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Table : ‘Pata koans : Sixième série
La raison et le sensible, la physique.
Paraphrases et dialogues
Problématique classique de la perception ( résumé)
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La logique.
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< Le devenir universel est comparable à un perpétuel jeu de dés, en sorte que chaque pas du devenir correspond à un nouveau coup de dé. Des deux conceptions du monde, causale et statistique, c’est la deuxième qui a triomphé.>
Hans Reichenbach, Les Atomes et le Cosmos
*
< … l’univers est fait de lambeaux et de sauts, il n’y a ni unité, ni continuité, ni ordre, ni cohérence, bref aucune des qualités qui commandent l’amour… Ordre, unité, continuité : autant d’inventions humaines, qui ne sont pas plus vraies que les catalogues et les encyclopédies…>
Bertrand Russell, L’Esprit scientifique.
*
< Ce qu’ils appellent « univers » n’est en réalité qu’un simple fait de langage… >
Dämon Sir, De l’incertitude.


‘pata koans dissertatifs
Questions posées à Epistémon le ‘pataphysicien
:  

La raison et le sensible. Y a-t-il quelque chose de vrai dans la sensation ? Puis-je faire confiance à mes sens ? Si la sensation est subjective, comment s’évader du solipsisme ?
Sens, valeur et portée de la Physique : Si la sensation est qualitative, comment la physique qualitative est-elle possible ? Comment la physique quantitative est-elle possible ? Si elle est spécifique, que nous fait connaître la physique ? L’usage de la raison est-il une garantie contre l’illusion? Pourquoi observer sans théorie instruit-il si peu ? Sur quoi peut se fonder la conviction d’avoir raison ? Peut-on mal user de sa raison ?

 

Y a-t-il quelque chose de vrai dans la sensation ?
La sensation est-elle vérité ou source de vérité ?

La sensation est la matière psychique de la perception en tant que modification d’un sens. Sensible propre ( Aristote ) particulier à chaque sens ( odeur, couleur..) ou sensible commun à plusieurs sens ( déterminations de la figure, de l’étendue, du mouvement )
Scientifiquement appréhendée la perception met en jeu :
-l’excitant, qui est physique;
-l’excitation ou stimulation du récepteur, qui est physiologique;
-la sensation consécutive à l’excitation cérébrale, qui est psychologique;
-la perception en tant que telle, prise de conscience par laquelle débute et s’élabore la connaissance de l’objet.
Toute sensation est, à la fois et plus ou moins, représentative et affective, partagée entre le sujet et l’objet. Elle est interaction.
De l’objet elle produit la réalité représentée par les qualités sensibles ( couleurs, odeurs, saveurs, impressions tactiles, thermiques, algiques, kinesthésiques…) ; du sujet elle porte la marque de l’affectivité.
Complexe physiologique et mental, la sensation brute n’est guère isolable de la perception.
En elle même c’est un inexprimable.
Qualitative, singulière, fugace, inétendue, d’une durée propre et innommable ( cf Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience )
A la limite de l’inconscience.
C’est la conscience percevante qui, revenant artificiellement sur elle même, la distingue dans son originalité supposée par un procès réflexif d’abstraction.
La conscience étant toujours conscience d’un objet ( Husserl, Merleau-Ponty ), concret, abstrait, fictif ou halluciné, la sensation est toutefois condition nécessaire de la perception.
Si elle ne fait pas sens, elle est hantée par le sens ( intention incarnée ) et condition du sens dans l’acception logique du terme.

La question devient alors : y a-t-il quelque chose de vrai dans la perception ?
Le vrai est le critère logique des jugements ( et des propositions qui les expriment ) qui s’imposent à l’assentiment par le travail de la preuve.

Le jugement de vérité est l’effet d’un complexe de conduites intellectuelles ( doute, recherche, hypothèse, démonstration, expérimentation, induction… ) qu ‘il est d’usage de regrouper sous le terme générique de < raison > )

La sensation, moment de l’immédiateté et de la spontanéité mentale, état limite de la vie psychique, n’est donc qu’une des sources de l’évidence représentative et de la proposition vraie.
C’est une < existence primitive > ( Hume ) autant qu’irrationnelle.
En soi elle n’est ni vraie ni fausse ; elle est.
Sauf à accréditer la thèse mystique de la confusion du vrai et du réel et à déclarer le < coeur >, le < sentiment > ou l’ < extase > comme voies d’accès privilégiées à la < réalité > ( Pascal, Artaud, Michaux, Huxley… )

Puis-je faire confiance à mes sens ?
La sensibilité est-elle un support fiable du jugement ?

La sensibilité définit avant tout la propriété des tissus vivants de réagir de manière spécifique aux excitants extérieurs. Sensibilité de l’oeil, de l’ouïe, d’un muscle au courant électrique.
Le terme désigne ensuite une fonction psycho-physiologique par laquelle le sujet éprouve :
-des sensations représentatives ou affectives ;
-des impressions de plaisir et de douleur.
Sensibilité intéroceptive ( faim, soif, etc.) liée aux viscères ; sensibilité proprioceptive, centrée sur les muscles, les articulations ( position de membres, contrôle des attitudes, équilibration, marche..); la sensibilité extéroceptive, tournée vers le monde extérieur recueillant les sensations du dehors.

La sensibilité est-elle fiable ? Est-elle vide de sens ou permet -elle d’appréhender la vérité ?
-En tant que source immédiate de données d’expérience, elle est incontestable.
-En tant que fondement du jugement de vérité elle est hautement problématique.
C’est Sextus Empiricus ( Hypotyposes pyrrhoniennes ) qui a mis en forme le catalogue des objections à la thèse d’une prétendue fiabilité de la sensibilité.
Catalogue repris par Montaigne ( Apologie… ) puis la philosophie idéaliste classique : Descartes, ( Méditation 1 ) Malebranche ( Recherche de la vérité ), Kant ( Critique de la raison pure ), Alain ( Elements de philosophie )…
L’expérience sensible est relative à chacun.
Pour chacun la sensation est changeante et fonction du moment…
Les sensations ne sont au mieux que l’occasion d’une conduite mentale distincte : Réminiscence platonicienne, Evidence cartésienne, Jugement kantien, Méthode expérimentale d’après l’école positiviste moderne.
Ce qui n’ infirme d’aucune manière le fait de l’irréductibilité des sensations ( cf Lucrèce / Hume ) indépendamment de leur valeur représentative supposée de vérité et de leur possible correspondance à un < réel > qui demeure -par delà les schématisations et les définitions, toujours opaque.
Car le réel représenté est toujours déjà un réel ressenti.

Sens, valeur et portée de la Physique
-En suivant Louis Rougier, Traité de la connaissance

Si la sensation est subjective, comment s’évader du solipsisme ?
Nos sensations sont subjectives. Par suite nous ne pouvons les comparer à celles d’autrui.
Sommes-nous -monades closes sur elles-mêmes-, murés dans notre tour d’ivoire ?
Thèse du néo-positivisme :
Nous constatons habituellement que l’ordre dans lequel coexistent et s’entresuivent nos sensations est le même pour nos semblables placés dans des conditions d’observation identiques.
Peut-on s’assurer de la communauté de cet ordre ?
Ce qui est communicable d’un individu à l’autre, c’est l’ordonnance des perceptions que nous éprouvons dans des circonstances définies ; ce que nous appelons leur structure.
On distingue en effet dans tout complexe de sensations et dans toute suite de perceptions :
-leur ordonnance et leur structure, transmissibles par le langage ;
-leur qualité spécifique accompagnée d’une certaine tonalité affective, intransmissible.
On appellera connaissance intuitive l’ensemble de nos contenus de conscience ; connaissance sensible ou sensorielle, l’ensemble de nos perceptions extérieures.
Cet ensemble, monde sensible, phénoménal, monde de l’expérience, constitue le donné des sciences de la nature.
Mais échappe-t-on pour autant au solipsisme d’espèce, au solipsisme… anthropologique ?

Si la sensation est qualitative, comment la physique qualitative est-elle possible ?

La sensation est subjective, la physique constitue un langage intersubjectif.

L’objet de la connaissance scientifique -connaissance discursive-, est le donné sensible. Elle énonce des propositions  » vraies  » à propos de ce donné.

Une perception en tant que telle, n’est ni vraie ni fausse ; elle est simplement vécue. Ce qui est le cas de tous nos états de conscience.
Vérité et erreur ne qualifient que les propositions énoncées à leur sujet.

Les propositions de vérité supposent un langage relatif à nos états de conscience. Pour créer ce langage il convient :
-de morceler le continu sensible en objets, événements, propriétés, relations ;
-de désigner ces objets, etc., au moyen de certains symboles, de telle sorte que ces symboles leur correspondent univoquement.
-une proposition – énoncé d’une certaine relation entre ces symboles- sera dite < vraie > si , appliquant les règles de correspondance entre ces symboles et les contenus de conscience qu’ils servent à désigner, elle justifie l’attente qu’elle a suscitée.
Soit la proposition : < A telle date, à telle heure, il y aura à Paris une éclipse de soleil >, elle est stipulée vraie si la situation de fait, prévue en vertu des règles d’emploi des mots date, heure, Paris, éclipse de soleil, est vérifiée ( cf R. Carnap, Les fondements philosophiques de la physique)

Le langage descriptif intersubjectif ainsi créé permet de vérifier avec rigueur le fait empirique auquel il doit sa création soit :
-l’existence dans le flux de phénomènes sensibles d‘invariants statiques ( certaines sensations étant toujours données simultanément, il est possible de rapporter à un même objet un ensemble de propriétés et classer dans la même espèce les individus qui ont en commun une même propriété ).
-l’existence d‘invariants topologiques exprimant l’ordre constant dans lequel certains événements s’entresuivent.
Le monde physique apparaît comme un ensemble d’objets pouvant être décrits et classés et de changements qualitatifs dont il est possible de découvrir les régularités.
Caractéristique de la physique aristotélicienne.

Comment la physique quantitative est-elle possible ?
Comment passer de la physique qualitative, descriptive dans le langage vulgaire, à une physique qualitative exprimée dans le langage mathématique ?

Le flux sensible constitue le donné immédiatement vécu relatif au monde extérieur. Il apparaît sous un double aspect correspondant à deux groupes de sensations :
-les qualités, couleurs, odeurs, chaleurs, sons, pressions…
-les quantités, collections d’objets, les dimensions des corps, leurs figures, leurs relations de distance, leurs déplacements qui se ramènent à des sensations de forme géométrique.

Toute quantité, d’une espèce et d’une grandeur donnée, peut être obtenue par la juxtaposition de quantités de même espèce et de moindre grandeur.
La quantité – < ce qui a de parties en dehors des autres > ( Aristote, Catégories )-, est ce qui est susceptible d’addition.
En conséquence la comparaison de diverses quantités de même espèce peut être ramenée, au moyen d’une correspondance biunivoque, à la comparaison de diverses quantités d’une autre espèce, et, notamment, à la comparaison de divers nombres.
Par suite de cette correspondance, la science des nombres, l’Arithmétique, devient la théorie générale de la quantité.
Il en est différemment des qualités.
On ne peut appliquer aux qualités le bénéfice de la mesure ( Cf Bergson, Données immédiates… ).
On ne peut définir le signe de l’addition au sujet du chaud et du froid, du clair et de l’obscur, du lourd et du léger…
On ne peut considérer l’état d’intensité d’une qualité comme formée par l’addition d’états d’intensité moindre de cette même qualité, alors que l’état de grandeur d’une quantité est formée par l’addition d’états de grandeur plus petits de cette même quantité.

Si le monde extérieur nous apparaissait comme un ensemble de variations purement qualitatives la connaissance intersubjective se réduirait à une classification des corps, de leurs changements qualitatifs, de leurs rapports de coexistence et de succession ( Science « aristotélicienne » ou physique de la qualité )

Le passage à la physique quantitative est dû au fait empirique que toute variation qualitative est liée à un changement quantitatif concomitant -déplacement ou déformation- et qu’en conséquence il est possible de repérer les différents degrés d’intensité d’une variation qualitative à l’aide des différents états de grandeurs d’un changement quantitatif concomitant.
Ainsi des différents degrés de pression à l’aide d’un manomètre sur un cadran gradué.

C’est cette particularité de l’expérience sensible qui permet de construire des instruments de mesure et d’appliquer les mathématiques à l’étude de la nature.

Un instrument de mesure fait correspondre aux variations qualitatives des phénomènes :
-soit les variations de forme géométrique d’un corps unique comme la déformation du ressort d’un dynamomètre ;
-soit les variations de la distance relative de plusieurs corps comme la déviation de l’aiguille d’un galvanomètre, ce qui équivaut à une variation de forme de la figure déterminée par plusieurs corps.
Toute science est élaboration d’instruments aptes à mesurer une classe de phénomènes qualitatifs ( cf Gaston Bachelard, Le matérialisme rationnel, Le rationalisme appliqué ).
La balance a créé la chimie ( Lavoisier ), le calorimètre a suscité la thermochimie ( Berthelot ) et l’histoire des sciences se confond avec celle de la technique instrumentale.
Les lectures de mesure des instruments consistent à noter des coïncidences entre un index ou un spot lumineux avec le trait d’une graduation.
Les coïncidences ont un sens absolu pour tous les groupes d’observateurs.
La description quantitative de l’ordre spatio-temporel des coïncidences peut toujours être mise en correspondance, en vertu de lois physiques invariables, aux changements qualitatifs décelés en première instance par nos sens.
Cet ordre est le même pour tous les groupes d’observateurs. Le langage qui l’énonce – dépouillé de tout contenu intuitif et et subjectif-, a un sens intersubjectif « universel ».
Il permet la découverte d‘invariants fonctionnels exprimant, entre les variations des grandeurs physiques mesurées par les instruments, certains rapports fixes appelés < lois naturelles >.
La science est donc transcription du monde en langage de sensations de forme géométrique.

Si elle est spécifique ( anthropologique ), que nous fait connaître la Physique ?
 La Physique nous révèle-t-elle la substance des choses ou la structure des phénomènes ?

Qualités premières et qualités secondes. La croyance au < mécanisme universel >.
Il nous est possible de remplacer les sensations auditives, chromatiques, thermiques, etc., correspondant aux variations qualitatives, par les sensations tactilo-musculaires et visuelles, correspondant aux changements quantitatifs, c’est-à-dire aux changements de grandeur et de position.
La correspondance existant entre sensations visuelles et les sensations tactilo-motrices, permet d’interpréter les premières comme le signe des secondes et de remplacer les secondes par les premières.
C’est cette propriété de notre univers qui permet d’édifier une physique quantitative.

La distinction classique des « qualités premières » et des « qualités secondes » (17° siècle ) fut l’interprétation de cette circonstance. Les données de la vue seraient objectives, les autres sensations, auditives, chromatiques, gustatives, olfactives, thermiques, cutanées seraient subjectives.
Les qualités  » premières » furent attribuées au monde extérieur, alors que les  » qualités secondes  » furent considérées comme l’impression purement subjective causée par l’action d’agents du monde extérieur sur nos organes des sens ( cf Locke )
La croyance au « mécanisme universel  » dérive de cette distinction : tout est explicable dans le monde « par la figure et le mouvement « .
Ainsi la Physique s’ingénia-t-elle à ramener la hauteur, l’intensité, le timbre des sons à la fréquence, l’amplitude et la forme géométrique des vibrations d’un milieu élastique entre la source sonore et l’oreille.

Les « qualités premières  » sont fonction de nos systèmes de référence.
Or la Physique relativiste postule tout au contraire que les sensations de grandeur, de forme et de mouvement sont elles-mêmes « subjectives » :
-nous ne connaissons que des mouvements relatifs ; le même corps paraît en repos, en mouvement de translation uniforme ou en mouvement varié, suivant le système de référence auquel on le rapporte.
-la forme et les dimensions d’un corps apparaissent différemment suivant l’angle sous lequel on l’observe et suivant que le corps est en mouvement ou en repos par rapport à l’observateur.
Le mouvement, les dimensions et la forme des corps dépendent ainsi du choix de nos coordonnées d’espace-temps ; elles n’appartiennent pas objectivement au monde extérieur, mais elles caractérisent nos systèmes de référence suivant la règle formulée par Einstein :
-une propriété objective doit être invariante quand on passe d’un groupe d’observateurs à un autre, sinon elle caractérise un certain groupe d’observateurs et non le monde extérieur.
Le mouvement, la grandeur et la forme sont des propriétés relatives. Elles ne se conservent pas quand on passe d’un système de référence à un autre ( cf Bertrand Russell, Essais sceptiques )
Seules, parmi les données fournies par nos sens, les coïncidences subsistent.

L’objectivité des coïncidences et la théorie de la relativité.
Deux événements coïncident s’ils se passent au même moment et au même lieu, d’où résulte généralement un troisième événement. Les coïncidences sont les mêmes pour tous les groupes d’observateurs. Elles sont des propriétés invariantes du monde extérieur.
La théorie générale de la relativité est basée sur ce principe que toutes nos connaissances du monde physique doivent se décrire en termes de coïncidences, en terme < d’intersections de lignes d’univers >.
Physique péripatéticienne, Physique classique, Physique relativiste.
La physique péripatéticienne décrivait le monde en termes de qualités supposées objectives : elle nécessitait un observateur doué de tous ses appareils sensoriels.
La physique classique décrivait le monde en termes de forme, d’étendue et de mouvement. Elle se contente d’un observateur jouissant de la vue.
La physique de la relativité décrit le monde en termes de coïncidences et pose une double obligation :
-la description du monde extérieur doit se ramener à une description des coïncidences.
-tous les rapports exprimés entre ces coincidences doivent avoir une forme telle qu’elles soient invariantes pour tout changement continu quelconque, pour tout changement qui ne transforme pas ces coïncidences en événements distants dans le temps ou dans l’espace ( cf Bertrand Russell, A.B.C. de la relativité )
Tout ce que nous pouvons connaître du monde extérieur, c’est sa structure, ce que le langage peut traduire intersubjectivement. Le langage imagé est toujours subjectif. Seul le langage des propriétés et des relations structurelles est intersubjectif. Les propositions scientifiques sont toutes des propositions de structure.
En conséquence la Physique ne nous dit rien sur la substance de l’Univers.
Interprétation corpusculaire et interprétation ondulatoire sont également légitimes et inadéquates, vignettes dont nous agrémentons certains symboles, soumis à des relations mathématiques dont le but est de coordonner les lectures d’instruments de façon à prévoir, probablement, en parlant des lectures présentes, les lectures futures dans des conditions déterminées d’expérience.

Langage subjectif et langage objectif. Le monde extérieur et monde sensible.
-La Physique est incapable de conférer un sens à ces termes : < la substance matérielle >.
-Il est possible d’également transcrire les énoncés physiques dans le langage subjectif de la psychologie introspective ou dans le langage des physiciens : < complexe stable de sensations > dans le langage des psychologues devient < objet > dans le langage du physicien.
-La condition dans la traduction du langage physique en langage psychologique impose d’admettre comme invariant la même structure que l’on interprète indifféremment dans le langage introspectif des états de conscience ou dans le langage réaliste des états physiques.

Nous n’avons aucun moyen de confronter le monde sensible ( le monde extérieur tel qu’il nous apparaît en impressionnant nos organes des sens ) au monde extérieur ( le monde tel qu’il subsisterait en dehors de toute représentation chez des êtres doués de conscience )
Il nous est impossible de sortir de l’univers de nos sensations qui sont toutes subjectives.
-Mais l’intersubjectivité dont jouit l’ordonnance de nos sensations nous révèle que cette ordonnance ne dépend pas de la spécificité de nos organes des sensoriels individuels, qu’elle est objective.
Cette objectivité s’interprète par la communauté de structure entre le monde extérieur et le monde sensible.
-Enfin identité de structure pour deux groupes de phénomènes ( partition musicale, enregistrement sur le disque ) ne signifie pas identité de substance. Il n’y a aucune identité de nature entre la série des sons et la répartition des notes sur la partition.
Et toute proposition qui a une signification communicable doit être vraie des deux univers ( le monde sensible et le monde extérieur ) ou d’aucun des deux ( Cf B. Russell )

L’interaction du monde extérieur et de nos organes des sens comme condition de la description de la structure des phénomènes.
Question : la structure commune que nos instruments de mesure nous révèlent entre le monde extérieur et le monde sensible, monde de nos perceptions, est-elle due à une action exercée par le monde extérieur sur nos organes des sens et reçue par eux passivement, ou est-elle le résultat d’une interaction qui s’exerce entre le monde extérieur et l’observateur ?
Quand nous étudions un système physique à l’aide d’un instrument de mesure, les apparences qu’il manifeste résultent du complexe formé par le système physique, l’appareil de mesure et de nous-mêmes.
-La science classique prétendait que le départ de ces trois facteurs était possible, qu’on pouvait corriger l’instrument et éliminer l’observateur de façon que le système observé ne soit en rien modifié par l’acte de l’observation.
-La mécanique quantique montre qu’en microphysique il en est différemment. Les phénomènes quantiques ne se révèlent à nous que par leur action sur nos instruments macroscopiques et le dispositif expérimental utilisé informe en quelque sorte les phénomènes observés en déterminant la forme, ondulatoire ou corpusculaire, sous laquelle ils nous apparaîtront.
De spectateur, l’observateur devient acteur ; l’acte de l’observateur substitue à toute prédiction certaine un ensemble d’énoncés de probabilité.
A l’échelle quantique, la structure que nous découvrons est donc le résultat, non d’une action unilatérale, mais d’une interaction entre le monde extérieur et nos organes des sens affinés par nos instruments de mesure.
Pas de < connaissance > sans expérimentation ; pas d’expérimentation sans interaction.

L’usage de la raison est-il une garantie contre l’illusion?

L’illusion, la foi, l’imagination sont objets de la critique philosophique qui les définit comme des puissances trompeuses en regard de la seule puissance susceptible de décrire l’Être et d’apporter certitude et vérité : la raison.
Béatrice, Délie, Laure et Dulcinée des philosophes…
La philosophie se prétend passage du mythe, du poétique, au rationnel.

Est-ce bien raisonnable et qu’est-ce que la < raison > ?
-correspondance du discours et de l’Être ( Aristote, Thomas d’Aquin ) ;
-faculté inhérente au sujet humain de juger -le rationnel- et de se déterminer -le raisonnable- ( Cicéron, saint Augustin, Bossuet, Malebranche, Kant… ) ;
-aptitude à dominer la nature ( Descartes );
-ou encore, à la manière contemporaine, pensée techno-scientifique.
La raison est une notion polysémique qui, par sa richesse et son histoire, est devenu un concept flou.

Et dont la valeur a été contesté de différents points de vue par l’irrationalisme :
-Bergson conteste qu’elle puisse -en tant que puissance discursive-, parvenir à la connaissance des qualités sensibles.
-Nietzsche y décèle le refus du tragique et une attitude existentielle contraire à la vie.
-le relativisme sociologique la réduit à une forme de la pensée humaine parmi d’autres, propre à la culture occidentale.
-Heidegger la définit comme moment d’une  » histoire de l’être « .
-Il y a de l’indicible, du contingent, du hasard, du particulier, du singulier, de l’irrationnel affirment les ‘pataphysiciens pour lesquels -et suivant les analyses kantiennes de la Dialectique transcendantale-, la < Raison > n’est qu’illusion dogmatique, précritique, spéculative et inconsciente de soi.

Si la raison -se leurrant sur elle-même, incapable d’authentifier son territoire, ses limites, ses aptitudes-, est elle-même illusion, voire l’illusion par excellence,

comment cette puissance trompeuse ( Pascal ) pourrait-elle prétendre dans son usage à se constituer en garantie contre les illusions ?

Pourquoi observer sans théorie instruit-il si peu ?
Toute observation est-elle gage d’enseignement ?

Observer, c’est porter son attention sur… L’observation peut-être errante ou méthodique ( Alain, Eléments de philosophie )
-L’observation errante n’est rien de plus qu’un vagabondage sans dessein, sans principe, livré au caprice de l’association d’idées et au hasard des rencontres phénoménales.
Ne supposant pas, ne cherchant rien, elle trouve peu quoiqu’elle rencontre beaucoup.
Car il y a plus de choses sur la terre et dans le ciel que n’en peut comprendre notre philosophie, au dire du Poète…
Elle n’instruit guère. Tout juste relève-t-elle des consécutions phénoménales empiriques.
-L’observation méthodique est tentative de vérification d’une hypothèse ou, à tout le moins, d’une conjecture. Elle prétend dégager des relations de simultanéité et de succession liant les phénomènes.
Alors que les observations empiriques sont de pures constatations, l’observation théorique, fondée sur les premières forment des hypothèses portant sur des rapports de faits et les vérifient ( cf Claude Bernard, Gaston Bachelard )
L’observation théorique est donc observation provoquée. Elle instruit, même à l’occasion d’un échec ou de la réfutation d’une hypothèse.
Elle est l’expression de la < falsifiabilité > ( K. Popper ) des propositions scientifiques à la différence des énoncés spéculatifs soustraits au travail de la preuve.
-Un observation sans théorie est aveugle. Une théorie non appuyée par l’observation n’est qu’artifice vide.
Ce qui ne signifie pas qu’elle soit -aux yeux du ‘pataphysicien- nécessairement dénuée d’intérêt.

Sur quoi peut se fonder la conviction d’avoir raison ?
-La conviction est l’attitude d’esprit de quiconque tient une chose pour vraie en vertu de motifs ou d’arguments rationnels.
A distinguer de la persuasion, stratégie psychologique qui vise, pour provoquer l’adhésion, à toucher la sensibilité et à mouvoir la volonté.
-Avoir raison, c’est, après avoir apporté des preuves, clore une question, dégager la solution d’un problème, vérifier le bien fondé d’une hypothèse.
La conviction est un état psychologique qui accompagne une méthodologie logique et/ou expérimentale.
-Les convictions scientifiques sont spécifiées, parcellaires, modestes, prudentes, réfutables et vérifiables…
-Les convictions spéculatives, grandioses synthèses théoriques scientifiques, visions religieuses, utopies idéologiques, sont globalisantes, totalitaires, « irréfutables » et emphatiques.
Elles traduisent le désir irrationnel d’intelligibilité, de sécurité d’esprit, la peur de l’inconnu et de l’aléatoire, quand elles n’expriment pas la soif de pouvoir sur le monde et sur autrui, la volonté de puissance la plus vulgaire.
Le ‘pataphysicien, proche des empiristes mais acceptant les conclusions kantiennes de la Dialectique transcendantale, souscrit – pour son agrément intellectuel et son confort pratique-, aux « raisons » locales et provisoires des gens de science et se divertit aux prétentions mégalomaniaques des chimériques mus par la < passion de la Raison > ( cf Michel Alexandre, Lecture de Kant )

Peut-on mal user de sa raison ?
Bien user de sa raison, c’est appliquer les règles de la méthode.
On peut user maladroitement ou malicieusement de sa raison.
-Dans le premier cas, domaine de la raison < rationnelle >, scientifique, on manifeste son inintelligence des procédés de la recherche, de l’analyse, de la déduction, de l’induction, de la preuve, de l’expérimentation…
-Dans le second cas, domaine de la raison < raisonnable >, on pervertit la < Loi morale >, au sens de Kant, en agissant contrairement au < Droit >… malicieusement et en toute conscience.
On peut user enfin spéculativement, systèmes de métaphysique, ou… ‘pataphysiquement, de sa raison.
En créant par jeu, sur les modes esthétique et éthique, des fictions et des univers supplémentaires.

L’irrationnel est-il irréductible à la raison ?
< Irrationnel > se dit de ce qui est étranger à la raison comme les conduites ( rêves, actes apparemment « manqués »…) qui échappent à sa direction quoiqu’elles soient l’objet d’une étude rationnelle qui se prétend scientifique ( Ainsi du Freudisme )
< Irrationnel > désigne ensuite ce qui est contraire à la raison comme ce qui relève de la pensée préscientifique, par exemple la magie sympathique, ou présentant un vice de méthode dans son approche du vrai.
< Irrationnel > caractérise enfin ce qui est irréductible à la raison dès lors que celle ci est incapable d’apporter une justification -un sens- au fait de l’existence ou quand les connaissances à établir dépassent ses possibilités -ainsi les « objets » de la foi.
Tout ce qui relève du hasard ( par opposition à la finalité, au dessein, à l’intention ) est en soi < irrationnel > -indépendamment du calcul des probabilités, branche fort rationnelle des mathématiques.
L’irrationnel est donc limite permanente à l’intelligibilité de l’être, du monde, de la conduite.
A noter que l’irrationnel a un devenir – il y a une histoire de l’irrationnel- et que la raison elle-même est susceptible de se détruire, voire de se pervertir en oeuvrant à des fins intrinsèquement irrationnelles ( cf Horkheimer, Théorie critique, Heidegger, L’essence de la technique )
-‘Pataphysiquement parlant < l’irrationnel est le réel > ( Dämon Sir, De l’incertitude )

Paraphrases et dialogues : Malebranche ( Recherche de la vérité ): Les sens ne nous trompent pas. Peut-on apprendre la vérité aux enfants ? ( Rousseau, Emile ) Hobbes ( Léviathan ): la curiosité, source et moteur de la raison. Karl Popper ( Logique de la découverte scientifique ) : ambiguïté du terme d’expérience – Problématique générale de la perception.

Les sens ne nous trompent pas
A : -Quelle est l’origine de l’erreur ? Les sens nous tromperaient-ils ?
B : -Ne serait-ce pas plutôt notre volonté qui nous leurre par ses jugements précipités ?
A : -Réfléchissons… Si je vois de la lumière, il est très certain que je vois de la lumière…
… si je sens de la chaleur, je ne me trompe pas de croire que j’en sens…
B : -Mais je me trompe si je juge que la chaleur que je sens est hors de l’âme qui la sent.
A : – C’est pourquoi, si nous faisions bon usage de notre liberté, si nous usions à bon escient du rapport de nos sens, si nous jugions sans précipitation…
B : -… les sens ne nous jetteraient pas dans l’erreur.
A : -Pourquoi est-il donc si difficile de bien juger ?
B : – A cause de l’étroite union de notre âme avec notre corps…
A : -Il nous faut donc observer cette règle de ne juger jamais par les sens de ce que les choses sont en elles-mêmes, mais seulement du rapport qu’elles ont avec notre corps.

Peut-on apprendre la vérité aux enfants ?
A : -Les enfants ne sont guère aptes à la méditation de la vérité et aux sciences abstraites.
B : – Leur âme, si fragile, si délicate encore, ne s’applique qu’à l’agitation causée par les objets les plus faibles et les moins sensibles… elle laisse les pensées métaphysiques et de pure intellection.
A : -Les enfants sont facilement distraits par les idées confuses des sens… Ils ne peuvent considérer avec attention les idées pures de la vérité.
B : -Ceci acquis, on peut remarquer :
-en premier lieu, qu’un enfant de sept ans se délivrera plus aisément de l’erreur où les sens le portent qu’un vieillard qui a suivi toute sa vie les préjugés de son enfance.
-en second lieu, que si l’enfant n’est pas apte aux idées claires de la vérité, on peut toutefois l’avertir de la tromperie où ses sens peuvent l’ amener en toutes sortes d’occasions.
A : – A défaut de lui apprendre la vérité, on peut ne pas l’entretenir et le fortifier dans ses erreurs.

Hobbes ( Léviathan ) : la curiosité, source et moteur de la raison
A : – Si l’expérience est la base de toute connaissance, les expériences nouvelles sont la source des nouvelles sciences et l’accumulation des expériences les augmentent.
B : -Mais c’est la curiosité qui est le moteur de la connaissance. L’événement étrange et inconnu suscite l’espoir et l’attente d’une connaissance prochaine.
A : – Cette passion, nous la désignerons sous le terme d’admiration.
B : -Passion représentative qui, considérée comme un désir, n’est autre que la curiosité…
A : – … le désir de savoir ou de connaître…
B : – C’est cette passion qui nous distingue des animaux.
A : – En effet, si l’homme rompt toute communauté avec les bêtes par sa capacité à donner des noms aux choses, il les surpasse aussi par la passion de la curiosité.
B : -La bête ne considère la nouveauté et l’étrange que sous le jour de l’utilité ou de la nuisance ; l’homme cherche le commencement ou la cause.
A : – Et c’est cette passion d’admiration et de curiosité qui a produit l’invention des mots, la supposition des causes, la science, la philosophie et la raison.

Karl Popper, ambiguïté du terme d’expérience
A : – Apprendre, que ce soit dans le domaine des faits ou dans celui des normes, est l’effet de nos erreurs et de la critique.
B : – Est-ce suffisant ? Ne faut-il pas faire appel également à l’intuition et à l’expérience ?
A : – Certains philosophes ont décrit la perception par les sens comme une source de connaissance, de « données » à l’aide desquelles nous édifions notre expérience.
C’est là une grave erreur.
B : – Certes ; expériences et observations ne consistent pas en « données » mais en un réseau de conjectures et d’hypothèses mêlées à un ensemble de croyances traditionnelles, scientifiques ou non.
A : -Il n’ y a pas d’expérience et d’observation à l’état pur, abstraction faite de toute attente et de toute théorie.
B : – Et il n’y a pas de données  » pures  » pouvant être considérées comme sources de connaissance et utilisées comme moyens critiques.


Problématique classique de la perception

A. Les problèmes. B. Les tentatives de réponse. C. Les sujets.
A. les problèmes

  1. Lieu de la perception :
    le corps ? la conscience réflexive? les deux niveaux ? rôle respectif ?
  2. Qui perçoit ?
    -si le corps est mis en avant : comment sont unifiées les données sensorielles liées à la diversité des organes des sens ?
    -si la conscience est mise en avant, l’unité est donnée d’emblée. Comment cette unité a-t-elle rapports à la diversité du monde sensible ?
  3. Que perçoit-on ?
    Une affection corporelle, une image mentale, l’objet lui même ?
    -comment concevoir le rapport de l’objet à l’image ?
    -peut-on inférer de la perception la chose qui en est la cause ?
    -dans l’hypothèse d’une réponse négative, y a-t-il quelque chose comme un monde ?
    -si l’intersubjectivité est impossible, le solipsisme est-il alors le vrai ?
  4. La perception est-elle connaissance ?
    La perception : degré inférieur de la connaissance ? élément de la connaissance ? donne-t-elle à la connaissance ses objets ?

B. Les tentatives de réponses.
La réceptivité, l’activité, le sentir sont les trois opérateurs d’intelligibilité habituellement relevés de la perception.

  1. la réceptivité :
    1.1. Epicure. Le sujet est passif. La réalité du monde externe n’est pas discutée. Il informe le sujet percevant ( théorie des simulacres )
    A noter la thèse analogue du behiaviorisme moderne : la perception est comprise comme modification du comportement par l’effet des causes externes. La conscience est une hypothèse inutile pour en rendre compte. Les stimuli donnent l’objet perçu immédiatement organisé.
    1.2. Berkeley. Le sujet est passif. Les impressions sensibles sont des données absolues qui ne sont pas signes de réalités externes.
    1.3. Locke et Condillac. Les sens témoignent de l’action d’objets extérieurs qui agissent sur le sujet. Cette réceptivité est la source de la genèse des idées par voie de réflexion.
  2. L’activité.
    Intellectualisme ( Platon, Kant, Lagneau, Alain )
    La perception est effet de l’activité de l’âme, de la raison, d’un sujet transcendantal, de l’entendement.
    L’objet est constitué par le sujet. Le donné sensible est diversité chaotique alors que le perçu est cohérent. La perception suppose :
    -la sensation comme relation du corps à des objets ;
    -le jugement et l’attention comme activité fondatrice de la pensée.
  1. Le sentir.
    Critique de la psychologie expérimentale par Brentano et Husserl -Psychologie de la forme et étude de la structure de la perception (Köhler) – Recherches phénoménologiques (Merleau-Ponty) -Recherches psychologiques ( Goldstein, Buytendijk)
    L’Analyse de la relation du sentir aux organes des sens fait apparaître l’interdépendances des organes des sens.
    -l’organisme comme mise en forme de l’information et non pas simple véhicule enregistreur de l’information conduite de la périphérie aux centre nerveux.
    -que la forme de la perception lui est propre ; elle est d’emblée globale ; elle n’est pas réductible aux éléments perçus, aux sensations élémentaires ni aux propriétés organiques.
    -qu’il n’existe pas de parallélisme entre les éléments d’un processus organique et la constitution du sentir (deux images rétiniennes et perception d’un seul objet ).
    Le sentir est :
    -utilisation des organes des sens.
    -projet vital reliant le sujet à la réalité comme support de signaux ou d’expressivités;
    -saisie des significations vécues comme inhérentes au sensible et comme telles reconnues par le sujet;
    -saisie représentative du réel à partir du corps propre comme critère de référence.
    Conséquences :
  2. Le sujet percevant est incarné dans un monde de significations. Celui ci est inhérent au vécu perceptif. Il diffère d’une espèce l’autre, d’un sujet l’autre.
  3. La signification, l’expressivité, est fonction du contexte; elle varie.
  4. Elle dépend de la nature de l’animal. Chaque espèce réagit sélectivement à une classe spécifique de signaux déclenchants émanant de la réalité externe.
  5. Les formes sont inhérentes au sentir. Comment se constituent-elles ?
  6. La perception humaine est fonction de l’environnement culturel et social. Elle est un processus global, rapport de l’homme au monde.

Note. Critique de la psychologie de la forme ( Piaget /Janet/ Pradines ) :

  1. Elle réduit excessivement le rôle de l’activité de l’esprit.
    La perception est ramenée à des lois physiologiques réduites elles-mêmes à des lois d’équilibre physique ( isomorphisme )
    La < forme > est donnée toute faite dans les perceptions élémentaires.
    Or la capacité de constitution des objets est un processus génétique de construction -par accommodations et assimilations ( Piaget )- elle-même fonction de l’évolution mentale, de l’expérience et de l’âge du sujet.
    Elle mêle des intérêts affectifs et des besoins. Ainsi l’unité et la physionomie d’une chose sont-elles établies par la satisfaction directe ou indirecte de nos tendances.
    Enfin la perception est inséparable des cadres sociaux, de la situation sociale où elle s’effectue ainsi que de la dénomination ( importance du langage dans l’interprétation des objets )
    La perception sensible n’est donc pas d’emblée structurée et organisée.
  2. Elle repose sur une hypothèse métaphysique.
    Elle suppose un ordre rationnel déjà réalisé dans la nature que l’esprit n’a qu’à enregistrer.
    La perception n’en est plus que le décalque.
    Elle ne nous donnerait jamais de qualités « pures » et toute qualité ( son, odeur, saveur… ) serait d’emblée objet déjà douée de signification.
    Tout serait donné, chose, sens, expressivité.
  3. Elle efface la distinction entre le sensible et l’intelligible.
    Or voir, entendre, etc., n’est pas nécessairement comprendre.
    Elle méconnaît ainsi la notion des plans de conscience ( de la distraction à l’extrême attention) sans distinguer le syncrétisme de l’enfant de la capacité analytique de l’adulte.
    Elle sous-estime le rôle de l’expérience et de la mémoire.
    Elle exprime l’illusion de l’expérience directe et de l’immédiateté, un empirisme du sens et de l’expressivité.

De la confusion de la représentation et de la perception.
Un exemple de critique (anticipée) du mythe gestaltiste et phénoménologique de < l’immédiateté passive > : l’analyse réflexive de la perception par Jules lagneau, Célèbres leçons, Cours sur la perception.

  1. < Représentation et perception. -Mais, si étroitement liées que soient la représentation et la perception, il n’est pas moins nécessaire de les distinguer l’une de l’autre comme deux moments continuellement successifs. Ainsi, qu’un mouvement soudain de ma main se produise devant mes yeux, si je ne saisis que ce mouvement, j’ai une simple représentation. Si je sais que c’est ma main qui a passé devant mes yeux, j’ai une perception, c’est-à-dire une représentation déterminée. Enfin, si je cherche à m’expliquer la cause de ma représentation intuitive, je fais acte de connaissance rationnelle. Toutefois il faut remarquer que dans l’acte même par lequel j’ai interprété ce mouvement comme étant le passage de ma main devant mes yeux, mon entendement est intervenu. Si j’étais un enfant à peine né, il me serait impossible de reconnaître dans ce mouvement le passage d’une main devant un oeil. Cette interprétation suppose, d’une part que je sais que tout ce qui se présente à moi dans ma représentation est en moi, et ensuite que j’ai appris quelle espèce d’être doit être conçu pour expliquer cette représentation. Autrement dit la perception suppose ceci de plus que la représentation, à savoir la conception d’un être objectif auquel elle se rapporte, et un ensemble d’habitudes acquises par le moyen desquelles j’ai pu évoquer en moi précisément la représentation de l’objet le plus capable d’expliquer ma représentation. Enfin, en dernier lieu, elle suppose un jugement ferme, définitif, en apparence immédiat, par lequel j’ai appliqué cette construction intérieure d’un objet à ma représentation extérieure, de façon qu’elles fissent corps, l’une avec l’autre. Lorsque je perçois un objet extérieur, il ne me semble pas que j’interprète une représentation passive par une représentation active, mais il me semble que cette opération est immédiate, intuitive. La perception est en apparence une intuition immédiate. L’esprit semble passif, alors qu’il est actif. Le côté actif de la perception, l’esprit n’en a généralement pas conscience. Il y a cependant des cas dans lesquels le caractère actif de la perception apparaît distinctement, c’est lorsque l’esprit cherche à voir ou à entendre ; mais, quand il voit ou entend, le côté actif disparaît. >

Sur les illusions des sens
 

  1. < Les illusions des sens concernant les relations d’étendue. -L ‘erreur peut aussi porter, et porte le plus souvent, sur le mouvement, les positions, les distances et les formes, c’est-à-dire sur les relations d’étendue. L’habitude y joue un rôle prépondérant. Nous nous trompons parce que nous appliquons à des cas exceptionnels une règle qui ne vaut que dans la généralité des cas. Mais l’activité propre de l’esprit y est aussi pour beaucoup ; c’est toujours une interprétation, en partie habituelle, en partie confirmée par le jugement, qui fait que nous nous représentons les positions dans l’étendue de façon erronée. Et ce qui est remarquable ici, c’est que l’erreur ne se traduit pas par un jugement explicite, mais par une intuition dans l’espace ; d’où l’on comprend une fois de plus que l’intuition n’est pas donnée, mais bien plutôt construite, et qu’elle est dans la dépendance de l’idée que nous nous faisons de l’objet . >
    < … Enfin, il y a des cas remarquables où l’aspect d’une forme en relief, représentée par des lignes, change à volonté selon l’interprétation que l’on adopte. C’est ainsi que l’on peut voir à volonté, dans la même figure plane, le dessus ou le dessous d’un escalier, un cube vu sous deux aspects, un tronc de pyramide en creux ou en relief. L’aspect des objets dépend ici de l’idée que nous en avons. D’où l’on peut conclure que la perception de l’étendue par les sens ne résulte pas d’une nécessité de notre nature seulement, mais qu’elle dépend aussi de nos jugements.
    >

C. Les sujets :

La perception n’est-elle qu’une hallucination vraie ? Nos perceptions ne sont-elles que des rêves bien liés ?
Autres sujets de réflexion ( à envisager à partir des analyses de Jules Lagneau, reprises par Alain, Elements de philosophie et Michel Alexandre, notes de cours, En souvenir de Michel Alexandre ) :
La perception est-elle déjà une science ? Suffit-il de voir pour savoir ? La perception est-elle passive ou active ? Le réel se réduit-il à ce que l’on perçoit ? Percevoir, est-ce seulement recevoir ? La raison modifie-t-elle la perception sensorielle ? L’art, la science enrichissent-ils la perception du réel ? Quand nous percevons, comment savons-nous que nous ne rêvons pas ? Quel est le rôle de la pensée dans l’acte de percevoir ? La perception est-elle présentation directe de la chose perçue ? L’illusion est-elle une erreur de perception ?

La perception n’est-elle qu’une < hallucination vraie > ?
Problématisation d’une assertion célèbre de Taine.

  1. Percevoir, selon l’étymologie, c’est recueillir, se saisir de… C’est aussi éprouver.
    La perception est représentation et affection; elle est aussi action. Conduite globale d’un organisme, elle est constitution de l’objet.
    C’est une fonction du sujet qui se représente les objets.
    Dans cette construction interviennent le corps sexué, la sensation, l’affectivité, le besoin, le jugement, l’expérience, des conventions culturelles.
    L’objet n’est pas seulement présenté mais aussi représenté.
    La chose se présente, se manifeste, interprétée par une conscience percevante -ni spontanée ni immédiate- du monde extérieur.
  2. L’hallucination est habituellemnt définie comme une perception pathologique qui fait croire réelles des choses qui n’existent pas.
    Elle entre, ainsi que le cauchemar, la chimère, le délire, le rêve, la vision… dans le champ sémantique de l’égarement.
    La conscience hallucinée se méprend, se trompe ; elle divague… Elle est, chez le sujet éveillé, perception fausse.
    Elle est croyance en la présence d’objets ou d’êtres qui ne sont pas donnés dans la réalité.
    Elle affecte tous les sens externes.

Elle a pour origine :

  1. une excitation pathologique des récepteurs sensoriels ( otite, tumeur cérébrale ) ou un déséquilibre du système nerveux par infection ou intoxication.
  2. une altération prononcée de la conscience affective, une projection ; par exemple dans le délire hallucinatoire, la schizophrénie, etc.
  3. La proposition de Taine est donc, à dessein, provocante.
    Elle séduit certains romanciers, poètes et artistes… notamment ceux qui confondent plus ou moins délibéremment perception, hallucination, vision et imagination.
    Elle est également discutable :
    -d’un côté, une hallucination n’est ni vraie ni fausse ; c’est une < existence primitive > ( Hume ) incontestable parce qu’effectivement éprouvée par le sujet. Elle traduit un désordre du corps et/ou de l’esprit.
    -d’un autre côté, ramener la perception à l’hallucination -fût elle déclarée vraie- est plus qu’un paradoxe…
    C’est nier sa spécificité comme c’est nier la dimension pathologique de l’hallucination.
    Les conventions culturelles qui imprègnent nos perceptions contribuent à constituer un sens commun, certes naïf et à l’objectivité discutable, mais non pas -à parler rigoureusement- un égarement pathologique, une démence.
    La démence, individuelle ou collective, commence là où font provisoirement ou définitivement défaut le jugement critique, le questionnement relatif au sens et à la valeur représentative de nos perceptions lestées de nos conventions.
    < Le fou, écrit Alain, est celui qui se croit, qui ne doute pas >…

Nos perceptions ne sont-elles que des rêves bien liés ?

  1. Conjecture de Leibniz ( Discours de métaphysique ), prise peut-être à Descartes ( Méditations métaphysiques 1 ) et proche de certaines considérations développées par Pascal ( Pensées )…
    Thème baroque, shakespearien : la vie serait < un songe > ( cf Calderon )
    Et qui repose sur le postulat métaphysique de la continuité de la vie mentale.
    Exister serait rêver… Nous irions de l’incohérence du rêve à la cohérence perceptive sans jamais quitter le domaine de l’onirisme…
  2. Or, percevoir n’est pas rêver…
    Il s’agit de deux modes bien distincts de la vie mentale, reconnus et analysés comme tels par les sciences de l’esprit.
    La vie psychologique représentative est caractérisée par des discontinuités notables, par des plans de conscience distincts, par des types et des niveaux d’activité bien spécifiés.
    Des  » petites perceptions  » relevées par l’ auteur des Nouveaux essais sur l’entendement humain, à l’ « aperception  » ou prise de conscience réfléchie par la monade -le sujet doué de raison- des choses qui l’entourent.
  3. Cependant que nous éprouvons également des états psychiques intermédiaires ( rêverie / fausse reconnaissance ) ou de transition ( distraction / éveil / endormissement… ) qui peuvent parfois suggérer l’illusion d’un rêve continué.
     

La logique. La raison est-elle seulement affaire de logique ? une pensée cohérente est-elle nécessairement vraie ? les règles de la logique limitent-elles la liberté de l’esprit ? a-t-on le droit de se contredire ? définir la logique comme l’art de penser, est-ce appauvrir la pensée ? la logique est-elle une science ?

La raison est-elle seulement affaire de logique ?

  1. la < raison > est un concept riche, saturé de significations :
    -faculté de juger propre à l’homme ( Aristote ) et commune à tous les hommes ( Cicéron );
    -puissance de bien juger et de distinguer le vrai d’avec le faux ( Descartes, Malebranche );
    -faculté des principes, ordonnée à un système de principes a priori auxquels elle doit se conformer du point de vue soit logique et formel ( principes d’identité, de non-contradiction, du tiers exclu ), soit épistémologique, s’appliquant au réel sensible ( principes du déterminisme, de causalité, de finalité -raison suffisante ou déterminante selon Leibniz ) ;
    -faculté discursive de raisonner, de combiner concepts et propositions ;
    -faculté de percevoir et d’établir des rapports nécessaires (rationalisme) ou constants (empirisme) entre les phénomènes -la raison des choses ou l’ordre selon lequel les faits, les lois, les rapports, objets de la connaissance, s’enchaînent en procédant les uns des autres ( Cournot );
    -principe universel d’explication et de justification, < flambeau du philosophe >, lumière, coordinatrice et guide du moraliste, du politique et de l’historien ( Cournot ).
    -idée spéculative, Esprit du monde et substitut de la providence et de dieu ( Hegel et son fantasme de la raison dans l’histoire );
    -faculté des Idées transcendantales, Sujet, Monde, Dieu ( Kant ).
    La raison -constituante- exprime la tendance de l’esprit à l’identité du divers, à l’intelligibilité, à la réduction de l’inconnu au connu, à la recherche de l’ < Absolu >…
    Elle est exclusive, rejetant la religion, le mythe, l’illusion, l’imagination, la transe poétique, la folie…
    Elle se présente comme connaissance authentique de la réalité et souci constant de s’authentifier soi-même.
  1. La logique est une science, un art de penser et une exigence normative et prescriptive.
    2.1. Elle est l’étude des opérations de l’esprit ( Logique de Port-Royal ) considérées par rapport à la fin à laquelle il tend : la connaissance de la vérité et la détermination des règles qui assurent la légitimité de ces connaissances.
    2.2. Logique formelle ( Aristote ), science de la conséquence ou de l’accord de la pensée avec elle-même dans le discours.
    -En ramenant à l’unité une pluralité d’intuitions de la conscience ou des sens pour former un concept qui s’exprime par un terme.
    -En liant deux concepts l’un à l’autre par un jugement qui s’exprime par une proposition.
    -En liant un jugement à un ou plusieurs autres jugements par le moyen d’une inférence qui s’exprime dans un raisonnement.
    2.3. Logique symbolique, constituant une langue artificielle et idéographique rigoureuse évitant les équivoques du langage courant, visant à substituer aux grammaires des langues naturelles une grammaire où les formes du discours soient calquées sur les formes logiques ( Leibniz, Boole, De Morgan, Hilbert, Russell )
  2. La logique est donc servante de la raison… tout autant qu’instrument de certitude, réduction de l’incertitude, cette grande source d’angoisse des hommes.
    S’ensuit il que la raison ne soit qu’une affaire de logique ?
    -D’un côté la logique est bien le coeur de la rationalité discursive ; d’un autre côté la raison doit prendre en compte le rôle et le poids de l’expérience dans la constitution de la connaissance – et ainsi de la contingence, du hasard, du particulier… de l’irrationnel.
    -De surcroît, il convient de ne pas oublier l’ancrage de la rationalité dans la culture ( cf Michel Foucault / Thomas Kuhn );
    S’il n’y a pas de < Raison dans l’Histoire > (Hegel ), il y a par contre une histoire de la raison.

    -La < raison pratique > ( Kant ), expression de la raison pure dans le domaine éthique, se propose de déterminer d’après des principes a priori les propositions exigées par la loi morale.
    On s’autorisera à douter de la valeur des postulats de la raison pratique…
    -La < raison d’Etat > prétend justifier au nom de l’intérêt public certaines mesures préjudiciables à l’intérêt privé mais souvent contraires à la justice et à l’équité…
    -La rationalité réflexive et critique -avec Kant, Wittgenstein 1 et l’Ecole de Vienne- conteste enfin à la raison spéculative la possibilité d’une connaissance objective, fût-elle formellement cohérente ( psychologie, cosmologie, théologie rationnelles ).
    Il y a une… passion de la raison ( cf Michel Alexandre, Lecture de Kant) Passion de l’intelligibilité, du Sens, de l’Absolu, de l’Unité, de la Totalité… autant d’idoles et de fétiches de la raison spéculative. On voit par là que les « raisons » de la raison -motifs avoués ou mobiles cachés-, sont bien loin d’obéir au stricts critères de la logique auxquels elle prétend habituellement satisfaire…

Une pensée cohérente est-elle nécessairement vraie ?

  1. La cohérence -caractère d’une suite de pensées formant un tout logique ou rationnellement ordonné- est un critère de métalangage logique.
    -Le terme de vérité qualifie formellement les propositions logiques -qui ne sont que des tautologies ne nous apprenant rien sur le réel.
    < Dans les mathématiques formalisées, au critère de l’évidence des principes et des théorèmes d’une théorie déductive, se substitue le critère de la cohérence d’un système d’axiomes, exprimé sous forme de relations entre des symboles non définis. > ( Louis Rougier, Traité de la connaissance )
    -Les lois de la « nature »( généralités, moules symboliques ou fonctions propositionnelles génératrices de propositions empiriques particulières ) sont cohérentes -bien formées, ordonnées rationnellement-, et stipulées vraies.
    Au motif qu’elles qualifient matériellement des énoncés expérimentaux vérifiés et prouvés.
    -La rhétorique -notamment la judiciaire- est un modèle de pensée surveillée où l’imprécision, le manque de rigueur, la contradiction sont bannies.
    Une pensée vraie est donc nécessairement cohérente.
  2. La cohérence -critère formel de vérité- n’est pourtant qu’une condition de la connaissance.
    Un jeu est cohérent d’après ses règles ; un système hypothético-déductif est vrai selon ses axiomes, son vocabulaire, ses règles de déduction ; les propos d’un paranoïaque ou d’un idéologue visionnaire peuvent être parfaitement cohérents alors que ses postulats sont aberrants et ses inductions, hallucinées.
  3. La pensée ne se réduit pas à la rationalité.
    Le terme de < pensée > ( cf Descartes ) désigne l’activité psychique dans son ensemble indépendamment de sa valeur objective de connaissance.
    Douter, affirmer, aimer, sentir, vouloir, imaginer, sont des attitudes mentales générant des énoncés susceptibles d’être cohérents, incohérents, ambigus, équivoques, absurdes.
    Quant au Verbe, il peut s’engendrer lui-même… par la vertu génétique du calembour…

< la vérité est l’idole suprême. ( Mais ) Qu’a de vénérable ce qui est ? Qu’ont de plaisant la logique et l’intelligibilité ? de plaisant ou de satisfaisant ? >.
( Attribué à < Julien Torma > )
D’où le dilemme de certains ‘pataphysiciens : prendre conscience de ce tropisme de l’esprit humain et le revendiquer. Ou bien se déconsidérer publiquement en décidant d’en sortir…
 

A-t-on le droit de se contredire ?
Relation de deux ordres axiologiques : le moral et le logique.

  1. Se contredire, c’est formuler une affirmation incompatible avec une proposition donnée comme vraie ou poser un pacte en désaccord avec ses principes, avec ses décisions antérieures.
    La logique est normative. Elle définit les règles de la pensée. La non-contradiction est la valeur de référence qui fonde le discours pertinent tant vis à vis de soi qu’en regard d’un tiers.
  2. Est-elle pour autant prescriptive ? Est-ce un < devoir > de ne pas se contredire ?
    Du point de vue éthique ( Morale religieuse ou sociale conventionnelle, Kantisme ), se contredire équivaut à tromper. L’erreur est une faute…
  3. Cependant que :
    -La contradiction peut être involontaire; c’est là un fait assez banal de la psychologie de la connaissance : on se contredit par maladresse, par simple erreur de jugement, par défaut de mémoire, par précipitation, par passion, sous l’effet d’un choc psychologique, de la maladie ou encore de l’aliénation mentale.
    -Elle peut aussi être volontaire, tactique, politique, voire insolente.
    La volte-face, le démenti, la dénégation, le dédit, la dérobade, la palinodie sont des attitudes existentielles et pragmatiques fréquentes, mettant à mal la logique et parfois efficaces.
    Quand la contradiction est flagrante, opiniâtre et publique, le ridicule n’est pas loin ( Cf les grands types portés sur la scène par Molière, Orgon, Alceste, etc…).
  4. On peut enfin constituer la contradiction en jeu afin de dynamiter les prétentions excessive de la logique ( cf théâtre de Ionesco ).

Les règles de la logique limitent-elles la liberté de l’esprit ?
Relation de la logique à la psychologie et à la métaphysique.
1.
-L’esprit sans règles et sans méthode vagabonde, erre et assez souvent se perd en un kaléidoscope d’associations d’idées dont certaines ne sont toutefois pas dépourvues d’intérêt.
Conduite mentale procurant un bénéfice esthétique mais certes pas  » l’assurance  » habituellement désirée que fournit la logique.
-la liberté absolue est synonyme de liberté d’indifférence aux motifs et aux mobiles de l’action et de la pensée -auquel cas < Dieu > seul peut être stipulé libre de cette liberté.
< Dieu, disait Descartes, au grand scandale du logicien Leibniz, eût pu vouloir que deux et deux ne fissent point quatre >.
-la liberté propre à un esprit fini suppose nécessairement des règles qui définissent une manière de se conduire dans le domaine des déductions et des inférences logiques.
Il est possible de s’abandonner au hasard et au chaos -qui ne sont en fait qu’espèces d’un despotisme effectif et subi.
Pourquoi pas… mais à nos risques et périls.

  1. L’existence se plie ainsi généralement à la règle qui prescrit comment s’y prendre afin d’assurer un résultat satisfaisant.
    Ainsi du syllogisme ou encore des règles autorisant les différents jeux, admises par convention explicites ou implicites.
    Il semble que la liberté de tout esprit fini, incarné et situé, enveloppe cette irréductible et incontournable nécessité.
    Règlements, prescriptions, lois, canons, chartes, maximes, paradigmes, principes, préceptes gouvernent tous les domaines de l’existence tout autant que la vie de l’esprit.
    L’esprit peut changer de règles, il ne peut guère se passer de règles ( cf Valéry )
    Il peut aussi jouir de la malice de subvertir et de changer les règles du jeu…
  2. Enfin, si le désir d’assurance procurée par le vrai est bien la source psychologique de la pensée logique, quelle en est la valeur ? ( cf les analyses de Nietzsche, Gai savoir )
     

Définir la logique comme l’art de penser, est-ce appauvrir la pensée ?
Définition de la logique dans la manière de Port-Royal : discipline qui a pour objet de déterminer les formes du discours, du jugement et du raisonnement valables, autant de moyens assurés de parvenir à la vérité et à la certitude.
-Que serait la pensée selon ses modes sans l’art, sans la technique, sans la mise en forme ? une pensée brute, immédiate, spontanée, irréfléchie, d’une  » sincérité  » toute proche de l’automatisme et de l’inconscience et livrée au chaos.
Sentir, c’est savoir qu’on sent ; imaginer, c’est savoir qu’on imagine ; juger, c’est savoir qu’on juge… Et toujours d’après des règles, des normes, des canons.
-Ce qui limite est tout autant ce qui  » libère « … au sens de ce qui autorise et permet.
Quoi de plus nécessitant que le sonnet ? quoi de plus arbitraire que les astreintes de la sérialité ?
Le < chef-d’oeuvre > serait-il en raison directe des contraintes consenties ? ( cf Oulipo )
La logique ou plutôt les logiques, les diverses axiomatiques, enrichissent donc formellement la pensée.
Quant au ‘pataphysicien, il s’agit incontestablement d’ un « amateur  » de logiques…