler, c’est tenir sa parole.
-vraiment ? intervient Arlequin, sa langue certainement ; mais sa parole ?
-ce n’est pourtant pas difficile, continue Colombine. Donner sa parole, c’est tenir sa promesse.
-pourtant, reprend Arlequin, les circonstances et les raisons qui nous engagent à promettre s’évanouissent dès que des paroles sont proférées.
Respecter sa parole si tout change est donc une impossible gageure.
-que faire alors ? questionne Pierrot soudainement inquiet.
-0u bien je crois pouvoir tenir ma promesse et je suis sot car je suis dans l’ illusion ; ou bien je suis intelligent et alors : soit je me garde de jamais promettre, soit je promets tout en sachant par devers moi que je serai nécessairement infidèle à la parole donnée.
-il en irait ainsi des serments comme des paroles, s’étonne Pierrot. Ils ne seraient que bulles d’air et poursuite de vent ?
-c’est toi qui le dis : il n’y a que les dieux qui puissent tenir leur parole… et leur langue, renchérit Arlequin.
Et il ajoute :
-La Parole est d’ailleurs le plus souvent parabole et les paraboles ne sont autre chose que l’ épiphanie de la Parole.
Tel est aussi le sens du mot selon son exacte étymologie : parabola.
-Les promesses ne sont donc que des paroles qu’on ne saurait tenir ? résume navré Pierrot.
-Quant aux paroles, sont-elles autre chose que fausses et verbales promesses ? conclut dubitatif Arlequin.
Peut-on tout dire ? Histoire italienne.
En présence de Colombine, perplexe, Pierrot interroge Arlequin sur la portée des signes.
-peut-on tout dire ? demande-t-il.
-ta question est complexe, répond Arlequin. Elle enveloppe au moins trois interrogations. Peux-tu préciser ta pensée ?
-la première signifie : peut-on désigner chacun des êtres ? Il s’agit de savoir si l’ indéfinie multiplicité des choses se laissent signifier dans leur variété et leur succession.
-de fait, il y a là de quoi occuper d’innombrables existences, intervient Colombine.
-la seconde ? reprend Pierrot.
-est-on capable de dire le Tout ? Le Tout se laisse-t-il exprimer ?
-Je vois. C’ est le problème cosmologique reprend Colombine.
-tout juste, adorable enfant. L’agréable torture de la spéculation.
-et la troisième ? Ai-je le droit de tout dire…
-Alors ? demande Pierrot.
-Tu vois bien que chacun a accès aux sottises… rien n’ est plus démocratique… dans la mesure de ses prétentions et de ses capacités, évidemment.
le langage sert il à parler ou à penser ? Dialogue des morts.
Quatre âmes s’entretiennent des relations de la parole et de la pensée.
-Je parle donc je pense, affirme le pataniais.
-Je pense puis je parle, avance le philosophe.
-Tantôt je parle, tantôt je pense, suggèrent finement les mânes de Monsieur Teste.
Alors, le ‘pataphilosophe :
-Je ne parle ni ne pense. Je fais tourner le moulin à paroles…
Ceci est d’ un autre ordre. Dialogue italien.
Pierrot ouvre un recueil de poésie.
On y parle de < la clémence de la montagne >, de < la cruauté de la mer >, du < Triangle plus noble que le Carré >, de < la vertu du nombre sept >, de < la tranquillité de l’apesanteur > et de la < patience de l’azur >.
-dans quel monde suis-je tombé ? murmure-t-il déconcerté.
-dans un univers de fous ! lui répond Trissotin le Logicien.
Il n’ y a là que confusion des ordres de langage : le psychologique, le logique, le physique et le moral… Tout y est mêlé !
-ne peut-on appliquer à un objet physique, une qualification d’ordre psychologique ou d’ordre moral ? demande Pierrot.
-certes non! quelle faute ! reprend le Docte. Confondre les ordres ! tu n’ y songes pas !
Voilà la source de tous les quiproquos et de la plupart des querelles entre les hommes ! Ne pas savoir ce que l’on dit !
On ne joue pas aux Echecs en appliquant les règles du jeu de Dames !
-vous serez donc à votre manière un hygiéniste du langage, note, candide, Pierrot. Le Logicien sourit, visiblement flatté.
-quelle importance ? dit Arlequin qui a suivi l’échange et s’adresse à Pierrot. Tu es chez les Poètes.
Et n’en déplaise au Ministère public ils ont licence de jouer avec les mots.
Puis, après avoir marqué un temps : l’ambiguïté des mots, à défaut d’être gage de vérité, peut être heureuse.
Pour preuve, cette dernière phrase même…
DU REALISME NOMINAL. L’insaisissable signification. L’impossible signification. De quoi la notion est-elle la notion ? L’essence, le signe, la chose. Qu’est-ce que nommer ? Réflexivité. Le passage à niveaux. Le réalisme nominal. De la vertu de l’étymologie. Les désarrois de l’élève Törless. Le vin de Démocrite. Quand dire, ce n’est pas tout à fait… faire. L’imitation du cinéma ou la confusion du signe et de la chose.
L’insaisissable signification. conte ‘patagon.
Un escholier était en quête du sens d’un mot.
Il ouvrit les dictionnaires, compulsa les vocabulaires, interrogea les lexiques et les glossaires ; il chercha les synonymes ; il eut recours aux analogies et aux périphrases. De là il passa aux métaphores. Après avoir épuisé les poètes, il se tourna vers les peintres, puis vers les mimes et les musiciens.
Il convoqua enfin les philosophes.
En vain. Le sens lui échappait toujours.
Il se retourna vers son professeur.
-cette recherche est vaine et le sens m’échappe, insaisissable comme l’ombre et la fumée, avoua-t-il surpris, las et déçu.
Pouvez-vous me dire Maître où gît le sens ?
-c’ est très simple, lui répondit le vieillard. Tu vas reprendre tes livres, tes auteurs et tes poètes, et refaire ton parcours mais à l’envers cette fois.
L’impossible signification. dialogue italien.
-quelle est la signification du nom de < Jeanne d’ arc > ? demande Pierrot à Colombine.
-la petite paysanne visionnaire contemporaine de Charles 7 et du sorbonnicole Evêque Cauchon, répond la jeune fille.
-mais elle a subi le martyre et nous évoquons toujours sa mémoire. De qui parlons-nous donc?
-d’une sainte imaginaire enrichie des interprétations des historiens et des fantasmes des dévots, intervient Arlequin.
-il n’ y aurait donc pas de signification sans les signes et en dehors des signes que nous employons pour signifier la chose en question ? reprend Pierrot.
-il semble que non.
-et il n’y aurait donc pas non plus de signification vraie en elle même et par elle même?
-tu veux rejoindre la troupe des platoniciens ?
De quoi la notion est-elle la notion ? Dialogue des morts.
Aux enfers un élève de Platon et un prosélyte d’Antisthène reprennent pour la énième fois leur dialogue.
-Minouche, Murr, Tibère, Pilou, Bébert et Ratapoil, tous participent d’une même essence qui leur donne à la fois être et signification, affirme l’ami des Formes.
-et laquelle s’il te plaît ?
-La chatité ! mon bon.
-quand cesseras-tu de poursuivre ta chimère ? rétorque le disciple du Cynique. La notion n’est qu’un mot.
Elle n’est pas une essence à laquelle correspondrait dans notre esprit un signe adéquat.
-donc selon toi il n’ y a pas de mot juste et adéquat à la désignation de l’ essence ?
-ton essence est un mythe et ta signification une fiction.
-que dénote alors le mot ?
-un simple invariant. Un mot peut être remplacé par un terme équivalent ou par un signe. La signification du mot est l’invariant de ces substitutions.
-mais en quoi un invariant est-il plus réel qu’une essence ?
-essence ou invariant, quelle importance? interrompt goguenard un spectre de patagon.
Vous employez les règles qui déterminent l’usage des mots. Et ça réussit.
Que vous faut-il d’ autre ?
L’essence, le signe, la chose. dialogue socratique.
-qu’est-ce qu’une femme? demande Socrate à Hippias.
-celle-ci qui passe justement devant toi, répond le sophiste en pointant l’index en direction d’Aspasie accompagnée d’une suite d’esclaves.
-ce n’est pas là une définition, objecte Socrate. Je te demande un concept, une généralité et tu me donnes un exemple, un particulier.
-et moi je prétends qu’ il n’est possible de définir qu’ en désignant et qu’en indiquant, rétorque Hippias.
-mais dans ce cas ta définition démonstrative ne sera jamais complète !
-que m’ importe. Je définis la propriété par l’énumération d’ une suite d’ exemplaires représentatifs. Ainsi je perçois un exemplaire, je le montre puis je le nomme. Je désigne ensuite plusieurs échantillons que je place sous un nom commun.
-mais tu ne pourras jamais énumérer tous les exemplaires !
-qu’ai-je à faire de l’exhaustivité ? une moyenne me suffit.
-une moyenne ! mais comment peut-on faire exister une moyenne? ce n’ est que le produit d’ un calcul !
-en effet. As-tu quelque chose d’ autre à proposer ?
Nouvelle question de Socrate.
-dis-moi ce qu’est une belle femme.
-celles-là, répond de nouveau Hippias en montrant les images d’Aphrodite, d’ Athéna et d’Hélène exposées dans la pinacothèque.
-tu n’y entends rien ! tu me donnes maintenant des noms propres alors que je recherche l’essence, l’invariant, la Beauté.
-montre-moi la Beauté…
-quel âne ! on ne montre pas les Formes. On les intuitionne !
-la beauté est une Forme ?
-oui, une réalité transcendante, comme le Bien, le Juste, l’Egalité…
On les voit avec les yeux de l’ esprit et on leur rapporte les choses bonnes, justes et belles. Ce sont ces Formes qui fondent la dénomination et donnent leur être aux choses.
-tu te leurres cher visionnaire ; la beauté n’est qu’un prédicat. Et qui ne signifie qu’une convention. Tu t’exaltes avec tes fantastiques Transcendantaux.
Garde ton essence, tes idoles et tes nourritures célestes ! Pour moi je préfère les choses à leur signe.
Et étreindre cette femme plutôt que béer devant son Idée !
bis. Qu’ est-ce que nommer ? Aux Enfers. Dialogue philosophique.
Pascal, Arnauld et Nicole, Antisthène, Aristote et Sainmont s’entretiennent doctement.
-les hommes possèdent naturellement la même idée et la définition enveloppe le mot, le référent et ce qu’il signifie, affirme le Grand Arnauld.
-effectivement renchérit Nicole, c’est parce qu’ils possèdent une raison commune que le mot particulier autorise la communication, la connaissance et l’accord.
-vous vous leurrez, tranche Antisthène. La définition n’est avant tout qu’ une désignation.
Et une désignation est une mise en perspective plutôt que la prétendue justesse de l’adéquation du signe à la chose.
-et même une décision ! ajoute Pascal.
-votre < raison > n’ est donc qu’un mythe, affirme triomphant le Cynique.
-je reconnais bien là ta thèse, intervient Aristote.
Pour toi et pour ceux de ta secte il n’ y a pas de définition de chose mais uniquement des définitions nominales. Toute proposition définitionnelle se ramènera donc au type : < celle-ci est une femme >…
Et les jugements ne sont que des événements.
-c’est cela, confirme ravi Sainmont. < Je suis ‘pataphysicien >, signifie effectivement que je suis en train de m’adonner à la ‘pataphysique; rien de moins mais aussi rien de plus.
-mais alors, dans cette hypothèse, parlerons-nous jamais des mêmes choses ? questionne le Grand Arnauld.
-en effet, poursuit Nicole. Il faut bien que cesse le processus de régression indéfinie enveloppé dans l’acte de définir. Il faut bien s’ arrêter…
-Et c’est là le rôle de la définition, reprend Aristote. Faute de quoi le discours de connaissance est impossible.
-il ne sera donc possible que pour autant qu’il sera arbitraire ? demande narquois le ‘pataphysicien.
Réflexivité. dialogue italien.
-pourquoi la justice est-elle juste ? demande Pierrot à Arlequin.
-ta question n’a pas de sens.
-comment cela ?
-tu attribues une propriété, le juste, à elle même. C’est là un attrappe-mouche bien connu : le piège de la réflexivité.
-je crois comprendre, dit Colombine. On ne peut dire : la pauvreté est pauvre, la grâce est gracieuse ou la lenteur est lente.
Il y a confusion de niveaux de langage différents.
-effectivement, reprend Arlequin. Et c’est regrettable.
Sauf sur la scène… du théâtre illustre de la philosophique comédie… idéaliste, bien entendu.
Remarque que pour nous autres comédiens, rien n’est plus réjouissant.
Réification. dialogue italien. (suite)
-si le Juste n’existe pas, s’il n’est ni une chose, ni une essence, qu’est-ce qui existe alors qui peut être défini comme juste ? poursuit opiniâtre Pierrot.
-tel ou tel acte par nous qualifié de juste, répond Arlequin. Pourrais-tu jamais me montrer le Juste ?
-c’est difficile. Je dois avouer que c’est hors de ma portée.
-Méfie-toi de l’article défini. Il a la grammaticale malice de transformer le genre des mots.
-comment cela ?
-les qualificatifs, les participes passés, les participes présents, les verbes, les relations mêmes sont par sa vertu alchimiquement métamorphosés en substantifs.
De l’acte libre naît la Liberté ; du corps fatigué, la Fatigue ; du sourire charmant, le Charme ; du fait de courir, la Course ; de la comparaison, l’Egalité…
D’ où l’illusion dont tu es la victime.
Et pour revenir à ta question, n’existent que les choses ou les conduites susceptibles d’être perçues comme ressortissant ou non à ce qu’on a coutume de définir comme juste.
Juste n’est donc qu’ un prédicat ; nullement une essence.
Souviens-toi : la petite Alice de Lewis Carroll demande à quoi peut ressembler la flamme d’ une chandelle quand la chandelle est éteinte…
Le passage à niveaux. dialogue italien.
-quand tu dis : < Reims est une des capitales de la ‘pataphysique >, affirme Arlequin, le mot Reims désigne une certaine ville, la ville où exerça Emmanuel Peillet le ‘pataphysicien, ou encore la Cité des sacres des Capétiens Avatars du Père Ubu.
Elle appartient au langage primaire appelé par les logiciens le < langage objectif >.
-celui qui traite des choses et de leur perception ? demande Pierrot.
-oui. Si maintenant je dis : < Reims est le nom d’une capitale >, le mot Reims appartient à un langage secondaire, d’un niveau différent, langage qui porte sur le langage primaire.
Et qu’arrive-t-il si nous confondons les deux niveaux de langage ?
-… nous obtiendrons par exemple : < La ville ( de Reims ) est un nom propre >, répond Pierrot après un temps. -Tout juste ! aquiesce Arlequin.
On attribue à un individu -ici une ville, cette ville, une catégorie grammaticale qui n’est vraie que du nom qui le désigne.
-je crois comprendre. Il y aura confusion entre le symbole et la chose symbolisée.
Quel marigot que le langage !
Du réalisme nominal. dialogue italien.
-j’ai lu récemment que tout mot désigne une réalité à laquelle il est lié et que toute réalité, objet, individu ou phénomène, possède un nom qui lui est propre, affirme Pierrot.
-et qu’en penses-tu ? demande Arlequin.
-le nom ne fait-il pas partie intégrante de la chose ou de la personnalité de l’ être vivant ?
-vraiment? répond le Comédien.
Voyons la portée de cette manière de voir.
Si le nom équivaut à la chose alors il suffit de le prononcer pour la faire apparaitre et pour la posséder.
Ainsi pensent tous les kabbalistes. Leur dieu crée le ciel et la terre par la vertu du Verbe tout puissant.
C’est là le principe de la magie incantatoire, de tous les animismes.
Et même de la confusion fréquente sur la signification des énoncés performatifs !
Selon eux : prononcer, c’est dévoiler et même créer.
Je nomme donc tu es !
-effectivement, approuve Pierrot, chez certaines tribus et autres peuplades, il est interdit de prononcer le mot de dieu ; ou encore de python, ou de volcan. Ce sont les noms de démons malfaisants.
-ou au contraire il faut les invoquer, ajoute Arlequin. Afin d’ assurer par exemple la guérison dans le contexte de la magie médicale.
-mais alors il s’ agit d’un fétichisme du nom ?
-oui, confirme le Comédien. Et dans ce cas, ne suis-je pas, n’es-tu-pas, ne sommes-nous pas le nom que nous portons ?
De la vertu de l’ étymologie. Dialogue.
Pierrot s’adresse au Mage.
-Maître, comment parvenir à l’essence des choses ? demande-t-il .
-en interrogeant leur étymologie, répond le Mage.
L’essence des choses, c’est leur signification. Et connaître leur signification, c’ est pénétrer leur étymologie.
Mais tu ne sembles pas convaincu ?
Les désarrois de l’élève Törless. dialogue des morts.
Aux enfers. L’ombre de Törless converse avec celle d’un défunt Pythagoricien.
-quel est le mode d’existence des nombres négatifs, des irrationnels, et des imaginaires ? demande le héros de Musil au disciple du Philosophe.
-ce sont des êtres réels qui nous donnent la clef des choses, répond le sectateur de Pythagore.
Car les choses sont nombres, ajoute-t-il.
-les nombres ne seraient-ils pas plutôt des êtres de convention, de purs symboles qu’ on considère naïvement comme des êtres réels ? propose Törless.
-c’est que tu ne seras pas initié >, rétorque condescendant le mystique.
Le vin de Démocrite. dialogue des morts.
Aux enfers. Le spectre de Cratyle s’entretient avec celui de Démocrite.
-la langue grecque est la plus naturelle de toutes les langues, affirme sentencieusement le Visionnaire.
-et pourquoi donc? interroge l’ âme du grand Matérialiste.
-par exemple elle nomme -en vérité, par le terme de vin ( oînos ) ce qui est du vin !
-ho! ho!… ironise l’ Abdéritain. Et tu crois que ce type de certitude est propre aux grecs ?
Dans ce domaine tous les peuples partagent la même façon de voir.
Ou la même illusion.
Quand dire, ce n’est pas tout à fait… faire. conte ‘patoxfordien.
Un jeune pataniais égaré dans les livres s’était entiché de philosophie analytique. Il ne jurait que par les performatives.
< Dire, c’ est faire ! >. Il ne cessait de répéter la Grande Découverte à ses condisciples.
Au Commencement était le Verbe et le Verbe était Action.
Le réel n’était plus que l’effet de la parole.
Il arriva que rencontrant un ‘pataphilosophe, il lui chanta le même refrain.
< -Ceci n’est pas du vin mais du sang. -Je te proclame élu. -Nous vous déclarons coupables. -Je vous charge de cette mission. -Je vous fais Commandeur de l’ordre de la petite Gidouille… >, tous ces énoncés qui ne décrivent ni ne prescrivent, ont valeur d’ accomplissement, affirmait-il.
Ils ont pouvoir de modifier réellement une situation.
-vraiment? ironisa le patagon. C’est beaucoup leur accorder et c’est beaucoup attribuer à la seule vertu de la parole. Il me semble pourtant qu’il leur manque quelque chose…
-je ne comprends pas…
-rends-toi Place du Trocadéro et décrète la mobilisation générale. Tu verras comment sera reçue ta proposition !
L’imitation du cinéma ou la confusion du signe et de la chose. Pataconte belge.
L’argument du célèbre film de Marcel Mariën est le suivant : un pataniais en quête de Vérité rencontre un prêtre qui lui donne à lire l’ Imitation de Jésus Christ. Le jeune homme se met alors à la recherche d’une croix. Il passe commande à un menuisier qui lui la livre.
Mais elle présente des défauts.
Désespéré, le jeune homme se suicide alors en ouvrant le gaz… les bras en croix.
(15.06.2000)
DU SENS ET DU NON-SENS. glossolalie. le Poète et le Logicien. Le devoir d’ aimer. L’impératif de liberté. L’égalité impossible. Les pièges de l’être. Le vide des Mots et l’oubli des choses. Ni le sommeil ni la mort ne se peuvent regarder en face. La Vie a-t-elle un sens? Les illusions d’un phénoménologue-Faut-il éviter les querelles de mots ? Sommes-nous maîtres de nos paroles ? Pourquoi la ‘pataphysique juge-t-elle primordial de réfléchir sur les mots ?
Glossolalie. conte ‘patagon.
Un déçu de ‘patasophie décida d’aller visiter un ermite inspiré.
Il abandonna la commune route et s’engagea sur un sentier peu fréquenté, à l’ écart des hommes et de leurs turpitudes.
Il parvint au saint Trou.
Un silence prometteur l’attendait.
A quelques pas de lui cependant on psalmodiait une espèce de mélopée dont malgré ses efforts il ne distinguait pas le sens exact.
Il s’approcha de la grotte.
L’Illuminé tout à son oraison ne se retourna pas quand le visiteur franchit le seuil de la demeure consacrée.
Longue fut l’attente.
La patience du prétendant ainsi mise à l’épreuve, le saint homme daigna se retourner vers lui, hiératique et sévère, l’engageant alors à le questionner.
-Vénérable, je prêtais l’oreille avec attention mais quelle est cette langue que vous chantez ? hasarda le pataniais.
-cette langue ?… La Langue !… Toutes et aucune, répondit emphatique l’Inspiré sur un ton entendu et sans réplique.
Puis il se tut.
Déconcerté, l’apprenti remercia, salua et sortit.
-ce n’est donc que cela la mystique glossolalie ? s’étonnait-il plus tard, tout déconfit, devant le maître qu’il avait naguère dédaigné.
-oui, lui répondit le ‘pataphilosophe souriant de sa mésaventure.
Voilà à quoi se résoudra le Verbe saint : la confusion des langues…
Le Poète et le Logicien. Dialogue.
A l’Ubuniversité.
Un disciple de Tarski rencontre un lecteur de Benjamin Péret.
Qui lui montre le poème dont la lecture semble le mettre en joie :
< -Sors de l’urne dit l’hortensia à son complice -Et toi de ton Hortense lui répond la mandoline… >
-comment peux-tu prendre du plaisir à de telles inepties ? s’ exclame le Logicien au bord de l’ indignation.
C’est là pur galimatias et une manière d’ attentat contre la logique et le sens commun !
-ta véhémence et ton incompréhenssion me surprennent, répond l’amateur de poésie surréaliste. Il me semble que tu fétichises la grammaire et la logique.
Auraient-elles le monopole du sens ?
-ces énoncés sont dénués de signification, poursuit le positiviste ; et de plus ils n’obéissent à aucune syntaxe particulière !
-effectivement. Ce ne sont pas des propositions.
-tu l’admets…
-bien volontiers ; mais faut-il réduire le sens à la désignation et à la vérité ? à ce que vous autres vous appelez la signification intelligible ? questionne l’ami des Muses.
-réduire, non pas ; mais subordonner, certes oui ! répond opiniâtre le positiviste.
-pourtant il est un autre mode qui les vaut bien, renchérit le lecteur.
-et lequel s’ il te plaît ?
-précisément : l’expressivité pure.
-nous voici à la tératologie ! s’ exclame le Logicien. Qu’est-ce donc que ce monstre ?
-la suggestive matière sonore. Les mots évoquent des images et par leurs rythmes ils satisfont le sentiment esthétique.
N’es-tu pas sensible à la beauté formelle, acoustique et visuelle de cette suite algébrique :
< * 6 x =. > ?
-vraiment non ! ce n’est qu’ une forme logiquement incohérente ! passe-temps de dandy littéraire et irresponsable !
Pour quiconque aspire au dialogue et à la compréhension, il n’est d’ ambiguïté que malheureuse, lâche méprisant le Logicien.
-je vois que nous touchons le point sensible.
-c’est à dire ?
-Le sens ne quittera pas de sitôt le terrain de la religion rationaliste et celui du discours édifiant. Et la poésie ne laisse pas de susciter le malaise.
Serait-elle donc un outrage aux bonnes moeurs ?
L’impératif de liberté.
Scène vue en Poldavie.
< Soyez libres ! >, prescrit le démagogue à ses dupes à l’occasion d’une réunion politique.
Comme fouettée par l’injonction, la foule se lève et dans un grand tumulte d’ acclamations, docile, battant des mains, elle s’adore frénétiquement elle même en la personne et le propos de celui qu’elle idolâtre.
A distance, deux patagons silencieux raillent discrètement la scène :
-si j’obéis à l’ injonction d’être libre, je ne suis pas libre, remarque le premier.
-et si je n’obéis pas ? demande, ironique, son compagnon.
Le devoir d’ aimer.
Un patagon entre dans une butlerienne banque musicale. Où il assiste consterné à un docte sermon asséné par un petit homme noir à une assemblée de fidèles apathiques.
La péroraison du discours s’achève par une espèce de commandement présenté comme un ordre divin : < Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés ! >
Telle est la chanson.
-est-ce possible ? murmure le jeune homme à part lui. Comment l’amour pourrait-il être un devoir ?
Et il s’interroge, perplexe :
Comment accréditer la loi d’un dieu qui confond avec autant d’ illogique désinvolture la morale et la psychologie ?
L’égalité impossible.
Situation vécue en Poldavie.
-< tous les hommes sont nés égaux en droits >, relève un adolescent candide en parcourant la Vulgate dogmatique de l’Humanisme universaliste.
-comment serait-ce possible? demande-t-il à son maître. L’égalité n’est pas une chose, c’est un terme de logique, c’est une relation. Je puis dire que deux hommes sont devenus égaux en taille, en poids ; que leurs performances sont actuellement semblables… mais < naître égal >, cet énoncé n’ a pas de sens.
Il est logiquement inconstructible.
-c’est sans doute pour cette raison qu’ on aura ajouté < en droits >, répond amusé son mentor.
Remarque, ce sont là propos fort démocratiques.
Les pièges de l’être. Dialogue des morts.
Aux enfers. Après avoir subi le jugement de Rhadamante, les Ombres de Parménide, de Descartes, d’un ‘pataphilosophe et de Tarski s’ébattent et s’ entretiennent dans la Prairie des Asphodèles.
-l’être est, le non être n’est pas ; on ne peut sortir de cette Voie, déclare sentencieusement l’Eléate.
-je pense donc je suis, rétorque du tac au tac l’ auteur des Méditations.
-vous êtes bien sûrs de vous ! conteste, insolemment, le Logicien.
-qu’est-ce qui t’autorise à remettre en doute la validité de nos propositions, lui demandent irrités les deux spectres.
-c’est que si vos énoncés sont grammaticalement corrects, ils sont logiquement inconstructibles.
-comment !? que dis-tu là ?
-parce qu’ ils se ramènent à la forme impossible < il existe > !
-explique-toi ! demande, intéressée, l’âme d’ un patagon qui batifolait à proximité.
-tu vas comprendre : je puis dire : < il existe au moins un x qui vérifie la fonction ( f ); ou encore < il existe seulement un x qui vérifie ( f ) >. Mais dire : < il existe >, ou encore < il existe un x et un seul >, ces propositions n’ ont logiquement aucun sens.
Et du Cogito, on ne peut déduire ni < sum >, ni < je suis une substance pensante dont toute l’ essence est de penser >
Ce sont des propositions impossibles.
-à la manière des univers graphiques de Escher ? intervient le ‘pataspectre.
-oui.
-que peut-on affirmer alors ? demande l’ ombre de Descartes.
-seulement ceci : < donc, quelque chose existe qui pense >, répond, triomphant, le Logicien. Vos deux énoncés ne sont que des pseudo-propositions. N’affirmant rien, ils ne sont rien.
-ici tu te leurres ! conteste le patagon. Leur impossibilité logique n’obère en rien leur valeur poétique ni n’exclut leur modalité d’êtres imaginaires et utopiques.
Tes raisons manquent toutefois leur cible.
-comment cela, demande, étonnée, l’Ombre de Tarski.
-ce sont jeux de langages qui obéissent à des règles spécifiques.
La métaphysique n’est pas la logique, mon bon. Leurs règles sont aussi éloignées que le Bridge l’est du Poker.
Qui nous empêchera de bâtir un monisme ontologique ou de sortir du doute méthodique au moyen d’énoncés impossibles ? poursuit le patagon devant les philosophes médusés.
A condition, bien entendu, de ne pas oublier leur caractère de procédés purement artificiels, fictifs et littéraires…
Le vide des Mots et l’oubli des choses. conte patagon.
Un prestidigitateur de grand talent donnait une conférence.
Magnifique et virtuose il faisait jouer les rouages de l’imposante machine conceptuelle.
L’Etre, le Néant, le Nombre, l’Espace et le Temps, le Mouvement, la Chose, la Force, la Matière et la Vie, l’Homme et l’Esprit… idées et controverses étaient convoquées au grand carrousel de la métaphysique.
Les propositions affluaient, les thèses se bousculaient, de vertigineux rapprochements, d’inouïes oppositions et d’insolites analogies entraînaient l’ adhésion d’un auditoire sous le charme, attentif et subjugué.
La performance achevée et après avoir été longuement applaudi, très sûr de son effet, le funambule sollicita de son public d’improbables questions.
Car sans doute encore plus intimidé que séduit, l’auditoire gardait le silence.
Un escholier innocent toutefois se leva :
-votre argumentation est impeccable, commença-t-il, vos raisons sont saisissantes, vos concepts grandioses ; mais en fait… de quoi parlez-vous ?
Ni le soleil ni la mort ne se peuvent regarder en face. Conte patagon.
Un homme cherchait plus de lumière. Il se plaça bien en face du soleil qu’il fixa méthodiquement.
Il y perdit la vue.
Cet autre voulut saisir le sens de la mort et n’eut de cesse d’y consacrer ses heures.
Il y perdit la vie.
La Vie a-t-elle un sens ?
-< la Vie a-t-elle un sens ? >, demande Pierrot .
-ton énonciation, certainement, répond Arlequin. Mais ton énoncé ?
Les illusions d’un phénoménologue. Conte patagon.
Il y avait un docte qui, fétichisant le langage, croyait aux vertus du dialogue.
Un terrrain commun se constituerait entre moi et autrui ; ma pensée et la sienne ne feraient plus qu’un seul tissu, mes propos et ceux de mon interlocuteur, appelés par l’état de la discussion, s’inséreraient dans une commune opération… Nous deviendrions des collaborateurs dans une réciprocité parfaite ; nos perspectives glisseraient l’une dans l’autre ; nous coexisterions à travers un même monde…
Autant de thèses, autant d’erreurs ?
Faut-il éviter les querelles de mot ? ‘Patakoan.
Deux escholiers conversent…
-Faut-il éviter les querelles de mots ? interroge le premier.
Alors le second :
-falloir… il se peut. Mais pouvoir…
Sommes-nous maîtres de nos paroles ? ‘Patakoan.
-sommes-nous maîtres de nos paroles ? questionne innocemment le disciple.
-peut-être ferais-tu mieux d’apprendre à tenir ta langue ! répond ironique son professeur.
Pourquoi la ‘pataphysique juge-t-elle primordial de réfléchir sur le langage ? ‘Patakoan.
-pourquoi la ‘pataphysique juge-t-elle primordial de réfléchir sur le langage? demande Pierrot.
-ne délirons-nous pas dans les mots ? suggère alors Arlequin.
CHEZ LE LOGICIEN l’absurde ou l’ambiguïté ? contradiction. le Mouvement de l’Histoire. la différence. dilemme. la passion de la raison. antinomies.
L’absurde ou l’ambiguïté. ‘Pataconte français.
Dialogue des morts.
Aux enfers. Les ombres de Sartre et de Simone de Beauvoir se querellent en présence du fantôme crocodilien Lutembi.
-je persiste à déclarer l’existence absurde, s’entête le Philosophe trépignant et tapant du pied.
Vous savez bien qu’elle ne cessait de me donner la nausée.
-Cher, vous radotez ! d’ailleurs de quoi vous plaignez-vous ? Vous qui la détestiez, n’en êtes-vous pas et à jamais débarrassé ?
-si fait, répond l’ idéologue.
-Seulement je puis maintenant vous avouer la vérité ? Vous vous êtes toujours trompé et vous n’avez fait malgré vous qu’égarer vos dévots.
-comment cela ? s’ étonne l’Ombre de l’illustre penseur.
-déclarer l’existence absurde, c’est nier qu’elle puisse se donner un sens ; vous êtes bien d’accord ?
-oui…
-et c’est pour éviter cette impasse que faisant le grand écart vous vous êtes ensuite échiné à jouer les activistes et à singer la dialectique des marxistes !
-j’entends bien ; faute de quoi je me retrouvais en compagnie de l’infâme Louis-Ferdinand ! le voyage au bout de la nuit ! et pour l’ éternité ! vous n’y songez pas !
Mais que m’aurait-il fallu dire alors ?
-quelque chose de plus subtil ; par exemple que l’existence est ambiguë !
-je ne vois pas…
-Pourtant… C’est poser que le sens n’en est jamais fixé et qu’il doit sans cesse se conquérir.
-ah ! je comprends ; une éthique de l’ambiguïté…
-qu’ai-je fait d’autre ? je vous avais pourtant montré la voie…
-de quoi alimenter de nombreux cahiers pour une morale, en effet.
Les deux spectres se regardent complices et amitieux sous l’oeil gourmand lutembien.
-ces clercs prétendument révoltés ont-ils jamais fait autre chose que fétichiser le sens, cette ombre de l’ombre, cette ombre de dieu ? se goberge caustique le spectre du Caïman.
Contradiction.
A l’Ubuniversité.
Un Docte, lointain disciple de Kojève et hégélien attardé, s’agite devant une assistance clairsemée d’escholiers.
-savez-vous quel est le Moteur de la Pensée et du Réel, le levain du progrès de la Conscience universelle ? demande-t-il lyrique et exalté aux étudiants.
Lesquels, interpellés et se sentant soudainement agressés se taisent obstinément.
-la Contradiction !
-ça alors ! s’ esclaffe l’ un d’entre eux. Je n’ aurais jamais pensé que le fait d’ affirmer et de nier en même temps une même chose pût à lui seul transformer le réel.
-cet esprit là manifestement déraille, s’étonne discrètement son compagnon. Il faudra donc accepter que l’existence soit ventriloque et que le réel soit habité par la logique.
-et tu crois qu’il nous faudra reproduire ces extravagances dans nos copies ?!
-bah! s’ il s’agit de faire le singe … reprend l’ autre d’ un air entendu…
Le concours ne vaut-il pas une messe ?
Le Mouvement de l’Histoire.
Autre classe, autre prêcheur.
Un clerc en fonction ne cesse d’ invoquer devant ses élèves lassés, le Mouvement de l’Histoire.
-mouvement absolu ou relatif ? susurre insolemment un élève incrédule.
La différence.
Dans une salle voisine un troisième Docte, Deleuzien fanatique celui-ci, se gausse de ses collègues hégéliens.
Il ne cesse d’ invoquer l’autre Principe explicatif et grand fétiche logico-métaphysique : la Différence.
-différence, peut-être, ricane un étudiant, mais identité d’objectif et d’attitude, très certainement !
Dilemme.
Dialogue des morts.
Aux enfers. L’esprit d’ un élève de Carnéade rencontre le spectre d’un sectateur d’Aristote.
-cher ami, commence-t-il ironique, puis-je te poser une question ?
-fais, mon bon, ici notre temps n’est pas compté, répond libéral le disciple.
-un scrupule bête… je me suis souvent demandé s’il fallait ou non philosopher…
Peux-tu me dire quel est sur ce sujet ton sentiment ?
-question fameuse, répond l’autre, le dilemme du Protreptique.
-le dilemme ?
-oui. Suis-moi bien : ou bien il faut philosopher, ou bien il ne faut pas philosopher. Or, pour savoir s’il faut philosopher, il faut philosopher ; pour savoir s’il ne faut pas philosopher, il faut encore philosopher.
Conclusion ?
-il faut philosopher. Mais ton dilemme est tronqué, objecte le probabiliste. Car il est résolu.
-comment cela ?
-un dilemme ne se résoud point. Tu n’as exposé qu’un des deux côtés de la question.
Tu aurais dû continuer par l’exposé du deuxième parti : < pour savoir s’ il faut philosopher, il ne faut pas philosopher. Pour savoir s’ il ne faut pas philosopher il ne faut toujours pas philosopher >.
-donc ?
-là il n’y a plus de donc.
Et plus de philosophie.
La passion de la Raison.
Un sceptique rencontre la Raison. Dans un étrange équipage. Bleus, bosses, toute égratignée, les larmes aux yeux, les rênes à la main, sa jument qui la suit, gaillarde elle, à quelques pas.
-que t’est-il arrivé ? demande incrédule le Probabiliste.
-une chute ! je me suis égarée et je suis tombée, répond la matrone.
-comment cela ?
-j’ai voulu sauter par delà les phénomènes.
-non ?! par delà les phénomènes ?
-si ! pour atteindre l’absolu.
-quelle idée! et évidemment tu es tombée…
-tout juste. Comment le sais-tu?
Antinomies ou les bosses de la Raison. ( suite possible )
-quel absolu cherchais-tu donc ma bonne amie ?
-je voulais savoir si oui ou non le déterminisme des phénomènes de la nature était absolu et si en conséquence il y avait ou non des causes libres.
-ah ?… curieuse question…
-car alors : pas de cause libre, pas de responsabilité ; partant pas de morale ni de jugement. La catastrophe quoi ! un monde sans morale !
-quel terrain pour une sortie ! tu aurais pu choisir un parcours moins piégeux !
Et qu’as-tu rapporté de ton équipée ?
-tu le vois bien, dit-elle rageuse en montrant ses bosses, des antinomies !
PHILON AUX ENFERS. dialogue des morts.
Deux spectres dont celui de Lucrèce s’entretiennent aux Asphodèles.
-peux-tu me dire Poète, d’où viennent ces hurlements ?
-ce sont les Ombres de Glose, de Commentaire, d’Exégèse et d’Herméneutique qui se lamentent.
-et pourquoi donc ?
-elles viennent de subir le jugement de Rhadamante.
-et alors ?
-ils les a condamnées à être précipitées dans le Tartare.
-dans le Tartare !? et pourquoi ?
-pour escroquerie… au motif qu’elles auraient égaré les humains !
( suite )
-et celui-ci qui les précède, attaché à elles comme s’il illustrait la Parabole des Aveugles ?
-c’ est Philon… Philon d’Alexandrie. Un Mage…
-condamné lui aussi ?
-et pour cause mon bon ! un malfaiteur ! il colportait des balivernes insupportables !
-et lesquelles ?
-entre autres qu’un certain Moïse, un illuminé dont il est l’adepte, hiérophante et mystagogue, serait le Guide et la Lumière des Peuples, Prêtre de l’Univers entraînant à sa suite l’Humanité toute entière.
-ça alors ! quelle prétention !
-tu l’as dit. Aussi Rhadamante a-t-il été impitoyable… D’autant plus que le bonhomme a aggravé son cas en créant pour les besoins de la Cause une méthode soi-disant allégorique…
-allégorique ?
-pour sauver du ridicule les énormités du saint ouvrage qu il colportait ; cela le Juge ne pouvait pas le laisser passer !
-un trucage, disais-tu ?
-élémentaire pourtant. D’après lui en effet tout est symbole, tout devient symbole : phénomènes naturels, faits supposés, fictions avérées, anecdotes, rêves, canulars, nombres, lettres, chants, histoires fantaisistes et tronquées, tabous, prescriptions et interdictions…
-par exemple ?
-la distinction des animaux en purs et impurs… l’interdition des carnivores… la mutilation rituelle…
-un bien grand malfaiteur en effet …
-quand je pense que j’ ai écrit les six livres du De Rerum Natura pour rien, soupire Lucrèce.
-allons Poète, console-toi, tu as la meilleure part.
-et laquelle s’il te plaît ?
-la satisfaction du rire.
SENS,CLAIRVOYANCE ET DEPRESSION. histoire de fous.
Deux fous conversent au sortir de La Nuit des Rois.
-tu me parais bien mélancolique, fait le premier.
-c’est que je n’ arrive toujours pas à me dégager de ma langueur, répond l’ autre.
Toi qui sembles toujours d’humeur égale, quelle est donc ta recette ?
-la dé-pression !
-la dépression !? tu te moques…
-c’est pourtant simple…
N’ espérant rien, refusant les aventures du sens, je ne suis jamais déçu.
-ce serait donc cela ton remède, le refus du sens ?
-plutôt son effet. Remarque, ce n’est peut-être que l’autre nom de la clairvoyance…
-et l’ ennui n’est jamais au rendez-vous ?
-ho! ça … c’est une autre histoire !…
( fin de la première série )
vers ubu4a (deuxième série)